Images de page
PDF
ePub

ce chapitré. Une difficulté beaucoup plus controversée est relative à la quotité de la peine dont la tentative est passible.

Nous avons vu cette difficulté prendre naissance dans les lois romaines elles-mêmes, partager les jurisconsultes, et se résoudre par l'atténuation de la peine à l'égard de la tentative des crimes qui n'étaient pas réputés énormes. Nous avons suivi ce principe d'atténuation à travers l'ancienne législation, et nous l'avons retrouvé essayant vainement de se produire, soit au sein du Conseil d'état en 1808, soit dans la chambre des députés dans les délibérations de 1832. Il faut apprécier la valeur de ce principe et des objections qui lui ont été opposées.

de suspendre volontairement cette exécution, car quand cette faculté a cessé d'exister, ce n'est plus une tentative, le crime est consommé. Ces deux caractères ont été imprimés avec beaucoup de netteté dans le Code pénal de 1810. Ce Code ne punit la tentative qu'autant, 1o qu'elle a été manifestée par des actes extérieurs et suivie d'un commencement d'exécution; 2o qu'elle n'a été suspendue que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur. Et de là sortent ces deux conséquences: qu'un acte extérieur, accompli en exécution d'une résolution criminelle, ne suffit pas pour constituer la tentative, il faut un acte d'exécution; et que la tentative peut toujours être suspendue par la volonté de l'auteur. Ce sont les deux principes que nous Beccaria proclamait cette distinction dans la venons de poser; ces principes méconnus par peine : « Quoique les lois, disait ce publiciste, ne quelques lois romaines avaient cependant, ainsi» puissent pas punir l'intention, ce n'est pas qu'on l'a vu plus haut, triomphé par la haute raison dont ils sont empreints dans la pratique et dans la science. Les docteurs ne reconnaissaient point de tentative, à moins que son auteur ne fût arrivé à l'acte d'exécution le plus voisin du délit, actus proximus facto principali [1], et cette tentative n'était punissable que lorsqu'elle avait été suspendue casu aliquo [2]. Au reste, la definition de notre Code a été adoptée par la plupart des législateurs étrangers; on la retrouve textuellement dans le Code du Brésil et dans le projet du Code belge; on la retrouve encore quoique en d'autres termes, dans les Statuts de New-York, qui ne punissent la tentative qu'autant, que le coupable a fait quelque acte d'exécution [3]; enfin, dans le Code pénal d'Autriche qui «< n'incrimine le même fait qu'autant >> que le malintentionné entreprend une action >> tendante à l'exécution effective du crime, et >> pourvu qu'il soit seulement interrompu dans >> l'accomplissement par impuissance, par un » obstacle indépendant de sa volonté, ou par cas » fortuit. » Le Code prussien avait lui-même déterminé ces deux caractères en appliquant une peine « à celui qu'un pur accident a empêché d'effectuer le dernier acte nécessaire à l'accomplissement du crime. »>

Tels sont les termes où se résout la première question qui a été posée au commencement de

[1] Voy. Farinacius, quest. 124, et Tiraqueau, p. 150.

[2] Paul. Sentent., 1. 5, tit. 23, § 3.

[3] << In such attempt shall do any act towards the commission of such offence. » Revised Statutes of the state of New-York, tit. 7, § 3. [4] Des délits et des peines, p. 100.

» à dire pour cela qu'une action par laquelle on » commence un délit, et qui marque la volonté » de l'exécuter, ne mérite aucune peine, quoi>> que moindre que celle qui est décernée contre » le crime mis à exécution. Une peine est né» cessaire, parce qu'il est important de prévenir » même les premières tentatives des crimes; >> mais, comme entre ces tentatives et l'exé» cution il peut y avoir un intervalle de temps, >> il est bon de réserver une peine pius grande >> au crime consommé, pour laisser à celui qui >> a commencé le crime quelques motifs qui le » détournent de l'achever [4]. »

Cette opinion n'a point été adoptée par Filangieri. Suivant l'avis de ce dernier publiciste la tentative, c'est-à-dire la volonté de violer la loi, manifestée par l'action que prohibe la loi même, doit être punie comme le crime consommé. « Le coupable, dit-il, a montré toute sa perversité; la société en a reçu le funeste exemple. Quel que soit le succès de l'attentat, les deux motifs de punir n'en existent pas moins. La même cause doit donc produire le même effet, c'est-à-dire l'égalité de la peine[5]. » Tous les criminalistes qui ont écrit depuis Filangieri se sont unanimement attachés à combattre cette doctrine: en Italie Carmignani [6]; en Allemagne Fenerbach, Mittermaier [7], Weber, [8] et Bauer [9]; en France Legrave

[5] Science de la législ, ch. 1er, t. 4, p. 174. [6] Teoria delle leggi della sicurezza sociale, t. 2, cap. 15. [7] Journ. crit. de législ. génér. de jurisp. étr.,

t. 4.

[8] Archives du droit criminel.

[9] Motifs du projet de Code pénal du Hanovre.

rend [1], Carnot [2], M. Rossi [3], ont soutenu avec la même conviction que la tentative du crime, suspendue par un fait indépendant de la volonté de son auteur, ne doit être punie que d'une peine inférieure au crime consommé [4]. Des raisons puisées dans une saine appréciation du fait de la tentative, justifient complètement cette doctrine. La tentative est suspendue par un événement fortuit; mais sans cet événement, le crime aurait-il été consommé? La loi peut le supposer, mais ce n'est qu'une induction. Le coupable était sur la route du crime, mais il pouvait s'arrêter. Pourquoi penser qu'un remords ne serait pas venu se placer devant ses pas lorsqu'il eût approché du terme, lorsqu'il eút aperçu le crime face à face? Pourquoi douter de la possibilité du repentir? Le législateur né doit pas craindre d'inscrire dans la loi l'espoir d'une impression morale ou religieuse, instantanée et triomphante, et cette seule pensée suffirait pour motiver l'atténuation de la peine.

Mais il est de l'intérêt même de la société d'échelonner les châtiments; car il est de son intérêt de prévenir les crimes. Les châtiments gradués sont comme des barrières qui s'élèvent incessamment devant les pas du coupable: il a franchi la première, mais à chaque pas une peine plus terrible le menace; ses craintes toujours croissantes peuvent l'arrêter et laisser inachevé le crime qu'il avait projeté. C'est le motif donné par Beccaria : il est bon de réserver une peine plus grande au crime consommé pour laisser à celui qui a commencé le crime quelques motifs qui le détournent de l'accomplir. » Enfin le législateur doit prendre en considération l'inexécution du crime. « Nous pensons, a dit M. Rossi, que le sens commun et la conscience publique ont constamment tenu le même langage: le délit n'a pas été consommé, donc la punition doit être moindre. Il ne faut pas faire monter également sur l'échafaud l'assassin dont la victime gît dans la tombe, et celui dont la victime désignée, grâce à l'interruption de la tentative, se trouve peut-être au nombre des spectateurs de son supplice [5]. »

[blocks in formation]

On rencontre la même réflexion dans les observations des Cours d'appel sur le projet du Code pénal de 1810: «Quelque aggravantes qu'on puisse imaginer les circonstances du crime, la société a moins à s'en plaindre lorsqu'il n'y a point eu de sang répandu, que lorsqu'elle a perdu, par le crime même, un des membres qui la composent. En ce dernier cas le crime est consommé, il ne l'est point dans l'autre ; et quoiqu'on puisse dire qu'il l'était dans la volonté manifeste du coupable, toujours est-il vrai que la consommation réelle du crime laisse bien loin derrière elle toute l'atrocité imaginable des tentatives [6]. » La loi, en effet, a deux éléments pour graduer la peine : l'intention criminelle et l'événement du crime, c'est-àdire le dommage et l'alarme qu'il produit. Or ce dernier élément ne se rencontre pas dans les simples tentatives, ou du moins ne s'y trouve qu'à un moindre degré; la loi doit donc en tenir compte au prévenu. Son crime n'a produit aucun dommage réel; il n'a pas obtenu les jouissances criminelles qu'il recherchait ; le péril social n'a été que secondaire, la répression doit done être moins forte. La conscience publique ellemême n'appelle pas la même expiation; et de là tant de verdicts d'acquittement que la loi eût évités en échelonnant les peines, et que le jury n'hésite pas à prononcer lorsqu'il entrevoit le terrible niveau qui soumet au même châtiment la tentative et le crime consommé !

Au reste, ce principe d'atténuation de la peine en faveur de la tentative a reçu la sanction presque unanime des peuples modernes. Les Codes d'Autriche, du Brésil, de la république de Bolivia, le posent en termes formels. Le Code prussien inflige à la tentative une peine inférieure à la peine ordinaire; et, si le coupable s'est arrêté aux premiers actes du crime, «<l'intention doit être punie en raison de la distance de la tentative à la consommation entière. » La loi hongroise mesure également le châtiment sur la gravité des actes accomplis [7]. Les statuts de l'état de New-York et le Code de l'état de Géorgie imposent une pénalité graduée : si

[6] Observations de la Cour d'appel de Rennes, p. 13 et 14.

[7] Quo agens mājus et gruvius jus pro objecto suæ læsionis posuit, eo major debet esse pœna. Quo major aderat probabilitas delictum consummandi, eo major debet esse pœna; major pœna conatum proximum, quam conátum remotum. seu delictum inchoatum. Vuchetich. Inst. jur. hungar., p 135.

10.

le fait tenté est puni de mort, la tentative est punie de dix ans d'emprisonnement; si le fait tenté est passible d'emprisonnement, la moitié de la peine doit être appliquée à la tentative. Le Code projeté de la Louisiane, qui a banni la peine de mort de la catégorie ce ses pénalité, pose une règle plus absolue; la moitié de la peine dont est passible le fait tenté est applicable à la tentative [1]. Enfin, le projet du Code pénal belge, actuellement soumis aux chambres législatives, s'est écarté sur ce point de la loi française, et porte dans son art. 2: « Toute tentative... est punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime consommé [2]. »>

Nos lois sont donc les seules qui aient établi et maintenu un nivellement injuste. Le législateur a senti cette injustice; il a voulu en corriger les effets, et il s'est confié au système des circonstances atténuantes [3]. Il nous semble que c'est entièrement détourner ce système de son but que de l'employer à rectifier les incriminations de la loi. Quel est ce but? C'est d'établir des différences dans la punition des faits qui, enveloppés dans le Code dans une même incrimination générique, sont loin de présenter une valeur identique, soit dans la détermination morale de l'acte, soit par les maux privés qu'ils produisent, soit par les dangers qu'ils font courir à l'ordre social. Ces circonstances ne sont pas des accessoires du fait principal; elles sont une partie essentielle de ce fait luimême, elles déterminent son degré d'immoralité. Un vol est moins criminel parce que le coupable n'a pas eu pleine conscience de son crime, parce qu'il a été séduit, passionné, parce qu'il a fait des aveux, témoigné du repentir, essayé une réparation. Comment détacher du fait principal ces circonstances? Comment les préciser dans leur variabilité? Ce sont des exceptions, des cas extraordinaires qui modifient la règle. Peut-on ranger dans cette classe la question relative à la pénalité de la tentative ? Mais cette question est une circonstance nécessairement accessoire de toute tentative; c'est une question de droit, un problème de la législation. Il s'agit de poser une règle et non d'apprécier un fai; et le jury n'est juge que des faits, il

[1] He shalh suffer one half of the punishment to which he would have been sentenced if he had comprehended the whole, art. 47.

ne doit pas réformer les lois. Quoi! cette question, débattue depu is des siècles par les criminalistes les plus célèbres, ce n'est pas le législateur, c'est le jury qui la tranchera! Mais le jury sera-t-il même averti que, dans ce cas, la non-consommation constitue une circonstance atténuante du fait? Il est évident que ce système efficace pour réparer l'injuste mais nécessaire nivellement de toute loi pénale, est à la fois inhabile à corriger les vices et les lacunes de cette loi. C'est à la loi elle-même à poser les principes, à graduer les peines, à établir les incriminations; au jury à différencier les espèces qui viennent se grouper sous chaque règle : mais il ne faut pas confondre la mission de l'un et de l'autre. Toutes les fois que la même circonstance est inhérente aux faits d'une même classe, elle modifie ces faits dans leur essence, elle doit faire l'objet d'une règle générale : le jury ne procurera qu'imparfaitement et capricieusement ce qu'une loi sage aurait donné avec prudence et d'une manière durable.

L'examen d'une question grave nous reste encore. Nous avons vu que la tentative existe dès qu'il y a commencement d'exécution, et qu'elle cesse dès que le crime est consommé. Entre ces deux termes extrêmes de l'entreprise criminelle, on peut marquer différents degrés : c'est ainsi que la loi romaine avait puni de peines diverses l'acte éloigné et l'acte prochain; c'est même ainsi que la loi hongroise semble reconnaître trois délits dans la tentative, passibles de châtiments différents. Il est évident, en effet, que plus le coupable approche de la consommation, plus son crime acquiert de gravité. Mais le législateur doit-il donc établir des échelons dans la peine selon les progrès de la tentative? Il ne doit indiquer que les degrés qu'il peut constater avec certitude et précision; les nuances intermédiaires rentrent dans le domaine du jury, car elles appartiennent au fait [4].

Les deux degrés les plus distincts sont la tentative et le délit manqué. Nous n'avons parlé jusqu'ici que de la tentative; nous devons examiner sous quel rapport le délit manqué en diffère, quelle place il occupe dans notre Code, et de quelle peine, en général, il doit être frappé.

nité dans les lois criminelles, p. 550. Ce magistrat pense que notre Code passe trop promptement de l'impunité de l'acte préparatoire à la sévère ré

[2] Observations sur le projet du Code pénal pression du commencement d'exécution; il émet belge, par M. Haus, t. 1, p. 64. le vœu que la peine ait plusieurs degrés, suivant les progrès du crime.

[3] Voy. suprà, p. 142.

[4] Voy. cependant M. de Molènes, De l'huma

Il y a délit manqué lorsque l'agent a achevé tous les actes qui avaient pour but d'accomplir une action criminelle, mais que cette action n'a pas eu l'effet matériel qu'il en attendait. Ainsi un individu décharge une arme à feu sur celui qu'il voulait tuer, mais le coup n'atteint pas la personne, ou cette personne blessée est sauvée par les secours de l'art. Ainsi encore, un homme, pour procurer l'avortement d'une femme enceinte, lui fait avaler un breuvage, mais l'effet de ce breuvage est prévenu par des soins. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a pas seulement · tentative, car le crime ne peut plus être volontairement suspendu par la volonté de son auteur, il a achevé tous les actes d'exécution; mais ce crime n'est pas consommé, car une condition essentielle du meurtre et de l'avortement, c'est que la mort ait été donnée, que l'avortement ait eu lieu. Ce résultat n'a pas suivi les faits matériels accomplis dans le dessein de les produire le crime est manqué.

:

Ce degré de la criminalité avait été prévu par la commission de législation du Corps législatif; elle signalait dans ses observations du 29 décembre 1809 une lacune dans le Code audit article: «Un individu a prémédité d'en tuer un autre; il lui tire un coup de pistolet et le manque : il Ꭹ a exécution, mais l'effet n'a pas lieu. Peut-on le regarder comme compris dans l'article 2 du Code relatif à la tentative? Il n'y a pas seulement tentative, mais le fait a été en quelque sorte consommé, quoique le coup ait manqué son effet. On conçoit qu'il existe une nuance différente entre des circonstances qui ne font que suspendre l'exécution d'une tentative et celles qui la font rester absolument sans effet, après un degré d'exécution beaucoup plus complet. Il suit de cette observation qu'il faudrait mettre une addition à l'article 2 du Code pénal; cette addition consisterait à mettre après les mots: si elle n'a été suspendue, ceux-ci: ou n'a manqué son effet. [1] » Cette addition fut adoptée par le Conseil d'état [2], elle a été maintenue dans le Code.

Ainsi, dans l'esprit du législateur, la tentative qui a manqué son effet, c'est le crime manqué. Il a réuni dans le même article et sous le même nom deux actes essentiellement distincts, et leur a appliqué la même peine. De

[1] Locré, t. 16, édit. Tarlier.

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, Locré, t. 15, édit. Tarlier.

[3] Traité du droit pénal.

{4] Journ. crit. de législ., t. 4, p. 131.

là ces paroles de M. Treilhard, que M. Rossi a appliquées à tort à la simple tentative: « Le coupable a commis le crime autant qu'il était en lui de le commettre, il a donc encouru la peine prononcée par la loi contre le crime. » Et en effet, s'il avait parlé de la véritable tentative, comment eût-il affirmé que l'auteur avait commis le crime autant qu'il était en lui? Si l'exécution n'était que commencée, n'étaitil pas maître de l'interrompre? M. Rossi s'est évidemment mépris sur le sens de ces expres sions et même sur la portée des termes de l'article 2. Du reste, la définition du Code est inexacte; car la tentative qui a manqué son effet n'est plus une tentative, mais bien un crime consommé, dans tous les cas où l'effet matériel du crime n'est pas nécessaire à sa consommation: tels sont le faux, l'incendie, l'empoisonnement.

C'est une opinion professée par plusieurs criminalistes, que la loi ne doit pas infliger les mêmes pénalités au crime manqué dans son effet, et au crime dont l'effet a été consommé. En Allemagne, M. de Fenerbach [3], Mittermaier [4], Weber [5], Bacner [6]; en Belgique, M. Haus [7]; en France, enfin, M. Rossi [8], ont successivement soutenu cette opinion avec toute la puissance de leur talent.

Leurs motifs peuvent se résumer dans deux argumens principaux. L'auteur du crime manqué n'a pas produit le même préjudice matériel que l'auteur du crime consommé. Cette diversité du résultat doit peser dans la balance de la justice sociale en fixant la mesure de la peine. Le législateur doit avoir égard non-seulement à la criminalité de l'intention révélée par le délit, mais aussi au mal qui résulte de ce délit pour la société, au dommage et à l'alarme qu'il produit. A la vérité, ajoute M. Rossi, si l'événement n'a pas suivi l'action, c'est l'effet du hasard, et le coupable en profite. Mais dans tous les crimes qui exigent, comme condition légale de leur existence, un certain résultat, le hasard exerce sa puissance; il y a bonne ou mauvaise fortune, et pourquoi l'auteur du crime ne profiterait-il pas, dans une certaine mesure, du bonheur qui a protégé sa victime?

Une seconde considération a été produite dans le même système. Il existe, a-t-on dit, un fait

[5] Archives du droit criminel.

[6]} Motif's du projet de Code pénal du Hanovre. [7] Observations sur le projet du Code pénal belge, t. 1, p. 64 à 82.

[8] Traité du droit pénal.

constant, général, un de ces faits de l'humanité dont le législateur doit tenir compte, lors même qu'il ne saurait en trouver une explication suffisante: c'est que les hommes ne confondent pas l'auteur d'un crime manqué avec l'auteur d'un crime consommé; c'est que le remords du criminel dont le crime est irréparable est plus cuisant; la conscience de l'autre s'apaise plus facilement. Or, la loi pénale doit-elle faire abstraction de ce rapport que la conscience humaine paraît reconnaître entre l'événement et l'immoralité de l'agent? L'expiation ne doitelle pas se mesurer d'après le sentiment intime? Reprenons ces deux argumentations. D'abord, il est évident, et nul ne l'a nié, que l'auteur du crime manqué dans son effet est aussi coupable aux yeux de la morale que celui dont le crime a été consommé : car, dans l'un et l'autre cas, l'action est également consommée dans l'intention de son auteur; dans l'un et l'autre cas, le repentir n'a point arrêté ses pas, il n'a point hésité à l'instant de l'exécution, le crime s'est accompli; si l'événement a trahi son exécution, c'est le simple effet d'un hasard. Or, est-il vrai que la peine doive fléchir par cela seul que le plomb, par exemple, a rencontré sur le cœur de la victime un obstacle quelconque, un acier protecteur, ou parce que des secours ont arrêté à temps son sang et conservé sa vie? Le crime est le même; la différence du châtiment doit-elle se puiser uniquement dans la différence d'un résultat qui a été indépendant de la volonté du coupable? Nous avons éprouvé, nous l'avouerons, quelque étonnement de rencontrer une telle doctrine dans une école spiritualiste qui a l'habitude de prendre dans l'immoralité des actes la base commune de ses incriminations. La question se réduit à ceci : Le législateur doit-il proclamer comme un fait d'excuse le hasard qui a empêché le crime de réussir? Mais ne proclamerait-il pas par là même une immoralité? Car il enseignerait à peser les actions d'après leur résultat matériel, et non d'après l'intention criminelle qui les a dirigées. Le dommage causé par le crime est, sans doute, un élément de la pénalité, mais c'est lorsque la qualité de ce dommage peut être considérée comme un fait révélateur de la criminalité de l'agent. Il est cncore vrai de dire que les hommes ont moins d'horreur pour les mains qui ne se sont pas souillées de sang que pour celles qui s'y sont trempées. Mais est-ce donc dans cette impression toute physique que la loi doit puiser les règles de sa répression? Ce qu'elle doit apprécier, c'est la -criminalité telle qu'elle est révélée par les faits; ce qui doit la déterminer à échelonner ses pei

nes, ce sont les nuances diverses de l'immoralité qui accompagne chaque action criminelle. Objecterait-on que nous avons pensé que la tentative devait être punie d'une peine inférieure au crime consommé? Mais une large distance sépare la tentative et le crime manqué. Là, le coupable est sur la voie du crime, mais il n'est pas encore arrivé jusqu'à la consommation; il a la possibilité de se désister. Ici, plus de désistement possible : l'agent n'a plus rien à faire pour consommer son crime, l'action criminelle est achevée. Dans le premier cas, un moment de repentir pouvait encore suspendre l'entreprise et en effacer toute la criminalité; dans la seconde hypothèse, le crime est indélébile. Voilà l'immense différence qui s'élève entre ces deux crimes. Si le crime manqué ne devait être puni que d'une peine inférieure au crime consommé dans ses effets, une exacte justice exigerait encore une plus forte atténuation à l'égard de la simple tentative, et dans ce cas la société serait-elle suffisamment garantie?

Au reste, il nous paraît que la différence que les criminalistes ont signalée entre le crime manqué et le crime consommé, apparente peutêtre dans la théorie, cesserait d'être appréciable dans la pratique. En effet, la limite qui sépare ces deux crimes est presque toujours incertaine et confuse; prenons pour exemple le meurtre: le crime n'est consommé dans ses effets que par la mort de la personne menacée. Ainsi, lorsque cette personne ne succombe pas, c'est un crime manqué; mais dans cette hypothèse même que de degrés différens! Il est possible que le coup n'ait pas porté ; que la balle n'ait fait qu'effleurer la victime désignée; qu'elle ait été atteinte, mais non mortellement; qu'elle guérisse complètement, ou qu'elle reste privée d'un de ses membres et condammée à traîner une vie misérable tronquée par le crime : il est possible encore que la seule vue de cet attentat ait aliéné sa raison, ou lui ait inoculé quelqu'une de ces maladies névralgiques plus cruelles que la mort même. Or, dans tant de circonstances diverses, la peine devra - t - elle également être abaissée d'un degré, parce que la mort n'a pas été actuellement effectuée? Mais si vous voulez la graduer sur le résultat matériel, ce résultat ne peut-il pas mille fois varier? Jusqu'à quel point le crime devra-t-il être consommé, jusqu'à quel degré la victime estropiée, pour motiver l'application d'une peine inférieure? Toutefois hâtons-nous d'ajouter que le crime manqué ne doit pas nécessairement être frappé d'une peine égale au crime consommé. Il est des cas où la séparation de ces deux cri

« PrécédentContinuer »