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Or, une société dans laquelle Dieu est pouvoir conservateur par son amour et sa puissance, et dans laquelle il est lui-même produit et conservé par l'amour et la force de l'homme agissant dans le culte extérieur, ne peut périr. En effet, si une société qui produit et qui conserve la connaissance de Dieu par l'amour et le culte, et que Dieu conserve aussi par son amour, pouvait périr, Dieu cesserait d'être produit et conservé, non en luimême, mais au dehors et dans des intelligences semblables à lui et faites à son image; il cesserait en même temps d'être pouvoir conservateur : Dieu perdrait donc la faculté d'être produit et conservé, et le pouvoir de conserver. Or, Dieu ne peut perdre ni faculté ni pouvoir: donc la société des hommes avec Dieu est impérissable; donc l'homme est immortel, soit dans son âme, soit dans son corps, instrument du culte extérieur par lequel l'amour se produit. Aussi la résurrection des corps est un dogme fondamental de la religion chrétienne: surget corpus spiritale. (1 Cor. xv, 44.)

L'immortalité de l'âme est donc un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres qui composent la société religieuse; elle est donc une conséquence nécessaire, immédiate, de la loi fondamentale de l'existence de Dieu et de la spiritualité de l'âme; elle est donc loi fondamentale elle-même.

Mais si l'âme vit d'une autre vie et dans un autre ordre de choses que celui que nous voyons, cette vie est nécessairemont heureuse ou malheureuse. Sous un être infiniment juste, bonheur est récompense, malheur est châtiment. La récompense suppose le mérite, et le châtiment suppose la faute. Ce sont des rapports nécessaires, des lois. Le mérite ou la faute supposent un état antérieur à la récompense ou au châtiment; et cet état antérieur ne peut être que la société présente. Donc le dogme des peines et des récompenses futures est un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres qui composent la société religieuse; une loi religieuse, conséquence nécessaire, immédiate, de la loi fondamentale de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme, et de celle de l'existence de l'Etre suprême. Donc elle est loi fondamentale elle-même, et l'on en retrouve la croyance dans toutes les sociétés. Je reviendrai ailleurs sur ces lois religieuses, et je développerai les autres à mesure

qu'elles se présenteront; il suffit pour le moment d'avoir fait reinarquer à mes lecteurs que les principes que j'ai posés dans la première partie de cet ouvrage, en traitant des sociétés politiques, sont rigoureusement applicables à la société religieuse. Car a la société religieuse et la société politique sont semblables, et elles ont une constitution semblable (1). »

Existence et unité de Dieu, spiritualité et immortalité de l'âme, peines et récompenses de l'autre vie : ces dogmes sont vrais, parce qu'ils sont utiles à la conservation de la société civile; car s'il pouvait y avoir quelque dogme utile à la conservation de la société qui ne fût pas vrai, la société manquerait de quelque moyen de conservation; donc elle ne pourrait se conserver. Or, la société est un être nécessaire, en supposant l'existence de l'homme, puisqu'elle dérive nécessairement de la nature de l'homme : donc la société se conserve nécessairement; donc il ne lui manque aucun moyen de conservation; donc les dogmes de l'existence et de l'unité de Dieu, de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme, des peines et des récompenses de l'autre vie, sont nécessairement vrais.

Tout ce qui est utile à la conservation de la société est nécessaire; tout ce qui est nécessaire est une vérité : donc toutes les vérités sont utiles aux hommes ou à la société, donc tout ce qui est dangereux pour l'homme et pour la société est une

erreur.

CHAPITRE VI.

Suite des preuves de l'existence de Dieu. Analogie des vérités
géométriques et sociales.

Dieu et l'homme, lcs esprits et les corps, éléments de toute société.

Les corps unis aux esprits, éléments de la société politique. (1) Voyez première partie, liv. 1, chap. 1.

Les esprits unis aux corps, éléments de la société religieuse. La société en général est une réunion d'êtres semblables, réunion dont la fin est leur production et leur conservation mutuelle.

Cette définition, qui convient à toute société, ne s'applique, avec une rigoureuse exactitude, qu'à la société intellectuelle, ou à la société des intelligences, parce que la société des corps n'est que leur rapprochement, au lieu que la société des esprits est leur réunion. En effet, les corps, occupant chacun un espace, ne peuvent que se rapprocher, mais ils ne peuvent pas se confondre en un seul corps; au lieu que des pensées et des sentiments, qui n'ont aucune étendue et n'occupent aucun espace, peuvent se réunir et se confondre en une seule pensée et un seul sentiment. De tous les sentiments, de toutes les pensées sur le même objet, peut résulter une seule pensée, un seul sentiment; mais de tous les corps, il ne peut résulter un seul corps. Donc il n'y a proprement de société que pour les esprits, parce qu'il ne peut y avoir proprement de réunion que pour les esprits; donc les législateurs modernes, qui séparent avec tant de soin la société religieuse de la société politique, détruisent toute réunion entre les hommes, pour ne laisser subsister entre eux que le rapprochement ; c'est-à-dire qu'ils divisent les esprits, et rapprochent les corps: en sorte qu'ils ôtent aux hommes le moyen de se conserver, et leur laissent la facilité de se détruire.

La société civile, formée par la société religieuse et par la société politique, est donc proprement la réunion des esprits et le rapprochement des corps, pour la production et la conservation mutuelle de Dieu et de l'homme.

On a vu, dans la première partie de cet ouvrage, que l'amour de soi est, dans Dieu et dans l'homme, le principe de création et de production de l'homme, et qu'agissant par la puissance ou par la force, il est pouvoir créateur ou producteur de l'homme;

Que l'amour des hommes est, dans Dieu et dans l'homme, le principe de conservation des hommes, et qu'agissant par la puissance ou par la force, il est pouvoir conservateur des hommes.

Nous en avons conclu, dans la société des hommes extérieurs ou physiques, la nécessité d'un homme, objet général

et commun de l'amour que les hommes en société extérieure doivent avoir les uns pour les autres. Cet homme, appelé roi ou monarque, amour général de la société, parce qu'il représente tous les hommes à l'égard de chaque homme, est le principe de conservation des hommes physiques : agissant par la force générale de la société, il en est le pouvoir con

servateur.

Et j'en conclus, dans la société des êtres intelligents, la nécessité d'une intelligence, objet général et commun de l'amour que les êtres intelligents doivent avoir les uns pour les autres. Cette intelligence, amour général de la société, est donc le principe de conservation des êtres intelligents : agissant par la force dans le culte extérieur, il en est le pouvoir conservateur. Car les sociétés religieuses ou physiques sont semblables, et elles ont une constitution semblable.

Je ne puis me refuser à fixer l'attention du lecteur sur l'analogie qu'il y a entre les deux propositions que je viens d'énoncer et les vérités géométriques; et cela doit être, puisque Dieu, vérité par essence, est la source et le type de toutes les vérités. Il me semble que cette connexité singulière entre des vérités d'un ordre différent ajoute une nouvelle force aux preuves de l'existence de Dieu. Je suppose que mes lecteurs ont quelque teinture de la géométrie élémentaire.

A considérer la société politique comme un problème dont on cherche la solution, quelles en seraient les conditions?

Trouver une forme de société politique ou de gouvernement telle, qu'un nombre quelconque d'hommes physiques soient unis entre eux, et maintenus dans cette union par un rapport ou intérêt commun.

Quelles seraient les conditions du problème de la société intellectuelle ?

Trouver une forme de société intellectuelle telle, qu'un nombre quelconque d'êtres intelligents soient unis entre eux, et maintenus dans cette union par un rapport ou intérêt commun.

Quelles sont les conditions du problème de la circonférence? Trouver une figure telle, qu'un nombre quelconque, un nombre infini de points soient adhérents entre eux, et maintenus dans cette adhésion par un rapport commun.

Je pense qu'il n'y a rien de forcé, rien que de parfaitement exact dans l'énoncé de ces trois problèmes absolument semblables.

Or, pour résoudre le problème de la circonférence, dans un nombre quelconque infini de points, j'en trouve un que j'appelle centre, au moyen duquel je trace une figure qui satisfait rigoureusement à toutes les conditions du problème: car la cir conférence est une figure d'une infinité de points tous adhéren's entre eux, et maintenus dans cette adhésion par un rappor、 commun, lequel rapport est leur distance égale du centre. Je dis que ce rapport commun ou cette distance égale du centre les maintient dans leur adhésion réciproque; puisqu'ils ne peuvent s'éloigner ni se rapprocher du centre sans perdre leur adhésion mutuelle, et qu'ils ne peuvent la recouvrer, s'ils l'ont perdue, qu'en se rétablissant dans leur rapport, ou dans leur distance égale à l'égard du centre.

Or, à considérer cette proposition d'une manière abstraite, l'homme n'a pas créé ce point appelé centre : ce point existait nécessairement dans un nombre infini de points, et le géomètre n'a fait que le produire au dehors.

Dans la société politique, la monarchie constituée ou royale satisfait à toutes les conditions du problème; puisque la monarchie royale est une forme de gouvernement telle qu'un nombre quelconque d'hommes physiques ou de familles sont unis entre eux, et maintenus dans cette union par un rapport commun d'amour et de subordination avec un homme ou une famille qui exerce le pouvoir général de la société, ou monarque. Car les hommes sociaux ou membres de la société ne peuvent se sépa rer de cet homme ou de cette famille, ou, ce qui est la même chose, l'écarter du milieu d'eux, sans perdre leur union mutuelle entre eux, ni recouvrer cette union, après l'avoir perdue, sans rétablir au milieu d'eux cet homme, ou cette famille revêtue du pouvoir, ou sans se rétablir eux-mêmes dans leur rapport commun d'amour ou de subordination envers ce pou

voir.

Les dissensions commencèrent à Rome avec l'expulsion des rois; elles allèrent toujours croissant, et ne cessèrent qu'au rétablissement du pouvoir unique sous Auguste. Les désordres

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