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AVIS DE L'ÉDITEUR BELGE.

Le Code pénal de 1810 n'a été modifié par la loi française du 28 avril 1832, que sous le rapport en quelque sorte des pénalités. Les Chambres francaises se sont bornées à mettre la législation pénale cn harmonie avec le progrès des mœurs, et n'ont pas cru devoir introduire d'innovation, dans le système pénal en lui-même; ce qui laisse aux ouvrages de doctrine publiés depuis toute leur importance pour la Belgique. Celui que nous éditons aurait, même dans l'hypothèse d'un remaniement complet dans le système, conservé tout son intérêt, puisque, pour la première fois en France, la matière y est traitée du point de vue élevé de la législation positive, éclairéc par la philosophie du droit et les antécédents de l'histoire. Cette scule considération suffisait pour déterminer l'Éditeur belge à enrichir sa collection de ce nouvel ouvrage, qui, considéré comme œuvre philosophique, est un des plus remarquables qui aient paru depuis longtemps, outre qu'il traite d'une des branches les plus importantes de la science du droit. L'Éditeur belge a cru néanmoins devoir indiquer par notes les modifications introduites sous le rapport des pénalités et des incriminations, modifications qui ne

peuvent échapper à ceux qui ont la moindre notion du Code pénal, mais qu'il importe de signaler aux élèves des universités, moins familiers avec cette matière, et pour qui cet ouvrage ne peut manquer de devenir classique, puisqu'il est le seul qui ait su joindre les vues élevées de la théorie au développement juridique des textes.

Ce travail de comparaison fera l'objet de notes dans le cours de la discussion et d'un tableau comparatif du Code de 1810, mis en présence des modifications de la loi française de 1832 et qu'on trouvera à l'appendice.Pour compléter l'ouvrage, l'Éditeur belge a cru devoir joindre au texte français les notes que fournissent la législation et la jurisprudence belge sur la matière. Parmi les plus intéressantes, nous signalerons celles sur le systême des prisons en Belgique, la juridiction et la compétence militaire, les modifications introduites par des lois particulières, et en conséquence des principes consacrés par la Constitution, etc. Ces additions pourront donner quelque prix à notre édition, qui se recommande d'ailleurs par les soins apportés à son exécution.

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Si le droit que le pouvoir social exerce dans la distribution des peines, n'est point en luimême contesté, il n'en est pas de même des limites dans lesquelles ce droit peut s'exercer, et des règles qui doivent diriger son application. Les systèmes ont succédé aux systèmes. Chaque publiciste est venu, une théorie à la main, tracer un nouveau cercle autour du législateur, ou offrir à son pouvoir une base nouvelle. Les limites laissées à son action répressive, tantôt presque indéfiniment étendues, tantôt resserrées et plus étroites, toujours indécises et vagues, sont aujourd'hui encore l'objet des disputes de la science.

La première étude du jurisconsulte doit être de rechercher et de fixer le principe qui a présidé à la rédaction de la loi pénale, le système dans lequel elle a été conçue. Ce n'est, en effet, qu'en remontant à ce système, qu'il peut connaître quel esprit respire sous tant de dispositions diverses, quelle pensée a mesuré les délits, a gradué les peines, quel a été le point de départ du législateur, le fondement de son édifice. Ce n'est qu'en dévoilant cette idée générale, qu'il pourra en réfléter la lumière jusqu'aux extrémités du Code, en éclairer

CHAUVEAU. T. I.

toutes les parties. C'est le premier principe d'interprétation.

Une telle étude présente des difficultés particulières dans notre Code pénal. Presque entièrement rénové par le système des circonstances atténuantes, ce Code n'a plus, pour ainsi dire, que la forme de celui de 1810. Il a secoué l'empreinte du doigt impérial; il a suivi, quoique avec lenteur, les progrès de la civilisation et des mœurs; la liberté politique lui a jeté quelques fécondes semences; ses vieilles dispositions se sont animées d'un esprit nouveau; ses textes ont répudié d'inutiles rigueurs. C'est aujourd'hui une œuvre complexe, où se combine une double action législative, où se révèle un double principe; monument à demi détruit que l'architecte relevé sur un autre plan. Comment suivre et retrouver les traces des deux ordres d'architecture? comment constater à quel sytème appartient ces dispositions amalgamées de deux législations intervenues à 22 ans de distance? Tel est, cependant, le but que nous nous proposons d'atteindre.

a

Jetons d'abord un rapide coup d'œil sur les diverses théories qui ont divisé la science. On

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ne prétend point entraîner les lecteurs dans une discussion approfondie de ces théories. Nous laissons cette tâche, non sans l'envier, aux publicistes qui s'occupent de rectifier et d'établir les principes des lois. Mais se serait réduire la science du droit aux bornes d'une pratique stérile, que d'accepter le principe sans en rechercher la source, et de supposer la légitimité du droit de punir, parce que ce droit existe.

Jusqu'au dix-huitième siècle, ce droit avait été mal étudié et mal compris. Les anciens légis lateurs ne voyaient guère, dans la distribution de la justice, qu'une arme puissante qu'ils opposaient avec succès aux audacieuses entreprises de ces temps d'anarchie. De là, tant de lois barbares, tant de peines atroces. « La société ne se défendait, a dit M. Guizot, qu'en opposant la force physique; et bien souvent la dureté des lois, le nombre des supplices ne prouvaient, de sa part, que de la sagesse et ledésir de protéger le public. Aussi les chroniques de ces temps louent-elles surtout, comme justes et populaires, les princes qui ont beaucoup et rudement puni. Ils étaient comme les premiers héros de la Grèce, occupés à purger la société de brigands et de monstres [1]. » Mais long-temps après que ces temps de troubles furent passés, lorsque la société reposait sur des bases solides, le système pénal restait empreint de toute la barbarie du moyen âge. Les tortures de l'instruction, le luxe des supplices, devenus plus atroces encore parce qu'ils étaient plus inutiles, restaient debout comme des nécessités sociales et déployaient leurs sanglantes fureurs, sans diminuer le nombre de leurs victimes. La voix de Beccaria qui proclamait, vers le milieu du dix-huitième siècle, que tout châtiment est inique quand il n'est pas nécessaire à la conservation de la liberté publique, cette voix puissante eut un immense retentissement: la philosophie s'empara de cette idée nouvelle et la rendit féconde; l'humanité descendit dans les lois criminelles; les cachots furent ébranlés, les tortures détruites, et bien tôt fut proclamé ce principe, alors novateur, que la peine de mort n'est que la simple privation de la vie [2].

Beccaria donne pour base au droit de punir,

[1] Guizot, de la peine de mort en matière politique, page 118.

[2] Assemblée constituante, Code de procédure du 22 octobre 1791.

[3] Traité des délits et des peines, § II.

[4] Principes des Lois, liv. 3, chap. 4.

le droit de légitime défense qu'exerce le corps social. Il suppose une convention primitive par laquelle les hommes, auparavant indépendans et isolés, se seraient réunis en société, et auraient sacrifié une portion de leur liberté pour jouir du reste avec plus de sûreté.

La somme de toutes ces portions de liberté forme le pouvoir de la nation, qui fut mis en dépôt entre les mains du souverain. De là cette conséquence tutélaire, que tout exercice du droit de punir, qui n'est pas absolument nécessaire à la défense du corps social, est un abus et non plus un droit [3].

Ce système de la défense directe a été suivi par tous les écrivains qui sont venus après Beccaria; Mably [4] et tous les philosophes du XVIIIe siècle le partagèrent [5] : du même principe, Rousseau avait déduit les lois de son Contrat social [6]. Ce système régna près d'un demi-siècle sans contrôle, soit en France soit en Angleterre Blakstone [7] et Richard Philipps [8] l'ont adopté dans leurs traités du droit criminel et des jurys anglais. Mais les progrès de la philosophie démontrèrent qu'il n'était pas complètement satisfaisant; ce consentement antérieur des individus relativement à l'application des peines, n'était qu'une fiction. Et en effet, l'état de société est une nécessité morale de la nature humaine; la philosophie a réputé comme une chimère cette doctrine de l'état naturel que le dix-huitième siècle n'avait préconisé que pour retrouver les titres des droits de l'homme alors méconnus. L'existence sociale est l'état naturel de tous les hommes; l'histoire entière se lève pour proclamer ce principe.

Et puis, le droit de légitime défense peut-il se confondre avec le droit de punir? Qu'est-ce que la légitime défense? c'est le droit naturel de repousser la force par la force c'est le droit de la guerre. Mais ce droit cesse avec l'agression qui l'a fait naître. Lorsque le péril a disparu, lorsque l'agresseur est désarmé, eston fondé à le frapper en invoquant la légitime défense? Il faut donc reconnaitre au droit de punir une autre source que ce droit de la défense, puisqu'il doit survivre au danger de

et des peines, Brissot de Warville et Morellet. ibid.

[6] Liv. 3, ch. 4.

[7] Commentaire sur le Code criminel d'Angleterre, tom. 1er, pag. 17.

[8] Des pouvoirs et des obligations des jurys,

[5] Voltaire, Cominentaire sur le livre des délits chap. 12.

l'attaque, et s'exercer lorsqu'elle a cessé d'être distinctes, rompt l'unité de la théorie et en menaçante. embarrasse incessamment les applications. C'est surtout sous ce point de vue que ce système a été l'objet de vives critiques.

Le génie indépendant de Bentham qui, suivant l'expression d'un brillant écrivain, sut affranchir entièrement sa pensée du joug des traditions historiques [2], rejeta les systèmes professés jusqu'à lui. « Ce qui justifie la peine, dit-il, c'est son utilité majeure, ou pour mieux dire, sa nécessité. Les délinquans sont des ennemis publics. Où est le besoin que des ennemis consentent à être désarmés ou contenus [3] ? » Dans cette doctrine, l'utilité générale est le principe; le but matériel de la peine, l'idée dominante; ce but est l'effet de la peine sur la multitude, ou l'intimidation. Il importe peu au législateur que la distribution des peines soit conforme aux règles d'une justice réelle, car une justice apparente a les mêmes effets: la loi pénale n'a qu'un objet, celui d'imprimer dans les populations la terreur de la peine, de même que ses incriminations n'ont qu'une seule base, l'intérêt de la majorité de la société à la répression des actes incriminés.

Quelques publicistes ont, néanmoins, persisté dans la théorie de Beccaria, mais en lui faisant subir de graves modifications. Laissant de côté la fiction d'une convention primitive, ils reconnaissent que pour l'homme c'est un devoir de vivre en société, et ils attribuent à cette société, considérée comme force collective, une puissance d'intervention pour la défense du droit attaqué. La limite naturelle où cette action doit s'arrêter, c'est à la garantie du droit qu'elle est appelée à défendre. Les crimes ne sont donc, dans ce système, considérés que dans leur rapport avec la conservation sociale; toute action répressive qui dépasserait ce but cesserait d'être légitime. Ses partisans ont en même temps essayé de le faire coïncider avec un autre principe que nous développerons tout à l'heure, celui de la justice morale: c'est en vertu du droit de la défense que le législateur agit, mais il doit circonscrire son action dans le cercle tracé par la règle du juste et de l'injuste; il peut incriminer les faits nuisibles à la société, mais pourvu que ces faits soient coupables aux yeux de la conscience humaine [1]. On voit que ce système, quelque peu vague, qu'on a appelé théorie de la défense indirecte, renferme à la fois le développement du principe posé par Beccaria et la conciliation de ce principe avec celui de la justice morale. Sous le premier rapport, ses partisans paraissent n'envisager cette défense que comme le droit d'opposer une digue à l'action du crime; le pouvoir social n'a mission que pour se dépliquée, mais cette utilité ne constitue pas un fendre et non pour punir. Mais contre qui se dirige sa défense? Ce n'est pas contre le délinquant qu'elle a saisi et désarmé; nous avons déjà dit que le droit de défense ne peut survivre à l'attaque. C'est, dit-on, contre les délinquans futurs, contre les crimes à venir. C'est alors faire régner dans la loi le principe de l'intimidation, dont la conséquence directe est une tendance à exagérer les peines. A la vérité, cette tendance inévitable est affaiblie par le concours secondaire du principe de justice morale dont le but est de proportionner les peines à la nature intrinsèque des actes. Mais cette alliance de deux règles, sinon opposées, du moins fort

[1] M. Charles Lucas, du système pénal, pag. 47, 108 et suiv. Voyez aussi M. Charles Comte, Traité de législation, tom. 1, liv. 1. chap 6, p. 153, et Considérations sur le pouvoir judiciaire, pag. 6. —et M. Pastoret, Lois pénales, t. 1, 2o part., p. 35.

Présentée sous un point de vue aussi absolu, il est aisé de faire ressortir les vices d'une telle doctrine. Elle ne fait qu'appliquer à la société en général le principe de l'intérêt personnel; mais si ce principe n'est pas une règle suffisante de nos actions et de nos devoirs, comment suffirait-il pour légitimer une punition? L'utilité est un élément nécessaire de toute peine, en ce sens qu'aucune peine inutile ne doit être ap

droit; car, comment sera-t-elle constatée? ne varie-t-elle pas suivant des circonstances multipliées ? d'après les climats, les habitudes et les mœurs des nations? Ce n'est point un principe, mais un fait, par conséquent une base mobile, susceptible de modifications infinies. Avec une telle règle, quelles seraient les garanties des membres du corps social contre l'arbitraire? Qui empêchera que tel fait innocent aujourd'hui, ne soit demain incriminé ? Qui posera les limites aux incriminations du législateur et à l'exagération des peines? L'utilité générale, mot indéfini et vague, peut tout justifier, même des atrocités.

[2] M. Lerminier, de l'Influence de la philosophie sur la législation, pag. 357. [3] Théorie des peines et des récompenses, t. 1or;

pag. 7.

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