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coexistent à la fois dans le temps et dans le lieu. Qu'un événement, au lieu d'être précédé par une seule circonstance, coinme dans les exemples précédents, soit précédé par plusieurs; alors, pour découvrir sa cause, il devient nécessaire d'énumérer toutes les circonstances qui l'ont précédé, et de procéder ensuite par voie d'exclusion à la détermination de celle qui a produit l'effet. Or, il y a des cas où l'énumération est impossible, et c'est pourquoi, par exemple, on n'a pu déterminer la cause du beau temps et de la pluie; il y en a d'autres où c'est l'exclusion qui est impraticable. Ainsi, pour que l'astrologie fût une science, il faudrait pouvoir isoler un fait de toutes les circonstances sublunaires qui l'environnent, pour le mettre en rapport avec les aspects célestes.

« Telles sont les causes des erreurs où nous tombons en étudiant le langage de la nature.

« La cause des erreurs où nous tombons en raisonnant par analogie est toute dans l'imperfection des ressemblances. L'application de la causalité aux êtres inanimés est un exemple d'une analogie vicieuse.

3o « C'est l'induction qui nous met en commerce avec nos semblables, comme avec la nature, et qui donne aux signes artificiels de la pensée une valeur constante. Qu'apprenons-nous en apprenant notre langue maternelle? que les hommes ont employé certains sons pour exprimer certaines choses ont employé, dis-je; mais qu'ils continueront de les employer, c'est ce que l'expérience ne peut nous apprendre. Les hommes nous ont-ils promis qu'ils attacheraient invariablement la même signification au

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même signe? non; cela même est impossible; d'ailleurs la promesse serait conçue en paroles; en outre, les enfants ne savent ce que c'est qu'une promesse. D'où nous vient donc cette prescience des actions libres de nos semblables?

<< Ici nous découvrons une correspondance admirable entre les lois du monde physique et les lois du monde moral. L'Auteur de la nature en nous destinant à l'état de société, nous a munis de deux principes, dont l'un nous porte à dire la vérité, et l'autre à croire qu'on nous la dit. Le principe de véracité correspond à la stabilité des lois de la nature. Le principe de crédulité à l'induction qui généralise les lois observées. Sans ces deux principes les enfants seraient absolument incrédules et incapables d'instruction; ils périraient d'inanition de connaissances. La pratique des tribunaux et tous les raisonnements sur la validité des témoignages prouvent l'existence de ces deux principes. :

VII.

Les qualités de la matière sont-elles relatives ou abso

lues?

(LEÇONS 8 ET 9.)

· Les qualités de la matière sont-elles relatives ou absolues? A cette question les philosophes répondent unanimement que les qualités secondes sont purement relatives; le plus grand nombre pensent que les qualités premières sont absolues; quelques-uns cependant assimilenț

la résistance aux qualités secondes, et ne conservent le caractère de qualité absolue qu'à l'étendue; quelques-uns enfin prétendent qu'il n'y a rien d'absolu dans l'étendue elle-même.

Éclaircissons d'abord les termes. Qu'est ce qu'on entend par qualités relatives opposées à qualités absolues? Nous allons essayer de le faire comprendre, et de montrer en même temps sur quel fondement on a soutenu que les qualités de la matière n'ont rien d'absolu.

Nous connaissons les qualités premières; nous ne connaissons des qualités secondes que leur existence; elles sont moins des qualités que des puissances, c'est-à-dire des causes conçues par l'esprit et matérialisées dans certains corps. De ces causes, l'effet seul, qui est la sensation, est directement atteint par notre expérience; de l'effet nous remontons à la cause; et lorsque notre esprit, aidé des perceptions de la vue et du toucher, et du témoignage de la mémoire, l'a placée dans les corps, l'induction lui donne la permanence, et c'est là uniquement ce qui nous la fait appeler qualité.

La cause et l'effet sont donc les deux termes du rapport qui subsiste entre nous et les qualités dont il s'agit. Ces deux termes sont tels que l'effet ayant lieu, nous croyons à l'existence de la cause, et l'expérience qui ne nous la montre jamais, ne laisse pas de nous montrer où elle réside; mais elle ne nous apprend rien de plus. En d'autres termes, la sensation n'est accompagnée d'aucune perception ; il ne s'y joint qu'un jugement de causa

lité qui n'affirme rien de la cause, sinon qu'elle existe et qu'elle agit sur notre sensibilité.

Cela posé, que le rapport vienne à changer; que le même aliment, par exemple, qui a excité en nous une sensation agréable, vienne à exciter une sensation désagréable, il est évident que le rapport ayant deux termes, il suffit que l'un des deux ait changé pour que le rapport soit altéré. Ainsi donc il suffit que l'état de la sensibilité soit variable dans chaque individu et différent dans des individus différents, pour que la même cause paraisse produire successivement chez l'un et à la fois chez les autres, des effets opposés. Non-seulement on n'en peut rien conclure contre la réalité de la cause, mais on ne pourrait pas même en conclure qu'elle est elle-même variable, quoiqu'elle le soit sans doute comme toutes les choses naturelles, et que ses variations nous soient indiquées par des signes indubitables.

Voilà pourtant d'où l'on est parti pour dépouiller les qualités secondes de l'existence absolue. On a dit : Le plaisir et la douleur ne peuvent pas couler de la même source; des sensations contraires ne peuvent pas être rapportées à une cause indépendante de ces mêmes sensations, .et toujours la même lorsqu'elle agit d'une manière opposée; car si elle était, cette cause, si elle subsistait en elle-même, si elle était une seule et même chose, son action serait uniforme. Les qualités secondes ne sont donc point une réalité extérieure, elles ne sont que des fictions de nos esprits, et les corps ne sont ni odorants, ni savoureux, ni sonores, ni chauds, ni froids.

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Une confusion dans le langage est venue au secours de cette conclusion. Dans l'action des qualités secondaires sur notre sensibilité, l'effet connu et la cause inconnue s'unissent si étroitement dans notre esprit, que le même nom leur a été donné dans toutes les langues. Les philosophes en ont pris sujet d'accuser le vulgaire de les confondre; et, pour remédier à cette prétendue confusion, ils ont restreint à l'effet la dénomination qui était conmune à la cause. S'ils avaient dit avec simplicité: Les mots odeur, saveur, chaleur, qui ont signifié jusqu'ici la sensation et la qualité, ne signifieront plus dans nos livres que la sensation, on aurait pu contester l'utilité de cette réforme dans la langue commune, et demander aux philosophes un nouveau nom pour la qualité; mais on les aurait compris, et personne n'aurait été trompé. Mais quand d'une affaire de mots faisant une découverte, et de l'ambiguité d'un signe une erreur monstrueuse, ils ont prononcé dogmatiquement que les corps n'étaient ni odorants, ni savoureux, ni sonores, les qualités secondaires, dépouillées de leur nom, ont paru exilées de la nature.

On a été plus loin; et raisonnant des qualités secondes aux qualités premières, on a dit : Puisque les corps ne sont ni odorants, ni savoureux, ni chauds, ni froids, il se pourrait aussi qu'ils ne fussent ni étendus, ni solides, ni figurés. Cette conséquence était plus qu'une présomption, c'était une conclusion rigoureuse pour les philosophes qui assimilent les qualités premières aux qualités secondes de la matière. Il n'y a donc de réalité que dans nos sensations; nos sensations sont en dernière analyse

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