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MARS 1832.

CHAPITRE X.

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DIS

DE LA TENTATIVE. — CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES.
- NOTIONS HISTORIQUES SUR LA TEN-
TATIVE: DROIT ROMAIN; OPINIONS DES DOCTEURS; ANCIEN DROIT FRANÇAIS; DROIT INTER-
MÉDIAIRE; DISCUSSIONS ET MOTifs du code pÉNAL DE 1810; MODIFICATIONS DE LA LOI DU 28
-CARACTÈRES PRINCIPAUX DE LA TENTATIVE.-DÉFINITION DES ACTES INTERNES,
DES ACTES EXTÉRIEURS, DES ACTES D'EXÉCUTION. — THÉORIE GÉNÉRALE DES ÉLÉMENTS CONS-
TITUTIFS DE LA TENTATIVE. APPLICATION AU CODE PÉNAL ET AUX LÉGISLATIONS ÉTRAN-
GÈRES.- —DE QUELLE PÉNALITÉ LA TENTATIVE EST PASSIBLE. Le délit manQUÈ FORME-T-IL
UN DÉLIT DISTINCT PASSIBLE d'une pénalITÉ PARTICULIÈRE ?-EXAMEN ET DISCUSSION DU
TEXTE DE L'ART. 2.— EFFETS DE LA LOI MODIFICATIVE. — RÈGLES POSÉES PAR LE CODE.
TINCTION PRATIQUE DES ACTES PRÉPARATOIRES OU D'EXÉCUTION. - CARACTÈRE DE L'ESCA-
LADE, DE L'EFFraction, de l'usage de FAUSSES CLEFS.—REVUE DE LA JURISPRUDENCE.
CONSTATATION DES CIRCONSTANCES CARACTÉRISTIQUES DU CRIME.-EXCEPTIONS A CES RÈGLES
EN MATIÈRE DE Complot, de faux, d'avortement, d'attentat a la pudeur, de suboR-
NATION DE TÉMOINS.
QUESTIONS RELATIVES A LA POSITION DES QUESTIONS, A LA TENTATIVE
DU MEURTRE, AUX PÉNALITÉS APPLICABLES AUX COMPLICES DE LA TENTATIVE. TENTATIVE
DES SIMPLES DÉLITS.- ·Motifs de LA RESTRICTION DE L'ART. 3. —EXPLICATION DE CET AR-
TICLE. - RÈGLES QUI EN sont déduites. —QUELLES TENTATIVES DE DÉLITS SONT PUNIES PAR
LA LOI. (COMMENTAIRE DES ART. 2 ET 3 DU CODE PÉNAL.)

-

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Le développement des règles générales qui dominent l'application des peines, a fait l'objet du premier volume de cet ouvrage. Après avoir remonté aux principes fondamentaux du Code pénal, après avoir recherché le système qui domine ce Code, nous avons dû nous arrêter d'abord à l'examen de son échelle répressive, analyser les degrés qui la composent, en discuter l'efficacité, en suivre les effets. Le mode d'exé cution des châtiments, les règles auxquelles leur application est soumise, le principe d'aggravation qu'ils puisent dans une circonstance extrinsèque au délit, la récidive, formaient le complément nécessaire de la théorie des peines. Une matière nouvelle va se dérouler à nos yeux : il s'agit maintenant d'apprécier la valeur morale des actions punissables, et le degré de responsabilité qu'elles doivent faire peser sur leurs auteurs; il faut discerner les diverses faces, les nuances multipliées de la criminalité, sonder les mystères de la volonté humaine, tracer la ligne qui sépare la pensée criminelle du crime lui-mème, et mesurer la route parcourue par l'agent dans son exécution; c'est la partie du CHAUVEAU, T. II. ÉDIT. DE PARIS.

droit pénal la plus élevée et la plus hérissée de difficultés; c'est aussi celle qui commande l'intérêt au plus haut degré.

Un crime a été commis: la société effrayée appelle le châtiment; mais comment graduer ce châtiment dans une juste mesure, si la criminalité a mille degrés divers d'intensité, si l'accusé n'a fait que préparer le crime, s'il s'est arrêté après les premiers actes d'exécution, s'il ne l'a pas consommé, si, complice d'une action commise en réunion, son rôle n'a été que secondaire, sa participation indirecte, si son jeune àge lui voilait l'immoralité de son action, si l'ivresse troublait son intelligence, enfin si la contrainte ou la démence paralysait sa volonté, et lui ôtait la responsabilité de ses actes? La loi, dont la mission est de proportionner la peine à la criminalité, doit prévoir, en formulant ses imputations, chacune de ces circonstances, chacune de ces modifications; car, si elle en négligeait une seule, la peine qu'elle appliquerait ne serait plus dans les limites de la justice morale. C'est l'appréciation de ces nuances différentes de la culpabilité que

les criminalistes ont distinguées sous les noms de tentative, de complicité, des excuses d'áge, de démence, etc.

Nous nous occuperons, dans ce chapitre, de la tentative.

Tant qu'une pensée repose dans le sein de l'homme, Dieu seul a le droit de lui en demander compte. Ce n'est que lorsqu'elle se produit au dehors, lorsqu'elle se manifeste par des actes extérieurs, qu'elle tombe sous la juridiction humaine. Cogitationis pœnam nemo patitur, a dit Ulpien [1]. Ainsi les résolutions les plus perverses, les plus criminels projets, restent libres, tant qu'ils ne sont que des résolutions et des projets. La loi voudrait vainement les atteindre, son action serait frappée d'impuissance; ils échappent par leur nature même à la répression. Ce n'est qu'à l'instant où l'homme qui a conçu cette pensée d'un crime, la manifeste par quelque acte extérieur, que le péril social commence, que la responsabilité devient légitime.

Mais ici se présentent les plus hautes questions. A quel acte cette responsabilité doit-elle le saisir? Suffit-il qu'il ait préparé l'accomplissement de son projet ? Faut-il qu'il ait commencé son exécution? Et quand cette exécution doit-elle être réputée commencée? Ensuite, la peine doit-elle, souple et progressive, le suivre depuis les premiers actes jusqu'aux actes les plus proches du crime, plus élevée à mesure qu'il avance près du but; ou doit-elle, inflexible et sans degrés, n'avoir qu'un seul niveau pour les premiers actes d'exécution et pour les actes les plus avancés ; pour la tentative et pour le crime consommé; pour le crime dont l'exécution, bien que consommée, a été manquée, et pour celui qui a rassasié son auteur des criminelles jouissances qu'il avait convoitées? Telles sont les premières difficultés qu'offre cette matière. C'est à l'histoire du droit pénal que nous demanderons d'abord quelques lumières pour éclaircir nos solutions.

La loi romaine ne possède qu'un petit nombre de textes sur la tentative des crimes, et ces textes paraissent contradictoires il semble d'abord qu'elle ait voulu, par une règle abso

[1] L. 18, Dig. de pænis.

:

[2] L. 1, § divus, Dig. ad leg. Cornel. de sica

riis.

[3] L. 65, Dig. de furtis.

[4] D. Godefroy, in l. suprà cit.

[5] L. 7, Cod. ad leg. Cornel. de sicariis. [6] L. 16. § 8. Dig. de pænis.

lue, assimiler la tentative au crime, et lui appliquer dans tous les cas la même peine. On cite dans ce sens ce texte de la loi Cornelia de sicariis : Qui hominem non occidit, sed vulneravit ut occidat, pro homicidio damnandum [2]. Mais il est visible que des blessures faites avec intention de tuer constituent plus qu'une simple tentative, et dès-lors cette loi n'appartient point à notre matière. On cite encore ce fragment d'Ulpien: Qui eâ mente alienum quid contrectavit ut lucri faceret, tametsi mutato consilio, id posteà domino reddidit, fur est [3]; mais ici encore il ne s'agit point d'une tentative, mais bien d'un vol consommé; le repentir de l'agent ne peut détruire le fait, et cependant Godefroy ajoute, comme un commentaire de ce texte: Sed si statim eum pæniteat, videtur absolvendus [4]. Toutefois il existe un texte plus explicite : Is qui cum telo, porte la loi Cornelia de sicariis, ambulaverit hominis necandi causâ, sicut is qui hominem occiderit, legis Cornelia de sicariis pœnâ coercetur [5]. Voilà une assimilation complète, non-sculement d'une tentative, mais d'un simple acte extérieur au crime consommé : ce texte est aussi formel qu'il est sévère, il n'admet aucun doute; mais faut-il y lire l'expression d'une règle générale? faut-il plutôt n'y voir qu'une exception nettement formulée?

Nous pencherions pour cette dernière opinion. Eventus spectetur [6], telle est la règle générale du droit ; aussi la loi romaine graduet-elle, dans certains cas, la peine suivant que le crime n'a été que commencé ou qu'il a été accompli: Perfecto flagitio punitur capite, imperfecto in insulam deportatur [7]. Enfin un texte semble établir ce principe avec la plus grande netteté: Qui furti faciendi causá conclavè intravit, nondùm fur est, quamvis furandi causá intravit, quid ergò? quá actione tenebitur? Utique injuriarum, aut de vi accusabitur [8]. Cette distinction claire et précise sépare évidemment les actes d'exécution qui constituent la tentative, du crime consommé; il semble donc qu'on peut conclure de ces textes que les jurisconsultes romains

[7] L. 1, Dig. de extraord. crim.

[8] L. 21, § 7, Dig. de furtis. Voy, encore l. 19, Dig. de leg. Corn. de falsis; l. 5, C. de episc. et cler; l. 1, Dig. de extr. crim. Voy. aussi Carmignani; t. 2, p. 305, et 317; Poggi, Elem. jur. crim., t. 4, cap. 1, § 6; Savigny, Dissert. inaug. jurid. de concursu delict.

distinguaient, en général, pour en varier la peine, le crime consommé et le crime accompli, et qu'à l'égard de l'assassinat seulement et des crimes atroces la tentative était punie comme le crime même.

Telle est aussi l'interprétation que les docteurs paraissent en général avoir donnée à ces lois. Farinacius, après avoir insisté sur les hautes difficultés qui environnent cette matière par suite de la diversité des textes et des opinions des jurisconsultes, propter varia jura et varias doctrinas, essaie toutefois de poser quelques principes [1].

Le premier est la punition de la simple tentative: conatus punitur etiam effectu non sequuto; mais la peine était proportionnée à la gravité des actes accomplis. Les docteurs distinguent les actes les plus éloignés et les actes les plus voisins du crime, remotus actus et proximus. L'acte éloigné n'était puni que d'un faible châtiment, parce que in actu remoto potest esse spes pœnitendi quæ non est in proximo [2]. L'acte prochain est défini ultimus actus qui à delinquente agendus est ad criminis perfectionem. Dans les crimes atroces, cette tentative était punie comme le crime même : De jure communi, dit Tiraqueau, conatus proximus delicto, æquè puniatur in atrocioribus, ac si delictum fuisset consummatum [3]. Mais, dans les autres crimes, l'acte prochain n'était frappé que d'une peine inférieure; Farinacius l'affirme dans les termes les plus formels : Non eadem pæna sed mitior et extraordinaria imponenda etiam quod fuerit deventum ad actum proximum, est de mente omnium [4]. Et cotte règle avait été déjà établie par Tiraqueau, qui en donne un juste motif : Nam quod delictum attentatum habeatur pro consummato, non est secundùm rerum naturam

atque veritatem, sed est ex fictione [5]. Ces règles simples, dans lesquelles se résument d'immenses controverses, formaient le droit commun sous l'ancienne législation [6]. Ces crimes atroces de leur nature, dont la tentative était punie comme le crime même, étaient ceux de lèse-majesté, d'assassinat, de parricide. et d'empoisonnement; dans les autres cas, la jurisprudence des Cours avait établi des peines plus douces [7]. On ne trouve, au reste, que deux textes dans cette législation qui s'appliquent à la tentative; l'un est un capitulaire de Charlemagne : Qui hominem voluntariè occidere voluerit et perpetrare non potuit, homicida tamen habeatur [8]. Ce texte ne fait que reproduire la disposition de la loi romaine relative à l'assassinat. L'autre texte est l'article 195 de l'ordonnance de Blois, qui défend de donner aucunes lettres d'abolition « à ceux qui à prix d'argent ou autrement se louent ou s'engagent pour tuer ou outrager, ni à ceux qui les auront loués ou induits pour le faire, encore qu'il n'y ait eu que la seule machination ou attentat et que l'effet ne s'en soit ensuivi » L'article 4 du titre xvi de l'ordonnance de 1670 a reproduit presque textuellement cette disposition.

Le Code pénal de 1791 n'avait prévu que les tentatives d'assassinats et d'empoisonnements, et la peine était celle du crime consommé [9]; mais il faut remarquer que les deux crimes étaient du nombre des crimes énormes auxquels l'ancienne législation appliquait le même principe. La loi du 22 prairial an Iv étendit cette règle à tous les crimes; elle est ainsi conçuc : « Toute tentative de crime, manifestée par des >> actes extérieurs et suivie d'un commencement >> d'exécution, sera punie comme le crime même, » si elle n'a été suspendue que par des circon>> stances fortuites, indépendantes de la volonté

[1] Praxis et theoricæ crim. pars quarta; de fectuée. Art. 15. L'homicide par poison, quoihomicidio, quæst. 124.

[2] Quæst. 124, no 40; et Barbacovi, de mensurá

panarum.

[3] De pæn. temp. aut. remitt., p. 150.

[4] Quæst. 124, no 9.

[5] De pæn. temp. aut. remitt., p. 153.

que non consommé, sera puni de la peine portée en l'art. 12, lorsque l'empoisonnement aura été effectué, ou lorsque le poison arra été mêlé avec des aliments ou breuvages spécialement destinés, soit à l'usage de la personne contre laquelle ledit attentat aura été dirigé, soit à l'usage de toute une

[6] Jousse, Traité de just. crim., t. 3, p. 638; famille... — Art. 16. Si, toutefois avant l'empoi Muyart de Vouglans. Lois crim., p. 13.

[7] Ibid.

[8] Capit. Carol. Magn., lib. 7. c. 151.

[9] Art. 13 (2o p., tit 2). L'assassinat, quoique non consommé, sera puni de la peine portée en l'art. 11, lorsque l'attaque à dessein de tuer aura été ef

sonnement effectué, on avant que l'empoisonne ment des aliments et breuvages ait été déconvert, l'empoisonneur arrêtait l'exécution du crine, soit en supprimant lesdits aliments ou breuvages, soit en empêchant qu'on en fasse usage, l'accusé sera acquitté.

» du prévenu. » On doit distinguer dans cette loi la définition de la tentative et la pénalité; la définition est précise et ne peut que donner une idée nette des actes nécessaires pour constituer une tentative; l'application absolue et générale d'une même peine aux actes qui commencent l'exécution, et à l'exécution même du crime, peut seule être contestée.

Aussi, lors de la discussion du Code pénal de 1810, la définition fut exactement maintenue, mais l'inflexibilité de la peine fut attaquée dans le sein du Conseil d'état. On soutint que les peines devaient être proportionnées aux fautes; qu'il était injuste de châtier celui qui, dans un moment de passion ou d'erreur, s'est porté au crime et a été arrêté, comme celui qui l'a effectivement consommé; que le commencement d'exécution devait sans doute être puni, lorsque son auteur ne s'est pas arrêté volontairement, mais qu'il ne serait pas toujours juste d'infliger au coupable une peine aussi sévère que si le crime avait été consommé [1]. M. Treilhard répondait à ces réclamations, « que, d'après le texte de l'article, la tentative de crime n'est pas punie, lorsque l'exécution a été suspendue par la volonté de l'auteur, que c'est tout ce qu'on peut accorder; que la loi ne ferme pas le chemin au repentir. Que celui qui s'arrête au moment de commettre un crime ne soit pas puni: la justice le veut, l'intérêt de la société l'exige; car ce serait en quelque sorte pousser au crime, que de réserver le même sort à celui qui n'achève pas et à celui qui passe outre. Mais quand l'exécution n'est suspendue que par des circonstances étrangères à la volonté, le coupable at commis le crime autant qu'il lui est possible, et les lois, même les plus anciennes, lui en ont fait porter la peine. » Le Conseil d'état arrêta, d'après ces observations, que la rédaction de la loi du 22 prairial an Iv serait reproduite dans le Code; toutefois, M. Treilhard ayant ajouté qu'il ne s'opposait pas à ce que, dans les crimes les moins graves, la tentative ne fût punie qu'au minimum, le Conseil d'état posa en principe que la tentative ne serait punie des même peines que le crime que dans les cas déterminés par la loi [2]. Mais cette décision ne fut appliquée, par la section chargée de la rédaction, qu'aux délits correctionnels [3].

La loi du 28 avril 1832 n'a apporté à cette

[1] MM. Corvetto, Defermion et le comte Béranger, procès-verb. du Cons.-d'état, séance du 4 oct. 1808; Locré, t. 15, édit. Tarlier

[2] Ibid. Locré, t. 15. édit. Tarlier.

règle absolue aucune modification. La question fut cependant soulevée dans le sein de la commission de la chambre des députés, et le rapport de cette commission la résout en ces termes : « Qu'importe que la loi égale dans tous les cas la tentative à l'exécution, quoique, dans l'opinion commune, la gravité d'un crime se mesure en partie aux résultats qu'il a produits, si l'admission des circonstances atténuantes permet au jury de tenir compte à l'accusé dn bonheur qu'il a eu de ne pouvoir commettre son crime [4] ? » Ainsi la commission n'a laissé le principe debout que parce que le système des circonstances atténuantes donnait les moyens d'en corriger l'application. Et c'est ce même motif qui fit rejeter un amendement présenté pendant la délibération, et qui portait que toute tentative serait punie de la peine immédiatement inférieure à celle que l'auteur aurait encourue, s'il eût consommé son crime [5]. Enfin le rapporteur de la chambre des pairs reproduisit cette observation: «Quelques personnes ont pensé que la tentative de crime ne devait être punie que de la peine inférieure à celle appliquée aux crimes mêmes. Votre commission n'a pas partagé cet avis. La perversité est la même dans les deux cas, et les pouvoirs nouveaux accordés aux jurés leur donnent la possibilité d'établir les différences morales qui pourront se rencontrer entre le crime accompli et la simple tentative. »>

Tels sont les monuments divers qui se rattachent à cette matière. Reprenons maintenant les différents principes qui viennent de passer sous nos yeux, en essayant de discerner ceux qui sont avoués par l'expérience et la raison.

Les criminalistes ont distingué dans la tentative les actes internes, les actes extérieurs simplement préparatoires, les actes d'exécution, et enfin l'exécution elle-même quand elle est suspendue ou manquée.

Les actes internes sont le désir, la pensée, la résolution même arrêtée de commettre un crime. Nous avons déjà dit que cet acte purement moral n'est pas du ressort de la justice humaine. Et en effet, quelque certaine que puisse être la volonté criminelle, un immense intervalle sépare le moment où elle se forme et celui où elle s'accomplit; elle peut se laisser ébranler par un obstacle, intimider par un péril, vaincre par

[3] Voy. infrà.

[4] Code pénal progressif, pag. 70 et 72.

[5] Amendement de MM. Persil et Larochefaucault; Code pénal progressif, p. 69.

un repentir. La loi ne peut atteindre une résolution qui va se rétracter, un projet qui peut s'évanouir. Ce n'est que lorsque l'exécution leur imprime un caractère de certitude irrévocable et de dommage réel qu'elle peut proclamer un crime et le punir. Et puis, les moyens d'action manqueraient à la justice pour frapper la résolution criminelle. Elle ne peut sonder les consciences et incriminer la pensée; elle ne marche qn'en s'appuyant sur des actes extérieurs. Comment remonter jusqu'à la pensée, jusqu'à l'acte interne? Comment baser une condamnation sur des conjectures? La pensée est libre, a dit M. Rossi; elle échappe à l'action matérielle de l'homme; elle peut être criminelle, elle ne sau rait être enchaînée.

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Les difficultés ne commencent qu'au moment où l'auteur de la résolution criminelle l'a manifestée par des actes extérieurs. Les actes extérieurs qui ont pour but la perpétration d'un délit ou sont simplement préparatoires, sont des actes d'exécution.

:

Les actes purement préparatoires ont pour objet de faciliter l'accomplissement de la pensée criminelle, mais ils précèdent l'exécution même du crime; ils ne le commencent pas tel est le fait de marcher avec un poignard ou de se munir d'une fausse clef. Cet actes peuvent toujours s'expliquer de différentes manières. Leur liaison avec une résolution criminelle n'est pas nécessaire et immédiate; ils peuvent la faire supposer, ils ne la prouvent pas. On ne peut les rattacher à un délit déterminé, qu'à l'aide de présomptions hasardées, de fragiles conjectures; ils ne peuvent donc servir de base à une pénalité : il y a trop de distance encore entre ces actes et l'action accomplie, pour supposer que l'agent eût franchi cette distance sans s'arrêter, et pour établir une peine sur cette fiction. Quelques législateurs l'ont osé cependant. Le Code prussien punit les préparatifs du crime, alors même qu'ils ont été interrompus par accident; à la vérité les limites qui séparent les préparatifs du commencement d'exécution sont loin d'être toujours précises: nous examinerons plus loin plusieurs difficultés qui se rattachent à cette distinction; mais ces difficultés ne sauraient mettre en doute ce principe, que les actes purement préparatoires ne peuvent être l'objet de la loi pénale, parce qu'ils sont une base fragile pour l'imputation de la résolution criminelle, parce qu'il importe que l'agent n'ait pas intérêt à les couvrir d'un voile trop épais, parce qu'enfin la loi doit supposer le repentir et ne pas le repousser.

Cependant la société peut assurément incriminer certains actes prépararatoires, lorsqu'ils

ménacent sa sûreté; mais ces actes ne peuvent alors être punis que comme délits particuliers, d'après leur valeur intrinsèque et abstraction faite des crimes qu'ils avaient pour but de préparer. Ainsi, et pour nous servir de l'exemple cité par la loi romaine, l'agent quia brisé une barrière pour voler, et qui tout-à-coup a changé de volonté ou a été contraint de s'éloigner, peut être poursuivi, mais seulement à raison de cet acte de violence et non pour vol. C'est d'après cette règle que les lois pénales ont incriminé les menaces, le complot, le port et la détention de certaines armes, les amas de poudre de guerre, etc.; le vagabondage, la mendicité, les maisons de jer, les attroupements peuvent également être considérés comme de véritables actes préparatoires de délits plus graves, et cependant sont punis comme des délits sui generis.

Restent les actes d'exécution; ceux-là seuls révèlent suffisamment à la justice l'intention de commettre un crime, ceux-là seuls constituent une tentative punissable: en effet tout crime se compose d'un' ensemble d'actes qui concourent au même but; or ce n'est que lorsqu'un de ces actes est accompli qu'il y a tentative, car la tentative est le commencement d'exécution. Jusque-là la pensée de l'agent est incertaine, elle peut reculer devant l'exécution; mais si l'exécu tion est commencée, cette présomption cède à une autre présomption, c'est qu'il l'eût achevée, si quelque cause accidentelle ne l'eût troublé.

C'est sur cette dernière présomption qu'est assise la peine; car, s'il y avait impossibilité pour l'agent de se désister, d'interrompre le crime, ce ne serait plus une simple tentative, mais un crime consommé. La possibilité d'un désistement volontaire est de l'essence de la tentative. Si ce désistement a lieu par la seule volonté du coupable, la loi ferme les yeux et pardonne, à moins que l'acte d'exécution accompli ne constitue en lui-même un délit sui generis. Mais si cet agent est surpris par un événement fortuit au milien de son crime, la loi ne peut connaître quel eût été le mouvement de sa volonté dans l'instant qui a suivi cet événement; peut-être eût-il luimême suspendu l'exécution du crime, peut-être la crainte ou le repentir l'eussent arrêté; mais il est certain qu'il avait résolu de commettre un crime, il est certain qu'il avait commencé l'éxécution: ces deux actes suffisent pour légitimer la peine, l'agent ne peut se couvrir la possibilité d'un regret tardif qui ne s'est point manifesté.

Ainsi deux caractères essentiels indiquent la tentative qui est punissable: le commencement d'exécution du fait matériel, car jusqu'à cet acte il n'y a point encore de tentative; la possibilité

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