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de dire, on attribuait au corps général de la nation une somptuosité qui n'était que celle de quelques individus; on aurait également tort si on lui faisait honneur d'une tempérance et d'une sobriété dont quelques-uns de ses membres auraient offert le modèle.

L'heure du repas était fixée. Un ancien proverbe nous la décrit ainsi :

Lever à six, disner à dix,

Souper à six, coucher à dix,

Fait vivre l'homme dix fois dix.

Dans les lettres de Louis XII, sous l'année 1510, on lit: « Après souper, environ quatre et cinq heures, nous allâmes avec le Roi chasser au parc.

Mais, sous Louis XIV, l'heure du dîner fut reculée à midi, et les courtisans, pour assister à son couvert, ne pouvaient eux-mêmes dîner qu'à une heure. Ce retard, néanmoins, eut de la peine à s'introduire; car madame de Sévigné, dans une de ses lettres de l'année 1671, dit : « Je dînai avant-hier chez M. de Chaulnes ; je vis un homme au bout de la table, que je crus « être le maître d'hôtel. J'allai à lui, et lui dis: Mon « pauvre monsieur, faites-nous dîner; il est une heure,

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je meurs de faim. » Dans une autre lettre, écrite cinq ans plus tard, elle dit, en parlant de madame de Goligny : «Elle aimerait bien à vivre réglément, et à « dîner à midi comme les autres. »

Il était d'usage, chez les Princes et les grands Seigneurs, d'annoncer le moment du repas au son du cor: c'est ce qu'on appelait corner l'eau, parce qu'avant de s'asseoir on se lavait les mains. La serviette et le bassin

étaient offerts aux dames par des Ecuyers ou des jeunes Pages: l'eau était aromatisée ou distillée de roses. Tout Gentilhomme n'avait pas le droit de faire corner son diner ou son eau : c'était un honneur qui n'appartenait qu'aux personnes de la plus haute distinction. Froissart, parlant d'un Ambassadeur de Charles V, dit « qu'il estoit estoffé de vaisselle d'or et d'argent <«< aussi largement que si ce fust un petit Duc; aussi « laissoit-il corner l'assiette de son dîner. » Lorsque le même historien décrit les mœurs d'Artevelle, ce fameux chef des Gantois révoltés, il remarque qu'Artevelle tenait l'éclat d'un Prince, et que « tous les jours, « par ses Ménestriers, faisait sonner et corner devant « son hostel à ses disnées et soupées. »

Au temps de la Chevalerie, la galanterie avait imaginé de placer à table les convives par couple, homme et femme. L'habileté du maître et de la maîtresse du logis consistait à savoir arranger leur monde de manière que chaque couple fût content, et c'était là un mérite dont tout hôte galant devait se piquer. Les deux personnes qui étaient placées ensemble n'avaient à elles deux, pour chaque mets, qu'une assiette commune; ce qui s'appelait manger à la même écuelle. L'ancien Roman de Perceforét, faisant l'éloge et la description d'un grand festin auquel furent traités à la fois huit cents Chevaliers, ajoute: « Et si n'y eust celuy (personne) qui « n'eust une dame ou une demoiselle à son escuelle. >>

Lorsqu'on voulait faire un affront à quelque Chevalier, on envoyait un Héraut ou Roi d'armes couper la nappe devant lui, et mettre son pain à l'envers. Ceci s'appelait trancher la nappe, et se pratiquait surtout

vis-à-vis de ceux qui avaient commis quelques bassesses ou quelques lâchetés. Alain-Chartier dit que ce fut Bertrand du Guesclin qui donna origine à cette pratique, pour maintenir l'honneur de la Chevalerie. « Cestuy << Bertrand laissa, de son temps, une telle remontrance, << en mémoire de discipline et de Chevalerie, que qui«< conque homme noble se forfaisoit réprouchablement << en son estat, on luy venoit au manger trancher la << nappe devant soy. » Et en effet, on trouve dans notre histoire, peu de temps après la mort du Connétable, un exemple de cet usage remarquable par sa hardiesse.

Charles VI avait à sa table, le jour de l'Epiphanie, plusieurs convives illustres, entre lesquels étaient Guillaume de Hainault, Comte d'Osirevant. Tout à coup un Héraut vint trancher la nappe devant le Comte, en lui disant qu'un Prince qui ne portait pas d'armes n'était pas digne de manger à la table du Roi. Guillaume, surpris, répondit qu'il portait le heaume, la lance, l'écu, ainsi que les autres Chevaliers. « Non, « Sire, cela ne se peut, dit le plus vieux des Hérauts, vous savez que votre grand-oncle a été tué par les Frisons, et jusqu'à ce jour sa mort est restée impunie; certes, si vous possédiez des armes, il y a long-temps qu'elle serait vengée. » Cette terrible leçon opéra son effet. Depuis ce moment, le Comte ne songea plus qu'à réparer sa honte, et bientôt il en vint

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à bout.

Sous la première race de nos Rois, l'usage, chez les grands, était d'éclairer les convives avec des torches, que des domestiques tenaient à la main. C'est ce qu'in

dique un passage de Grégoire de Tours, sur un Seigneur français nommé Rouchin, homme d'une cruauté atroce, qui, pendant les repas, lorsque son valet, selon la coutume (ut assolet), tenait devant lui le flambeau, prenait plaisir, dit l'historien, à lui faire dégoutter sur les jambes nues de la cire brûlante.

Aux fêtes célèbres que Louis XIV donna, en 1664, à Versailles, le lieu de l'assemblée était éclairé par un nombre infini de lustres et de girandoles, et, en outre, par deux cents valets de pied qui tenaient des torches

en main.

Je n'ai pas l'intention de citer toutes les fêtes qu'en diverses occasions donnèrent nos Monarques, ni non plus de tracer l'histoire du luxe et de la somptuosité qui de tous temps ont caractérisé notre nation; j'ai seulement voulu rapporter chronologiquement les lois et arrêts somptuaires rendus par nos Rois.

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