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FRAGMENTS

DES

LEÇONS DE M. ROYER-COLLARD.

FRAGMENTS THÉORIQUES.

(SUITE.)

VI.

Du principe de causalité et du principe d'induction.

(EXTRAIT DES 6o et 7o leçons.)

Après avoir montré la part du principe de causalité et du principe d'induction dans la conception des qualités secondes, M. Royer-Collard consacra deux leçons à l'analyse de ces deux lois primitives de notre nature. Malheureusement nous ne trouvons sur ce sujet intéressant que de simples notes. Elles suffisent cependant pour faire connaître les principaux traits de la doctrine, neuve alors, que professa sur ce point M. Royer-Collard. Il l'a exprimée de nouveau avec une grande énergie et une puissante précision dans le discours que nous avons

annoncé, et qui terminera ces extraits. Nous prions le lecteur d'y recourir.

M. Royer-Collard traite deux questions principales sur chacun des deux principes dont il s'agit. Il s'attache d'abord à constater les caractères qu'ils présentent actuellement dans notre esprit; puis il recherche leur origine, et démontre qu'ils résistent à la doctrine communément reçue qui dérive toutes nos connaissances de l'expérience et du raisonnement. Il commence par le principe de causalité.

I.1°« Le principe de causalité s'énonce ainsi : Tout ce qui commence d'exister a une cause. Ce principe est nécessaire et universel; il ne souffre aucune exception dans aucun moment de la durée, dans aucun point de l'espace; le contraire nous paraît non - seulement impossible, mais absurde.

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Cependant, dit M. Royer-Collard, ce principe n'est point une proposition identique. Il ne faut point le confondre avec cette autre proposition: point d'effet sans cause; celle-ci est identique, parce que cause et effet sont deux termes relatifs. Quand vous imposez à un événement le nom d'effet, vous supposez ce qui est en question, savoir, une cause; vous faites une pétition de principes. Point d'effet sans cause est la même chose que point de mari sans femme; de ce qu'il n'y a point de mari sans femme, il ne suit pas qu'il n'y ait point d'homme qui ne soit mari; de même quand on dit: point d'effet sans cause, on ne dit pas que tout ce qui arrive soit un effet et soit produit par une cause. »

26 « Le principe que tout ce qui commence a une cause, dit M. Royer-Collard, est ou un préjugé dénué de fondement, ou une acquisition du raisonnement, ou une généralisation de l'expérience, ou un principe primitif évident par lui-même. »Il examine successivement les trois premières suppositions.

« Si ce principe est un préjugé, dit-il, il n'y a plus de philosophie Hume est le seul entre tous les philosophes qui ait osé le soutenir. Si c'est une acquisition du raisonnement, qu'on indique les prémisses d'où on l'a déduit et le procédé démonstratif par lequel on l'a obtenu? >>

il

Après avoir fait prompte justice des deux premières suppositions, M. Royer-Collard passe à la troisième, et remarque d'abord que si le principe de causalité était une généralisation de l'expérience, il serait exprimé sous une forme générale, et non point sous une forme absolue; car l'expérience n'enseigne point ce qui est nécessairement. Il rappelle à ce propos ce passage de Leibnitz où ce grand homme fait à l'occasion de la doctrine de Locke la même observation : « Si Lockius, dit Leibnitz, discri<< men inter veritates necessarias et eas quæ nobis solâ <«< inductione utcumque innotescunt, satis consideras<< set, animadvertisset necessarias non posse comprobari « nisi ex principiis mente insitis, cùm sensus quidem <«< doceant quid fiat, sed non quid necessariò fiat 1. »

Mais M. Royer-Collard ne se contente point de cette raison générale; il entre dans les détails, et, comme il

1 T. 5, p. 353. Epist. ad Bierlingium.

n'y a que deux sortes d'expérience, l'extérieure et l'intérieure, les sens et la conscience, il examine si l'une ou l'autre de ces deux expériences peut produire le principe de causalité.

« Loin que l'expérience extérieure donne ce résultat universel, que tout ce qui commence d'exister a une cause, dit-il, elle ne donne pas même l'idée de causation, ainsi que Hume l'a démontré. En effet, nous ne rencontrons hors de nous que contiguité ou succession, jamais production. Et quand bien même l'expérience extérieure nous donnerait cette idée, quand les sens nous montreraient comme cause et effet, ce qu'ils ne nous montrent que comme contiguité et succession, le nombre des événements sans cause serait encore bien supérieur à celui des événements qui auraient une cause. Ainsi le résultat de l'expérience serait celui-ci : dans un grand nombre de cas, ce qui arrive a une cause; dans un plus grand nombre, il n'en a point.

<< Reste l'expérience intérieure, continue M. RoyerCollard; elle nous donne la notion de cause, et seule elle nous la donne. Elle nous apprend en effet que nous sommes une cause, et cette cause est la seule que nous connaissions. Mais pour que le principe de causalité dérivât de cette expérience, il faudrait que la conscience nous manifestât avec la dernière évidence que nous sommes la cause de tous les événements qui sont arrivés, qui arrivent et qui pourront arriver dans toutes les parties de l'univers; ce qui est si loin d'être vrai qu'elle ne nous manifeste même pas que nous soyons la cause de la plu

part des changements qui ont lieu dans notre corps. Et quand la conscience nous manifesterait que nous sommes la cause de tout ce qui est, a été, ou sera, il ne serait point en son pouvoir de nous manifester que nous en fussions la cause nécessaire. Il ne peut sortir de l'expérience que le fait de la connexion, la nécessité de la connexion n'en peut jamais sortir. » Et quand enfin cette nécessité même serait donnée par la conscience, il en résulterait que nous sommes la cause nécessaire de tout événement, principe que non-seulement nous ne croyons point, mais que nous regardons comme tout-à-fait faux et qui est absolument différent du principe de causalité.

Ainsi la conscience est aussi impuissante que les sens; et il reste démontré que l'expérience, pas plus que le raisonnement, ne peut rendre compte du principe de causalité, et que, par conséquent, ce principe est un fait primitif, ou une loi de notre nature.

M. Royer-Collard ne s'arrête point là; il cherche quand et comment s'est manifestée à nous cette loi primitive de notre constitution, ou, en d'autres termes, dans quelle circonstance elle a fait sa première apparition dans notre esprit. C'est en effet la seule question d'origine qu'on puisse agiter pour des principes de cette espèce.

M. Royer-Collard observe que l'idée de cause est puisée en nous. Notre conscience nous apprend que nous voulons et que nous pouvons; la volonté et le pouvoir sont les deux éléments de notre causalité. De ces deux éléments, l'un est plus saillant pour la conscience, et c'est la volonté, l'autre, plus obscur et c'est le pouvoir;

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