yvrer, mais auffi des raifins & du verjus, non point que le raisin & le verjus enyvre, mais parce qu'il y avoit danger en mangeant du verjus, d'exciter le defir de manger des raifins, & en mangeant des raifins, de provoquer l'appetit à boire du moult & du vin. Or je ne dis pas que nous ne puiffions user de ces choses dangereuses, mais je dis pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection fans intereffer la devotion. Les cerfs ayant pris trop de venaifon, s'écartent & fe retirent dans leurs buiffons, connoiffans que leur graiffe les charge, en forte qu'ils ne font pas habiles à courir, s'ils étoient attaquez; le cœur de l'homme fe déchargeant de ces affections inutiles, fuperflues & dangereufes, ne peut fans doute promptement, aifément, & facilement courir après fon Dieu, qui eft le vrai point de la devotion. Les petits enfans s'affectionment & s'échauffent après les papillons; perfonne ne le trouvé mauyais, parce qu'ils font enfans; mais n'eft ce pas une chofe ridicule, ou plûtôt lamentable, de voir des hommes faits s'empreffer & s'affectionner après des bagatelles fi indignes, comme font les chofes que j'ai nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous deregler à leur pourfuite ? C'eft pourquoi, ma chere Philothée, je vous dis qu'il fe faut purger de ces affections; & bien que E les actes ne foient pas toûjours contraires à la devotion, les affections neanmoins Jui font toujours nuifiles. CHAPITRE XXIV. Qu'il faut fe purger des mauvaises inclinations. Nous Ous avons encore, Philothée, certaines inclinations naturelles, lesquelles, n'ayant pas pris leur origine de nos pechez particuliers, ne font pas proprement pechez, ni mortels ni veniels, mais s'appellent imperfections; & leurs actes, défauts & manquemens. Par exemple fainte Paule, felon le recit de faint Jerôme, avoit une grande inclination à la trifteffe & aux regrets, de forte qu'à la mort de fes enfans & de fon mari, elle courut toujours rifque de mourir de déplaifir. Cela étoit une imperfection, & non point un peché, puifque c'étoit contre fon gré & fa volonté. Il y en a qui de leur naturel font legers, les autres contrarians, les autres difficiles à recevoir les opinions d'autrui, les autres font enclins à l'indignation, les autres à la colere, les autres à l'amour : & en un mot il fe trouve peu de perfonnes, dans lesquelles on ne puiffe remarquer quelques fortes de telles Imperfections. Or quoiqu'elles foient comme propres & naturelles à chacun par le foin , & l'affection contraire, cependant on peut les corriger & les moderer, & même on peut s'en delivrer & purger. Et je vous dis, Philothée, qu'il le faut faire. On a bien trouvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant feulement au pied pour en faire fortir le fuc, pourquoi eft-ce que nous ne pourrons pas faire fortir nos mauvaises inclinations, pour devenir meilleures? Il n'y a point de fi bon naturel qui ne puiffe être rendu mauvais par les habitudes vicieuses, il n'y a point auffi de naturel fi revêche, qui premierement par la grace de Dieu, enfuite par l'induftrie & par la diligence, ne puiffe être dompté, & furmonté. Je m'en vais donc maintenant donner des avis, & propofer des exercices, par le moyen defquels vous purgerez votre ame des affections dangereufes, des imperfe tions, & de toutes affections aux pechez veniels, & vous affurerez de plus en plus votre confcience contre tout peché mortel. Dieu vous faffe la grace de les bien pratiquer. INTRODUCTION A LA VIE DEVOTE. SECONDE PARTIE, Contenant divers avis pour l'élevation de l'ame à Dieu par l'Oraifon & les Sacremens. CHAPITRE PREMIER. De la neceffité de l'Oraifon. 'Oraifon mettant notre entendement en la clarté & lumiere divine, & expofant notre volonté à la chaleur de l'amour celefte, il n'y a rien qui purge tant notre entendement de fes ignorances, & notre volonté de fes affections depravées. C'eft l'eau de benediction, qui par fon arrofement fait reverdir & fleurir les plantes de nos bons defirs, lave nos ames de leurs imperfections, & defaltere nos coeurs de leurs paffions. 2. Mais fur-tout, je vous confeille l'Oraifon mentale, cordiale, & particuliere . CHA P. I. ment celle qui fe fait fur la Vie, & fur Ja Paffion de notre Seigneur. Et le regardant fouvent par la Meditation, toute votre ame fe remplira de lui, vous apprendrez fa conduite, & formerez vos actions fur le modele des fiennes. Il eft la lumiere du monde : c'eft donc en lui, par lui, & pour lui, que nous devons être éclairez & illuminez: c'eft l'arbre de defir, à l'ombre duquel nous devons nous rafraîchir? c'eft la vive fontaine de Jacob, , pour le lavement de toutes nos fouillures. Enfin les enfans à force d'ouir leurs meres, & de begayer avec elles, aprennent à parler leur langage & nous demeurans près du Sauveur par la meditation, & obfervans fes paroles, les actions & les affections, nous apprendrons, moyennant fa grace, à parler, faire, & vouloir comme lui. Il faut s'arrêter là, Philothée, & croiez-moi, nous ne fçaurions aller à Dieu le Pere que par cette porte : car de même que la glace d'un miroir ne sçauroit arrêter notre vûe, fi elle étoit enduite d'étain ou de plomb par derriere : auffi la Divinité ne pouvoit être bien contemplée par nous en ce bas monde, fi elle ne fe fût jointe à la facrée humanité du Sauveur, duquel la Vie & la Mort font l'objet le plus proportionné, le plus delicieux, & le plus profitable, que nous puiffions choisir pour notre meditation or |