Images de page
PDF
ePub

à-dire, celle à laquelle nous nous appli quons, non point pour aucun goût que nous y ayons, ni par inclination; mais purement pour plaire à Dieu, à quoi no tre volonté nous porte, comme à contrecœur, forçant & violentant ies fechercffes & les repugnances qui s'opposent à cela, J'en dis de même de toutes fortes de bonnes œuvres; car plus nous avons de con. tradictions, fot exterieures, foit interieu res, à les faire, plus elles font eftimées & prifces devant Dieu. Moins il y a de notre interêt particulier dans la poursuite des vertus, plus la pureté de l'amour di vin y reluit: l'enfant baife aifément fa mere qui lui donne du fucre; mais c'eft figne qu'il l'aime beaucoup, s'il la baife après qu'elle lui aura donné de l'abfynthe ou du chicotin.

CHAPITRE X V.

Confirmation & éclairciffement de ce qui a été dit, par un exemple celebre.

Ais pour rendre toute cette inftru ction plus évidente, je veux mettre ici une excellente piece de l'Hiftoire de S. Bernard, telle que je l'ai trouvée dans un docte & judicieux Ecrivain; il dit donc ainfi: C'eft une chofe ordinaire prefque à tous ceux qui commencent à fervir Dieu,

[ocr errors]

& qui ne font point encore experimentez. dans les fouftractions de la grace, ni dans les viciffitudes fpirituelles, le goût de la devotion fenfible, & cette agréable lumiere qui les invite à fe hâter au chemin de Dieu leur venant à manquer, ils perdent tout à coup haleine, & tombent dans la pufillanimitié & dans la tristesse de cœur. Les gens experimentez en rendent cette raison, que la nature raisonnable ne peut long-tems durer affamée, & fans quelque delectation, ou celeste ou terreftre. Or comme les ames relevées audeffus d'elles-mêmes par l'effai des plaifirs fuperieurs, renoncent facilement aux objets visibles ainfi quand par la difpofition divine la joie fpirituelle leur eft ôtée, le trouvant auffi d'ailleurs privées des confolations corporelles, & n'étant point encore accoûtumées d'attendre en patience les retours du vrai Soleil; il leur femble qu'elles ne font point au Ciel ni fur la terre, & qu'elles demeureront en fevelies dans une nuit perpetuelle. De for. te que comme de petits enfans qu'on fe vre, ayant perdu leurs mammelles, elles languiffent & gemiffent, & deviennent ennuyeufes & importunes, principalement à elles-mêmes. Voici ce qui arriva au voyage, dont il eft queftion, à l'un de la troupe, nommé Geoffroi de Peronne, qui étoit nouvellement dedié au fervice

de Dieu Geoffroi fe trouvant tout d'un coup deftitué de confolation, & occupé de tenebres interieures, commença à fe reffouvenir des amis qu'il avoit dans le monde, de fes parens, des facultez qu'il venoit de laiffer, il fut affailli par ce moien d'un fi rude tentation, que ne pouvant plus la cacher par ces démarches, un de fes plus confidens s'en apperçût, & lui ayant adroitement parlé avec douceur, lui dit en fecret: Que veut dire ceci, Geoffroi ? Comment ett-ce que contre l'or dinaire, tu te rends fi penfif & fi trifte? Alors Geoffroi avec un profond foûpir; Ah! mon frere, répondit-il, jamais de ma vie je ne ferai joyeux. Cet autre émû de pitié par ces paroles, alla d'abord avec un zèle fraternel, informer de cela S. Ber nard leur pere commun, qui voyant le danger, entra dans une Eglife prochaine, afin de prier Dieu pour lui; & Geoffroi cependant accablé de trifteffe, repofant fa tête fur une pierre, s'endormit. Mais après un peu de tems, tous deux fe leve rent, l'un de l'Oraifon avec la grace impetrée, & l'autre du fommeil, avec un vifage fi riant & fi ferein, que fon cher ami étonné d'un fi grand & fi foudain changement, ne pût s'empêcher de lui reprocher doucement ce qu'il lui avoit ré pondu peu auparavant Alors Geoffroi lui repliqua : & auparavant je t'ai dit que

jamais je ne ferois joyeux, maintenant je t'affûre que je ne ferai jamais triste.

Tel fut le fuccez de la tentation de ce devot perfonnage: mais remarquez dans ce recit, chere Philothée.

1. Que Dieu donne ordinairement quelque avant-goût des delices celeftes à ceux qui entrent à fon fervice, pour les retirer des plaifirs terreftres, & pour les encourager à la pourfuite du divin amour, comme une mere, qui pour attirer fon petit enfant à la mammelle, met du miel fur le bout de fon tetin.

2. Que c'eft neanmoins auffi ce bon Dieu, qui quelquefois, felon fa fage difpofition, nous ôte le lait & le miel des confolations, afin que nous fevrant ainsi, nous apprenions à manger le pain fec & plus folide d'une devotion vigoureuse, exercée à l'épreuve des dégouts & des tentations.

3. Que quelquefois de grandes tentations s'élevent parmi les fechereffes & les fterilitez: & alors il faut conftamment combattre les tentations, car elles ne font pas de Dieu mais il faut fouffrir patiemment les fechereffes, puifque Dieu les à ordonnées pour notre exercice.

4. Que nous ne devons jamais perdre courage parmi les ennuis interieurs, ni dire comme le bon Geoffroi : Jamais je ne ferai joieux; car au milieu de la nuit nous devons attendre la lumiere; & re

eiproquement au plus beau tems fpirituel que nous puiffions avoir, il ne faut pas dire, je ne ferai jamais ennuyé; car comme dit le Sage, dans les jours heureux il faut fe reffouvenir du malheur. Il faut ef perer dans les travaux & craindre les profperitez: & dans ces deux occafions, il faut toûjours s'humilier.

5. Que c'est un fouverain remede de découvrir fon mal à quelque ami fpirituel qui nous puiffe foulager.

Enfin pour conclufion de cet avertiffement, qui eft fi neceffaire, je remarque qu'en toutes chofes, comme en celle-ci notre bon Dieu, & notre ennemi, ont auffi de contraires pretentions; car Dieu veut nous conduire par elles à une grande pureté de cœur, à un entier renoncement de notre propre interêt, en ce qui eft de fon fervice, & à un parfait dépouillement de nous-mêmes mais le malin tâche de faire fes efforts pour nous faire perdre cou rage, pour nous faire retourner du côté des plaifirs fenfuels, & enfin pour nous rendre ennuieux à nous-mêmes & aux autres, afin de décrier & de diffamer la fainte devotion. Mais fi vous obfervez les avis que je vous ai donnez, vous au gmenterez beaucoup votre perfection dans l'exercice que vous ferez parmi ces afflitions interieures, dont je ne veux pas finir l'entretien, que je ne vous dise en

« PrécédentContinuer »