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imposant. Pie IX en parut charmé; un instant même, un doux sourire, errant sur ses lèvres, dérida son visage et sembla contraster avec la tristesse de son âme. Ce beau jour, éclairé par un brillant soleil, devait avoir de tristes lendemains.

Les nouvelles qui venaient de France faisaient pressentir de graves événements; Paris, le Vésuve de l'Europe, indiquait, par des signes certains et menaçants, une prochaine et violente éruption; les laves démocratiques, bouillonnant dans les entrailles de la révolution, imprimaient à la surface de la société, les commotions sourdes qui précèdent toujours les grandes catastrophes; les sociétés secrètes, en attente des événements se constituaient en permanence, et les conjurés couraient à leur poste, lorsque, le 5 mars, un homme pâle, bouleversé, les yeux hagards et enflammés, Sterbini, se précipitant dans les cafés de Rome, s'écria : Romains, réjouissez-vous, le dernier jour des tyrans est arrivé! la France est républicaine ! Il n'était que trop vrai; une armorce de pistolet, un grain de poudre brûlés par un assassin devant le ministère de M. Guizot, à Paris, venait d'incendier l'Europe.

Cette nouvelle fut à Rome un coup de foudre pour les bons citoyens et en même temps un éclair triomphal pour les conjurés. Dès ce momeut, arrachant le masque qui voilait leurs sombres figures, ils marchent à déccuvert. Leur premier acte est une démonstration en l'honneur de la France révolutionnée. De leur quartiergénéral, installé au café des Beaux-Arts, ils se dirigent lentement par le Corso, musique en tête, bannières déployées, vers la place d'Espagne. Arrivés là, il se

rangent en colonnes serrées devant le palais Mignanelli, où les Français, résidant à Rome, avaient établi leur cercle, et ils font retentir les airs du cris de Vive la République française ! Ils ignoraient que, dans ce cri de solidarité révolutionnaire, se trouverait bientôt pour eux un arrêt de mort! Quoi qu'il en soit, attirés par ces clameurs, quelques Français paraissent aux fenêtres du cercle, on les salue avec frénésie d'abord, puis on les attire dans la rue : là ils deviennent l'objet d'une ovation incroyable; ce sont des pleurs de tendresse entre-mêlés de cris de rage, se sont des accolades fraternelles accompagnées de vociférations haineuses, ridicule antithèse à laquelle ne prirent aucune part le plus grand nombre des membres du cercle.

Le lendemain de cette fraternisation improvisée, les quelques Français qui, par sympathie, intérêt ou peur, semblèrent se rallier au nouvel ordre de choses, si l'on peut appeler ordre le chaos dont Paris alors se trouvait le centre, résolurent de rendre le baiser républicain que leur avaient apportés la veille les habitués du café des Beaux-Arts; cette proposition soumise à la délibération des Français établis à Rome, fut repoussée à l'immense majorité de cent quatre-vingt-quinze voix sur deux cents votes. Les Français se bornèrent à l'envoi d'une lettre de remerciments. Cependant, battus sur ce point, exaspérés par ce premier échec, les nouveaux républicains recrutant dans les classes les plus infimes, des auxiliaires plus ou moins dignes du nom français, décrétèrent qu'il serait beau de célébrer le triomphe de l'ère républicaine par l'abaissement du drapeau de juillet flottant encoré au palais de l'ambassade française; ils s'apprêtè

rent donc à le renverser de leurs propres mains. Instruit à temps de ce fatal projet, le comte Rampon, digne fils du général Rampon, l'une des plus braves épées de I'Empire, se rendit immédiatement chez le comte Rossi, ambassadeur de la France; celui-ci, très-sérieusement occupé sans doute, lui fit dire qu'il ne pouvait le recevoir. « Il faut cependant que je le voie à l'instant même,» répondit notre généreux compatriote. Rossí, persistant dans son refus, « Allez, s'écria le comte Rampon en s'adressant à l'un des gens de l'ambassade, allez dire à votre maître que, dussé-je briser les portes de son appartement, j'arriverai jusques à lui; en attendant, au nom de la France, je le rends responsable de chaque minute de retard. » Le domestique revint un instant après, et M. Rampon fut immédiatement admis auprès de l'ambassadeur qu'il instruisit du sujet de sa démarche. Le comte Rossi se promenait à grands pas dans son salon en froissant dans ses mains les dépêches qu'il venait de recevoir; son visage était livide, ses lèvres étaient crispées; tout à coup il s'arrêta, et, croissant ses bras sur sa poitrine, il s'écria: « Mais c'est horrible ce que vous me dites-là, monsieur le comte. » Puis il ajouta d'une voix saccadée par l'indignation: « Comment! ce sont des Français qui veulent profaner les armes de la France! mais ils ne savent donc pas, ces gens-là, que le drapeau de la patrie devient doublement inviolable et sacré sur la terre étrangère? mais ils ne savent donc pas que le drapeau de la France ne peut tomber que dans le sang de ceux qui l'ont reçu en dépôt ! » Alors découvrant fièrement sa poitrine, il ajouta : « Je ferai de mon corps un rempart aux armés de la France, et c'est par mon cada

vre qu'il leur faudra passer pour arriver à elles.....». « Et par le mien aussi ! s'écria à son tour le comte Rampom, car alors je serais à vos côtés pour défendre le drapeau de la patrie ou pour mourir avec vous..... » Cette scène était sublime!.. Après un moment de silence, le comte Rampon reprit : « Le temps presse; en temps de révolution les heures sont des minutes; nous pouvons éviter ces deux extrémités par un moyen mixte. « Quel est-il ?

<< Faites remplacer à l'instant même le drapeau. de Louis-Philippe par celui de la République.

« Les couleurs sont les mêmes.

« Les armes et la devise sont différentes; enlevons celles de juillet, cette mesure sera suffisante.

<< Impossible' Le gouvernement romain ne consentira jamais, sans examen, à cette substitution qui. par le fait serait une reconnaissance tacite du nouveau gouvernement français.

<«< Essayons ma voiture est à votre porte; allons au Quirinal.

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Un instant après, l'ambassadeur français et le comte Rampon se trouvèrent en présence du cardinal Bofandi, secrétaire d'État, qui, pour éviter les funestes conséquences d'une émeute, consentit non-seulement à tout, mais signa de sa main propre l'autorisation demandée.

Ce jour-là, le comte Rossi et le comte Rampon furent magnifiques. Tous deux auraient fait avec joie le sacrifice de leur vie pour le drapeau de Pie IX, qui, plus tard, devait lui servir de linceul.

Comme on le voit, la marche des événements ré

pondait merveilleusement aux désirs et aux impatientes espérances des sociétés secrètes. Encouragés par le succès, les révolutionnaires, emboîtant le pas de l'insurrection triomphante à Paris, poursuivaient avec ardeur leur œuvre de démolition; chaque jour, à Rome, était marqué par une nouvelle exigence, chaque exigence était sanctionnée par une nouvelle concession. Poussés par l'esprit de vertige qui troublait toutes les têtes et bouleversait les plus saines intelligences, entraînés eux-mêmes dans le milieu fatal qui conduit à l'abîme le sénateur et les membres de la municipalité se rendirent, le 6 mars, au Quirinal, pour demander au Saint-Père un gouvernement représentatif.

A une adresse digne du cercle romain plutôt que du Capitole, le pape répondit par ces paroles :

« Les événements qui non-seulement se succèdent, mais qui se précipitent, justifient assez la demande que vous, monsieur le sénateur, me faites au nom du conseil et de la magistrature de Rome. Tout le monde sait que je suis sans cesse occupé de donner au gouvernement la forme qui paraît plus en rapport avec les exigences actuelles. Tout le monde sait les difficultés auxquelles est exposé celui qui réunit dans sa personne deux grandes dignités, pour tracer la ligne de démarcation entre ces deux pouvoirs. Ce qui, dans un gouvernement séculier, se peut faire dans une nuit, ne peut s'accomplir dans le gouvernement pontifical qu'après un mûr examen. Je me flatte cependant que, sous peu de jours, je pourrai (les travaux préliminaires étant terminés) vous faire part du résultat qui répondra aux désirs de toutes les personnes raisonnables. Que Dieu

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