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Madame Armellini, après un instant de silence, reprit : « Avez-vous compris, messieurs? le bras vengeur auquel nul ne saurait échapper est suspendu sur vos têtes, prêt à frapper; mais il en est temps encore, la voix de Dieu, par celle de son vicaire, n'a point encore fulminé contre vous la sentence terrible. Au nom de votre bonheur en ce monde et de votre salut dans l'autre, jetezvous au-devant de sa miséricorde; la coupe des iniquités se remplit dans vos mains: brisez-la avant qu'elle ne déborde. » Disant ainsi, cette femme, exaltée par une sainte indignation, s'approchant de son mari, jeta devant lui, sur la table, le décret du Saint Père, puis elle se retira.

Le second acte de la révolution romaine touchait à sa fin. Deux mois et demi à peine s'étaient écoulés depuis l'assassinat du ministre Rossi, et voilà que la largeur de sa tombe seule séparait la monarchie constitutionnelle de la république. Les premiers entre les plus impatients, le prince de Canino et Garibaldi, proposèrent de franchir cette faible distance. Leur motion, repoussée par la majorité qui voulait procéder régulièrement, fut ajournée. Le lendemain, 7 février, après la vérification des pouvoirs, l'avocat Galetti, ayant été nommé président, déclara, sur une interpellation de Canino, que l'Assemblée était réunie et qu'elle devait se considérer comme unique souveraine et maîtresse de régler les destinées du pays. Mais alors, le président fut brusquement interrompu par un des émules de Bonaparte : « Cette déclaration n'est pas suffisante, s'écria le député Audino; nous voulons un vote: je demande que l'Assemblée déclare elle-même reconnaître en soi la plénitude des pou

voirs souverains. » L'Assemblée, après avoir voté dans ce sens, s'ajourna au lendemain pour délibérer sur la forme gouvernementale des États romains.

Ce jour-là, la séance s'ouvrit à midi tous les ministres étaient présents, et cent quarante-quatre représentants répondirent à l'appel nominal. Alors, montant à la tribune, Armellini déclara que la commission gouvernementale remettait ses pouvoirs à l'Assemblée constituante, seule souveraine et apte à pourvoir aux besoins de l'État. Dans ce moment une lutte violente s'engagea entre les ministres démissionnaires et le prince de Canino qui, après avoir dit qu'ils avaient bien mérité de la patrie, que leurs noms passeraient à la postérité la plus reculée, leur reprocha de n'avoir point rempli leur devoir sur trois points, à savoir: l'argent, les armes et l'épuration des départements Le ministre des travaux publics, Sterbini, s'élançant aussitôt à la tribune, s'écriat que chaque ministre était prêt à répondre de ce qu'il avait fait personnellement : que si M. Bonaparte avait pris note de cette déclaration il aurait remis à un autre moment des critiques intempestives. « Si nous avons fait quelque bien, ajouta le ministre de l'intérieur, Armellini, la louange en revient au peuple. Si nous avons fait mal, nous sommes prêts à en répondre. » Après cet incident, qui n'eut d'autres suites que de faire applaudir vigoureusement les ministres démissionnaires, ceux-ci se virent confirmés de nouveau par la majorité de l'Assemblée dans les fonctions qu'ils venaient de résilier.

Dès lors, la séance prenant un caractère plus grave, Mamiani déclara, avec plus d'éloquence que de logique, que la domination temporelle des papes avait toujours

été le fléau de l'Italie, que Rome n'avait pu avoir que le gouvernement des papes ou de Rienzi. Traçant ensuite le tableau analytique de la situation actuelle de l'Europe, il démontra, avec beaucoup de clarté, qu'il serait difficile de maintenir à Rome la forme républicaine. En conséquence, il opinait pour que la question fût renvoyée à la décision de la constituante italienne. Combattu sur ce terrain par plusieurs orateurs, et surtout par une vigoureuse argumentation du député Agostini, Mamiani n'en persista pas moins dans son opinion. Après une suspension de la séance qui fut reprise à huit heures, Audino proposa que l'on déclarât, séance tenante, la déchéance du pape dans ses pouvoirs temporels, ma's qu'on laissât à la constituante italienne le soin de statuer sur la forme du gouvernement. L'assemblée adopta, à la presque unanimité, le décret proclamant la déchéance du souverain Pontife et l'adoption de la forme démocratique pure sous le nom de République romaine. Les applaudissements des tribunes publiques éclatèrent au moment où monseigneur Muzzarelli, sous-doyen de de la S. Rote et comblé des faveurs de Pie IX, déposa son vote contre la papauté. Le président Galetti partagea ces honteux honneurs lorsqu'il eut le triste courage de prononcer lui-même, avec la déchéance de son bienfaiteur, le texte de ce décret sacrilége.

« Art. 4o. La papauté est déchue de fait et de droit du gouvernement des États romains.

>> Art. 2. Le pontife romain aura toutes les garanties nécessaires d'indépendance dans l'exercice de son pouvoir spirituel.

>> Art. 3. La forme du gouvernement de l'État romain

sera la démocratie pure et prendra le nom glorieux de République romaine.

» Art. 4. La République romaine entretiendra avec les autres parties de l'Italie les relations qu'exige la nationalité commune.

» Rome, le 9 février.

» Le président, Joseph Galetti.

» Les secrétaires, GIOVANNI PENNACCHI, ARIODANTE FABRETTI, ANTONIO ZAMBIANCHI, QUIRICO FILOPANTI, BARILLI. »

Antonio Tranquilli, député d'Ascoli, figure au petit nombre de ceux de ses collègues qui, fidèles à leur mandat, s'opposèrent à la proclamation de la forme républicaine; mais hué et sifflé par les députés de la majorité il ne put prononcer un discours remarquable que, sur l'invitation pressante de ses amis il crut devoir livrer à l'impression (4). On en fit circuler un grand nombre d'exemplaires. Menacé du poignard, l'ultima ratio des démagogues italiens, le courageux député mourut trois jours après dans la force de l'âge et la vigueur de la santé. Le poison aurait-il remplacé le poignard?

La proclamation de la république fut accueillie avec stupeur par la masse de la population romaine. Un grand nombre de personnes même qui par ambition et par des vues d'intérêt particulier s'étaient rattachées au nouveau système en furent consternées. Il était clair désormais que la révolution dégagée de toute entrave atteindrait rapidement les dernières limites du mal; déjà même, pour s'en faire une couronne, elle ramassait au coin de

(1) Voir les documents historiques no 9.

la place publique où l'avaient relégué les éloquentes paroles d'un poëte français, l'ignoble bonnet rouge. L'exhibition de ce bonnet sur les principaux édifices de la ville, les souvenirs sanglants qu'il rappelait, la dénomination de sans-culottes jetée dans quelques proclamations, la guerre faite aux livrées, n'étaient pas de nature à rassurer les appréhensions et à rallier beaucoup de sympathies au gouvernement de tous par tous.

La République romaine, votée par la constituante dans la nuit du 8 au 9 à l'unanimité moins onze voix, fut proclamée dans la matinée du 9 au Capitole en présence des ouvriers des ateliers nationaux, de plusieurs compagnies de gardes civiques et de quelques centaines de spectateurs attirés par la curiosité. Dès le matin les élèves de l'université s'étaient promenés dans les rues de la ville le front couvert du bonnet rouge; un immense drapeau aux trois couleurs italiennes, portant attaché à la hampe le bonnet de la démagogie, avait été hissé sur la tour du Capitole et placé près de la croix. Le signe sanglant de la terreur dominait ainsi la capitale du monde chrétien, la ville de paix et de miséricorde.

Cent et un coup de canon, de la poudre brûlée sur des ruines, célébrèrent cet événement fatal à l'indépendance italienne: en effet, la question intérieure devait inévitablement absorber la question de l'étranger; la jeune Italie devenant républicaine, faisait la plus heureuse diversion en faveur de l'Autriche et rouvrait les chemins du Capitole aux fils de Brennus et de Charlemagne. Le jour de l'ouverture de la constituante romaine, le ministre Armellini avait dit aux représentants : « Vous siégez entre les sépulcres de deux civilisations,

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