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Helas vous vous trompez, ce feu d'amour elt plus actif & plus penetrant qu'il ne vous femble vous croirez n'en recevoir qu'une étincelle, & vous ferez tout étonné de voir qu'en un moment il aura faifi tout votre cœur, qu'il aura réduit en cendre toutes vos refolutions, & en fumée votre réputation. Le Sage s'écrie: Qui aura compaffion d'un enchanteur picqué par le ferpent? Et je m'écrie après lui; O fols infenfez, croiez-vous charmer l'amour, pour en pouvoir difpofer à votre gré? Vous voulez jouer avec lui, il vous picquera & vous mordra dangereufement & fçavez vous ce qu'on en dira Chacun fe mocquera de vous, on rira de ce que vous avez voulu enchanter l'amour, & que fur une fauffe auffûrance vous avez voulu mettre dans votre fein une dangereufe couleuvre, qui vous à gâté, & perdu l'ame & l'honneur. gâté,

&

O Dieu quel aveuglement eft celuici, de jouer ainfi à credit fur des gages fi frivoles la principale piece de notre ame? Oui, Philothée, car Dieu ne veut l'homme que pour l'ame, ni l'ame que pour la volonté, ni' la volonté que pour l'amour. Helas! nous n'avons pas d'amour à beaucoup près de ce que nous en avons befoin. Je veux dire, il s'en faut infiniment que nous en aions affez pour aimer Dieu; cependant, miferables que nous fom

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mes, nous les prodigons & nous les ré pandors en des choles fottes, vaines & frivoles, comme fi nous en avions de refte. Ha! ce grand Dieu qui s'étoit refervé le feul amour de nos ames en reconnoiffance de leur creation, de leur confervation & de leur redemption, exigera un compte bien exact du méchand ufage que nous en faifons. Que s'il doit faire un examen fi exact des paroles oifives, qu'est-ce qu'il fera des amitiez oifeufes, impertinentes, & folles & pernicieuses ?

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Le noyer nuit grandement aux vignes, & aux champs dans lefquels il eft planté; parce qu'étant fi grand, il attire tout le fuc de la terre, qui ne peut pas enfuite fuffire à nourrir le refte des plantes: fes feuillages font fi touffus, qu'ils font un ombrage grand & épais; enfin il attire les paffans à foi, qui pour abattre fon fruit gâtent & foulent tout ce qui eft autour. Čes amourettes font les mêmes préjudices à l'ame: car elles l'occupent tellement, & tirent fi puiffamment fes mouvemens, qu'elle ne peut pas après fuffire à aucune bonne œuvre les feuilles, c'est-à-dire, les entretiens, les amusemens & les cajoleries, font fi frequentes, qu'elles diffi pent tout le loifir. Et enfin, elles attirent tant de tentations, de distractions, de foupcons, & d'autres confequences, que tout

le cœur en eft foulé & gâté. Enfin ces amourettes banniffent nonfeulement l'a mour celefte, mais encore la crainte de Dieu, énervent l'efprit, affoibliffent la réputation c'eft en un mot le jouet des Cours, mais la pefte des cours.

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CHAPITRE XIX.

Des vraies amitiez.

Philothée, aimez, chacun d'un grand amour charitable: mais n'ayez point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de chofes vertueuses: & plus les vertus que yous mettrez en votre commerce feront exquifes, plus votre amitié fera parfaite. Si vous communiquez aux fciences, votre amitié eft fort louable plus encore fi vous commu niquez aux vertus, à la prudence, à la difcretion, à la force & à la juftice. Mais G votre mutuelle & reciproque communication fe fait de la charité, de la devo tion, & de la perfection chrétienne, ô - Dieu que votre amitié fera précieuse! Elle fera excellente, parce qu'elle vient de Dieu; excellente, parce qu'elle tend à Dieu, excellente, parce que fon lien c'eft Dieu; excellente, parce qu'elle du rera éternellement en Dieu. O qu'il fait bon aimer fur la terre, comme l'on aime dans le Ciel, & apprendre à s'entr'aimeg

dans ce monde, comme nous ferons éternellement dans l'autre ! Je ne parle pas ici de l'amour fimple de la charité, car il doit être porté à tous les hommes; mais je parle de l'amitié fpirituelle, par laquelle deux ou trois, ou plufieurs ames fe communiquent leur devotion, leurs affections fpirituelles, & fe rendent un feul efprit entr'elles. Qu'à bon droit ces heureufes ames peuvent chanter: O Qu'il eft bon & agreable, que les freres habitent enfemble. Oui, car le baume delicieux de la devotion diftille de l'un des cœurs dans l'autre, par une continuelle participation; de forte qu'on peut dire que Dieu a répandu fur cette amitié fa benediction, & la vie jufques aux fiecles des fiecles.

Il me femble que toutes les autres amitiez ne font que des ombres, au prix de celle-ci, & que leurs liens ne font que des chaînes de verre ou de jaye, en compa raifon de ce grand lien de la fainte devotion, qui eft tout d'or.

Ne faites point d'amitié d'autre forte, je veux dire, des amitiez que vous faites: car il ne faut pas ni quitter ni méprifer pour cela les amitiez que la nature & les précedens devoirs vous obligent de cultiver, des parens, des alliez, des bienfaiteurs, des voisins & autres ; je parle de celles que vous choififfez vous-mêmes.

Plufieurs vous diront peut-être, qu'il

ne faut avoir aucune forte de particuliere affection & amitié; parce que cela occupe le cœur, diftrait l'efprit, engendre les envies; mais ils fe trompent en leurs confeils car ils ont vû dans les écrits de plufieurs faints & devots Auteurs, que les amitiez particulieres & les affections extraordinaires nuifent infiniment aux Religieux; ils croient que ç'en foit de même du refte du monde, mais il y a bien à dire car comme dans un Monastere bien reglé le deffein commun de tous tend à la devotion, il n'eft pas permis d'y faire ces particulieres communications, de peur que cherchant en particulier ce qui eft commun, on ne paffe des particularitez aux partialitez; mais quant à ceux qui font entre les mondains, & qui embraffent la vraie vertu, il leur eft neceffaire de s'allier les uns aux autres par une fainte & facrée amitié car par fon moien ils s'animent, ils s'aident, & ils s'entreportent au bien. Et comme ceux qui marchent dans la plaine, n'ont pas befoin de se prêter la main; mais ceux qui font dans des chemins fcabreux & gliffans s'entretiennent l'un l'autre pour marcher plus fûrement : ainfi ceux qui font dans les Religions n'ont pas befoin des amitiez particulieres; mais ceux qui font au monde, en ont neceffité pour s'affûrer & fe fecourir les uns les autres, parmi tant de mauvais paffages

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