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avez votre cœur à votre commandement, ou bien s'il n'eft point échappé de vos mains pour s'engager à quelque affection dereglée d'amour, de haine, d'envie, de convoitife, de crainte, d'ennui, & de joie. Que s'il eft égaré, avant toutes ces chofes cherchez-le, & ramenez-le doucement en la prefence de Dieu, re mettant vos affections & defirs fous l'o béiffance & fous la conduite de fa divine volonté. Car comme ceux qui craignent de perdre quelque chofe qui leur eft précieufe, la tiennent bien ferrée dans leur main: ainfi à l'imitation de ce grand Roi, nous devons toujours dire: ô mon Dieu, mon ame est au hazard, c'est pourquoi je la porte toujours dans mes mains, & en cette forte je n'ai point oublié votre fainte Loi.

Ne permettez pas à vos defirs, pour petits qu'ils foient & de petite importan ce, qu'ils vous inquietent: car après les petits, les grands & les plus importans trouveroient votre cœur plus disposé au trouble & au dereglement. Quand vous fentirez arriver l'inquiétude, recomman dez-vous à Dieu, & refolvez-vous de ne rien faire du tout de ce que votre defir demande de vous que l'inquiétude ne soit totalement paffée, à moins que ce fût une chofe qui ne pût fe differer; & alors il faut avec un doux & tranquille effort re

tenir le courant de votre defir, le tem perant & moderant autant qu'il vous fera poffible & fur cela faire la chofe non felon votre defir, mais felon la raison.

Si vous pouvez découvrir votre inquié tude à celui qui conduit votre ame, ou au moins à quelque confident & devot ami, ne doutez point qu'auffitôt vous ne foyez foulagée: car la communication des douleurs du cœur fait le même effet dans l'ame que la faignée fait au corps de celui qui eft dans une fiévre continue, c'eft le remede des remedes. Auffi le Roi faint Louis donna cet avis à fon fils: Si tu as dans ton cœur quelque inquiétude, dis-la incontinent à ton Confeffeur, ou à quel que bonne perfonne, & ainfi tu pourras porter ton mal legerement, par le foula gement qu'il te donnera.

CHAPITRE XII.
De la Trifteffe.

LA tristesse qui est selon Dieu, dit S. Paul, opere la penitence pour le falut : la trifteffe du monde opere la mort. La tri fteffe donc peut être bonne & mauvaise felon les diverfes productions qu'elle fait en nous. Il est vrai qu'elle en fait plus de mauvaifes que de bonnes; car elle n'en fait que deux bonnes, à fçavoir la mife

ricorde & la penitence: & il y en a fix mauvaises, fçavoir l'angoiffe, la pareffe, l'indignation, la jaloufie, l'envie & l'im patience; ce qui a fait dire au Sage: La trifteffe en tue beaucoup, & il n'y a point de profit en elle parce que pour deux bons ruiffeaux qui proviennent de la fource de la trifteffe, il y en a fix qui font bien mauvais.

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L'ennemi fe fert de la trifteffe pour exercer fes tentations à l'endroit des bons: car comme il tâche de faire rejouir les mauvais dans leur peché, il tâche auffi d'attrifter les bons dans leur bonnes cu vres ; & comme il ne peut procurer le mal qu'en le faifant trouver agreable, auffi il ne peut détourner du bien qu'en le faifant trouver defagréable. Le malin efprit fe plaît dans la trifteffe & la melancolie, parce qu'il eft trifte & melancolique, & qu'il le fera éternellement il voudroit que chacun fût comme lui.

La mauvaise trifteffe trouble l'ame, elle la met en inquietude, elle donne des crain tes déreglées, elle dégoûte de l'Oraison, elle affoupit & accable le cerveau, elle prive l'ame de confeil, de refolution, de jugement & de courage, & abbat les forces: En un mot elle est comme un dur hiver, qui fauche toute la beauté de la terre, & engourdit tous les animaux car elle ôte toute la fuavité da

l'ame, & la rend prefque perclufe & im puiffante dans toutes fes facultez.

Si jamais il vous arrivoit, Philothée, d'être atteinte de cette mauvaise trifteffe, pratiquez les remedes fuivans. Quelqu'un eft il trifte? dit S. Jâques, qu'il prie. La priere eft un fouverain remede, car elle éleve l'efprit en Dieu, qui eft notre unique joye & confolation; mais en priant ufez d'affection & de paroles, foit inte rieures, foit exterieures, qui tendent à la confiance & à l'amour de Dieu : comme, O Dieu de mifericorde, mon très-bon Dieu, mon Sauveur debonnaire, Dieu de mon cœur, ma joye, mon efperance, mon cher Epoux, le bien-aimé de mon ame; & femblables.

Contrariez vivement les inclinations de la trilteffe, & quoi qu'il femble que tout ce que vous ferez dans ce tems-là, fe faffe avec froideur, avec trifteffe, & avec lâcheté, ne laiffez pourtant pas de le faire. Car l'Ennemi qui prétend de nous détourner des bonnes œuvres par la trifteffe, voyant que nous ne laiffons pas de les faire, & qu'étant faites avec refiftance, elles en valent mieux, il ceffe de nous affliger.

Chantez des Cantiques fpirituels, car le malin efprit a fouvent ceffe fon operation par ce moyen; témoin l'efprit qui affiegeoit ou poffedoit Saül, dont la violence étoit reprimée par la pfalmodie.

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Il eft bon de s'employer aux œuvres exterieures, & de les diverfifier le plus que l'on peut, pour divertir l'ame de l'objet trifte & pour purifier & échauffer les efprits, la trifteffe étant une paffion de la complexion froide & feche.

Faites des actions exterieures de ferveur, quoique fans goût embraffant l'image du Crucifix, la ferrant fur la poitrine, lui baifant les pieds & les mains, levant vos yeux & vos mains au Ciel, élançant votre voix à Dieu par des paroles d'amour & de confiance, comme font celles-ci; Mon bien-aimé eft à moi, & moi à lui; mon bien-aimé m'est un bouquet de myrrke, il demeurera entre mes mamelles. Mes yeux fe fondent fur vous, à mon Dieu, difant: Quand me confolerez-vous! O Jefus, foyez-moi Jefus vive Jefus, & mon ame vivra. Qui me feparera de l'amour de mon Dieu ? & femblables.

La difcipline moderée eft bonne contre la trifteffe, parce que cette volontaire affliction exterieure nous obtient une con folation interieure, & l'ame fentant des douleurs de dehors, fe divertit de celles qui font au dedans. La frequentation de la fainte Communion eft excellente, car çe Pain celefte affermit le cœur, & réjouit.

Découvrez tous les reffentimens, les affections & les fuggeftions qui provien ment de votre trifteile, à votre Condu

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