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Le comte. Mais quoi ?

M. Hach. Madame Thomas, si nous avions cette outarde de l'autre jour..

Le comte. Est-ce qu'il y en a dans ce pays-ci?
Mad. Thom. Oui, monsieur, quelquefois.

Le comte. Et vous ne pourriez pas en avoir une ?
M. Hach. Oh! non.

Le comte. Pourquoi dit-il que vous en aviez une l'autre jour ?

Mad. Thom. Ce n'est pas nous, ce sont des voyageurs qui passent par ici, et qui nous en font voir, quand ils en ont; et quand il dit l'autre jour, il y a plus de six mois.

M. Hach. Six mois! il n'y en a pas trois.

Mad. Thom. Je dis qu'il y en a six, puisque c'était le jour du mariage de monsieur le Bailli.

M. Hach. Vous croyez ?

Mad. Thom. J'en suis sûre.

Le comte. Oui, mais avec tout cela, je meurs de faim, et je ne sais pas encore ce que j'aurai à souper.

Mad. Thom. Il n'y a qu'à commencer par faire une fricassée de poulets.

M. Hach. Oui, cela se peut faire, et cela n'est pas long. Le comte. Hé bien, allez donc toujours. Nous verrons après.

M. Hach. Allons, allons. (Il s'en va et revient.) Je songe une chose: nous n'en avons pas de poulet; nous n'avons que ceux qui sont éclos ce matin, et ils sont trop petits.

Mad. Thom. Hé bien, nous donnerons autre chose à monsieur.

Le comte. Mais dépêchez-vous.

Mad. Thom. Il n'y a qu'à faire une compote de pigeons. M. Hach. Vous savez bien que depuis qu'on a jeté un sort sur le colombier, il n'y en revient plus.

Mad Thom. C'est vrai, je n'y pensais pas.

Le comte. Mais donnez-moi de la viande de boucherie, et finissons.

Mad. Thom. Monsieur l'écuyer n'est pas long, il est accoutumé à servir promptement.

Le comte. Donnez-moi des côtelettes.

M. Hach. On a mangé les dernières à dîner.

Le comte. N'y a-t-il pas ici un boucher?

Mad. Thom. Oui, monsieur; mais c'est aujourd'hui jeudì,

il ne tuera que demain.

Le comte. Quoi, je ne pourrai donc rien avoir ?

M. Hach. Pardonnez-moi; mais c'est qu'il faut savoir le goût de monsieur.

Le comte. Mais j'aime tout, et vous n'avez rien.

M. Hach. Si monsieur voulait un gigot, par exemple ?
Le comte. Oui, et vous n'en aurez point?

M. Hach. Je vous demande pardon, nous en avons un. Le comte. Ah! voilà donc quelque chose! et il sera bien dur?

M. Hach. Non, monsieur, il sera fort tendre, j'en réponds.

Le comte. Hé bien, mettez-le à la broche tout de suite.
M. Hach. Allons, allons, il sera bientôt cuit.

Le comte. Vous n'avez pas autre chose?

M. Hach. Non, monsieur, pour le présent; mais si vous repassiez dans huit jours. .

Le comte. Hó, va te promener. Allons, ne perdez pas de temps.

M. Hach. J'y vais, j'y vais.

Mad. Thom. Et moi, je m'en vais mettre le couvert, en attendant.

Le comte. Allons, dépêchez-vous, tous les deux.
Mad. Thom. Vous n'attendrez pas. (Elle sort.)

Le comte. (seul, prenant du tabac.) Quelle misérable auberge! (Il se promène.) On ne m'y rattrapera plus. (Il regarde à la fenêtre, et lit l'enseigne.) "Ici l'on fait noces et

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festins.' Ce sont de jolis festins, je crois.

CARMONTELLE.

LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES,

UN octogénaire plantait.

Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage:
Assurément il radotait.

Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes,

Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous, des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Hé bien! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :
l'en puis jouir demain, et quelques jours encore
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre
Que lui-même il voulut enter:

Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

LA FONTAINe.

Observation.—Cette fable est un modèle de la plus aimable morale et du talent de narrer avec un intérêt qui parle au cœur.

DÉPART DE LA PREMIÈRE CROISADE.*

[M. MICHAUD, membre de l'Académie française (mort en 1840) est connu dans la littérature par le Printemps d'un proscrit, par l'Histoire des Croisades, à laquelle nous empruntons le morceau suivant, et par la Correspondance d'Orient, recueil de lettres écrites dans le cours d'un voyage sur le théâtre des croisades. Il doit être compté parmi les écrivaina les plus purs du 19e siècle.]

Dès que le printemps parut, rien ne put contenir l'impatience des croisés; ils se mirent en marche pour se rendre

* Croisade. Ligue, expédition contre les infidèles ou les hérétiques, ainsi nommée parce que ceux qui s'y engageaient portaient une croix sur leur habit.

dans les lieux où ils devaient se rassembler. Le plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude; plusieurs voyageaient montés sur des chars traînés par des bœufs ferrés; d'autres cotoyaient la mer, descendaient les fleuves dans des barques; ils étaient vêtus diversement, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer, etc. La foule des croisés offrait un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs; des femmes paraissaient en armes au milieu des guerriers; la débauche et les joies profanes se montraient au milieu des austérités de la pénitence et de la piété. On voyait la vieiilesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère; le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec les serfs, le maître avec ses serviteurs. Près des villes, près des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'élevaient des tentes, des pavillons pour les chevaliers, et des autels dressés à la hâte pour l'office divin; partout se déployait un appareil de guerres et de fêtes solennelles. D'un côté un chef militaire exerçait ses soldats à la discipline, de l'autre un prédicateur rappelait à ses auditeurs les vérités de l'Évangile; on entendait le bruit des clairons et des trompettes; plus loin on chantait des psaumes et des cantiques. Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusqu'au-delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins, et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri de guerre des croisés: Dieu le veut! Dieu le veut!

Les pères conduisaient leurs enfants et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs épouses et de leurs familles et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieiİlards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils ou leurs époux dans la ville la plus voisine, et, ne pouvant se séparer des objets de leur affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés et ne pouvaient retenir leurs larmes; ceux qui allaient chercher leur mort en Asie, étaient pleins d'espérance et de joie.

Parmi les pèlerins partis des côtes de la mer on remar quait une foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan. Leurs vêtements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient a curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point; et pour montrer qu'ils

étaient chrétiens, ils élevaient leurs deux doigts l'un sur l'au. tre en forme de croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des viIlages entiers partaient pour la Palestine; ils étaient suivis par leurs humbles pénates; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits des oiseaux, laissât périr de misère des pèlerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajoutait à leur illusion, et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pèlerinage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de grands seigneurs qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux ; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse, et marchaient précédés d'une meute, ayant leur faucon sur le poing. Ils espéraient atteindre Jérusalem en faisant bonne chère, et montrer à l'Asie le luxe grossier de leurs châteaux.

Au milieu du délire universel, aucun sage ne fit entendre la voix de la raison; personne ne s'étonnait alors de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scènes si étranges, dans lesquelles tout le monde était acteur, ne devaient être un spectacle que pour la postérité.

MICHAUD, Histoire des Croisades.

ODE.

(PARAPHRASE DU PSAUME XIX.)

LES cieux instruisent la terre
A révérer leur auteur:
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
O quel sublime cantique,
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps!
Quelle grandeur infinie!
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords!

De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit.

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