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sang qu'il fait couler, il est humain comme l'épouse est chaste dans les transports de l'amour. Dès qu'il a remis l'épée dans le fourreau, la sainte humanité reprend ses droits, et peut-être que les sentiments les plus exaltés et les plus généreux se trouvent chez les militaires. Rappelez-vous, monsieur le chevalier, le grand siècle de la France. Alors la religion, la valeur et la science s'étant mises pour ainsi dire en équilibre, il en résulta ce beau caractère que tous les peuples saluèrent par une acclamation unanime comme le modèle du caractère européen. Séparez-en le premier élément, l'ensemble, c'està-dire toute la beauté, disparaît. On ne remarque point assez combien cet élément est nécessaire à tout, et le rôle qu'il joue là même où les observateurs légers pourraient le croire étranger. L'esprit divin qui s'était particulièrement reposé sur l'Europe adoucissait jusqu'aux fléaux de la justice éternelle, et la guerre européenne marquera toujours dans les annales de l'univers. On se tuait, sans doute, on brûlait, on ravageait, on commettait même si vous voulez mille et mille crimes inutiles, mais cependant on commençait la guerre au mois de mai; on la terminait au mois de décembre; on dormait sous la toile; le soldat seul combattait le soldat. Jamais les nations n'étaient en guerre, et tout ce qui est faible était sacré à travers les scènes lugubres de ce fléau dévastateur.

C'était cependant un magnifique spectacle que de voir tous les souverains d'Europe, retenus par je ne sais quelle modération impérieuse, ne demander jamais à leurs peuples, même dans le moment d'un grand péril,

tout ce qu'il était possible d'en obtenir : ils se servaient de l'homme, et tous, conduits par une force invisible, évitaient de frapper sur la souveraineté ennemie aucun de ces coups qui peuvent rejaillir: gloire, honneur, douange éternelle à la loi d'amour proclamée sans cesse au centre de l'Europe! Aucune nation ne triomphait de l'autre la guerre antique n'existait plus que dans les livres ou chez les peuples assis à l'ombre de la mort; une province, une ville, souvent même quelques villages, terminaient, en changeant de maître, des guerres acharnées. Les égards mutuels, la politesse la plus recherchée, savaient se montrer au milieu du fracas des armes. La bombe, dans les airs, évitait le palais des rois; des danses, des spectacles, servaient plus d'unc fois d'intermèdes aux combats. L'officier ennemi invité à ces fêtes venait y parler en riant de la bataille qu'on devait donner le lendemain; et dans les horreurs mêmes de la plus sanglante mêlée, l'oreille du mourant pouvait entendre l'accent de la pitié et les formules de la courtoisie. Au premier signal des combats, de vastes hôpitaux s'élevaient de toutes parts: la médecine, la chirurgie, la pharmacie, amenaient leurs nombreux adeptes; au milieu d'eux s'élevait le génie de saint Jean de Dieu, de saint Vincent de Paul, plus grand, plus fort que l'homme, constant comme la foi, actif comme l'espérance, habile comme l'amour. Toutes les victimes vivantes étaient recueillies, traitées, consolées : toute plaie était touchée par la main de la science et par celle de la charité!... Vous parliez tout à l'heure, M. le chevalier, de légions d'athées qui ont obtenu des succès

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prodigieux je crois que si l'on pouvait enrégimenter des tigres, nous verrions encore de plus grandes merveilles jamais le Christianisme, si vous y regardez de près, ne vous paraîtra plus sublime, plus digne de Dieu, et plus fait pour l'homme qu'à la guerre. Quand vous dites, au reste, légions d'athées, vous n'entendcz pas cela à la lettre; mais supposez ces légions aussi mauvaises qu'elles peuvent l'être, savez-vous comment on pourrait les combattre avec le plus d'avantage? co serait en leur opposant le principe diamétralement contraire à celui qui les aurait constituées. Soyez bien sûr que des légions d'athées ne tiendraient pas contre des bégions fulminantes.

Enfin, messieurs, les fonctions du soldat sont terribles; mais il faut qu'elles tiennent à une grande loi du monde spirituel, et l'on ne doit pas s'étonner que toutes les nations de l'univers se soient accordées à voir dans. ce fléau quelque chose encore de plus particulièrement divin que dans les autres; croyez que ce n'est pas sans une grande et profonde raison que le titre de DIEU DES ARMÉES brille à toutes les pages de l'Ecriture sainte. Coupables mortels, et malheureux, parce que nous sommes coupables! c'est nous qui rendons nécessairestous les maux physiques, mais surtout la guerre : les hommes s'en prennent ordinairement aux souverains, et rien n'est plus naturel : Horace disait en sc jouant :

«Du délire des rois les peuples sont punis.

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Mais J.-B. Rousseau a dit avec plus de gravité et de véritable philosophie :

« C'est le courroux des rois qui fait armer la terre,

« C'est le courroux du Ciel qui fait armer les rois. »

Observez de plus que cette loi déjà si terrible de la guerre n'est cependant qu'un chapitre de la loi générale qui pèse sur l'univers.

Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres in mutua funera: dès que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières mêmes de la vie. Déjà, dans le règne végétal, on commence à sentir la loi depuis l'immense catalpa jusqu'au plus humble graminée, combien de plantes meurent, et combien sont tuées! mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence. Une force, à la fois cachée et palpable, se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. Dans chaque grande division de l'espèce animale, elle a choisi un certain nombre d'animaux qu'elle a chargés de dévorer les autres : ainsi, il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie, et des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de la durée où l'être vivant ne soit dévoré par un autre. Au-dessus de ces nombreuses raccs d'animaux est placé l'homme, dont la main des

tructive n'épargne rien de ce qui vit; il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer, il tue pour se défendre, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour tuer : roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rien ne lui résiste. Il sait combien la tête du requin ou du cachalot lui fournira de barriques d'huile; son épingle déliée pique sur le carton des musées l'élégant papillon qu'il a saisi au vol sur le sommet du Mont-Blanc ou du Chimboraço; il empaille le crocodile, il embaume le colibri; à son ordre, le serpent à sonnettes vient mourir dans la liqueur conservatrice qui doit le montrer intact aux yeux d'une longue suite d'observateurs. Le cheval qui porte son maître à la chasse du tigre se pavane sous la peau de ce même animal : l'homme demande tout à la fois, à l'agneau ses entrailles pour faire résonner une harpe, à la baleine ses fanons pour soutenir le corset de la jeune vierge, au loup sa dent la plus meurtrière pour polir les ouvrages légers de l'art, à l'éléphant ses défenses pour façonner le jouet d'un enfant : ses tables sont couvertes de cadavres. Le philosophe peut même découvrir comment le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrètera-telle à l'homme? non sans doute. Cependant quel être exterminera celui qui les extermine tous? Lui. C'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux; lui qui est né pour aimer; lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même, qui trouve du plaisir à pleurer, et qui finit par inventer des

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