Images de page
PDF
ePub

dans le plan du Canal proposé par les deux experts. Nulle part, il ne prescrit d'une manière impérative les dispositions du projet; il les subordonne aux difficultés que l'exécution du plan présentera, et il laisse beaucoup de choses imprévues à la prudence de l'entrepreneur. Il ne lui trace pas même une ligne déterminée pour tous les points de sa route; et il se borne à indiquer la direction. Enfin, il prévoit tellement la possibilité de quelques changemens déterminés par l'expérience, qu'il règle les formes par lesquelles l'entrepreneur pourra les faire

approuver.

Il n'est pas inutile de remarquer, que, même avant la rédaction de ce devis remis par M. de Clerville le 5 octobre, Riquet étoit déjà chargé de l'entreprise. Il ne s'agissoit plus que de remplir les formalités usitées dans des circonstances semblables. Ses propositions pour la construction du Canal furent rédigées, en forme de loi (2), par un édit du mois d'octobre 1666. Le Roi, en appelant la jonction des deux mers un vrage capable de perpétuer aux siècles à

un ou

(2) Canaux navigables par La Lande, page 120.

venir la mémoire de son auteur, y déclare qu'il en a fait faire l'essai par un petit Canal tranché, et conduit par ces mêmes lieux où la construction du grand Canal est projetée : « ce qui auroit été, ajoute-t-il, si adroite>> ment conduit et si heureusement exécuté >> par l'application du sieur Riquet, que nous » avons tout sujet de nous en promettre avec >> certitude un fort heureux succès. Mais » comme un ouvrage de cette importance »> ne peut être fait sans une dépense fort >> considérable, nous avons fait examiner en >> notre Conseil les propositions qui nous ont » été faites pour trouver des fonds sans charger nos sujets de nos provinces de Languedoc et de Guienne de nouvelles » impositions, quoiqu'ils fussent obligés d'y >>> contribuer, puisqu'ils en recevront les pre>> miers et les plus considérables avantages; » et nous nous sommes arrêtés à celles qui >> nous ont paru les plus supportables et les plus innocentes ».

Le Roi ordonnoit, en conséquence, qu'il seroit procédé à la construction du Canal suivant le devis du chevalier de Clerville : que l'entrepreneur pourroit prendre toutes les terres et fonds nécessaires pour cette

construction, lesquels seroient payés par Sa Majesté, après estimation: que les seigneurs des fiefs qui avoient juridiction sur ces terres en seroient indemnisés; au moyen de quoi lesdites terres seroient érigées en un fief, comprenant le Canal, ses rigoles et chaussées, depuis la Garonne jusqu'à ses dégorgemens dans la Méditerranée, y compris le Canal de dérivation depuis la monagne Noire jusqu'aux Pierres de Naurouse. Les possesseurs dudit fief devoient avoir le pouvoir exclusif de construire sur les bords dudit Canal un château, des moulins, des magasins pour l'entrepôt des marchandises, et des maisons pour les employés : le propriétaire et ses successeurs devoient jouir à perpétuité de ce fief, avec exemption de taille, et jouissance du droit de chasse et de pêche ; il lui étoit de plus attribué la faculté exclusive de faire construire des bateaux pour le transport des marchandises; et le droit d'établir des officiers de justice et douze gardes, à la livrée du Roi, pour l'exé. cution de leurs sentences. Enfin, la vente de ce fief fut ordonnée, à cette condition, que l'adjudicataire ne pourroit en être dépos. sédé qu'en le remboursant de la somme qu'il

[graphic]

auroit payée, améliorations, frais et loyaux coûts, pour être les deniers provenans de ladite vente employés à la construction du Canal: en outre, pour faire un fonds perpétuel qui ne fût à charge ni au Roi, ni à la province, le Roi fixa les droits qui pourroient être perçus sur les marchandises qui seroient transportées sur le Canal, et ordonna aussi la vente de ce péage, à la charge de faire toutes les réparations nécessaires à l'entretien du Canal. Enfin Sa Majesté ordonna la vente des offices de regratiers et vendeurs de sel, soit en Languedoc, soit en Roussillon, Conflans et Cerdagne; et la revente des droits engagés de septain sur les salines de Pecais. Les sommes provenant de ces ventes devoient être employées à la construction du Canai.

Une contradiction entre les dispositions de l'édit s'étoit glissée dans sa redaction. Riquet écrivit à ce sujet à M. Colbert « Vous me commandâtes, lui dit-il, avant» hier de m'en aller en Languedoc; j'obéis, >> Monseigneur, et comme il vous a plu de » me combler de vos graces, je pars dans >> l'intention d'exécutermes entreprises mieux

(1) Archives du Canal. A. CC.

»

» que je ne l'ai promis; et je suis persuadé » d'un heureux succès; pour ce qu'étant » appuyé comme je suis de l'honneur de >> votre protection, je me crois capable de >> bien des choses; vous le saurez mieux par » mes faits que par mes discours. Mais, Monseigneur, je voudrois qu'il vous plût » de corriger une contradiction glissée par » mégarde dans l'édit du Canal, et par con» séquent dans mon résultat et dans mon » bail. C'est au sujet du fief; il est porté en >> termes exprès, que la vente s'en fera pour » être joui à perpétuité par l'acquéreur no» blement et incommutablement; et en même >> temps il est dit qu'il pourra être dépossédé » moyennant le remboursement du prix de » son acquisition et des bâtimens qu'il y >> aura construits. De sorte que cette suite est » contraire à ce commencement, et détruit » la faculté incommutable et la nature du » fief, vos intentions, et mes propositions. » Car il vous plaira de vous souvenir, Mon» seigneur, que la création de ce fief n'a » d'autre fin que celle de donner moyen » l'acquéreur du péage et du fief de tenir le » Canal réparé et en bon état, à perpétuité. » A quoi il oblige et affecte le tout, même le

à

« PrécédentContinuer »