Images de page
PDF
ePub
[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Dis-lui qu'elle soit moins sévère,
Et qu'elle se hâte d'aimer.

Et puisque les destins terribles
La forceront, avec le temps,
D'aimer quelques morts insensibles,
Qu'elle aime quelque bon vivant. »

Après ces mots, cette pauvre Ombre
Se tut, rêvant à son destin,
Et retombant dans son chagrin
Reprit son humeur triste et sombre.

Les Dieux veulent vous exempter,
Iris, de ce malheur extrême,
Et je viens de ressusciter
Pour vous en avertir moi-même

Quittez l'erreur que vous suivez
Craignez que le Ciel ne s'irrite;
Aimez pendant que vous vivez,
Et songez que je ressuscite!

Cependant Fléchier sentit bientôt qu'il convenait de mettre fin à ces tendres jeux, bien qu'ils fussent purement platoniques; car, ainsi qu'il en convient lui-même dans un dialogue en vers entre Climène et Tircis,

A force de le dire en vers,

On apprend à le dire en prose.

On peut voir encore, dans un recueil de Lettres inédites donné par Serieys, en 1802, trois lettres ingénieuses et galantes de Fléchier à mademoiselle de La Vigne, un bel esprit et une savante du temps; et d'autres lettres du même genre et à la même, avec les réponses, au tome premier de la Revue rétrospective (1833), et provenant du tome XIIIe des manuscrits de Conrart. Tout cela se tient et se ressemble. Son Iris paraît décidément avoir été mademoiselle de La Vigne, à moins encore que ce n'ait été mademoiselle Des Houlières. Un reste de doute est bien pcrmis en si grave sujet.

P. S. On me fait remarquer que la pièce attribuée dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale à Fléchier, se trouve imprimée dans le Recueil de poésies d'Étienne Pavillon. Mais cela ne prouve rien : on sait que quantité de pièces insérées dans le Recueil de Pavillon ne sont pas de lui. Le manuscrit de De Boze fait autorité.

XV.

Fléchier savait lui-même qu'on lui volait ses vers, et il ne réclamait pas. Dans une lettre écrite de Nîmes à mademoiselle Des Houlières, le 10 septembre 1702, il disait : « Votre attention, Mademoiselle, sur « ce qui me regarde est très-obligeante. Le vol qu'on veut me faire « de quelques vers que j'ai faits autrefois me touche fort peu. Ce sont « des fruits de ma jeunesse qui n'ont plus de goût ni pour moi, ni << pour les autres. Il y a plusieurs circonstances et applications per «sonnelles qui faisaient tout l'agrément de ces petits ouvrages poé <<< tiques; ces sortes d'idées sont effacées, et j'abandonne sans peint « ces vers que j'ai oubliés à qui les voudra. Je suis très-sensible à « la bonté que vous avez eue de me donner cet avis; ayez encore << celle de me croire avec toute l'estime et la considération possible, Mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

« ESPRIT, évêque de Nîmes. >>

Se peut-il rien qui sente mieux son honnête homme? Il n'y avait pas de trace de Ménage ni de Cotin, au moral du moins et pour le caractère, chez Fléchier. Il put être précieux par un coin de son esprit, il n'eut jamais rien de pédant dans sa personne.

LES

MÉMOIRES DE SAINT-SIMON

(1)

On vient tard à parler maintenant de Saint-Simon et de ses Mémoires; il semble qu'on ait tout dit, et bien dit, à ce sujet. Il est impossible, en effet, qu'il y ait eu depuis plus de vingt-cinq ans une sorte de concours ouvert pour apprécier ces admirables tableaux d'histoire et leur auteur, sans que toutes les idées justes, toutes les louanges méritées et les réserves nécessaires se soient produites: il ne peut être question ici que de rappeler et de fixer avec netteté quelques-uns des points principaux acquis désormais et incontestables.

Saint-Simon est le plus grand peintre de son siècle, de ce siècle de Louis XIV dans son entier épanouissement. Jusqu'à lui on ne se doutait pas de tout ce que pouvaient fournir d'intérêt, de vie, de drame mouvant et sans cesse renouvelé, les événements, les scènes de la Cour, les mariages, les morts, les revirements soudains ou même le train habituel de chaque jour, les deceptions ou les espérances se reflétant sur des physionomies innombrables dont pas une ne se ressemble, les flux et reflux d'ambitions contraires animant plus ou moins visiblement tous ces personnages, et les groupes ou pelotons qu'ils formaient entre eux dans la grande

(1) Ce morceau a servi d'Introduction à l'édition des Mémoires de Saint-Simon publiés chez M. Hachette (1856).

galerie de Versailles, pêle-mêle apparent, mais qui désormais, grâce à lui, n'est plus confus, et qui nous livre ses combinaisons et ses contrastes : jusqu'à SaintSimon on n'avait que des aperçus et des esquisses légères de tout cela; le premier il a donné, avec l'infinité des détails, une impression vaste des ensembles. Si quelqu'un a rendu possible de repeupler en idée Versailles et de le repeupler sans ennui, c'est lui. On ne peut que lui appliquer ce que Buffon a dit de la terre au printemps : « Tout fourmille de vie. » Mais en même temps il produit un singulier effet par rapport aux temps et aux règnes qu'il n'a pas embrassés; au sortir de sa lecture, lorsqu'on ouvre un livre d'histoire ou même de Mémoires, on court risque de trouver tout maigre et pâle, et pauvre : toute époque qui n'a pas eu son Saint-Simon paraît d'abord comme déserte et muette, et décolorée; elle a je ne sais quoi d'inhabité; on sent et l'on regrette tout ce qui y manque et tout ce qui ne s'en est point transmis. Très-peu de parties de notre histoire (si on l'essaye) résistent à cette épreuve, et échappent à ce contre-coup; car les peintres de cette sorte sont rares, et il n'y a même eu jusqu'ici, à ce degré de verve et d'ampleur, qu'un Saint-Simon.

Ce n'est pas à dire qu'on n'ait pas eu avant lui de très-belles formes de Mémoires et très-variées : il serait le premier à protester contre une injustice qui diminuerait ses devanciers, lui qui s'est inspiré d'eux, il le déclare, et de leur exemple, pour y puiser le goût de l'histoire, de l'histoire animée et vivante. C'étaient des peintres aussi, au milieu de leurs narrations un peu gênées, mais d'une gaucherie charmante et naïve, que les Ville-Hardouin et les Joinville. Les Froissart, les Commynes étaient arrivés déjà à la science et à l'art avec des grâces restées simples. Quelle génération d'écrivains de plume et d'épée n'avaient point produite

« PrécédentContinuer »