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Je lui mande au long une démarche que M. de Chanterac a faite ici depuis deux jours, de la part de M. de Cambrai, qui est très extraordinaire. En donnant des éditions nouvelles de sa réponse en françois à la Déclaration et au Summa, et la traduction en latin de la Déclaration dans un autre volume, il a demandé, de la part de M. de Cambrai, qu'on lui restituât ce qu'il avoit distribué ci-devant au saint-office, et qu'on n'eût égard dans l'examen et dans le jugement qu'à ce qu'il donnoit à présent. L'assesseur alla chez le Pape lui rendre compte de cette proposition. Sa Sainteté la rejeta, ordonna qu'on retint tout, et qu'on ne rendît rien; ce qui a été exécuté. On ne comprend rien à cette démarche, si ce n'est qu'il y eût quelque changement considérable dans ces ouvrages, ce qu'on n'a pu encore remarquer; ou qu'il prétendit qu'on lui restituât tout ce qu'il a distribué ici, hors ces deux réponses, comme la Lettre pastorale, les trois Lettres contre M. de Paris, et son écrit latin contre vous sur la différence de vos sentiments en deux points. Mais cela n'étoit pas praticable. J'ignore le motif de cette démarche ; ce que je sais, c'est qu'elle a produit un très mauvais effet contre lui dans l'esprit du Pape et de tout le monde. M. l'assesseur me l'a dit ainsi, le Pape en a parlé dans ce sens à monseigneur Giori, qui me l'a dit de même : j'en saurai davantage dans peu.

Dans les deux dernières conférences, qui se tinrent jeudi et dimanche, tous les examinateurs parlèrent sur le onzième et le douzième articles, et parlèrent tous suivant leurs premiers principes. L'archevêque de Chieti ne s'y trouva point, il est encore incommodé. On doit examiner demain les six articles suivants, jusqu'au dix-neuvième. Le Pape continue à presser, et on ne perd point de temps: le scandale et la division continuent. Il seroit bon de faire écrire le nonce, pour représenter le mal qu'a fait l'adjonction des nouveaux examinateurs, le scandale que cause le partage, et faire sentir que la cabale est marquée. Il faut décrier ce parti, afin que les marquée. Il faut décrier ce parti, afin que les cardinaux et le Pape ne soient pas arrêtés par leur autorité: c'est tout ce que je crains.

Je vis hier le père Dez, nous disputâmes; il est du dernier entêtement : je lui parlai fortement. Il n'avoit pas un mot à répondre sur tout, mais il ne se rendit pas. Les jésuites sont plus déclarés que jamais: leur unique but est de décréditer les évêques, le roi, et madame de

Maintenon.

J'attends la preuve de la liaison de M. de Cambrai avec madame Guyon et le père de La Combe, cela est essentiel pour les cardinaux :

s'il vient quelque courrier extraordinaire, il faut s'en servir.

Il seroit aussi nécessaire d'avoir quelque témoignage de M. de Chartres. Le malheur est la foiblesse du Pape, sur qui on ne peut compter. M. le cardinal de Bouillon continuant d'agir de la même manière, le Pape est prévenu sur tout contre lui; c'est pitié.

M. Phelippeaux vous rend compte de l'affaire de M. d'Amiens. Il est honteux à M. le cardinal de Bouillon de laisser traduire au saint-office une chose pareille; mais il est entré dans la haine et la politique des jésuites. Je crois être sûr de M. le cardinal Noris: pour M. le cardinal Ferrari, j'en espère bien; mais il est bon ami du père Damascène.

Vos trois écrits latins ne sauroient trop tôt venir : il faudra les distribuer par toute l'Europe. Nous ne nous oublions pas.

Je vous supplie de vouloir bien faire mes compliments à toute la. maison de M. de Noailles : je viens de les faire à M. l'archevêque de Paris, et à M. le cardinal d'Estrées, que je vous prie de remercier. Cette Éminence m'a écrit la lettre du monde la plus obligeante pour vous et pour moi. M. le cardinal de Bouillon se désespère, et est le même très assurément. Il est bon qu'il revienne à monseigneur Giori par MM. les cardinaux de Janson et d'Estrées, que je mande qu'il continue à se bien conduire dans l'affaire; et cela est vrai.

Rome, 8 avril 1698.

LETTRE CCXLVII.

DE ROSSUET A SON NEVEU.

Sur le zèle que les protestants témoignoient pour M. de Cambrai; les avantages qu'ils tireroient du silence de Rome; et les lettres que M. de Cambrai commençoit à lui adresser.

Votre lettre, du 25 mars, m'a été rendue samedi, en arrivant de Meaux en cette ville. J'y ai appris les extrêmes obligations qu'a la bonne cause à monseigneur Giori. Il combat pour l'Eglise catholique contre les protestants, qui font tout ce qu'ils peuvent contre nous. Toutes de Hollande font l'apologie de M. de Cambrai les gazettes, tous les lardons et tous les journaux contre moi: on a réimprimé son livre en Hollande, chez le même libraire qui imprimoit autrefois pour la fanatique Bourignon*, qui ne

*Antoinette Bourignon, née à Lille en Flandre, en 1616, fut fameuse dans le dernier siècle par ses prétendues révéla tions, et par les dogmes de sa fausse spiritualité.

vantoit que le pur amour. Les quakers* faisoient venir le livre de M. de Cambrai avec tant d'empressement, qu'on a été obligé d'en arrêter le cours. Je ne suis pas encore bien assuré de ce dernier fait; mais les autres sont certains. A moins qu'une sentence de Rome ne décide bientôt un si grand différend, très aisé à résoudre par la tradition, les protestants et les fanatiques diront les premiers, que Rome commence à douter de ses lumières; et les seconds, qu'elle n'a osé condamner les erreurs des nouveaux quiétistes, à cause de ses mystiques, qui pensent

:

comme eux.

Vous devez recevoir, à peu près dans le temps qu'arrivera cette lettre, le Mystici in tuto. J'ai voulu commencer par-là, comme par l'endroit sensible des spirituels : le reste suivra avec toute la diligence possible.

M. de Cambrai, après avoir écrit quatre lettres à M. de Paris, commence à m'écrire; et j'ai reçu une première lettre imprimée. On dit que j'en aurai ma douzaine. Jusqu'ici il n'y a que du verbiage. Quand j'aurai eu le loisir de lire, je vous en dirai davantage.

Depuis le bruit du chapeau pour M. l'abbé d'Auvergne, on parle de M. l'archevêque de Paris. J'aurai toute l'attention possible sur ce qui pourroit vous faire plaisir. Je serai demain à Versailles.

Vous ne sauriez marquer assez de reconnoissance aux amis de M. le nonce et à lui-même, puisqu'il a agi en cette cour avec toute l'affection possible pour votre justification; faisant voir aux ministres les lettres qu'il avoit de Rome, dont il m'envoyoit des extraits, et en rendant compte au roi même.

A Paris, 14 avril 1698.

LETTRE CCXLVIII.

DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. Sur les différences d'une nouvelle édition que Fénelon venoit de donner de quelques uns de ses ouvrages; sur des questions que les partisans du livre élevoient, et les contradictions de M. de Cambrai.

Dans l'incertitude où nous sommes de savoir quelle édition vous avez de la Réponse à la Dé claration, on vous envoie celle de Lyon, qui a été donnée la première, et qu'on vouloit retirer, avec les suppressions et additions qui se trouvent dans l'édition de Bruxelles : les endroits

Les quakers on trembleurs ont pris naissance en Angleterre pendant les guerres civiles du règue de Charles 1er. Un nommé Fox, cordonnier dans la ville de Nottingham, fut l'auteur de cette secte de fanatiques.

sont notés d'une raie de crayon. On aura sans doute envoyé à Paris la dernière édition; et en cas que vous ne l'ayez pas, le mémoire qu'on y joint vous instruira des différences qui se trouvent dans l'une et dans l'autre. On a distribué une quatrième lettre contre M. de Paris sur l'addition faite à son Instruction pastorale, avec les deux premières lettres en latin. Vous voyez que M. de Cambrai ne manque pas de traducteurs, ni de gens qui prennent soin de ses impressions. On doit donner une dissertation sur le pur amour, comme vous verrez à la fin de la traduction de la réponse au Summa: je n'ai pas eu le temps de la collationner avec le latin. Cette réponse est de même caractère que la réponse à la Déclaration imprimée à Bruxelles, et y étoit jointe.

Les partisans du livre font valoir ces deux questions: 1o Si la béatitude n'est pas gratuite, et si Dieu n'auroit pas pu nous créer sans nous destiner à la béatitude éternelle; 2o si un homme, à qui Dieu révéleroit sa damnation infaillible, ne seroit pas obligé de l'aimer. Et on n'a pas honte de faire de telles suppositions, si éloignées de l'état de la question!

On finit dimanche l'examen jusqu'au dix-neuvième article: Granelli y fit valoir la Déclaration du père La Combe. On met la chose dans une si grande évidence, que les défenseurs du livre en ont honte, et n'y répondent que par des subtilités outrées qui font pitié: cependant ils persistent dans le parti qu'ils ont pris; ce qui cause du scandale dans l'esprit des honnêtes gens. Cela ne laissera pas peut-être d'embarrasser les cardinaux, qui ont coutume de s'en rapporter aux examinateurs. Beaucoup d'autres personnes étudient la matière: elles s'éclairent de jour en jour; et elles l'auroient été davantage, si vous aviez jugé à propos de donner des observations latines dans le temps qu'on vous avoit mandé. Demain on commencera à examiner les huit articles suivants jusqu'au vingt-sept; et j'espère que la discussion en sera finie dimanche prochain. Il ne restera que ce qui regarde la contemplation.

J'ai vu le provincial des carmes déchaux, qui a parlé au général. Ce général lui demanda quelle étoit la disposition des trois évêques à l'égard des réguliers. Je vous ai mandé ce qu'on avoit tâché d'inspirer sur cet article. Le père Cambolas a parlé fortement au cardinal Ferrari, et lui a fait connoître la disposition du royaume sur le livre. Il doit voir au premier jour le Pape, et il a promis d'en parler fortement. C'est ce Père dont M. l'abbé a écrit à M. de Paris.

Je vous prie de faire réflexion sur l'article | Il me semble à présent que la chose parle d'ellemême ; mais j'avoue qu'elle m'a été fort sensible, et me le sera bien encore, si on n'a pas la bonté de m'assurer que le roi et les honnêtes gens sont convaincus de la vérité. J'ai reçu des lettres de M. le cardinal de Janson, de M. le cardinal d'Estrées, de M. l'archevêque de Reims, les plus obligeantes du monde. Pour ce qui me

qui regarde M. de Chartres, page 9, qu'on a supprimé dans la nouvelle édition; et sur la suppression, page 189, de ces paroles: Je ne le répète point ici, ma lettre étant devenue publique. Il n'a donc rendu compte au Pape de ses sentiments sur madame Guyon que dans sa lettre au Pape, qui est devenue publique, où cependant il n'en dit pas un mot; car la note mar-regarde, je ne donne aucun prétexte sur quoi ginale n'étoit pas dans l'original écrit au pape, dont j'ai copie. Vous verrez aussi qu'il admet à présent deux amours surnaturels, l'un commandé par la charité, l'autre imparfait, qui n'est point relevé par le motif supérieur de la charité. Ainsi il rétracte son argument, que ce qui est imparfait vient de la nature. Je ne comprends plus rien dans le procédé de cet homme : c'étoit assez de manquer de science, sans manquer encore de bonne foi.

J'appréhende que vos écrits latins ne viennent un peu tard: ils serviront pour les cardinaux et leurs théologiens particuliers. Le provincial de Flandre des grands carmes a avoué au père Latenai que le livre étoit de la plus grande inutilité du monde, quand la doctrine n'en seroit pas mauvaise. Je suis avec un profond respect, etc.

A Rome, ce 15 avril 1698.

LETTRE CCXLIX.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Sur l'état des congrégations; les conférences qu'il avoit eues avec quelques cardinaux, et les bruits que répandoit l'abbé de Chanterac sur les dispositions du roi.

Je vous envoie les additions et altérations de la nouvelle édition de Bruxelles; et comme je m'imagine que ce peut être celle que M. de Cambrai aura envoyée en France, je vous fais passer à tout hasard la première, à laquelle on a fait les additions que vous verrez. Je vous envoie aussi le françois de la réponse au Summa, que vous trouverez différent du latin que vous avez. Ce qu'il y a d'extraordinaire dans la démarche de M. de Cambrai, c'est que le latin de la traduction de la Réponse à la Déclaration est de même que cette édition françoise que je vous envoie. Tout cela est plein de détours inintelligibles: on n'oublie pas ici de tout faire remarquer, et j'espère que cela réussira malgré les oppositions.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 24 mars. Vous savez mieux ce qu'il faut faire pour moi que moi-même : je ne demande que justice et équité.

que ce puisse être au monde. J'ose dire que je ne change rien à la conduite que j'ai toujours tenue ici, qui est approuvée des honnêtes gens, et que je tiendrai jusqu'à la fin; mais on n'est pas à l'abri d'une calomnie aussi peu fondée : c'est au fond ma véritable consolation.

Dans les deux dernières congrégations on a examiné jusqu'au dix-neuvième article. Tous les examinateurs ont parlé, hors l'archevêque de Chieti, qui doit parler la première fois. On n'a rien oublié pour son instruction; mais j'ai bien peur qu'il ne continue comme il a commencé. On doit examiner à présent depuis le dix-neuvième article jusqu'au vingt-troisième inclusivement, et ainsi de suite. Le Pape voudroit bien que les examinateurs pussent finir ce mois-ci : mais cela est impossible, et ils ne pourront finir qu'à l'Ascension; ce sera toujours quelque chose.

J'ai eu cette après-dînée une audience de trois heures avec le cardinal Panciatici, à qui j'ai tout expliqué sur le fait, tant du côté de France que de ce côté-ci. Comme il ne va jamais au saint-office, il ne savoit pas les choses extraordinaires qu'on avoit faites pour M. de Cambrai. Je lui ai fait tout connoître, aussi bien que le caractère des examinateurs, l'état où cette affaire étoit au mois de décembre, et l'état où la cabale l'avoit mise par l'adjonction des trois derniers examinateurs. Il est absolument nécessaire qu'on sache ces faits; car cela le décrédite absolument, parcequ'on voit l'esprit de la cabale, et le tort que toute cette conduite fait au SaintSiége et à la religion. Rien n'a été oublié, et jesuis très content de lui. J'ai conféré aussi ce soir avec le cardinal Noris, qui voit clair dans cette affaire. Je crois savoir aussi que le cardinal Ferrari ne se laissera pas tromper : c'est beaucoup, avec la bonne intention du Pape, qui dure toujours. M. le cardinal Casanate est le plus sûr de tous. M. le cardinal d'Aguirre est également rempli de bonnes intentions.

Le secrétaire de M. le cardinal de Bouillon m'a averti que l'abbé de Chanterac et ses partisans faisoient courir le bruit que le roi avoit écrit en particulier au Pape, pour l'assurer qu'il est indifferent sur le jugement de l'affaire de M. de Cambrai; et que, pourvu qu'on finisse,

de quelque manière que ce soit, il seroit content. Il faudroit être bien bon pour croire une pareille fausseté.

Il y a une quatrième lettre contre M. de Paris: les deux premières sont déja imprimées, traduites en latin. M. de Cambrai est bien servi pour l'impression.

Giori mande qu'il n'a pu rencontrer le cardinal Noris.

On a dit au roi que pour abréger on avoit proposé de faire cesser la congrégation, et de laisser le jugement de l'affaire aux cardinaux, et que vous l'aviez empêché; ce qui a surpris Sa Majesté. On lui a expliqué cela par votre let

Le père Cambolas est venu : il a bien fait entre précédente *: mais vous devez prendre plus d'une occasion au sujet de M. de Cambrai; je le sais à n'en pouvoir douter. Il me paroît un fort honnête homme.

Le père provincial des carmes déchaussés est aussi arrivé: il est bien intentionné, et fera tout de son mieux. Il m'a avoué qu'il savoit que le Père général avoit reçu de fortes recommandations de France en faveur de M. de Cambrai. Le Pape est un peu incommodé de rhume et de goutte; mais ce n'est rien.

Je mande à M. de Paris qu'il est important que le nonce écrive, non tant à présent pour presser, que pour insinuer à quoi on s'attend en France, et le trouble que causeroit un mezzo termine, ou une foible condamnation: cela est de la dernière conséquence.

La preuve des faits touchant l'union du père La Combe avec madame Guyon et M. de Cambrai est aussi très importante.

M. le prince des Ursins est mal : il a confirmé en faveur de madame la princesse des Ursins ce qu'il avoit fait pour elle pendant sa vie. Elle le mérite bien, et est digne d'être estimée; elle a mille bontés pour moi. J'oppose à M. le cardinal de Bouillon tout ce que je peux: j'ai mis tous les honnêtes gens de mon parti.

Rome, 17 avril 1698.

LETTRE CCL.

DE BOSSUET A SON NEVEU.

Il lui marque comment M. Giori espéroit conduire l'affaire à une heureuse fin, l'avertit d'un mécontentement que le roi avoit eu d'une de ses démarches; et lui témoigne ètre assuré que la vérité triomphera.

J'ai reçu votre lettre du 1er. Nous attendions le résultat d'une conférence de M. Giori avec le cardinal Noris, après laquelle il avoit mandé qu'il espéroit faire tout d'un coup tourner le Pape contre M. de Cambrai. La lettre portoit que les cinq examinateurs qui sont contre le livre étant bien unis, et les autres ne l'étant pas, détermineroient infailliblement à la condamnation, surtout si le cardinal Noris se joignoit avec le cardinal Ferrari. Monseigneur

garde à ne vous charger de rien que le moins que vous pourrez. Vous avez pourtant bien fait, et l'on a fait entendre au roi que vos raisons étoient très bonnes : vous devez vous concerter avec M. le cardinal Casanate.

Il vient d'arriver la chose la plus extraordinaire qui se soit passée depuis long-temps dans ladistribution des bénéfices. Le roi avoit nommé à l'évêché de Poitiers l'abbé de Coidelet** que le père de La Chaise lui avoit proposé pour remplir la charge d'aumônier, vacante par la promotion de M. l'archevêque d'Arles. On rapporte que le roi ayant répondu au père de La Chaise qu'il avoit d'autres vues pour la charge d'aumônier, Sa Majesté, qui ne songe qu'à donner de bons sujets à l'Eglise, avoit dit que si l'abbé de Coidelet avoit toutes les bonnes qualités qu'on lui attribuoit, il falloit le faire évêque de Poitiers; à quoi le Père avoit applaudi. Quoi qu'il en soit, il fut nommé évêque de Poitiers: mais avant que la feuille fût présentée au roi pour être signée, quelques rapports faits à Sa Majesté de la vie de cet abbé, comme peu régulière pour un évêque, firent qu'elle ne voulut plus ratifier cette nomination; et que, samedi dernier, elle nomma M. l'abbé Girard à l'évêché de Poitiers, et M. l'abbé de Langle à celui de Boulogne. On dit qu'en effet cet abbé, que je ne connois point du tout, et dont je n'avois jamais entendu parler, est un homme de fort peu de capacité, qui passe sa vie à tailler à la bassette, et qui est un peu entaché du vice qu'on reproche aux Bretons, qui est d'aimer le vin. Il est certain qu'il n'avoit

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* Voici le fait. Le cardinal de Bouillon, en habile politique. chercha à profiter du mémoire envoyé par le roi, et que nous avons donné ci-dessus. Il feignit donc de vouloir suivre les ordres de Sa Majesté, et travailla en conséquence à précipiter la décision de l'affaire. Pour cet effet, il sollicita le Pape de faire finir l'examen des consulteurs, et de renvoyer aux cardinaux le jugement du livre, afin que les cardinaux, pressés d'un côté de juger, et voyant de l'autre un partage entre les consulteurs, se contentassent d'une simple prohibition du livre, donec corrigatur. L'abbé Bossuet demanda qu'on laissat aux consulteurs la liberté de terminer leur examen afin que les cardinaux fussent en état de rendre, avec connoissance de cause, un jugement équitable et digne du SaintSiége. On publia à ce sujet un mémoire qui avoit été envoyé par l'évêque de Meaux, et que nous plaçons à la suite de cette lettre.

Son nom étoit Mathurin Léni de Koetlez; il avoit été archidiacre de Vannes. Voyez Gallia Christ., tom. 11, col. 1210. (Edit. de Vers.)

nul air de la profession ecclésiastique. Cela fait bien connoître l'attention du roi à nommer de bons évêques. J'ai vu ce matin, au sacre de M. de Troyes, les deux évêques nommés, qui ont fait leur remerciement à sa majesté.

On veillera au surplus de votre lettre. Nous savons, il y a long-temps, les affaires de M. de Saint-Pons *. Il est certain qu'il n'est point favorisé à la cour; du reste, on ne lui fera point d'injustice. Je m'informerai, et je vous en dirai peut-être davantage au premier ordinaire.

Je ne sais quel est cet homme, devenu confesseur d'un grand prince par les intrigues de M. de Cambrai. Si l'on connoissoit le prince, on

devineroit le directeur.

M. de Paris vous écrira sur le sujet du père Cambolas **, et qu'on ne peut mieux faire que de suivre les avis du père Latenai, pour lequel

le roi est bien prévenu. Le père Cambolas passe généralement pour homme de mérite. M. de Paris m'a paru le tenir un peu douteux : mais au reste, bien loin d'être prévenu contre lui, il est très porté à le servir sur de meilleures informations. Il sait qu'il est favorisé par les jésuites, en particulier par le père de La Chaise; ce qui ne prévient pas en sa faveur : pour moi, je m'en rapporte au père Latenai.

Portez-vous bien prenez courage, Dieu ne vous abandonnera pas. C'est sa cause que vous soutenez : c'est pour sa cause que vous avez été attaqué d'une si noire calomnie. On n'en parle plus; tout le monde est bien persuadé de votre innocence.

Les amis de M. de Cambrai chantent victoire par toute la France : c'est leur artifice ordinaire. Les jésuites continuent à le défendre ou vertement dans les provinces, et ici avec quelques ménagements, mais assez foibles. Je ne puis douter du succès. Ce seroit le plus grand scandale qui pût arriver dans l'Église, si Rome, je ne dis pas approuvoit le livre, car on sait bien que cela ne se peut; mais biaisoit et mollissoit, pour peu que ce fût, dans une affaire où il ne s'agit de rien moins que du rétablissement

*Pierre-Jean-François de Percin de Montgaillard, né en 1635, nommé évêque de Saint-Pons en 1664. Ce prélat eut de grands démêlés avec les récollets de son diocèse. comme on a déja vu. Il eut aussi des contestations avec l'évêque de Toulon, touchant le Rituel d'Alet, et avec Fénelon au sujet du Silence respectueux. Le mandement et les lettres qu'il publia dans cette occasion furent condamnés à Rome. Il mourut le 13 mars 1715, après avoir écrit peu de temps auparavant une lettre de soumission au Pape. Voyez l'Histoire de Fénelon, 3e édit., liv. v, n. 5, tom. 111, p. 349 et suiv. (Edit. de Vers.)

**Il étoit provincial des carmes déchaussés de Paris, et il étoit venu à Rome pour concourir à l'élection d'un général de son ordre. qui devoit succéder au P. Philippe.

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26 juillet 1697, supplie Sa Sainteté de prononcer, 1o Le roi, dans sa lettre écrite de Meudon, le le plus tôt qu'il lui sera possible, sur le livre, et sur la doctrine qu'il contient.

2o Les évêques de France ont marqué en particulier, dans leur Déclaration, les propositions qui ont excité un si grand scandale, et qui leur ont paru mériter une censure particulière.

3o M. de Cambrai, dans sa lettre au Pape, du 3 août 1697, et dans ses autres écrits postérieurs, demande que le Pape ait la bonté de lui marquer précisément les endroits ou propositions de son livre qu'il condamnera, afin que sa soumission soit sans restriction.

4o La solennité et la longueur de l'examen si sérieux et si public qu'on a fait du livre, demande qu'on la termine par des qualifications précises, selon l'usage et la pratique ordinaire du Saint-Siége. Il a qualifié les propositions erronées qu'on lui avoit déférées sous les pontificats d'Innocent X, Alexandre VII, Innocent XI et Alexandre VIII.

5o Si l'on se contente d'une simple prohibition du livre, sa doctrine, quelque erronée qu'elle soit, demeurera autorisée; et chacun sera libre de la soutenir, dès qu'elle aura passé sans atteinte par un examen si rigoureux. 6o Les ennemis du Saint-Siége ne manqueront pas de l'insulter, et de dire Rome ou n'a pu que qualifier les propositions, faute de science; ou n'a pas voulu, faute de zèle, condamner une doctrine dont les suites sont si affreuses.

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7o Les quiétistes triompheront, et diront qu'on prohibé le livre par politique; mais qu'on n'a pu se dispenser d'en reconnoître la doctrine orthodoxe.

80 Une simple prohibition du livre augmentera le trouble et le scandale, bien loin d'y re

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