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CHAPITRE XVII.

Le carnaval.-Mazzini député romain.--Emprunt forcé.-Appel du gouvernement pontifical aux puissances catholiques.-Nouveaux décrets révolutionnaires.

Lorsque la nouvelle de l'entrée des Autrichiens à Ferrare parvint à Rome, la ville éternelle se trouvait en plein carnaval. Rome fermait les yeux aux sinistres présages et le cœur aux avertissements qui lui arrivaient de toutes parts. Malgré la nouvelle protestation du Saint Père malgré les craintes de la banqueroute et les excès des Catilinas qui l'opprimaient, non pas à ses portes, mais dans son propre sein, Rome se livrait à de folles joies. Éclairée par un brillant soleil et parée comme aux jours de ses splendeurs et de ses prospérités, le front ceint de fleurs, à cheval, en voiture, à pied, Rome courait, dansait, jetait des bouquets et des confettis aux croisées, ornées de femmes; Rome avait ses courses de barberis et l'étincelante fête des Moccolettis. Les officiers, revêtus de leurs brillants uniformes, traînaient leurs sabres dans les rues: les cocardes rouges, les rubans de la même couleur ornaient toutes les têtes, pavoisaient toutes les poitrines et flottaient au vent.

Tout à coup, cette physionomie de fête changea comme par un enchantement, ceux-là seuls qui furent témoins de ce changement à vue peuvent se faire une idée de la mobilité italienne. A ce cri: Les Autrichiens sont à Ferrare! les cocardes rouges s'éclipsèrent, les traîneurs de sabres disparurent, les figures belliqueuses pâlirent, les visages souriant se ridèrent, et dans toute la longueur du Corso un silence de deuil succéda aux bruits des réjouissances. Dans ces graves circonstances, l'Assemblée constituante, croyant faire face aux événements avec d'éloquents discours, multiplia ses séances; les orateurs de la révolution, unissant leurs voix patriotiques à celle des triumvirs, en appelèrent au courage et au civisme des peuples de la Péninsule. Les ordres du jour, sonores et creux, se succédaient sans relâche, mais la phraséologie, suppléant à l'absence de l'idée, cherchait vainement à réveiller l'enthousiasme populaire. Les belliqueux du café des Beaux-Arts qui, lorsque Pie IX était au Quirinal, embouchaient du matin au soir la trompette des combats. s'étaient retranchés dans une prudente inaction. Vaillants et forts contre de pauvres prêtres qui pour unique défense n'avaient que des prières, ils s'effaçaient devant les baïonnettes de l'Autriche. Cependant, le ministre de la guerre n'épargnait rien pour exciter en eux la fibre militaire. « Citoyens, leur disaitil, si dans le passé nous paraissons moins que les femmes, c'est que le soldat romain n'a de cœur que sous la République; mais l'avenir trouvera en nous plus que des hommes. Vous redeviendrez des Romains de l'antiquité. Là où flottera votre drapeau, l'ombre de Brutus frémira de joie, et la prunelle de Marius lancera des éclairs. >>

En attendant l'heure de la résurrection si pompeusement prédite, les petits-fils de Brutus remportèrent une nouvelle victoire : Mazzini fut proclamé député à la constituante romaine par neuf mille suffrages.

Alors l'assemblée constituante présentait un phénomène unique dans les fastes parlementaires. Le petit nombre de représentants arrivés à Rome avec des idées d'opposition ayant presque tous donné leur démission, avaient procuré une homogénéité complète aux deux cent cinquante factieux qui garnissaient, sans distinctions et sans nuances politiques, les banquettes de droite, de gauche et même l'hémicycle de la salle, servilement décorée du nom de Montagne. Étroitement unis entre eux par les mêmes instincts, communiant à une seule et même pensée, ces députés agissaient, délibéraient et votaient d'ensemble comme un seul homme. Cette union intime, absolue, n'était pas cependant l'image de la force, elle était celle du ridicule. Un jour, ces farouches républicains, gonflés d'orgueil, se grandissant dans leurs prétendus mérites, décrétèrent que l'Europe les admirait. Cependant ils savaient tous que l'Europe indignée s'apprêtait à les combattre. Sur ces entrefaites, pour faire face aux besoins de la position qui devenait de plus en plus critique, ils ordonnèrent qu'un emprunt forcé de dix-sept millions de francs fût levé sur les familles riches, les capitalistes, les négociants, les sociétés industrielles, les corporations religieuses et les propriétaires. Cet emprunt, basé sur le système progressif, devait prélever de mille à six mille, le quart; de six mille à huit mille, le tiers; de huit mille à douze mille, la moitié ; enfin de douze mille et au-dessus, les deux tiers.

De bruyants applaudissements accueillirent ce moyen révolutionnaire.

La désorganisation qui produit les ruines ne marchait pas encore assez vite au gré des nouveaux maîtres de Rome rien ne les arrêtait dans leur marche destructive. Quelques jours après, ils décidèrent, par un nouveau décret, que les cloches des églises, à l'exception de celles des basiliques, seraient descendues de leurs clochers et fondues pour être converties en canons. Le prince de Canino fut l'un des principaux moteurs de cette proposition, qui devait faire une machine de guerre et de destruction d'un instrument de religion et de paix; il se réjouissait en pensant que ces mêmes cloches qui, depuis tant de siècles, sonnaient les heures de la vie éternelle, subissant une transformation révolutionnaire, tonneraient bientôt, en la donnant, celles de la mort.

Ce jour-là même, les pâles copistes des républicains français, voulant célébrer l'anniversaire de la révolution de février, illuminèrent le Capitole et provoquèrent une démonstration aux flambeaux dans la rue de Corso.

Tandis que la révolution romaine s'avançait ainsi vers le terme marqué par la Providence, le cardinal Antonelli adressait, au nom du Saint-Siége, aux gouvernements de la France, de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples un document d'une importance extrême. Après un remarquable exposé de tous les faits qui s'étaient passés depuis le départ de Sa Sainteté de Rome jusqu'au 18 février, il finissait en réclamant, de la manière la plus formelle et la plus pressante, l'intervention de ces quatre puissances catholiques.

Les puissances répondirent avec empressement à cet

appel en envoyant des plénipotentiaires à Gaëte, où le souverain Pontife avait désiré voir s'ouvrir la conférence diplomatique; déjà même elles avaient prévenu les intentions du Saint Père, les unes par des actes, les autres par des votes énergiques. D'une part, le général Cavaignac, à qui momentanément la France avait prêté son épée, avait réuni dès le mois de septembre 1848, sous les ordres du général Mollière, un corps de troupes destiné à s'embarquer pour l'Italie au premier signal. D'autre part, l'Espagne armait ses vaisseaux ; le roi des Deux-Siciles contenait à peine l'impatience de ses soldats; enfin le Portugal lui-même, oublié dans l'appel adressé aux quatre puissances catholiques, crut devoir faire représenter au gouvernement du pape, par l'entremise de son ministre, le baron Venda-da-Crux, que le peuple portugais serait heureux d'agir à main armée dans l'intérêt de la cause pontificale. L'un des premiers, après la journée du 16 novembre 1848, le gouvernement du Portugal avait offert au souverain Pontife l'hospitalité dans une des plus belles résidences de la chrétienté, le magnifique palais de Mafra.

Comme on le voit, l'Europe entière se soulevait contre les crimes et les prétentions des hommes qui, au nom de la liberté, s'étaient faits les oppresseurs du peuple romain. D'un aveuglement égal à leur ambition, ces hommes, livrés à eux-mêmes, continuaient à détruire de fond en comble l'édifice social pour reconstruire dans le vide, et au milieu des tempêtes, ce qu'ils appelaient l'œuvre de la régénération italienne.

Le 20 février, la commission exécutive autorise la banque romaine à émettre pour un million et trois cent

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