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M. de Pourc. A ce que je vois, vous avez demeuré long temps dans notre ville ?

Eras. Deux ans entiers.

M. de Pourc. Vous étiez donc là quand mon cousin fit tenir son enfant à monsieur notre gouverneur ?*

Eras. Vraiment oui, j'y fus convié des premiers.
M. de Pourc. Cela fut galant

Eras. Très galant.

M. de Pourc. C'était un repas bien troussé.
Eras. Sans doute.

M. de Pourc. Vous vîtes donc aussi la querelle que j'eus avec ce gentilhomme périgordin ?

Eras. Oui.

M. de Pourc. Il trouva à qui parler!

Eras. Ah! ah!

M. de Pourc. Il me donna un soufflet...mais je lui dis bien son fait.

Eras. Assurément. Au reste, je ne souffrirai point que mon meilleur ami soit autre part que dans ma maison. M. de Pourc. Ce serait.

Eras. Non; vous logerez chez moi.

Sbrig. (à M. de Pourceaugnac.) Puisqu'il le veut obstinément, je vous conseille d'accepter l'offre.

Eras. Où sont vos hardes ?

M. de Pourc. Je les ai laissées avec mon valet où je suis descendu.

Eras. Envoyons-les querir par quelqu'un.

M. de Pourc. Non, je lui ai défendu de bouger, à moins que j'y fusse moi-même, de peur de quelque fourberie. Sbrig. C'est prudemment avisé.

M. de Pourc. Ce pays-ci est un peu sujet à caution.
Eras. On voit les gens d'esprit en tout.

Sbrig. Je vais accompagner monsieur, et le ramènerai où yous voudrez.

Eras. Oui. Je serai bien aise de donner quelques ordres, et vous n'avez qu'à revenir à cette maison-là.

Sbrig. Nous sommes à vous tout à l'heure.

Eras. (à M. de Pourceaugnac.) Je vous attends avec impatience.

M. de Pourc. (à Sbrigani.) Voilà une connaissance où je ne m'attendais point.

* Tenir un enfant, En être le parrain ou la marraine.

Sbrig. Il a la mine d'être honnête homme.

Eras. (seul.) Ah! ah! monsieur de Pourceaugnac, nous vous en donnerons de toutes les façons; les choses sont préparées, et je n'ai qu'à frapper. Holà.

SCÈNE SUIVANTE.

UN APOTHICAIRE, ÉRASTE.

Eras. Je crois, monsieur, que vous êtes le médecin à qui l'on est venu parler de ma part?

L'Apoth. Non, monsieur, ce n'est pas moi qui suis le médecin; à moi n'appartient pas cet honneur; et je ne suis qu'apothicaire, pour vous servir.

Eras. Et monsieur le médecin est-il à la maison ?

L'Apoth. Oui. Il est là à expédier quelques malades, et je vais lui dire que vous êtes ici.

Eras. Non, ne bougez; j'attendrai qu'il ait fait. C'est pour lui mettre entre les mains certain parent, dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie que nous serions bien aises qu'il pût guérir avant de le marier.

L'Apoth. Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est, et j'étais avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. En vérité, vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile; c'est un homme qui sait la médecine à fond. Ce n'est pas parce que nous sommes grands amis que j'en parle; mais il y a plaisir d'être son malade: et j'aimerais mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d'un autre. Au reste, c'est un homme expéditif, expéditif, qui aime à dépêcher ses malades; et quand on a à mourir, cela se fait avec lui le plus vite du monde,

Eras. En effet, il n'est rien tel que de sortir promptement d'affaire.

L'Apoth. Voilà déjà trois de mes enfants dont il m'a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui, entre les mains d'un autre, auraient langu plus de trois mois.

Eras. Il est bon d'avoir des amis comme cela.
L'Apoth. Le voici qui vient.

SCÈNE SUIVANTE.

ÉRASTE, PREMIER MÉDECIN, L'APOTHICAIRE, UN PAYSAN, UNE PAYSANNE.

Le Pay. (au médecin.) Monsieur, il n'en peut plus; e il dit qu'il sent dans la tête les plus grandes douleurs du monde.

Pre. Méd. Le malade est un sot; d'autant plus que, dans la maladie dont il est attaqué, ce n'est pas à la tête, selon Galien, mais à la poitrine qu'il doit avoir mal.

La Pay. (au médecin.) Mon père, monsieur, est toujours malade de plus en plus.

Pre. Méd. Ce n'est pas ma faute. Je lui donne des remèdes; que ne guérit-il? Combien de fois a-t-il été

saigné ?

La Pay. Quinze, monsieur, depuis vingt jours.
Pre. Méd. Quinze fois saigné ?

La Pay. Oui.

Pre. Méd. Et il ne guérit point?

La Pay. Non, monsieur.

Pre. Méd. C'est signe que la maladie n'est pas dans .e

sang.

SCÈNE SUIVANTE.

ÉRASTE, PREMIER MÉDECIN, L'APOTHICAIRE.

Eras. (au médecin.) C'est moi, monsieur, qui vous ai envoyé parler ces jours passés, pour un parent un peu troublé d'esprit que je veux vous donner chez vous, afin de le guérir avec plus de commodité, et qu'il soit vu de moins de monde. Pre. Méd. Oui, monsieur; j'ai déjà disposé tout, et promets d'en avoir tous les soins imaginables.

Eras. Le voici.

Pre. Méd. La conjoncture est tout-à-fait heureuse, et j'ai ici un ancien de mes amis avec lequel je serai bien aise de consulter sa maladie.

SCÈNE SUIVANTE.

M. DE POURCEAUGNAC, ÉRASTE, PREMIER MÉDECIN,
L'APOTHICAIRE.

Eras. (à M. de Pourceaugnac.) Une petite affaire m'est survenue, qui m'oblige à vous quitter; (montrant le médecin)

mais voilà une personne entre les mains de qui je vous laisse, qui aura soin pour moi de vous traiter du mieux qu'il lui sera possible.

Pre. Méd. Le devoir de ma profession m'y oblige; et c'est assez que vous me chargiez de ce soin.

M. de Pourc. (à part.) C'est son maître-d'hôtel, sans doute; et il faut que ce soit un homme de qualité.

Pre. Méd. (à Eraste.) Oui, je vous assure que je trai. terai monsieur méthodiquement, et dans toutes les régularités de notre art.

M. de Pourc. Il ne faut point tant de cérémonies; et je ne viens pas ici pour incommoder.

Pre. Méd. Un tel emploi ne me donne que de la joie. Eras. (au médecin.) Voilà toujours dix pistoles d'avance, en attendant ce que j'ai promis.

M. de Pourc. Non, s'il vous plaît, je n'entends pas que vous fassiez de dépense, et que vous envoyiez rien acheter pour moi.

Eras. Laissez-moi faire; ce n'est pas pour ce que vous pensez.

M. de Pourc. Je vous demande de ne me traiter qu'en ami.

Eras. C'est ce que je veux faire. (bas, au médecin.) Je vous recommande surtout de ne point le laisser sortir de vos mains; car parfois il veut s'échapper.

Pre. Méd. Ne vous mettez pas en peine.

Eras. (à M. de Pourceaugnac.) Je vous prie de m'ex cuser de l'incivilité que je commets.

M. de Pourc. Vous vous moquez, et c'est trop de grâce que vous me faites.

SCÈNE SUIVANTE.

M. DE POURCEAUGNAC, PREMIER MÉDECIN, SECOND MÉDECIN

Pre. Méd. Voici un habile homme, avec lequel je vais consulter la manière dont nous vous traiterons.

M. de Pourc. Il ne faut point tant de cérémonies, vous dis-je; et je suis homme à me contenter de l'ordinaire. Pre. Méd. Allons, des siéges.

(Des laquais entrent et donnent des siéges.)

I re. Méd. Allons, monsieur, prenez votre place. (Les deux médecins font asseoir M. de Pourceaugnac entre eux deux.)

M. de Pourc. (s'asseyant.) Votre très humble vale. (Les deux médecins lui prennent chacun une main pour luş tâter le pouls.) Que veut dire cela ?

Pre. Méd. Mangez-vous bien, monsieur?

M. de Pourc. Oui; et je bois encore mieux.

Pre. Méd. Tant pis. C'est une marque de la chaleur qui est au-dedans. Dormez-vous bien ?

M. de Pourc. Oui, quand j'ai bien soupé.
Pre. Méd. Faites-vous des songes ?

M. de Pourc. Quelquefois.

Pre. Méd. De quelle nature sont-ils ?

M. de Pourc. De la nature des songes. Quelle étrange conversation est-ce là ?

Pre. Méd. Un peu de patience. Nous allons raisonner sur votre maladie devant vous, et nous le ferons en français, pour être plus intelligibles.

M. de Pourc. Quel raisonnement faut-il pour manger un morceau ?

Pre. Méd. Comme on ne peut guérir une maladie qu'on ne la connaisse parfaitement, vous me permettreż, monsieur, de considérer la maladie dont il s'agit, avant de toucher aux remèdes qu'il nous faudra faire pour le parfait rétablissement. Je dis donc, monsieur, avec votre permission, que notre malade est attaqué de cette sorte de folie que nous nommons mélancolie hypocondriaque; espèce de folie très fâcheuse, et qui demande un Esculape comme vous, consommé dans notre art. Pour diagnostique incontestable de la maladie dont il est manifestement atteint et convaincu, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux, cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance: signes de cette maladie si bien marqués chez le divin Hippocrate. Tout ceci supposé, puisqu'une maladie bien connue est à demi guérie, il ne sera pas difficile de convenir des remèdes que nous devons faire à monsieur. Premièrement, je suis d'avis que les saignées soient fréquentes: d'abord dans la veine basilique, puis dans la céphalique; et même, si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l'ouverture soit large, afin que le gros sang puisse sortir. Voilà les remèdes que je propose. Dixi.

Sec. Méd. A Dieu ne plaise, monsieur, que j'ajoute à ce que vous venez de dire. Il ne me reste qu'à féliciter monsieur d'être tombé entre vos mains, et qu'à lui dire qu'il est trop heureux d'être fou, pour éprouver la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés, et dont il doit recevoir du soulagement.

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