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Mad. Jour. (haut.) Oui, voilà qui est fait; je consens au mariage.

M. Jour. Ah! voilà tout le monde raisonnable. (à madame Jourdain.) Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savais bien qu'il vous expliquerait ce que c'est que le fils du grand Turc.

Mad. Jour. Il me l'a expliqué comme il fau; et j'en suis atisfaite. Envoyons querir un notaire.

M. Jour. Bon, bon. Qu'on aille querir le notaire.

Dor. Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera le contrat, voyons notre ballet, et donnons-en le divertissement à son altesse turque.

M. Jour. C'est fort bien avisé. Allons prendre nos places.

Mad. Jour. Et Nicole ?

M. Jour. Je la donne au truchement; et ma femme, à qui la voudra.

Cov. Monsieur, je vous remercie. (à part.) . I'm ar peut voir un plus fou, je l'irai dire à Rome.

ABRÉGÉ

DES

AVENTURES DE GIL-BLAS.

LESAGE (né dans la Basse-Bretagne en 1677, mort à Boulogne-su! mer en 1747), auteur d'un grand nombre de romans et de pièces de théâtre, est surtout célèbre par les Aventures de Gil-Blas. En peignant la société du 18e siècle, Lesage a peint l'homme de tous les temps. Dans Gil-Blas, c'est le génie de Molière qui semble inspirer Lesage. C'est, avec moins de profondeur et de hardiesse, la même vérité naïve, presque a même gaîté, jointes à une élégance de style, à une légèreté de touche, à une réserve d'expression, que la nature des sujets pouvait rendre difficiles.

CHAPITRE PREMIER.

De la naissance de Gil-Blas, et de son éducation.

BLAS de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira

dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une petite bourgeoise qui n'était plus dans sa première jeunesse, et je vins au monde onze mois après leur mariage. Ils allè rent ensuite demeurer à Oviédo, où ma mère se fit femme de chambre et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. Il se nommait Gil Pérez. Il était frère aîné de ma mère, et mon parrain. Représentez-vous un petit homme haut de trois pieds et demi, avec une tête enfoncée entre les deux épaules: voilà mon oncle. Au reste, c'était un ecclésiastique qui ne songeait qu'à faire bonne chère; et sa prébende, qui n'était pas mauvaise, lui en fournissait les moyens.

Il me prit chez lui dès mon enfance, et se chargea de mon éducation. Il m'acheta un alphabet, et entreprit de m'apprendre lui-même à lire; ce qui ne lui fut ce qui ne lui fut pas moins utile qu'à moi; car, en me faisant connaître mes lettres, il se remit à la lecture, qu'il avait toujours fort négligée; et, à force de s'y appliquer, il parvint à lire couramment son bréviaire, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Il aurait encore bien voulu m'enseigner la langue latine, mais, hélas! le pauvre Gil Pérez! il n'en avait de sa vie su les premiers principes.

Il fut donc obligé de me mettre sous la férule d'un maître; il m'envoya chez le docteur Godinez, qui passait pour le plus habile précepteur d'Oviédo. Je profitai si bien des instructions qu'on me donna, qu'au bout de cinq à six années j'entendais un peu les auteurs grecs, et assez bien les poètes latins. Je m'appliquai aussi à la logique, qui m'apprit à raisonner beaucoup. J'aimais tant la dispute, que j'arrêtais les passants, connus ou inconnus, pour leur proposer des arguments.

Je m'acquis par-là dans la ville la réputation de savant. Mon oncle en fut ravi, parce qu'il fit réflexion que je cesserais bientôt de lui être à charge. "Ho çà, Gil-Blas," me ait-il un jour, "le temps de ton enfance est passé. Tu as déjà dix-sept ans, et te voilà devenu habile garçon. Il faut songer à te pousser. Je suis d'avis de t'envoyer à l'université de Salamanque; avec l'esprit que je te vois, tu ne manqueras pas de trouver un bon poste. Je te donnerai quelques ducats pour faire ton voyage, avec ma mule qui vaut bien dix à douze pistoles; tu la vendras à Salamanque, et tu en emploieras l'argent à t'entretenir jusqu'à ce que tu sois placé."

Il ne pouvait rien me proposer qui me fût plus agréable.

Cependant j'eus assez de force sur moi pour cacher ina pie; et lorsqu'il fallut partir, ne paraissant sensible qu'à la douleur de quitter un oncle à qui j'avais tant d'obligation, j'attendris le bon homme, qui me donna plus d'argent qu'il ne m'en aurait donné s'il eût pu lire au fond de mon âme. Avant mon départ, j'allai embrasser mon père et ma mère, qui ne m'épargnèrent pas les remontrances. Ils m'exhortèrent à prier Dieu pour mon oncle, à vivre en honnête homme, à ne me point engager dans de mauvaises affaires, et sur toute chose à ne pas prendre le bien d'autrui. Après qu'ils m'eurent longtemps harangué, ils me firent présent de leur bénédiction. Aussitôt je montai sur ma mule, et sortis de la ville.

CHAPITRE II.

Arrivée de Gil-Blas à Pennaflor, et avec quel homme il soupx.

J'ARRIVAI heureusement à Pennaflor. Je m'arrêtai à la porte d'une hôtellerie d'assez bonne apparence. Je n'eus pas mis pied à terre, que l'hôte vint me recevoir fort civilement. Il détacha lui-même ma valise, la chargea sur ses épaules, et me conduisit à une chambre, pendant qu'un de ses valets menait ma mule à l'écurie. Dès que je fus dans l'hôtellerie, je demandai à souper. On m'accommoda des œufs. Pendant qu'on me les apprêtait, je liai conversation avec l'hôtesse, que je n'avais point encore vue. Lorsque l'omelette fut en état de m'être servie, je m'assis tout seul à une table. Je n'avais pas encore mangé le premier morceau, que l'hôte entra, suivi d'un homme qui portait une longue rapière, et qui pouvait avoir trente ans. Ce cavalier s'ap. procha de moi d'un air empressé : "Seigneur écolier," me dit-il, "je viens d'apprendre que vous êtes le seigneur GilBlas de Santillane, l'ornement d'Oviédo, et le flambeau de la philosophie. Est-il bien possible que vous soyez ce savantissime, ce bel-esprit, dont la réputation est si grande en ce pays-ci? Vous ne savez pas," continua-t-il, en s'adressant à l'hôte et à l'hôtesse, "vous ne savez pas ce que vous possédez. Vous avez un trésor dans votre maison. Vous voyez lans ce jeune gentilhomme la huitième merveille du monde.” Puis se tournant de mon côté, et me jetant les bras au cou: "Excusez mes transports," ajouta-t-il, "je ne suis point maître de la joie que votre présence me cause.'

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Je ne pus lui répondre sur-le-champ, parce qu'il me tenait si serré que je n'avais pas la respiration libre, et ce ne fut qu'après que j'eus la tête dégagée de l'embrassade, que je lui dis: " Seigneur cavalier, je ne croyais pas mon nom connu à Pennaflor.' "Comment connu !" reprit-il sur le même ton: nous tenons registre de tous les grands personnages qui sont à vingt lieues à la ronde. Vous passez pour un prodige, et je ne doute pas que l'Espagne ne se trouve un jour ussi vaine de vous avoir produit, que la Grèce d'avoir vu naître ses sages." Mon admirateur me parut un fort honnête homme, et je l'invitai à souper avec moi. "Ah! très volontiers," s'écria-t-il, "je sais trop bon gré à mon étoile de m'avoir fait rencontrer l'illustre Gil-Blas de Santillane, pour ne pas jouir de ma bonne fortune le plus longtemps que je pourrai. Je n'ai pas grand appétit," poursuivit-il; "je vais me mettre à table pour vous tenir compagnie seulement, et je mangerai quelques morceaux par complaisance."

En parlant ainsi, mon panégyriste s'assit vis-à-vis de moi. On lui apporta un couvert. Il se jeta d'abord sur l'omelette avec tant d'avidité, qu'il semblait n'avoir mangé de trois jours. A l'air complaisant dont il s'y prenait, je vis bien qu'elle serait bientôt expédiée. J'en ordonnai une seconde, qui fut faite si promptement, qu'on la servit comme nous achevions, ou plutôt comme il achevait de manger la première. Il y allait pourtant d'une vitesse toujours égale, et trouvait moyen, sans perdre un coup de dent, de me donner louanges sur louanges, ce qui me rendait fort content de ma petite personne. Il buvait aussi fort souvent; tantôt c'était à ma santé, et tantôt à celle de mon père et de ma mère, dont il ne pouvait assez vanter le bonheur d'avoir un fils tel que moi. En même temps il versait du vin dans mon verre, et m'excitait à lui faire raison. Je ne répondais point mal aux santés qu'il me portait; ce qui, avec ses flatteries, me mit insensiblement de si belle humeur, que, voyant notre seconde omelette à moitié mangée, je demandai à l'hôte s'il n'avait point de poisson à nous donner. Le seigneur Corcuélo, qui, selon toutes les apparences, s'entendait avec le parasite, me répondit: "J'ai une truite excellente, mais elle coûtera cher à ceux qui la mangeront; c'est un morceau trop friand pour vous. Qu'appelez-vous, trop friand ?" dit alors mon flatteur, d'un ton de voix élevé: "vous n'y pensez pas, mon ami. Apprenez que vous n'avez rien de trop bon pour le seigneur Gil-Blas de Santillane, qui mérite d'être traité comme un prince."

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Je fus bien aise qu'il eût relevé les dernières paroles de l'hôte, et il ne fit en cela que me prévenir. Je m'en sentis offensé, et je dis fièrement à Corcuélo: "Apportez-nous votre truite, et ne vous embarrassez pas du reste." L'hôte, qui ne demandait pas mieux, se mit à l'apprêter, et ne tarda guère à nous la servir. A la vue de ce nouveau plat, je vis briller une grande joie dans les yeux du parasite, qui fit paraître une nouvelle complaisance, c'est-à-dire, qu'il donna sur le poisson comme il avait fait sur les œufs. Il fut pourtant obligé de se rendre, de peur d'accident, car il er avait jusqu'à la gorge. Enfin, après avoir bien bu et bien mangé, il voulut finir la comédie. "Seigneur Gil-Blas," me dit-il, en se levant de table, "je suis trop content de la bonne chère que vous m'avez faite, pour vous quitter sans vous donner un avis important, dont vous me paraissez avoir besoin. Soyez désormais en garde contre les louanges. Défiez-vous des gens que vous ne connaîtrez point. Vous en pourrez rencontrer d'autres, qui voudront comme moi se divertir de votre crédulité, et peut-être pousser les choses encore plus loin. N'en soyez point la dupe, et ne vous croyez point, sur leur parole, la huitième merveille du monde." En achevant ces mots, il me rit au nez, et s'en alla.

CHAPITRE III.

Gil-Blas arrive à Valladolid, et s'engage au service du docteur Sangrado.

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De Pennaflor j'allai à Valladolid où je rencontrai le docteur Sangrado que j'avais vu chez mon oncle Gil Pérez, et je pris la liberté de le saluer. Il me remit dans le moment. "Eh! te voilà, mon enfant," me dit-il, "je pensais à toi tout à l'heure. J'ai besoin d'un bon garçon pour me servir, et je songeais que tu serais bien mon fait, si tu savais lire et écrire.' "Monsieur," lui répondis-je, "sur ce pied-là je suis donc votre affaire, car je sais l'un et l'autre.” "Cela étant," reprit-il, "tu es l'homme qu'il me faut. moi, je te traiterai avec distinction. Je ne te donnerai point de gages, mais rien ne te manquera. J'aurai soin de t'enretenir proprement, et je t'enseignerai le grand art de guérir toutes les maladies. En un mot, tu seras plutôt mon élève que mon valet."

Viens chez

J'acceptai la proposition du docteur, dans l'espérance que ie pourrais, sous un si savant maître, me rendre illustre dans

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