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n'est pas dans l'islamisme qu'il faut chercher les racines du Soufisme, mais que c'est dans l'Inde qu'on peut en découvrir la source. On ne comprendrait guère, en effet, qu'une doctrine aussi philosophique que le soufisme, qui n'est autre chose qu'une espèce de panthéisme, fût dérivé de l'islamisme, qui est, comme la plupart des croyances des peuples sémitiques, un véritable déisme.

M. GUIGNIAUT rappelle le travail de M. de Sacy sur le soufisme.

M. GARCIN DE TASSY croit se rappeler que M. de Sacy, dans ce travail, inclinait à rapporter à l'islamisme exclusivement la doctrine soufique.

M. E. RENAN ne pense pas que M. de Sacy ait exprimé nettement son opinion sur cette matière. Il se souvient même que le célèbre orientaliste, loin d'être explicite sur ce point, a laissé la question d'origine tout à fait incertaine; on pourra s'en convaincre, si l'on se reporte aux articles publiés par lui dans le Journal des Savants 1.

L'Académie vote au scrutin secret sur le choix à faire entre ces trois questions, et se prononce à l'unanimité pour la première. L'étude sur le Coran est donc mise au concours pour le prix annuel à décerner en 1859.

M. HASE, rapporteur de la Commission du concours des antiquités nationales de la France, lit la conclusion du rapport dont la communication in extenso est renvoyée à une prochaine séance. La Commission décerne les prix dans l'ordre suivant: les médailles de première et de deuxième classe sont assimilées et accordées ex æquo à M. Deloche, pour son Etude sur la géographie historique de la Gaule au moyen âge, et, en particulier, sur les divisions territoriales du Limousin ; et à M. Rossignol, archiviste de la Côte-d'Or, pour son travail intitulé: Etude sur une campagne de Jules César.

1 Les souvenirs de M. Renan ne l'ont pas trompé. Voir le Journal des Savants, de janvier 1822, deuxième article, surtout à la page 14.

La troisième médaille est partagée entre M. Fabre, auteu des Etudes historiques sur les clercs de la bazoche, et M. Labarte auteur des Recherches sur la peinture en émail dans l'antiquit et au moyen âge.

La Compagnie se forme en comité secret pour entendre le rapport de la Commission des travaux littéraires.

A la reprise de la séance publique, M. REINAUD lit, au nom d'une Commission, un rapport sur la langue des Berbers : Rapport sur un essai de grammaire de la langue kabyle et sur un Mémoire relatif à quelques inscriptions en caractères touarig, par M. le capitaine Hanoteau, attaché au bureau politique des affaires arabes à Alger1.

Par le mot Kabyles, on désigne, en Algérie, les populations indigènes qui, de bonne heure, subirent l'influence des Arabes, et qui, tout en embrassant la religion musulmane, retinrent leurs usages nationaux et, en particulier, leur langue primitive, vulgairement désignée sous le nom de berbère. Le mot Kabyle, d'ailleurs, ne s'applique pas seulement aux populations indigènes de l'Algérie, mais encore à celles de quelques contrées voisines. M. Hanoteau, étant parvenu à se procurer des renseignements exacts sur le dialecte parlé chez les tribus qui occupent une partie du versant septentrional du Djurdjura, a soumis ces renseignements à un examen particulier et a composé la grammaire dont il s'agit.

Le pays où cette langue est parlée est habité par un peuple belliqueux qui, depuis un temps immémorial, y a défendu son indépendance. C'est ce peuple que nos braves soldats combattent journellement. Grâce à leur valeur et aux avantages obtenus, ce pays va devenir le boulevard de la puissance française en Afrique.

Les deux ouvrages qui ont fourni jusqu'ici les matériaux les plus abondants pour l'étude du berber sont le Dictionnaire de Venture et le Dictionnaire publié en 1844 par les soins du ministère de la guerre. Le premier a été composé à l'aide de

La Commission était composée de MM. Quatremère, Jomard, de Saulcy, Mohl, Caussin de Perceval et Reinaud.

renseignements fournis, d'une part, par deux indigènes des provinces sud-ouest du Maroc, de l'autre, par deux jeunes gens du pays situé à l'est d'Alger et au nord-ouest du Djurdjura. De ces documents, puisés à deux sources différentes, Venture a composé un ensemble dont il ne serait pas facile de distinguer les éléments. Le Dictionnaire du ministère de la guerre est le résultat des recherches et des efforts combinés d'un iman ou prêtre indigène de Bougie, nommé Sidi-Ahmed, et de M. Brosselard, attaché à l'administration indigène civile de l'Algérie. 11 renferme les mots en usage parmi les tribus montagnardes des environs de Bougie et les Beni-Abbas, établis au midi du Djurdjura, non loin des Portes-de-Fer, enfin, parmi les autres populations de l'Atlas, jusqu'à Medeah. C'est le langage que parlent de préférence les corporations d'ouvriers kabyles à Alger.

M. Hanoteau s'est borné à étudier le langage des Zouaoua qui constituent une des principales confédérations du versant septentrional du Djurdjura. Le nom des Zouaoua est fort anCien. Cette population, qui s'est répandue à différentes époques à l'est et au sud du Djurdjura, forme aujourd'hui deux grou→ pes distincts: les Beni-Menguillat et les Beni-Batroum 1. Les premiers se subdivisent en quatre familles : les Beni-Menguillat proprement dits, les Beni-Attaf, les Beni-Akbil et les BeniYoussouf. Les seconds se subdivisent en Beni-Yenni, BeniBou-Akkasch, Beni-Quassif et Beni-Boudrar.

Le nom des Zouaoua est le même qui, dans ces derniers temps, a acquis tant de célébrité sous la forme de zouaves. Sous la domination des deys, les Zouaoua faisaient partie de la milice algérienne et se distinguaient des autres corps par un costume particulier. Ils étaient chargés d'aller réclamer le tribut chez les populations du Djurdjura. Les soldats étrangers n'auraient pas été admis par les indigènes. Les Arabes écrivent ce nom Zoaouah. Les indigènes s'appellent entre eux Agaoud bu Ougaoud.

1 Voyez l'Histoire des Berbers, par İbn-Khaldoun, traduite de l'arabe en français par M. de Slane.

On sait qu'il a existé chez les populations indigènes de l'Afrique septentrionale une écriture qui paraît remonter à une très-haute antiquité et à laquelle les savants ont donné le nom spécial d'écriture lybique. Il a été constaté dans ces derniers temps que cette écriture, ou, du moins, une écriture analogue, est encore usitée aujourd'hui chez les Touarigs et les autres peuples de l'intérieur qui ont été à l'abri de l'influence arabe. Dans le Maroc, certaines tribus du versant occidental de l'Atlas, qui ont conservé leur langue primitive, l'écrivent avec des caractères arabes. En Algérie, chez les Kabyles, on n'a rien signalé d'écrit en cette langue. Pour composer son dictionnaire, Venture n'a donc eu d'autres ressources que la langue parlée. M. Brosselard est allé recueillir, de la bouche même des Kabyles, de tribu en tribu, les éléments dont il a composé son ouvrage. Or, chaque tribu a son idiome. M. Hanoteau n'avait pas même la ressource de parcourir les tribus de la Kabylie. Comment donc est-il parvenu à composer le code même d'une langue qui n'est écrite dans aucun livre et dont les règles sont ignorées de ceux mêmes qui la parlent? Il a reçu un important secours d'un Zouaoua appelé Si-Saïd, employé comme interprète au bureau politique des affaires arabes. Il était de la tribu des Beni-Boudrar, parlait également bien le kabyle et l'arabe, et savait des contes et des chants nationaux dans sa langue maternelle. M. Hanoteau, muni de ces ressources, a posé les principes et les règles de cette langue. Il a fixé les formes des mots qui varient de pays à pays, en écartant les altérations évidentes. Son manuscrit a été adressé au maréchal Randon, qui l'a envoyé au ministre de la guerre. Le maréchal Vaillant l'a soumis à l'Académie, en invitant la Compagnie à en dire son avis.

Ce traité est divisé en cinq livres : le premier est consacré au nom, au pronom et à l'adjectif; le second, au verbe et aux noms dérivés des verbes ; le troisième, aux diverses particules; le quatrième, à la numération; et le cinquième renferme les différents textes qui lui ont été transmis par Si-Saïd.

Déjà, d'après des travaux partiels faits sur les dialectes ber

bers, on avait pu se faire une idée générale de cette langue. On avait signalé quelques ressemblances entre le verbe et le pronom berbers et ces mêmes parties du discours dans les langues sémitiques, notamment dans l'hébreu et l'arabe. La lettre initiale caractéristique de chacune des trois personnes du verbe berber est presque identiquement la même que celle du verbe sémitique. Mais le berber n'a qu'une seule forme pour tous les temps et tous les modes, ce qui n'a pas lieu dans les langues sémitiques. Les seules modifications dont le verbe berber soit susceptible ont lieu à l'aide d'une particule préfixe. Exemple :

Isker,

ou ai-isker, il a fait;

ad-isker, il fait;

ra-isker, il fera.

Le verbe berber est en outre susceptible de se modifier par l'adjonction de certaines lettres qui lui donnent le sens transitif, passif, réciproque, ou qui indiquent la fréquence, la perpétuité de l'action, etc., ce qui n'existe pas dans les langues sémitiques.

Ceci s'applique aussi au pronom. Le pronom de la troisième personne reçoit au datif les lettres s ou ias, et à l'accusatif les lettres t ou th:

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Ne pourrait-on pas penser que les rapports qui existent entre les verbes et les pronoms des Berbers, d'une part, et des Sémites, de l'autre, proviennent d'un emprunt fait par les indigènes à un peuple plus avancé, et que cet emprunt peut se rapporter à l'époque où ils adoptèrent l'écriture ? Ce n'est pas à la conquête arabe qu'il faudrait les faire remonter; mais au temps de l'occupation carthaginoise, peut-être même au règne de Massinissa, qui chercha à civiliser la Numidie.

En 1856, des députés touarigs vinrent à Alger. Ces peuples

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