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LE COMTE.

Ce sera un cours très-intéressant et qui ne sera pas de pure érudition. Vous trouverez sur votre route une foule d'observations intéressantes; car la prière de chaque nation est une espèce d'indicateur qui nous montre avec une précision mathématique la position morale de cette nation. Les Hébreux, par exemple, ont donné quelquefois à Dieu le nom de père : les Païens mêmes ont fait grand usage de ce titre; mais lorsqu'on en vient à la prière, c'est autre chose: vous ne trouverez pas dans toute l'antiquité profane, ni même dans l'ancien Testament, un seul exemple que l'homme ait donné à Dieu le titre de père en lui parlant dans la prière. Pourquoi encore les hommes de l'antiquité, étrangers à la révélation de Moïse, n'ont-ils jamais su exprimer le repentir dans leurs prières? Ils avaient des remords comme nous puisqu'ils avaient une conscience: leurs grands criminels parcouraient la terre et les mers pour trouver des expiations et des expiateurs ; ils sacrifiaient à tous les dieux irrités; ils se parfumaient, ils s'inondaient d'eau et de sang; mais le cœur contrit ne se voit point; jamais ils ne savent demander pardon dans leurs prières. Ovide, après mille autres, a pu mettre ces mots dans la bouche de l'homme outragé qui pardonne au coupable: Non quia tu dignus, sed quia mitis ego; mais nul ancien n'a pu transporter ces mêmes mots dans la bouche du coupable parlant à Dieu. Nous avons l'air de traduire Ovide dans la liturgie de la messe lorsque nous

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disons Non æstimator meriti, sed veniæ largitor admitte; et cependant nous disons alors ce que le genre humain entier n'a jamais pu dire sans révélation; car l'homme savait bien qu'il pouvait irriter Dieu ou un Dieu, mais non qu'il pouvait l'offenser. Les mots de crime et de criminel appartiennent à toutes les langues : ceux de péché et de pécheur n'appartiennent qu'à la langue chrétienne. Par une raison du même genre, toujours l'homme a pu appeler Dieu père, ce qui n'exprime qu'une relation de création et de puissance; mais nul homme, par ses propres forces, n'a pu dire mon père! car ceci est une relation d'amour, étrangère même au mont Sinaï, et qui n'appartient qu'au Calvaire.

Encore une observation : la barbarie du peuple hébreu est une des thèses favorites du XVIIIe siècle; il n'est permis d'accorder à ce peuple aucune science quelconque il ne connaissait pas la moindre vérité physique ni astronomique: pour lui, la terre n'était qu'une platitude et le ciel qu'un baldaquin; sa langue dérive d'une autre, et aucune ne dérive d'elle; il n'avait ni philosophie, ni arts, ni littérature; jamais, avant une époque très-retardée, les nations étrangères n'ont eu la moindre connaissance des livres de Moïse; et il cst très-faux que les vérités d'un ordre supérieur qu'on trouve disséminées chez les anciens écrivains du Paganisme dérivent de cette source. Accordons tout par complaisance : comment se fait-il que cette même nation soit constamment raisonnable, intéressante, pathétique, très souvent même sublime et ravissante dans ses prières? La Bible, en général, renferme une foule

de prières dont on a fait un livre dans notre langue; mais elle renferme de plus, dans ce genre, le livre des livres, le livre par excellence et qui n'a point de rival, celui des Psaumes.

LE SENATEUR.

Nous avons eu déjà une longue conversation avec M. le chevalier sur le livre des Psaumes; je l'ai plaint à ce sujet, comme je vous plains vous-même, de ne pas entendre l'esclavon: car la traduction des Psaumes que nous possédons dans cette langue est un chefd'œuvre.

LE COMTE.

Je n'en doute pas tout le monde est d'accord à cet égard, et d'ailleurs votre suffrage me suffirait; mais il faut, sur ce point, que vous me pardonniez des préjugés ou des systèmes invincibles. Trois langues furent consacrées jadis sur le calvaire l'hébreu, le grec et le latin; je voudrais qu'on s'en tint là. Deux langues religieuses dans le cabinet et une dans l'église, c'est assez. Au reste, j'honore tous les efforts qui se sont faits dans ce genre chez les différentes nations: vous savez bien qu'il ne nous arrive guère de disputer ensemble.

LE CHEVALIER.

Je vous répète aujourd'hui ce que je disais l'autre jour à notre cher sénateur en traitant le même sujet.

j'admire un peu David comme Pindare, je veux dire sur parole.

LE COMTE.

Que dites-vous, mon cher chevalier? Pindare n'a rien de commun avec David : le premier a pris soin luimême de nous apprendre qu'il ne parlait qu'aux savants, et qu'il se souciait fort peu d'être entendu de la foule de ses contemporains, auprès desquels il n'était pas fâché d'avoir besoin d'interprètes (1). Pour entendre parfaitement ce poète, il ne vous suffirait pas de le prononcer, de le chanter même; il faudrait encore le danser. Je vous parlerai un jour de ce soulier dorique tout étonné des nouveaux mouvements que lui prescrivait la muse impétueuse de Pindare (2). Mais quand vous parviendriez à le comprendre aussi parfaitement qu'on le peut de nos jours, vous seriez peu intéressé. Les odes de Pindare sont des espèces de cadavres dont l'esprit s'est retiré pour toujours. Que vous importent les chevaux de Hiéron ou les mules d'Agésilas? quel intérêt prenez-vous à la noblesse des villes et de leurs fondateurs, aux miracles des dieux, aux exploits des héros, aux amours des nymphes? Le charme tenait aux temps et aux lieux; aucun effet de notre imagination ne peut le faire renaître. Il n'y a plus d'Olympie, plus d'Elide,

(1) Olymp. II, 149.

(2) Δωρίω φωνὰν ἕναρμόξαι ΠΕΔΙΛΩ, Olymp. 111, 9.

plus d'Alphée; celui qui se flatterait de trouver le Péloponèse au Pérou serait moins ridicule que celui qui le chercherait dans la Morée. David, au contraire, brave le temps et l'espace, parce qu'il n'a rien accordé aux lieux ni aux circonstances: il n'a chanté que Dieu et la vérité immortelle comme lui. Jérusalem n'a point disparu pour nous: elle est toute où nous sommes ; et c'est David surtout qui nous la rend présente. Lisez donc et relisez sans cesse les Psaumes, non, si vous m'en croyez, dans nos traductions modernes qui sont trop loin de la source, mais dans la version latine adoptéc dans notre Eglise. Je sais que l'hébraïsme, toujours plus ou moins visible à travers la Vulgate, étonne d'abord le premier coup d'œil; car les Psaumes, tels que nous les lisons aujourd'hui, quoiqu'ils n'aient pas été traduits sur le texte, l'ont cependant été sur une version qui s'était tenue elle-même très-près de l'hébreu; en sorte que la difficulté est la même : mais cette difficulté cède aux premiers efforts. Faites choix d'un ami qui, sans être hébraïsant, ait pu néanmoins, par des lectures attentives et répétées, se pénétrer de l'esprit d'une langue la plus antique sans comparaison de toutes celles dont il nous reste des monuments, de son laconisme logique, plus embarrassant pour nous que le plus hardi laconisme grammatical, et qui se soit accoutumé surtout à saisir la liaison des idées presque invisible chez les Orientaux, dont le génie bondissant n'entend rien aux nuances européennes : vous verrez que le mérite essentiel de cette traduction est d'avoir su précisément passer assez près et assez loin de l'hébreu ;

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