Images de page
PDF
ePub

recteur, fi vous pouvez, ou au moins avec quelque ame fidelle & prudente. Et ne doutez point que Dieu ne vous affranchis fe de toutes vos paffions, pourvû que vous continuiez fidellement dans ces excercices.

Ha! me direz-vous mais ne fera-ce point une ingratitude de rompre fi impitoyablement une amitié ? ô que bienheu reufe eft l'ingratitude qui nous rend agreables à Dieu! non veritablement, Philothée, ce ne fera pas une ingratitude, mais un grand bienfait que vous rendrez à l'Amant car en rompant vos liens, vous romprez les fiens, puifqu'ils vous étoient communs ; & quoique d'abord il ne s'apperçoive pas de fon bonheur, il le reconnoîtra bientôt après, & il chantera avec vous pour action de grace: O Seigneur, vous avez rompa mes liens, je vous facrifierai l'hoftie de louange, & j'invoquerai votre faint Nom.

CHAPITRE XXII.
Quelques autres avis fur le fujet des

J'A

amitiez.

'Ai encore un avertiffement d'importance fur ce fujet. L'amitié requiert une grande communication entre les amans, autrement elle ne peut ni naître, ni fubfilter. C'est pourquoi il arrive fouvent qu'avec la communication de l'amitié, pluheurs autres communications paffent & se

gliffent infenfiblement de cœur en cœur par une mutuelle infufion & reciproque écoulement d'affections, d'inclinations & d'impreffions. Mais fur-tout, cela arrive quand nous eftimons beaucoup celui que nous aimons; car alors nous ouvrons tellement le cœur à fon amitié, qu'avec elle fes inclinations & fes impreffions entrent aisement toutes entieres foit qu'elles foient bonnes, ou qu'elles foient mauvaifes. Les abeilles qui amaffent le miel d'Heraclée, ne cherchent que le miel, mais avec le miel elles fuccent infenfiblement les qualitez venimeufes de l'aconit, fur lequel elles font leur cueillette. Philothée, il faut donc bien pratiquer fur ce fujet la parole que le Sauveur de nos ames avoit coûtume de dire, ainfi que les anciens nous ont appris : foiez bons changeurs & monnoyeurs : c'eftà-dire, ne recevez pas la fause monnoye avec la bonne, ni le bas or avec le fin or: feparez le precieux d'avec le vil; car il n'y a prefque perfonne qui n'ait quelque imperfection. Et quelle raifon y a-t-il de recevoir pefle-mefle les défauts & les imperfections de l'ami avec fon amitié? il le faut aimer, nonobftant fon imperfection, mais il ne faut ni aimer, ni receyoir fon imperfection; car l'amitié requiert la communication du bien, & non pas celle du mal. Comme donc ceux qui tirent le gravier du Tage, en feparent l'or

qu'ils y trouvent pour l'emporter, & laiffent le fable fur le rivage, de même ceux qui ont la communication de quelque bonne amitié, doivent en feparer le fable des imperfections, & ne le point laiffer entrer en leur ame. Saint Gregoire de Nazianze témoigne que plufieurs perfonnes qui aimoient & qui admiroient faint Bafile, s'étoient laiffez porter à l'imiter, même en fes imperfections exterieures, en fon parler lent, & avec un efprit abftrait & penfif, en la forme de fa barbe, & en fademarche. Et nous voions des maris, des femmes, des enfans, des amis, qui aiant une grande eftime pour leurs amis, leurs peres, leurs maris & leurs femmes, reçoivent ou par condefcendance, ou par imitation, mille mauvaises petites humeurs ou commerce de l'amitié qu'ils ont enfemble. Or cela ne fe doit aucunement faire, car chacun a bien affez de fes mauvaises inclinations, fans fe furcharger de celles des autres: non feulement l'amitié ne demande pas cela, mais au contraire, elle nous oblige à nous entr'aider, pour nous affranchir reciproquement de toutes fortes d'imperfections. Il faut fans doute fupporter doucement l'ami dans fes imperfections, mais non pas le porter en elles, & beaucoup moins les tranfporter en nous.

Mais je ne parle que des imperfections; car quant aux pechez, il ne faut ni les

porter ni les fupporter dans fon ami. C'eft une amitié ou foible, ou méchante, de voir perir un ami, & de ne le point fecourir; de le voir mourir d'une apoftheme, & de n'ofer lui donner le coup de rafoir de la correction pour le fauver. La vraie & la vivante amitié ne peut durer entre les pechez. On dit que la falemandre éteint le feu dans lequel elle fe couche, & le peché ruine l'amitié dans laquelle il fe loge: fi c'eft un peché passager l'amitié le fait d'abord fuir par la correction; mais s'il féjourne, & s'il s'arrê te, tout auffi-tôt l'amitié perit; car elle ne peut fubfifter que fur la vraie vertu : combien moins donc doit-on pecher pour l'amitié ? L'ami eft ennemi quand il nous veut conduire au peché, & il merite de perdre l'amitié, quand il veut perdre & damner l'ami: & c'eft l'une des plus affurées marques d'une fauffe amitié, que de la voir pratiquée envers une perfonne vicieuse de quelque forte de peché que ce foit. Si celui que nous aimons eft vicieux, fans doute notre amitié eft vicieufe; car puifqu'elle ne peut regarder la vraie vertu, il faut neceffairement qu'elle confidere quel que vertu folâtre, & quelque qualité fenfuelle.

La focieté qui eft faite pour un profit temporel entre les Marchands, n'a que l'image de la vraie amitié car elle se fait,

non pour l'amour des perfonnes, mais pour l'amour du gain.

Enfin, ces deux divines paroles font deux grandes colomnes pour bien affurer la vie chrêtienne: l'une eft du Sage: Qui craint Dieu aura pareillement une bonne amitié l'autre eft de S. Jâques : L'amitié de ce monde eft ennemie de Dieu.

:

CHAPITRE XXIII.

[ocr errors]

Des exercices de la mortification exterieure. Eux qui traitent des chofes ruftiques & champêtres, affûrent que fi on écrit quelque mot fur une amande bien entiere, & qu'on la remette dans son noyau, le pliant & ferrant bien proprement, & le plantant ainfi, tout le fruit de l'arbre qui en viendra, fe trouvera écrit & gravé du même mot. Pour moi, Philothée, je n'ai jamais pû approuver la méthode de ceux qui pour reformer l'homme commencent par l'exterieur, par les contenances, par les habits, ou par les cheveux.

[ocr errors]

Il me femble au contraire, qu'il faut commencer par l'interieur : Convertissez vous à moi, dit Dieu, de tout votre cœur ; mon enfant, donne-moi ton cœur. Car le cœur étant la fource des actions, elles font telles qu'il eft. L'Epoux divin invitant l'ame; Mets moi, dit-il, comme un cachet

« PrécédentContinuer »