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faire au prochain par les paroles; parce que les autres offenfes fe font avec quelque eftime de celui qui eft offenfé, & celle-ci fe fait avec mépris du prochain.

Mais quant aux jeux de parole, qui se font des uns aux autres avec une modefte gayeté & plaifit, ils appartiennent à la vertu, nommée Eutrapelie par les Grecs, que nous pouvons appeller bonne converfation; & par eux on prend une honnê te & aimable recreation fur les occafions frivoles que les imperfections humaines fourniffent. Il faut fe garder seulement de paffer de cette honnête joye à la mocquerie. Car la mocquerie excite à rire par mépris du prochain; mais la gayeté & la gaufferie excite à rire par une fimple liberté, une confiance, & une familiere franchise qui eft jointe à la delicateffe de quelque mot. S. Louis, quand les Re ligieux vouloient lui parler des chofes relevées après diner: Il n'eft pas tems de difcourir, difoit-il, mais de fe récréer par quelque plaifanterie; que chacun dife ce qu'il voudra honnêtement. Ce qu'il difoit favorifant la Nobleffe qui étoit autour de lui pour recevoir des careffes de fa Majefté. Mais, Philothée, paffons tellement le tems par recréations, que nous confervions la fainte éternité par devotion.

CHAPITRE XXVIII.
Des jugemens temeraires.

E jugez point, & vous ne ferez poins jugez, dit le Sauveur de nos ames : Ne condamnez point, & vous ne ferez point condamnez. Non, dit le S. Apôtre, Ne jugez pas avant le tems, jufques à ce que le Seigneur vienne, qui revelera le fecret des tenebres, & manifeftera les confeils des cœurs. O que les jugemens temeraires font defagreables à Dieu ! Les jugemens des enfans des hommes font temeraires, parce qu'ils ne font pas juges les uns des autres, & jugeans ils ufurpent l'office de Notre-Seigneur. Ils font témeraires, parce que la principale malice du peché dépend de l'intention & du conseil du cœur, qui eft le fecret des tenebres pour nous. Ils font temeraires, parce que chacun a affez à faire à fe juger foi-même, fans entreprendre de juger fon prochain. C'est une chofe également neceffaire pour n'ê tre point jugé, de ne point juger les au tres, & de fe juger foi-même. Car comme Notre-Seigneur nous défend l'un, l'A pôtre nous ordonne l'autre : Si nous nous jugions nous-mêmes nous ne ferions point jugez. Mais, ô Dieu ! nous faifons tout au contraire; car ce qui nous eft défendu, nous ne ceffons point de le faire, jugeant

à tout propos le prochain: & ce qui nous eft commandé, qui eft de nous juger nousmêmes, nous ne le faifons jamais.

Selon les caufes des jugemens temeraires, il y faut remedier. Il y a des cœurs aigres, amers, & rudes de leur nature, qui rendent pareillement aigre & amer tout ce qu'ils reçoivent ; & convertissent, comme dit le Prophète, le jugement en abfynte, ne jugeant jamais du prochain qu'avec toute rigueur & féverité. 'Ceux-ci ont beaucoup befoin de tomber entre les mains d'un bon medecin fpirituel; car cette amertume de cœur leur étant naturelle, elle eft mal-aifée à vaincre; & bien qu'en foi elle ne foit pas peché, mais feulement une imperfection, elle eft neanmoins dan gereufe, parce qu'elle introduit & fait regner dans l'ame le jugement temeraire & la médifance. Quelques-uns jugent temerairement, non point par aigreur, mais par orgueil, s'imaginant qu'à mefure qu'ils abaiffent l'honneur d'autrui, ils relevent le leur propre. Efprits arrogans & préfomptueux qui s'admirent eux-mêmes, & fe placent i haut dans leur propre estime, qu'ils voient tout le refte comme une chofe petite & baffe. Je ne suis pas comme le refte des hommes, difoit ce fot Pharifien. Quelques-uns n'ont pas cet orgueil manifefte, mais feulement une certaine petite complaifance à confiderer le mal d'autrui,

pour

pour goûter & faire goûter plus douce ment le bien contraire dont ils s'eftiment douez: Et cette complaifance eft fi secrette & fi imperceptible, que fi on n'a bonne vûe, on ne la peut pas découvrir, & ceux-mêmes qui en font atteints, ne la connoiffent pas, fi on ne la leur montre. Les autres, pour fe flatter & excufer envers eux-mêmes, & pour adoucir les remors de leurs confciences, jugent fort volontiers que les autres font vicieux du vice auquel ils font fujets, ou de quelque autre auffi grand croyant que la multitude des criminels rend leur peché moins blâma ble. Plufieurs s'adonnent au jugement temeraire pour le feul plaifir qu'ils prennent à philofopher & à deviner les mœurs & les humeurs des perfonnes par maniere d'exercice d'efprit. Que fi par malheur ils rencontrent quelque fois la verité dans leur jugement, l'audace & l'envie de continuer s'accroît fi fort en eux, que l'on a peine de les en detourner. Les autres jugent par paffion, & pensent toujours bien de ce qu'ils aiment, & toujours mal de ce qu'ils haïffent, finon en un cas admirable, & neanmoins veritable, auquel l'excez de l'amour excite à faire un mauvais jugement de ce qu'on aime : effet monftrueux, mais auffi provenant d'un amour impur imparfait, troublé, & malade, qui eft la jaloufie, laquelle comme chacun fçait, fur S

un fimple regard, fur le moindre foûris du monde, condamne les personnes de perfidie & d'adultere. Enfin, la crainte, l'ambition & telles autres foibleffes d'efprit, contribuent fouvent & beaucoup à la production du foupçon & du juge

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ment temeraire.

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Mais quels remedes? ceux qui boivent le fuc de l'herbe Ophiufa d'Ethiopie croient voir par tout des ferpens & des chofes effioiables. Ceux qui ont avallé l'orgueil, l'envie, l'ambition, la haine, ne voient rien qu'ils ne trouvent mauvais & blâmable: ceux-là pour être gueris, doivent prendre du vin de palme. Et j'en dis de même pour ceux-ci; beavez le plus que vous pourrez le vin facré de la charité, elle vous affranchira de ces mauvaises humeurs, qui vous font faire ces jugemens injuftes. La charité craint de rencontrer le mal, bien loin qu'elle aille le chercher ; & quand elle le rencontre, elle s'en detourne, elle diffimule, & elle ferme fes yeux avant que de le voir, au premier bruit qu'elle en apperçoit; & puis elle croit par une fainte fimplicité que ce n'étoit pas le mal, mais feulement l'ombre ou quelque fantôme de mal. Que fi par force elle reconnoît que c'est lui-même, elle s'en detourne d'abord & tâche d'en oublier la figure. La charité eft le grand remede à tous maux,

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