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fon efprit voiant tout rebellé contre lui, & n'aiant plus aucune des parties de fon corps à fon commandement, finon la langue, il fe la coupa avec les dents; & la cracha fur le vifage de cette vilaine ame, qui tourmentoit la fienne plus cruellement par la volupté, que les bourreaux n'euffent jamais fçû faire par les tourmens; auffi le tyran qui fe défioit de la vaincre par les douleurs, croyoit la furmonter par ces plaifirs.

L'Hiftoire du combat de fainte Catherine de Sienne fur un pareil fujet eft toutà-fait admirable: en voici l'abregé. Dieu permit au malin efprit d'attaquer la pudicité de cette fainte Vierge avec la plus grande rage qu'il pourroit, pourvû neanmoins qu'il ne la touchât point. Il fit donc toutes fortes d'impudiques fuggestions à fon cœur : & afin de l'émouvoir davantage, venant avec ses compagnons en forme d'hommes & de femmes, il faifoit mille & mille fortes de pechez de la chair & d'impudicitez à fa vûe, ajoûtant des paroles & des difcours très deshonnêtes: & quoique toutes ces chofes fuffent exterieures, neanmoins par le moyen des Mens, elles penetroient bien avant dans le cœur de la Vierge, qui en étoit tout rempli, comme elle avouoit elle-même, ne lui reftant plus que la volonté fuperieure qui ne fut point agitée de cette tempête

des plaifirs charnels. Cela dura long-tems, jufqu'à ce qu'un jour Notre-Seigneur lui apparût; & elle lui dit : Où étiez-vous, mon doux Seigneur, quand mon cœur étoit plein de tant de tenebres & d'ordu res? A quoi il répondit : J'étois dans ton cœur, ma fille ? Et comment, repliqua t-elle, habitiez-vous dans mon cœur, où il y avoit tant d'ordures? habitez-vous donc dans des lieux fi deshonnêtes? Et Notre-Seigneur lui dit : Dis-moi, ces fales penfées de ton cœur te donnoient-clles de la joie ou de la trifteffe ; de l'amertume, ou du plaifir? Et elle dit : une extréme amertume & une grande trifteffe. Il lui repliqua: Qui étoit celui qui mettoit cette grande amertume & cette triftef teffe dans ton cœur, fi non moi, qui demeurois caché dans le milieu de ton ame? Croi, ma fille, que fi je n'euffe pas été préfent, ces penfées qui étoient autour de ta volonté, & qui ne pouvoient s'en rendre le maître, l'euffent fans doute furmontée, elles feroient entrées dedans, & elles cuffent été reçûes avec plaifir par ton libre arbitre, & ainfielles euffent donné la mort à ton ame: mais parce que j'étois dedans, je mettois ce déplaifir & cette réfistance dans ton cœur, par laquelle il refiftoit autant qu'il pouvoit à la tentation, & ne pouvant pas autant qu'il vouloit, il en fentoit un plus grand déplai

fir, & une plus grande haine contr'elle, & contre foi-même: & ainfi ces peines étoient un grand merite, & un grand gain pour toi, un grand accroiffement de ta vertu & de ta force.

Voyez-vous, Philothée, comme ce feu étoit couvert de la cendre, & que la tentation & la delectation étoit même entrée dans le cœur, & avoit environné la volonté, qui feule, affiftée de fon Sauveur, refiftoit par des amertumes, des déplaifirs, & des déteftations du mal qui lui étoit fuggeré, refufant perpetuellement fon confentement au peché qui l'environnoit. O Dieu! quel chagrin à une ame qui aime Dieu, de ne fçavoir feulement pas s'il eft en elle, ou non? & fi l'amour divin, pour lequel elle combat, eft tout-à-fait éteint en elle, ou non mais c'eft la fleur de la perfection de l'amour celefte, & de faire fouffrir & combattre l'Amant pour l'amour, fans fçavoir s'il a l'amour pour qui & par lequel il combat.

CHAPITRE

V.

Encouragement à l'ame qui eft dans les

MA

tentations.

M& Cas grantes font

A Philothée, ces grands affauts, & ces tentations fi puiffantes ne jamais permifes de Dieu, que contre les

ames

ames qu'il veut élever à fon pur & excellent amour: mais il ne s'enfuit pas pourtant qu'après cela elles foient assurées d'y parvenir; car il eft arrivé souvent que ceux qui avoient été conftans dans de fi violentes attaques, ne correspon dant pas après fidellement à la faveur divine, fe font trouvez vaincus dans des petites tentations. Ce que je dis, afin que s'il arrive jamais d'être affligée de fi grande tentation, vous fcachiez que Dieu vous favorife d'une faveur extraordinaire, par laquelle il déclare qu'il veut vous rendre plus grande devant lui, & que neanmoins vous foyez toûjours humble & craintive, ne vous affurant pas de pous voir vaincre les petites tentations, après avoir furmonté les grandes, que par une continuelle fidelité à fa divine Majefté

Quelques tentations donc qui vous ar rivent, & quelque delectation qui s'en fuive, tandis que votre volonté refufera fon confentement, non feulement à la tentation, mais encore à la delectation, ne vous troublez nullement, car Dieu n'en eft point offenfé. Quand un homme eft fans action, & qu'il ne rend plus aucun témoignage de vie, on lui met la main fur le cœur, & pour peu que l'on y fente de mouvement, on juge qu'il eft en vie, & que par le moyen de quelque sau precieufe, & de quelque epithems

:

on peut lui faire reprendre force & fen timent Ainfi il arrive quelquefois que par la violence des tentations, il femble que notre ame eft tombée dans une entiere défaillance de fes forces, & qu'étant fans action, elle n'a plus ni vie fpirituel le, ni mouvement : mais fi nous voulons connoître ce qui en eft, mettons la main fur le cœur. Confiderons fi le cœur & la volonté ont encore leur mouvement fpirituel,, c'eft-à-dire, s'ils font leur de voir à refufer de confentir & fuivre la tentation & la delectations car, pendant que le mouvement du refus eft dans notre cœur, nous fommes affurez que la charité, qui eft la vie de notre ame, eft dans nous, & que Jefus-Chrift, notre Sauveur fe trouve dans notre ame quoique caché & couvert; de maniere que, moyennant l'exercice continuel de l'Oraifon, des Sacremens, & de la confiance en Dieu, nos forces: reviendront en nous, & nous vivrons d'une vie en tiere & delectable.

CHAPITRE VI.

Comment la tentation & la delectation peu vent être peché.

A Princeffe dont nous avons parlé

L'eft point criminelle de la recherche deshonnête qui lui eft faite, puifque,

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