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voie, tant qu'un si heureux accord se maintiendra entre le prince et les sujets, l'Europe pourra espérer de voir réussir ce difficile et salutaire travail des réformes tant désirées; et le gouvernement du roi qui a déjà donné des gages si clairs de son bon vouloir pour le Saint Siége dans cette occasion importante, mettra d'autant plus d'empressement à le seconder qu'il comptera davantage sur le succès régulier et pacifique de sa patriotique entreprise. Il concevrait au contraire de sérieuses inquiétudes le jour où il verrait s'élever des exigences inconciliables avec la situation générale de l'Italie comme avec la nature du gouvernement romain, et où par une réaction naturelle, une réserve défiante succéderait au noble et paternel abandon qui caractérise en ce moment la politique du souverain pontife. Nous comptons, pour éviter de si funestes écueils, sur la sagesse de Pie IX, et aussi sur cette intelligence politique si juste, si prompte et si fine dont le peuple romain donne d'incontestables témoignages. >>

Plus tard, la situation étant devenue plus pressante, la France, considérée dès lors comme l'étoile polaire de la révolution, se montre plus explicite encore en repoussant toute espèce de solidarité avec les hommes qui cherchent à déranger l'équilibre européen. D'un trait de plume elle efface, sur la carte de l'Italie, le champ de bataille que les sociétés secrètes offrent à ses instincts belliqueux, à son ambition de la gloire militaire; elle s'efface elle-même dans une question qui lui présente le premier rôle; elle reste immuable dans le droit de la justice, mais en même temps elle s'arroge le pouvoir d'imposer la justice du droit. Voici les instructions que

M. Guizot écrivait sous sa dictée à ses représentants près les différentes cours de l'Italie :

<«< Une fermentation grave éclate en Italie et se propage dans tous les États de la péninsule. Il importe que les vues qui dirigent en cette circonstance la politique du gouvernement du roi vous soient bien connues et règlent votre attitude et votre langage.

« Le maintien de la paix et le respect des traités sont toujours les bases de cette politique, nous les regardons comme également essentiels au bonheur des peuples et à la sécurité des gouvernements, aux intérêts moraux et aux intérêts matériels des sociétés, aux progrès de la civilisation et à la stabilité de l'ordre européen. Nous nous sommes conduits d'après ces principes dans les affaires de notre propre pays. Nous y serons fidèles dans les questions qui touchent à des pays étrangers.

L'indépendance des États et de leurs gouvernements a pour nous la même importance et est l'objet d'un égal respect, c'est la base fondamentale du droit international que chaque État règle par lui-même et comme il l'entend, ses lois et ses affaires intérieures. Ce droit est la garantie de l'existence des États faibles et de la paix entre les grands États. En le respectant nousmêmes, nous sommes fondés à demander qu'il soit respecté de tous.

<«< Pour la valeur intrinsèque comme pour le succès durable des réformes nécessaires dans l'intérieur des États, il importe aujourd'hui plus que jamais, qu'elles s'accomplissent régulièrement, progressivement de concert entre les gouvernements et les peuples, par leur action commune et mesurée, et non par l'explo

sion d'une force unique et déréglée. C'est dans ce sens que seront toujours dirigés nos conseils et nos efforts. « Ce qui s'est passé jusqu'ici dans les États romains prouve que là aussi les principes que je viens de rappeler sont reconnus et mis en pratique. C'est en se pressant autour de son souverain, en évitant toute précipitation désordonnée, tout mouvement tumultueux, que la population romaine travaille à s'assurer les réformes dont elle a besoin. Les hommes considérables et éclairés qui vivent au sein de cette population s'appliquent à la diriger vers son but par les voies de l'ordre et par l'action du gouvernement. Le pape, de son côté, dans la grande œuvre de réforme intérieure, la réforme qu'il a entreprise, déploie un profond sentiment de sa dignité comme chef de l'Église, de ses droits comme souverain, et se montre également décidé à les maintenir au dedans et au dehors de ses États. Nous avons la confiance qu'il rencontrera, auprès de tous les gouvernements européens, le respect et l'appui qui lui sont dus; et le gouvernement du roi, pour son compte. s'empressera, en toute occasion, de le seconder selon le mode et dans la mesure qui s'accorderont avec les convenances dont le pape lui-même est le meilleur juge.

<«< Les exemples si angustes du pape, la conduite intelligente de ses sujets, exerceront sans doute en Italie, sur les princes et sur les peuples, une salutaire influence, et contribueront puissamment à contenir, dans les limites du droit incontestable et du succès possible, le mouvement qui s'y manifeste. C'est le seul moyen d'en assurer les bons résultats, de prévenir de grands malheurs et d'amères déceptions. La politique

du gouvernement du roi agira constamment et partout dans le même dessein. >>

La France, que les révolutionnaires italiens, aux jours des déceptions qu'elle leur a prédites, accusèrent de trahison ou tout au moins de déloyauté, ne veut pas qu'on se méprenne sur ses intentions; elle insiste sur les avertissements qu'elle donne, sur les avis qu'elle suggère; elle se croirait coupable, la France! de donner de fausses espérances à des tentatives qu'elle regarde comme impuissantes, irréalisables, insensées. Que de sang versé inutilement eût été épargné ! que de ruines sans résultat eussent été évitées, si sa voix prophétique n'avait pas été étouffée par la voix orgueilleuse des sociétés secrètes !

Comme on le voit, ce langage ferme, loyal, précis et digne de la France, ne pouvait laisser aucun doute sur la nature des intentions de son gouvernement à l'endroit de l'indépendance italienne ; il indiquait clairement l'attitude que, dans les prévisions d'une catastrophe prochaine, la France réservait pour les éventualités de l'avenir. Il en était temps encore; la politique de la France, si bien définie cette fois par M. Guizot, pouvait préserver l'Italie des malheurs qui la menaçaient. Mais au delà des Alpes, les clameurs des révolutions, plus fortes que les conseils de la raison, grondaient surexcitées par l'accord des plus mauvaises passions; la voix de la France se perdit dans les bruits de la tourmente révolutionnaire.

L'année 1848 s'ouvrit sous les plus sinistres auspices. Dans la soirée du 31 décembre, des rapports d'une nature inquiétante étaient parvenus à la connaissance

du gouverneur de Rome; des rassemblements hostiles, disait-on, s'étaient formés dans les divers quartiers de la ville; l'ordre public se trouvait en péril; les agitateurs étaient en permanence; le peuple en masse s'irritait des ordres que le Saint Père avait donnés pour empêcher les démonstrations dont il était le héros ou plutôt la victime...., etc., etc. Rien de précis ne justifiait encore ces appréhensions; mais, le lendemain, des bruits plus alarmants circulent dans la foule : Pie IX est prisonnier dans son palais; les cardinaux, ses géôliers, le ravissent à l'amour du peuple ; le Quirinal doit être attaqué.... Cette panique, habilement exploitée par les agitateurs, circule avec la rapidité de l'éclair; aussitôt les portes du palais se ferment; des dragons, le sabre au poing, en gardent les abords; les Suisses se retranchent dans l'intérieur; les patrouilles sillonnent les rues; les agents provocateurs accroissent l'irritation des masses; toute la ville est en ébulition; le pape, seul, isolé dans la paix de sa conscience, retiré dans le silence de son oratoire, prie le Seigneur de bénir son peuple; il élève ses mains suppliantes au ciel, tandis que les flots de la tempête populaire se brisent aux portes de son palais.

se

Cependant le prince Corsini, sénateur de Rome, transporte au Quirinal et obtient du Saint Père la promesse que le lendemain, se rendant aux vœux de la population, il réparerait, par une promenade dans la ville, un malentendu causé par la malveillance de faux rapports. Cette nouvelle, rapportée par le prince, ramène aussitôt le calme dans les esprits; le peuple s'écoule paisiblement, et les révolutionnaires s'applaudis

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