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mes semble avouée par la justice: si le crime a manqué son effet parce que le remords a fait trembler la main du coupable, parce que l'hésitation s'est attachée à ses derniers actes, parce que son trouble l'a trahi, ces agitations et ces craintes, qui décèlent une âme inaccoutumée au crime, nous paraissent des circonstances atténuantes. Et n'est-ce pas à ces tressaillemens, à cette faiblesse du crime, que la victime a dù son salut? La mission d'apprécier ces circonstances et de les reconnaître rentre dans le domaine du jury: car il ne s'agit plus ici de remettre aux jurés la solution d'un problème de la législation pénale; il s'agit d'apprécier le fait tel qu'il se traduit avec ses modifications: or le résultat du crime est une de ces circonstances intrinsèques. Sans doute le jury peut encore tenir compte à l'accusé du bonheur qui a protégé sa victime, du hasard qui a empêché l'accomplissement de son forfait; mais il sera plus particulièrement appelé à chercher si les causes de la non-consommation peuvent être attribuées à l'irrésolution, à l'hésitation du coupable, et il proclamera, dans ce cas, des circonstances atténuantes. Une règle d'atténuation érigée à l'avance et appliquée à tous les cas cesserait d'être juste et pourrait devenir périlleuse; la société conserve le moyen d'être humaine sans se reposer sur le hasard du soin de prévenir les résultats du crime.

Au terme de cette discussion, nous ne devons pas omettre de rappeler que plusieurs législations ont adopté la doctrine que nous avons combattue. Le Code prussien (tit. 20, art. 40) porte une disposition ainsi conçue : « Si le coupable a fait tout ce qui était nécessaire pour consommer le délit, mais que l'effet qui caractérise le crime ait été détourné par un hasard, il encourt la peine qui avoisine immédiatement la peine ordinaire. » Les projets de Code de Bavière et de Hanovre punissent indistinctement la tentative proprement dite et le délit manqué d'une peine inférieure au crime consommé. Enfin le Code pénal d'Autriche considère la non-consommation du crime comme une circonstance atténuante. Mais à côté de ces législations, nous citerons le projet du Code belge, dont l'art. 2 sépare le crime manqué de la tentative, et n'atténue la peine qu'à l'égard de celle-ci : «Toute tentative de crime, porte le 1er § de cet article, consommée par des actes tels qu'il n'est plus au pouvoir de son auteur d'en arrêter les effets, est considérée comme le crime même. » « Le trouble apporté à l'ordre social, a dit le ministre belge dans son exposé des motifs, le mal qui en résuite ou peut en

résulter, sont plus graves que dans l'exemple précédent (de la tentative proprement dite). L'auteur ayant été, quant à l'intention et au fait matériel, aussi coupable qu'il peut l'être, n'a aucun droit à profiter du défaut d'accomplissement de l'événement. La distance qui sépare son fait du crime entièrement consommé, ne peut être justement appréciée et définie. C'est à bon droit qu'on assimile ces actes au crime lui-même. »

Nous arrêterons ici nos réflexions générales sur la tentative. Nous avons, en les résumant, parcouru le cercle des questions théoriques que la science a soulevées sur cette matière. Cette discussion ne peut qu'éclairer les difficultés pratiques qui vont suivre. Nous avons posé les principes; examinons l'application qu'ils ont reçue.

L'art. 2 du Code pénal est ainsi conçu : « Toute » tentative de crime qui aura été manifestée » par un commencement d'exécution, si elle » n'a été suspendue ou si elle n'a manqué son » effet que par des circonstances indépendantes » de la volonté de son auteur, est considérée » comme le crime même. »

Avant la révision du 28 avril 1832, cet article portait : « Toute tentative de crime qui aura » été manifestée par des actes extérieurs et » suivie d'un commencement d'exécution...» La suppression de ces mots n'a point été motivée, et les discussions sont restées muettes à cet égard. Il est certain que cette modification n'a cu pour but que de corriger une rédaction embarrassée, et de faciliter une application qu'elle entravait. Néanmoins elle pourrait, si elle était mal comprise, avoir quelque danger. Le projet du Code de 1810 portait la même rédaction que l'article actuel; M. Treilhard avait pensé que la manifestation par des actes extérieurs et le commencement d'exécution étant la même chose, il était inutile d'employer ces deux expressions. Cette erreur fut relevée par M. Cambacérès, qui réclama le texte de la loi du 22 prairial an IV : « Cette rédaction, dit-il, » lève beaucoup de doutes et de difficultés; il » convient de la transporter dans le Code [1]. » En effet, si les actes qui caractérisent le commencement d'exécution étaient clairement définis, on eût pu, sans inconvénient, retrancher la mention des actes extérieurs. Mais lorsque la tentative se compose d'un grand nombre de circonstances, il peut être difficile de déterminer l'instant précis où se produit le commencement

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 4 oct. 1808; Locré, t. 15, édit. Tarlier.

d'exécution les criminalistes eux-mêmes s'y méprennent. « En annonçant aux jurés, a dit M. Bourguignon, que la tentative doit être manifestée pardes actes extérieurs et suivie d'un commencement d'exécution, vous leur apprenez à graduer les circonstances et à distinguer celles qui sont décisives et celles qui ne le sont pas, tandis qu'en supprimant la mention des actes extérieurs, vous les exposez à les confondre, vous les privez d'une idée intermédiaire, de l'un des élémens de la définition, et il pourra souvent leur arriver de prendre pour un commencement d'exécution certains actes extérieurs qui ne doivent pas avoir ce caractère [1]. » Il est donc nécessaire plus que jamais de poser une limite entre les actes extérieurs et les actes d'exécution, puisque la loi en effaçant les premiers parmi les circonstances élémentaires de la tentative, n'a point entendu les confondre dans les autres, et qu'elle continue de restreindre l'incrimination aux faits qui commencent l'exécution.

ment qu'il ne suffit pas que la Cour d'assises pose au jury les faits matériels pour en déduire ensuite les circonstances caractéristiques de la tentative; qu'il n'appartient qu'au jury d'apprécier si les actes incriminés forment un commencement d'exécution, et qu'en leur ôtant ce caractère, il enlève à la tentative, quels que soient les actes qui la composent, toute sa criminalité [5].

De là l'on peut induire que la distinction des actes extérieurs et d'exécution revêt peu d'importance en droit; mais elle en conserve une extrême dans la pratique, puisqu'elle pose la borne où l'acte commencé cesse d'être licite, où l'accusation peut le poursuivre, et la peine le frapper. Il ne sera donc pas inutile d'insister sur quelques-uns des arrêts que nous venons de citer.

La Cour de Bordeaux avait à décider si un homme qui s'était introduit dans une maison avec escalade et effraction, et dans l'intention de voler, mais qui avait été découvert avant qu'il eût saisi aucun objet, était coupable d'une tentative légale, et elle déclara que ce fait n'avait pas un tel caractère : « Attendu que si >> l'introduction violente forme l'acte extérieur >> qui manifeste la tentative, aucun fait de la >> cause ne présentait le commencement d'exé»>cution nécessaire pour qu'elle soit assimilée »> au vol. » Cet arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation. « Comment la Cour de Bordeaux, a »> dit le procureur-général, a-t-elle pu décider » que la réunion de ces circonstances ne con»> stituait pas un commencement d'exécution de » la tentative du vol? Un acte qui précède im» médiatement la consommation du crime, est »> nécessairement un commencement d'exécu

L'art. 2 pose, en effet, ce principe que nous avons développé plus haut, qu'il n'y a de tentative punissable que celle qui se manifeste par un commencement d'exécution. Et il faut d'abord en tirer cette conséquence, que toutes les fois que la tentative ne se révèle que par des actes simplement préparatoires, « elle n'existe, suivant les expressions de la Cour de cassation, que comme une intention, un projet dont la punition n'appartient point à la justice des hommes [2]. » Mais à quels élémens, dans quelles circonstances reconnaître le commencement d'exécution [3]? La loi ne l'a point défini; elle n'a désigné ni les actes préparatoires, ni les actes d'exécution; elle en a abandonné l'appréciation aux lumières des magistrats chargés de» tion. Que restait-il à faire à l'accusé pour exéprononcer sur la prévention ou l'accusation, et à la conscience des jurés; et cette appréciation est souveraine. La jurisprudence, un moment indécise, est aujourd'hui unanime sur cette première règle de la matière.

Ainsi, la Cour de cassation a décidé que l'arrêt d'une chambre d'accusation qui attribue à des faits le caractère d'actes préparatoires, échappe à la cassation, dans le cas même où ces actes se rattacheraient visiblement à l'exécution elle-même [4]; et elle a déclaré égale

» cuter le vol? Rien autre chose qu'à s'emparer »> des objets mobiliers qui se trouvaient dans » l'appartement. S'il se fût emparé de ces ob«< jets, il aurait été coupable du vol consommé. >> Or les faits déclarés devaient jmmédiatement » précéder le fait de l'appréhension de ces ob>> jets mobiliers, donc ces faits constituent un » commencement d'exécution. S'ils n'avaient pas » ce caractère, s'ils n'étaient que des actes ex» térieurs, il faudrait qu'entre ces actes et le » vol consommé, on pût par la pensée placer

[1] Jurisprud. des Codes crim., sur l'art. 2 du 1826, 4 oct. 1827. Dalloz, t. 27, p. 148; Sirey, 1826, Code pén., no 2.

[2] Arr. cass., 30 mai 1816. Dalloz, t. 27, p. 140. [3] Voy, dans ce sens arr. cass.. 27 août 1812, 18 mars 1813, 23 sept. 1825, 28 juill. 1825, 28 juil.

1, 197; 1828, 1, 120.

[4] Arr. cass., 23 sept. 1825 et 4 oct. 1827. Sirey, 1826, 1, 197..

[5] Arr. cass., 18 avril 1834. Sirey, 1834, 1. 55

» un fait intermédiaire qui serait le commen- viol, d'un assassinat ? C'est d'après cette dis» cement d'exécution. »>

Néanmoins le pourvoi a été rejeté : « Attendu » qu'en déterminant les circonstances néces»saires pour caractériser la tentative crimi» nelle, la loi n'a pas déterminé en même temps » les faits élémentaires et constitutifs de ces » circonstances; qu'il s'ensuit que quelque er» ronée que puisse être l'opinion de la Cour de » Bordeaux, en jugeant que les fait décalrés ne » constituaient point de commencement d'exé»cution, elle n'a point commis de violation » expresse de la loi [1]. »

Dans une seconde espèce, un individu avait escaladé une palissade et brisé des châssis et des carreaux de vitres dont l'effraction devait lui procurer l'entrée d'une maison. Cette entreprise ne fut interrompue que par l'apparition des habitans de la maison. Néanmoins, la Cour de Nancy déclara n'y avoir lieu à suivre par le motif que la tentative n'avait pas été suivie d'un commencement d'exécution, et la Cour de cassation confirma cet arrêt par les mêmes motifs que dans l'espèce précédente [2]. Il est à regretter que cette Cour, enchaînée par la souveraineté de la décision des Cours royales, n'ait pu examiner si l'escalade et l'effraction doivent être considérées comme des actes purement préparatoires ou d'exécution. M. Rossi, adoptant l'opinion exprimée dans le réquisitoire, n'hésite pas à voir dans ces actes un commencement d'exécution. Suivant ce célèbre professeur, l'escalade et l'effraction touchent de trop près à l'action criminelle pour qu'on puisse les en séparer; ces actes se confondent dans cette action, et ne forment avec elle qu'un seul tout. Cette opinion, qui peut sembler spécieuse, ne nous a pas paru exacte. L'escalade, l'effraction, de même que l'usage de fausses clefs, sont évidemment en dehors de l'action criminelle, ils la précèdent, ils la préparent; mais elle n'est pas encore commencée. Comment soutenir en effet que l'escalade, par exemple, est un commencement de vol? Cet acte ne peut-il pas avoir pour but la perpétration d'un tout autre crime, d'un rapt, d'un

[1] Arr. cass., 23 sept. 1825. Sirey, 1826, 1, 232, (*) et voyez plus bas la notice de l'arrêt de Bruxelles du 31 oct. 1834, aux notes.

(*) Le fait de celui qui est surpris sur le point d'ouvrir un meuble, dans un lieu où il s'est introduit en faisant usage d'une clef égarée, constitue la tentative de vol. Brux., 31 oct. 1834; J. de Belg., 1835, p. 35.

tinction que nous avons vu la loi romaine incriminer l'escalade et l'effraction, abstraction faite du crime que ces actes avaient pour but de commettre [3]. M. Carmignani refuse également de voir dans ces faits des actes d'exécution [4]. Mais, indépendamment de ces raisons générales, nous ferons remarquer avec M. Carnot [5], que l'usage des fausses clefs, l'escalade et l'effraction n'ont été considérés par le législateur que comme des circonstances aggravantes des crimes, et qu'il n'a puni ces actes, quelque graves qu'ils puissent être, qu'autant qu'ils se rattachent à un crime tenté ou consommé. Dès lors ces circonstances ne peuvent constituer par elles-mêmes une tentative punissable. Elles révèlent une intention criminelle; mais la loi ne punit l'intention que lorsqu'elle accompagne la perpétration ou la tentative d'un fait pu · nissable, et le législateur n'a pas aperçu dans ces actes préparatoires assez de péril pour en faire l'objet d'une pénalité principale.

Cependant, si l'escalade était suivie d'un acte quelconque d'exécution, quelque léger qu'il fût, il est évident qu'il y aurait tentative: ainsi le déplacement d'un objet, l'ouverture d'un meuble suffiraient, dans ce cas, pour constituer le crime. C'est ce que la Cour de cassation a décidé [6]; et cette solution démontre, en même temps, combien est inexacte cette proposition du réquisitoire que nous avons cité plus haut, qu'entre l'escalade et le vol consommé la pensée ne peut concevoir aucun fait intermédiaire qui puisse être un commence-· ment d'exécution.

On voit par ces exemples que la tentative échappe et glisse en quelque sorte entre deux faits opposés entre eux, l'acte préparatoire qui n'offre aucun caractère de délit, et l'acte qui consomme le délit. Suivant l'idée de M. Carmignani, l'esprit peut se figurer deux points marquant un espace, et imaginer la tentative comme se mouvant pour les parcourir [7]: elle se manifeste dans le premier acte visible du projet criminel, elle a sa limite dans l'accomplissement de ce projet. Mais dans cette série

[2] Arr. cass., 4 oct. 1827. Sirey, 1828, 1, 120. [3] Voy. supra loi 21, § 7, Dig. de furtis. [4] Teoria delle leggi della Fienrezza sociale, t. 2, p. 334.

[5] Comment. sur le Cod. pén., sur l'art. 2, no13. [6] Arr. cass., 29 oct. 1813. Sirey, 1827, 1, 148; Sirey, 1814, 1. 23.

[7] Loco cit., p. 326.

d'actes il faut distinguer ceux qui constituent l'action criminelle, et ceux qui ne font que la précéder ou la suivre. « Il y a toujours, a dit M. Rossi [1], un fait ou un ensemble de faits qui seuls constituent le but que l'agent veut atteindre, l'action criminelle qu'il se propose, Tout ce qui précède ou suit cette action peut avoir avec elle des rapports plus ou moins étroits; mais ce n'est pas là ce qui la constitue; elle peut avoir lieu sans ces précédens, ou avec des précédens différens. » Il faut donc dégager cette action des actes qui ne sont pas intimement liés avec elle, qui n'en forment pas une partie intrinsèque ce sont les actes préparatoires; ils sont achevés, et l'action n'est pas encore commencée : la tentative se prépare, légalement, elle n'existe pas encore, Elle prend naissance, elle devient passible d'une peine, lorsque le premier des actes dont l'ensemble compose le crime a été commis, et elle continue, sans distinction de degré de culpabilité dans sa course, jusqu'à la perpétration de l'acte qui achève et consomme ce crime. L'acte préparatoire peut répandre quelque alarme, mais sans péril actuel; la tentative met le droit en péril, mais sans le violer; le crime consommé viole le droit et blesse la sécurité publique, Cette distinction simple nous semble résumer les trois degrés qui séparent ces actes.

Les diverses circonstances caractéristiques de la tentative doivent nécessairement être exprimées tant dans l'arrêt de renvoi devant la Cour d'assises et dans l'acte d'accusation que dans la déclaration du jury. Il ne suffirait donc pas, pour l'application de la peine, que la tentative fût déclarée constante; il est nécessaire qu'il soit reconnu qu'elle réunit tous les caractères déterminés dans l'article 2 du Code pénal: car, nous le répétons encore, l'accusé peut être déclaré coupable d'une tentative, mais qui, n'étant pas celle du Code pénal, ne serait dans la vérité rien autre chose qu'une intention, un projet dont la répression n'appartient point à la justice sociale. La jurisprudence n'a pas dévié de cette règle [2], et c'est en l'appliquant que la Cour de cassation a successivement jugé que la réponse du jury qui n'a prononcé que sur deux

[1] Traité de droit pénal.

[2] Arr, cass., 26 juill. 1811, 23 mars 1815, 18 avril 1816, 30 mai 1816, 10 juin 1818, 15 avril 1824, 28 juill. 1826, 23 juin 1827, etc. Dalloz, t. 27, p. 140 et suiv.; Sirey, 1827, 1, 60. [3] Arr. cass, 10 déc. 1818. Voy. toutefois arr. cass., 13 janv. 1831. Dalloz, t. 27, p. 142.

caractères de la tentative, et a gardé le silence sur le commencement d'exécution, est incomplète [3]; et que la déclaration portant qu'il y a tentative de crime, mais que cette tentative n'a pas réuni les caractères spécifiés en l'article 2, ne présente, au contraire, aucune obscurité [4]: dans cette double hypothèse il n'y a pas tentative légale, le crime s'est effacé.

Depuis la loi modificative, et par suite du changement de rédaction, il suffit que le jury déclare que la tentative a été manifestée par un commencement d'exécution, et qu'elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Mais ces expressions, qui énoncent les deux circonstances élémentaires de la tentative punissable, le commencement d'exécution et la suspension involontaire, ne sauraient être remplacées par des termes équipollens. Dans les premiers temps qui suivirent la promulgation du Code pénal, quelque incertitude s'était manifestée à cet égard dans la jurisprudence de la Cour de cassation [5], mais le principe est aujourd'hui parfaitement reconnu. Et en effet, si des expressions équipollentes étaient admises, comment reconnaitre que ces expressions ont identiquement la valeur des termes de la loi? Quelle interprétation serait assez infaillible pour en être assurée? Et comment asseoir une peine sur une interprétation? La question doit donc être posée aux jurés dans les termes mêmes de la loi; et peut-être est-ce un devoir pour le président d'appeler leur attention sur les circonstances constitutives du crime, et sur les nuances qui distinguent ces circonstances.

Cependant les dispositions de l'article 2, quelque généraux qu'en soient les termes, admettent plusieurs exceptions; les unes sont fondées sur un texte du Code, les autres ne résultent qu'implicitement de ses termes. Ainsi cet article n'est point applicable en matière de complot (art. 89 et 90), de faux (art. 132 et suiv.), de corruption (art. 179, § 2), d'avortement (art. 317, § 2 et 3), d'attentat à la pudeur (art. 331), et de subornation de témoins (art, 365) [*]. Nous allons indiquer succinctement l'étendue et les limites de ces différentes exceptions.

[4] Arr. cass., 9 juill. 1829. Sirey, 1829, 1, 363. [5] Arr. cass., 22 août 1811, 22 janv. et 1er juill 1813. Dalloz, t. 27, p. 141 et suiv.

[*] Ces articles, sauf le 178, ont été plus ou moins modifiés par le nouveau Code français; nous renvoyons, pour le texte du Code de 1810, à l'Appendice.

:

L'article 89 prévoit le complot, c'est-à-dire l'association arrêtée entre plnsieurs personnes pour exécuter l'attentat ce crime, qui n'est qu'une espèce particulière de tentative, a deux degrés distincts. La loi punit, d'abord, la résolution d'agir, la simple volonté, indépendamment de tous actes extérieurs, parce que cette volonté, cette résolution présente des dangers pour la société, dès qu'elle émane une et définitive de plusieurs personnes réunies le pacte d'association est en quelque sorte considéré comme l'acte extérieur; la loi prévoit ensuite le cas où cette résolution concertée a été suivie d'un acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution. Il est nécessaire de distinguer ici les actes préparatoires et les actes d'exécution: car, si l'acte commencé ou commis était un acte d'exécution, le fait cesserait d'être un complot, il constituerait un attentat; si l'acte est purement préparatoire, le complot ne change pas de caractère, seule ment cet acte devient un élément d'aggravation de la peine.

L'art. 90 présente la même exception dans une espèce différente. Il ne s'agit plus d'une association, d'un contrat auquel plusieurs individus ont adhéré : c'est un homme isolé, qui seul forme un projet d'attentat, qui arrête son exécution sans la communiquer à personne. Sa pensée, tant qu'il ne l'a point manifestée, sa volonté, quelque coupable qu'elle soit, tant qu'elle demeure inerte dans son sein, est hors de la portée de la loi. Ce n'est donc point la simple résolution que punit cet article, c'est l'acte extérieur qui la révèle, c'est l'acte préparatoire de l'exécution de l'attentat ; et c'est dans l'incrimination de cet acte que consiste la dérogation au droit commun. Il faut répéter, au reste, que si l'acte extérieur constituait un commencement d'exécution, le même article cesserait de régir le fait, qui alors prendrait le caractère d'une tentative, et devrait être puni comme un attentat. Le Code pénal, avant sa révision, réputait attentat tout acte extérieur commis ou consommé pour parvenir à l'exécution, Cette exception au principe de l'art. 2 n'existe plus : le changement opéré dans le texte de l'art. 83 a eu pour but de replacer le crime dans le droit commun, en déclarant que le fait ne constituera l'attentat qu'autant qu'il

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y aura eu exécution ou tentative. Il est évident que le législateur n'a pu entendre que la tentative légale, et d'ailleurs il l'a reconnu luimême: «La manifestation par des actes exté>> rieurs, porte l'exposé des motifs de la loi »> modificative, d'une résolution criminelle, màis » avant le commencement d'exécution, ne sau>> rait être assimilée à l'attentat lui-même. » C'est à l'attentat, c'est-à-dire, d'après le projet de la loi, à l'exécution déjà commencée, que la peine capitale sera réservée; il suit de là que s'il y a eu désistement volontaire, ou si les actes commencés sont purement préparatoires, le crime d'attentat disparaît: mais le complot peut subsister cette interprétation se trouve confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation [1].

Les crimes de faux offrent une deuxième exception, mais seulement implicite, aux règles de l'art. 2. La fabrication d'une monnaie ou d'une pièce fausse n'est point en elle-même un crime, mais bien un moyen de le commettre par l'usage de la pièce ou l'émission de la monnaie; le crime réel, en effet, consiste dans le vol, l'escroquerie, la tromperie en un mot, que le faux est destiné à accomplir. La fabrication n'est donc, à proprement parler, qu'un acte préparatoire de ce vol ou de cette escroquerie. D'où il suit que la loi pénale, en incriminant cet acte préparatoire, en le rangeant parmi les crimes principaux, a établi une dérogation formelle à l'article 2, qui ne punit que le commencement d'exécution du crime. La facilité avec laquelle le faussaire peut à tout moment faire usage de la pièce fausse, et le péril dont cet acte préparatoire menace incessamment la société, ont motivé cette dérogation au droit commun, dérogation que la plupart des législations ont admise, ainsi qu'on le verra plus loin, dans notre chapitre du faux.

La loi a donc séparé les éléments de ce crime, et elle en a formé deux crimes distincts: la fabrication de la pièce fausse et l'usage de cette pièce (art. 132, 147, 148 C. P.) Dès lors, et l'acte préparatoire de la fabrication ayant le caractère d'un crime principal, la tentative de ce crime doit être incriminée lorsqu'elle réunit les éléments constitutifs précisés par l'art. 2 [2]. Ainsi la Cour de cassation a dû juger que le fait d'un individu qui se présente devant un officier

que la tentative volontairement abandonnée : «Qui falsam monetam percusserunt, sed id totum formare noluerunt, suffragio justæ pœnitentiæ absolvuntur. »

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