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de crimes, il y a toujours débordement de sang. - Sine sanguine non fit remissio (1).

La rédemption, comme on l'a dit dans les Entretiens, cst une idée universelle. Toujours et partout on a cru que l'innocent pouvait payer pour le coupable (utique si et provocavit); mais le Christianisme a rectifié cette idée et mille autres qui, même dans leur état négatif, lui avaient rendu d'avance le témoignage le plus décisif. Sous l'empire de cette loi divine, le juste (qui ne croit jamais l'être) essaie cependant de s'approcher de son modèle par le côté douloureux. Il s'examine, il se purifie, il fait sur lui-même des efforts qui semblent passer l'humanité, pour obtenir enfin la grâce de pouvoir restituer ce qu'il n'a pas volé (2).

Mais le Christianisme, en certifiant le dogme, ne l'explique point, du moins publiquement, et nous voyons que les racines secrètes de cette théorie occupèrent beaucoup les premiers initiés du Christianisme.

Origène surtout doit être entendu sur ce sujet intéressant, qu'il avait beaucoup médité. C'était son opinion bien connue : « Que le sang répandu sur le Calvairc << n'avait pas été seulement utile aux hommes, mais aux << anges, aux astres, et à tous les êtres créés (3); ce

(1) Sans effusion de sang, nulle rémission de péchés. (Hebr. IX, 22.)

(2) Quæ non rapui, tunc exsolvebam (Ps. LXVIII, 8.) (3) Sequitur placitum aliud Origenis de morte Christi

« qui ne paraîtra pas surprenant à celui qui se rappel· « lera ce que saint Paul a dit : « Qu'il a plu à Dieu de « réconcilier toutes choses par celui qui est le principe « de la vie, et le premier - né entre les morts, ayant « pacifié par le sang qu'il a répandu sur la croix, tant « ce qui est en la terre que ce qui est au ciel (1). » Et si toutes les créatures gémissent (2), suivant la profonde doctrine du même apôtre, pourquoi ne devaient-elles pas être toutes consolées ? Le grand et saint adversaire d'Origène nous atteste qu'au commencement du Ve siècle de l'Eglise, c'était encore une opinion reçue que la rédemption appartenait au ciel autant qu'à la

non hominibus solùm utili, sed angelis etiam et sideribus ac rebus creatis quibuscumque. (P. D. Huetti Origen., lib. 1, cap. u, quæst. 3, no 20. Orig. opp. tom. IV, p. 149.)

(1) Coloss. 1, 20. Ephes. I, 10.- Paley, dans ses Horæ Paulina (London, 1790, in-8°, p. 212.), observe que ces deux textes sont très remarquables, vu que cette réunion des choses divines et humaines est un sentiment très singulier et qu'on ne trouvera point ailleurs que dans ces deux épîtres: A very singular sentiment and found no where else but in these two epistles. Si ce mot ailleurs se rapporte aux épitres canoniques, l'assertion n'est pas exacte, puisque ce sentiment très singulier se retrouve expressément dans l'épître aux Hébreux, IX, 23. Si le mot a toute sa latitude, on voit que Paley s'est trompé encore davantage.

(2) Rom, VIII, 22.

terre (1), et saint Chrysostome ne doutait pas que le même sacrifice, continué jusqu'à la fin des temps, et célébré chaque jour par les ministres légitimes, n'opéråt de même pour tout l'univers (2).

C'est dans cette immense latitude qu'Origène envisageait l'effet du grand sacrifice. « Mais que cette théorie, « dit-il, tienne à des mystères célestes, c'est ce que l'a« pôtre nous déclare lui-même lorsqu'il nous dit : Qu'il « était nécessaire que ce qui n'était que figure des choses « célestes, fut purifié par le sang des animaux; mais que << les célestes mêmes le fussent par des victimes plus « excellentes que les premières (3). Contemplez l'expia<«<tion de tout le monde, c'est-à-dire des régions céles<< tes, terrestres et inférieures, et voyez de combien de «< victimes elles avaient besoin !... Mais l'agneau seul a « pu ôter les péchés de tout le monde, etc., etc. (4). »

(1) Crux Salvatoris non solùm ea quæ in terrâ, sed etiam ea quæ in cœlis erant pacasse PERHIBENTUR. (D. Hieron. Epist. LIX, ad Avitum, c. 1, v. 22.)

(2) Nous sacrifions pour le bien de la terre, de la mer et de tout l'univers. (Saint Chrysost. Hom. LXX, in Joh.) Et saint François de Sales ayant dit « que Jésus-Christ avait souffert

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principalement pour les hommes, et en partie pour les « anges; » on voit (sans examiner précisément ce qu'il a vouIn dire) qu'il ne bornait point l'effet de la rédemption aux limites de notre planète. (Voy. les Lettres de saint François de Sales, liv. V, p. 38-39.)

(3) Hebr. IX, 22.

(4) Orig. Hom. XXIX, in Num.

Au reste quoique Origène ait été un grand auteur, un grand homme, et l'un des sublimes théologiens (1) qui aient jamais illustré l'Eglise, je n'entends pas cependant défendre chaque ligne de ses écrits; c'est assez pour moi de chanter avec l'Eglise romaine:

Et la terre, et la mer, et les astres eux-mêmes,
Tous les êtres enfin sont lavés par ce sang (2).

Sur quoi je ne puis assez m'étonner des scrupules étranges de certains théologiens qui se refusent à l'hypothèse de la pluralité des mondes, de peur qu'elle n'ébranle le dogme de la rédemption (3); c'est-à-dire que, suivant eux, nous devons croire que l'homme voyageant dans l'espace sur sa triste planète, misérablement gênée entre Mars et Venus (4), est le seul être intelligent du système, et que les autres planètes ne

(1) Bossuet, Pref. sur l'explication de l'Apoc., num. xxvII,

XXIX.

(2) Terra, pontus, astra, mundus,

Hoc lavantur sanguine (flumine).

(Hymne des Laudes du dimanche de la Passion.)

(3) On en trouvera un exemple remarquable dans les notes dont l'illustre cardinal Gerdil crut devoir honorer le dernier poëme de son collègue, le cardinal de Bernis.

(4) Nam Venerem Martemque inter natura locavit, Et nimiùm, ah! miseros, spatiis conclusit iniquis.

(Boscowitch, De Sol. et lun. defect. lib. I.)

sont que des globes sans vie et sans beauté (1) que le Créateur a lancés dans l'espace pour s'amuser apparemment comme un joueur de boules. Non, jamais une pensée plus mesquine ne s'est présentée à l'esprit humain! Démocrite disait jadis dans une conversation célèbre: 0 mon cher ami! gardez-vous bien de rapetisser bassement dans votre esprit la nature, qui est si grande (2). Nous serions bien inexcusables si nous ne profitions pas de cet avis, nous qui vivons au sein de la lumière, et qui pouvons contempler à sa clarté la suprême intelligence, à la place de ce vain fantôme de nature. Ne rapetissons pas misérablement l'Etre infini en posant des bornes ridicules à sa puissance et à son amour. Y a-t-il quelque chose de plus certain que cette proposition: tout a été fait par et pour l'intelligence ? Un système planétaire peut-il être autre chose qu'un système d'intelligences, et chaque planète en particulier peut-elle être autre chose que le séjour d'une de ces familles? Qu'y a-t-il donc de commun entre la matière et Dieu ? la poussière le connaît-elle (3)? Si les habitants des autres planètes ne sont pas coupables ainsi que nous, ils n'ont pas besoin du même remède ; et si,

(1) Inanes et vacuæ. (Gen. I, 2.)

(2) Μηδαμῶς & εταῖρε κατασμικρολογεῖ πλουσίην τὴν φύσιν Eousav. (Voy. ia lettre d'Hippocrate à Damagète; Hipp. opp. t. II, p. 918-19.) Il ne s'agit point ici de l'authenticité de ces lettres.

(3) Numquid confitebitur tibi pulvis? (Ps. XXIX, 10.)

T. V.

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