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un délit sous l'empire d'une loi, depuis abrogée, puisse profiter des dispositions plus douces de la loi nouvelle, lorsqu'il est jugé après sa promulgation; on conçoit également que si la loi abrogée était moins rigoureuse, il puisse en réclamer le bénéfice, puisque c'était la seule qui fût connue au moment de la perpétration du délit. Mais il n'existe, il ne peut exister aucune raison de rendre la condition de ce prévenu plus favorable que ne l'ont faite l'une ou l'autre des deux législations.

1791 qui avait été publié durant l'instruction En effet, on conçoit, que celui qui a commis ne portait que 20 ans de fers, enfin le Code pénal infligeait à ce crime les travaux forcés à perpétuité. Il fallait opter entre ces trois peines: la Cour de cassation déclara qu'il suffisait que, dans l'intervalle d'un délit au jugement, il eût existé une nouvelle loi pénale, plus douce que celles qui existaient soit au moment du délit, soit à l'époque du jugement, pour que cette loi dût seule être appliquée [1]: en conséquence l'accusé n'eut à subir que 20 ans de fers. La raison de cette décision est qu'il y a droit acquis pour le prévenu dès qu'une peine plus douce a remplacé celle plus sévère qui le menaçait. On ne saurait non plus lui faire l'application d'une loi postéricure plus rigoureuse que la seconde, parce que ce serait lui imprimer un effet rétroactif.

Les modifications que la législation a éprouvées en 1832 devaient donner lieu à peu de questions de cette nature, puisque les peines du nouveau Code sont généralement plus douces que celle de l'ancien. Cependant la Cour de cassation a décidé, par arrêt du 18 janv. 1833, et toujours d'après les mêmes principes, que le prévenu d'un délit de détérioration d'un chemin public commis avant le nouveau Code et puni par le Code rural d'une amende de 24 fr., qui le rendait justiciable de la police correctionnelle, devait être renvoyé devant le tribunal de police en lui appliquant l'art. 479, no 11, C. pén. [2].

Tout ce qu'il peut réclamer, c'est l'application de la loi la plus douce. Aller au-delà et dépouiller les deux législations de leurs dispositions les plus sévères pour en composer une loi mixte pour lui seul, ce serait absurde, puisqu'il n'a aucun droit quelconque à un tel privilége: et comment qualifier cette combinaison étrange de deux lois pénales, cette pénalité formée du maximum de l'une et du minimum de l'autre, cette disposition qui n'appartiendrait à aucune législation, qui scrait en dehors de tous les systèmes? La faveur due au prévenu, les lois de l'humanité ne sont point de vains mots; mais les principes tutélaires qui ont motivé l'effet rétroactif des lois pénales lorsque le prévenu y est intéressé, ne peuvent justifier une dérogation formelle à ces lois elle-mêmes. Évidemment la seule faculté que, dans l'espèce proposée, le prévenu pût réclamer, c'était l'option entre les deux lois, Une question assez délicate a surgi depuis c'était le choix de celle suivant laquelle il déla même époque. Il s'agissait de savoir si, lors- sirait être jugé. Il importait peu ensuite que que depuis la perpétration d'un délit et avant les dispositions des deux législations fussent qu'il ait été jugé, une loi nouvelle abaisse le comparées d'après telle ou telle base pour lui maximum de la peine applicable, mais en être appliquées; car il aurait toujours eu le élevant à la fois son minimum, laquelle de droit de répudier cette application si elle lui ces deux législations doit être appliquée au portait quelque préjudice. Cependant nous prévenu. Le fait poursuivi, dans cette espèce, croyons que ce n'est ni par leur maximum, était une usurpation sur la largeur des che- ni par leur minimum exclusivement, que mins, punissable d'une amende qui ne pouvait cette comparaison doit être faite, puisque d'aètre moindre de 3 livres, ni excéder 24 livres, près le système des art. 463 et 483 Code pénal, d'après l'art. 40 de la loi du 28 sept.-6 oct. 1791, les peines ont un maximum purement nominal et d'une amende de 11 à 15 fr., d'après l'ar- et sont presque indéfiniment réductibles; il est ticle 479, no 11, C. pén. Un arrêtiste a pensé plus simple de prendre pour base du rapprochequ'il fallait combiner les deux lois en faveur ment le caractère même du fait, lorsque ce cadu prévenu, de manière à lui conserver le mi- ractère n'est pas identique dans les deux lois nimum de la loi abrogée, tout en le faisant successives. Ainsi, dans l'espèce, c'est moins jouir du maximum abaissé de la loi nou- parce que le taux de l'amende avait été réduit, velle. que parce que le fait d'usurpation, de délit Un pareil système ne pourrait être admis. correctionnel était devenu une contravention

[1] Arr. Cass. 1er octobre 1813. (Dalloz, 18, 614.) -13 février 1814. (Sirey, 15, 1, 592.)

[2] Journal du Droit criminel, 1833, pag. 63.

de simple police, que nous pensons que la législation nouvelle était seul applicable au pré

venu.

Nous ne devons pas omettre de mentionner, en terminant sur ce point, que la même difficulté s'est encore soulevée depuis la loi du 28 avril 1832, à l'occasion de l'application de la surveillance aux individus condamnés antérieurement à cette loi. Un avis du conseil d'État, du 7 novembre 1832, a décidé que le nouveau mode d'exécution de cette peine s'appliquait à ces condamnés, exceptant toute fois ceux qui réclameraient la faculté de jouir du bénéfice de leur cautionnement. Il est à remarquer qu'ici il y avait chose jugée à l'égard de ces condamnés; mais il s'agissait du mode d'exécution de la peine, plutôt que d'une peine nouvelle, et il eût été bien rigoureux de leur appliquer des mesures que le législateur abolissait à raison de leur sévérité même. Nous arrivons à la deuxième exception, au principe de la non-rétroactivité. Cette exceptíon a été introduite par la jurisprudence plus que par la loi, à l'égard des lois qui règlent la compétence ou la forme de procéder. La question de savoir quelle est la loi qui doit régir la procédure est de la plus haute gravité; elle exige un examen approfondi.

On cite en faveur de la rétroactivité un seul texte, l'art. 30 de la loi du 18 pluviôse an 9, relative à l'établissement des tribunaux spéciaux. Cet article dispose simplement qu'à compter du jour de la publication de la loi, tous les détenus pour crimes de la nature de ceux qu'elle mentionne, seront jugés par le tribunal spécial [1]. Voilà la seule disposition légale qui ait, servi d'appui à la jurisprudence dans la distinction qu'elle a établie entre les lois pénales et les lois de procédure, pour faire rétroagir cellesci et ôter au contraire à celles-là tout effet rétroactif et toutefois cette jurisprudence, fortifiée de loin en loin, par des décisions identiques, est demeurée presque invariable, et ne parait même avoir été l'objet d'aucunes critiques.

Un premier arrêt, à la date du 24 juin 1813, invoque l'autorité de la loi de pluviose an 9 et déclare que le principe de la non-rétroactivité ne s'applique qu'à la peine et qu'il ne s'étend pas à la compétence ou à l'instruction. La question se représenta après la loi du 25 mars 1822 qui dépouillait les Cours d'assises du jugement

[1] L'art. 5 de la loi du 23 flor. an 10, qui donne de nouvelles attributions aux tribunaux spéciaux, déclare applicables aux nouveaux crimes qu'elle leur

des délits de presse et les transportait aux tri`bunaux correctionnels et aux cours royales. Nouvel arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 1822 qui décida de nouveau « que le principe de »> la non-rétroactivité n'est applicable qu'au fond >> des droits acquis et à la punition des délits an>>térieurement commis, mais nullement aux rè>> gles d'après lesquelles ces droits et ces délits >> doivent être poursuivis devant les tribunaux.>> Cette fois ce principe est donné comme universellement reconnu ; il n'est plus besoin de citer l'art. 30 de la loi de pluviôse an 9.

La déclaration de l'état de siége en juin 1832 fit de nouveau surgir cette question. Cette fois elle fut examinée de plus près, et plusieurs tribunaux hésitèrent à adopter la maxime de la Cour de cassation; mais les Cours royales de Paris et d'Angers se rangèrent à son système [2]; et la première de ces Cours sanctionna le réquisitoire de M. le procureur-général portant << qu'il >> faut distinguer, en matière pénale, ce qui >> constitue le fond ou la pénalité, et ce qui est » relatif à la forme ; que le fond est toujours sou »> mis à la loi existante au moment du délit, à » moins qu'elle ne soit plus sévère; tandis que la >> forme, la procédure et la juridiction dépen>> dent de la loi qui vient d'en investir une autre » autorité [3]. »

C'est là tout le système qu'il faut examiner. De ce qui précède, déduisons d'abord ce point que cette distinction ne puise sa source dans aucune loi, car on ne voudrait pas apparemment invoquer aujourd'hui comme autorité la loi du 18 pluviôse an 9. Le législateur qui dépouillait les tribunaux ordinaires et qui élevait des Cours spéciales pouvait aussi facilement renverser les règles les plus communes du droit. Mais les règles spéciales qu'il créait ne sont-elles pas tombées avec les tribunaux spéciaux ? La loi de pluviòse an 9 n'a-t-elle pas cessé d'être en vigueur? Comment une seule des dispositions de cette loi aurait-elle conservé force et vie? et puis, la règle exceptionnelle de compétence qu'elle posait n'était-elle pas limitée aux dispositions mêmes de la loi ? Comment lui conférer un caractère général, lui faire dominer toute la législation ? de ce que dans un cas particulier, urgent, le législateur, qui violait à ce moment même les droits jusques là reconnus des citoyens, a suspendu l'une des règles communes de toute justice, comment résulterait-il, de cette exception

décerne, les dispositions de la loi du 18 pluv. an 9. [2] Journal du Droit criminel, 1833, pag. 150. [3] Journal du Droit criminel, 1832, pag. 151.

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une règle générale, de cette usurpation un droit commun? Mettons donc la loi de côté; elle est muette, complétement muette sur ce point; occupons-nous de la question en elle-même.

Est-il nécessaire de répéter le principe général qui plane sur toute notre législation? La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif. Voilà la règle générale, le droit commun. Toutes les lois, quelle que soit leur nature, quel que soit leur but, sont soumises à ce principe tutélaire; si l'on y a introduit une seule exception, c'est dans l'intérêt des justiciables eux-mêmes; c'est quand, soustraits à l'application de la loi nouvelle, ils en réclament eux-mêmes le bienfait. Mais la non-rétroactivité est leur droit; dans tous les cas, ils peuvent l'invoquer; qu'on révèle donc une exception écrite quelque part à ce principe de droit public; qu'on produise le texte qui aurait soustrait à son empire les lois de procédure et de compétence. Jusque-là le principe est là, général et sévère : ces lois comme toutes les autres, ne peuvent régir que les faits accomplis depuis leur promulgation.

Ensuite, cette distinction du fond du droit et de la forme de procéder, est peut-être admissible en matière civile. Mais en matière criminelle, la forme constitue une partie même du droit de l'accusé, car il y puise sa défense; et comment ne voir qu'une question de forme dans l'introduction d'une juridiction ou son établissement après coup? tout ce qui touche soit à la création, soit à l'ordre des juridictions n'est-il pas fondamental et sacré? les juges naturels de tout prévenu d'un crime ou

d'un délit, ne sont-ils pas ceux existant au jour de la consommation du fait? Est-il done indifférent, surtout si le délit est d'une nature politique, d'être jugé par des jurés ou des juges permanens, par une Cour d'assises ou un Conseil de guerre? La règle de la compétence, règle tutélaire, est que tout citoyen ne peut répondre de ses actes que devant un tribunal certain et connu à l'avance. [*]

Persister à ne voir dans cette garantie qu'une affaire de forme, ce serait méconnaître le fond des choses, et créer une fiction pour étayer une règle arbitraire. Car il peut même se trouver qu'il soit plus important pour les prévenus de conserver la garantie des juridictions existantes au temps du délit, que l'application des peines en vigueur à la même époque. Qu’importait la peine au prévenu d'un délit de la presse, commis avant la promulgation de la loi du 25 mars 1822? ce qui lui importait surtout, c'était d'être traduit en Cour d'assises, devant ses juges naturels ; c'était là son plus grave intérêt.

Si le droit est évident, nous cherchons vainement des raisons plausibles de le restreindre. La Cour de cassation s'est contentée d'établir en principe dans ses arrêts, ce qui était à juger; elle n'a énoncé aucun motif de solution. On doit espérer que cette grave difficulté ne se représentera pas; mais si elle pouvait surgir encore, on se rappellerait sans doute que la non-rétroactivité des lois est l'une de ces règles éternelles qui régissent la société; et qu'il n'est jamais permis d'y déroger à moins que ce ne soit dans l'intérêt et du consentement même de ceux que frappent les lois nouvelles.

[*] M. Rauler, Cours de Dr. crim. édition actuel- embrasse la doctrine de la Cour de cassation. lement sous presse à la librairie de Jurisprudence,

CHAPITRE III.

SUITE DES DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES.

DÉFINITION Des crimes et DÉLITS MILITAIRES. -ART. 5 DU CODE PÉNAL.

L'art. 5. du Code pénal déclare que les dispositions de ce Code ne s'appliquent pas aux contraventions, délits et crimes militaires. Mais quels faits sont réputés crimes et délits militaires? quel sens et quelle étendue la loi a-t-elle attaché à cette expression?

La loi pénale est muette sur cette question. Elle s'est contentée d'indiquer l'exception sans en poser les limites ; et c'est à la législation spéciale que nous sommes forcés de nous reporter pour obtenir une solution, sans laquelle l'intelligence de notre texte ne serait point complète. Nous allons donc jeter un coup d'œil rapide sur cette législation.

Le Code pénal militaire [*] se compose de lois successives et confuses, sans liaison entre elles, sans principes fixes, et qui n'ont d'autre harmonie que la prodigieuse élévation de leurs peines et leur tendance continuelle à envahir la juridiction civile. Créées dans des temps de guerre et de troubles, elles se sont maintenues sans nécessité au sein de la paix, et lorsque les autres parties de la législation pénale, également armées de châtimens excessifs à cette époque, se sont successivement adoucies, les lois militaires ont gardé leurs règles inflexibles et des pénalités que leur rigueur rendrait inapplicables, si le juge qui les prononce n'était assuré que la clémence royale interviendra pour les tempérer. On trouve, dans cette législation, les actions les plus diverses (les délits militaires et les délits communs) frappées d'une peine uniforme, confondues dans la même infamie. La peine des fers est étendue à des délits purement

[*] Le Code pénal militaire hollandais a été mis en vigueur en Belgique par arrêté du 17 avril 1815. Il n'a pas cessé d'avoir force de loi depuis la séparation de 2830. Arrêt de la haute-cour militaire des 25 oct. 1831 et 10 fév. 1832; Br., cass. 15 mars 1819; J. de Br., 1819, 1, 193 ; et voyez CHAUVEAU, T. I.

militaires ; la peine de mort est prodiguée même à des fautes de discipline. Enfin la juridiction exceptionnelle étend sa puissance jusqu'à des transgressions communes, qui n'ont aucune relation avec les devoirs militaires.

Un telle législation a dû souvent exciter la sollicitude du gouvernement; aussi depuis 1808, où fut assemblée la première commission qui fut chargée de ce travail, jusqu'à ces dernières années, s'est-il presque constamment occupé de la révision des lois pénales militaires. [**] Mais soit que cette entreprise ait été hérissée de difficultés insolubles, soit que le temps ait manqué à nos assemblées législatives, ces lois, péniblement élaborées, à demi discutés et votées, sont encore inachevées. Il est toutefois impossible que beaucoup d'années s'écoulent désormais avant que cette plaie de la législation ne soit fermée, et c'est un motif de restreindre nos observations aux points ies plus importans.

' Il faut remarquer, d'abord, que la loi militaire, dans son état actuel de confusion, ou ne définit point les faits qu'elle répute militaires, ou s'écarte rapidement des définitions qu'elle hasarde. Les délits militaires, dans les lois aujourd'hui en vigueur, sont, en définitive, et, comme on le verra plus loin, tous les délits dont la connaissance et le jugement sont attribués aux tribunaux militaires. Pour déterminer le caractère légal de ces faits, nous avons donc à fixer les limites des deux juridictions. La question de classification se complique d'une question de compétence.

La théorie de la juridiction militaire peut se

les arrêtés du gouvernement provisoire des 16 et 27 oct. 1830.

[**] Une commission est également chargée en Belgique d'un projet de révision. Voyez Const. belge, art. 139, no 10.

2.

résumer dans quelques règles à peu près incontestées et qui guideront les lecteurs au milieu du dédale presque inextricable de la loi.

La légitimité d'une justice militaire ne pourrait être sérieusement mise en doute. Elle est légitime, a dit M. de Broglie, par ce qu'elle est nécessaire [1]. En effet l'indépendance des nations n'est protégée que par les armées, et les armées ne peuvent exister que par le rigoureux accomplissement des engagemens et des devoirs qui leur sont propres. Pour en assurer la constante exécution, il faut donc qu'une justice ferme et prompte frappe ceux qui les méconnaissent. On peut même ajouter que l'existence des tribunaux militaires importe à la saine distribution de cette justice; car seuls ils peuvent comprendre et les devoirs qu'il est essentiel de faire respecter, et les circonstances de la transgression qui en modifient le caractère. Cette juridiction exceptionnelle se fonde donc, d'abord, sur un haute et puissante considération politique, une raison d'état souveraine, la nécessité d'assurer la mission d'obéissance et de sacrifices à laquelle les armées sont dévouées; elle se fonde, ensuite et secondairement, sur un principe de justice substantielle, parce que ce n'est que devant des tribunaux militaires que les délits disciplinaires peuvent obtenir bonne et sûre justice.

Mais puisque c'est de la nécessité que dérive la légitimité de la justice militaire, on doit conclure que là où cette nécessité n'est plus constatée, cette juridiction cesse d'être légitime. C'est le premier principe théorique de la matière, et il est évident que plus les règles du droit commun domineront dans l'esprit du législateur, plus les limites de la juridiction exceptionnelle seront étroites et resserrées. Passons à l'application de ce principe.

Hors des rangs de l'armée, nul ne doit être sujet à sa juridiction. Le citoyen apppartient à la justice civile: son immunité est si grande, qu'en cas de complicité il entraîne le militaire qui a coopéré à son délit devant la juridiction ordinaire. Le législateur ne doit livrer aux tribunaux exceptionnels que les individus qui, par position, par choix, par nécessité, ont ces tribunaux pour leurs juges naturels : il doit placer entre la société civile et la famille militaire une barrière qui ne peut être franchie.

[1] Chambre des Pairs, Moniteur du 15 juin 1829, suppl.

[] Des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les

Les militaires eux-mêmes doivent être considérés sous deux points de vue distincts. Comme militaires, ils ont contracté des obligations d'un ordre tout spécial. Ces obligations, lorsqu'ils y manquent, exposent à des peines particulières; c'est à ce titre qu'ils sont réclamés par les tribunaux d'exception. [*] Mais avant d'être militaires, ils sont citoyens; ils sont soumis, comme les autres membres du corps social, aux lois générales qui régissent le pays: accusés, eux aussi, ils ont droit à toutes les garanties que la loi assure à l'innocence en péril, et dans un intérêt opposé, s'ils ont failli, c'est à la justice du pays, à la justice ordinaire qu'ils doivent réparation. Cette distinction capitale a été trop long-temps méconnue. La société n'est plus en sûreté, lorsque la poursuite des délits qui blessent l'ordre civil n'est point confiée aux magistrats chargés de sa défense. Il faut restituer à la juridiction ordinaire tous les délits commis, même par des militaires, contre les lois générales de la société.

La compétence des tribunaux exceptionnels ne doit donc exister que pour les militaires ou les personnes nécessairement attachés à l'armée, et seulement à raison des délits militaires qu'ils ont commis. Or, ces délits peuvent se réduire à deux espèces : les uns sont d'ordre politique, ce sont ceux qui atteutent à la discipline de l'armée, ceux qui enfreignent le devoir militaire; les autres appartiennent à l'ordre moral : ce sont des délits communs qui prennent un caractère mixte à raison de la qualité des prévenus et des personnes qu'ils lèsent; tels sont les délits commis de militaire à militaire, et les vols dans les casernes. Mais les infractions de cette deuxième catégorie ne doivent même appartenir aux conseils de guerre que lorsque les prévenus sont en pleine activité de service; dans toute autre situation, la nécessité du service militaire n'exigeant plus leurs concours, elles doivent être de la compétence des tribunaux ordinaires.

En proclamant ces principes simples et féconds, nous ne faisons, à peu près, que résumer les longues et savantes discussions que cette matière a soulevées. C'étaient là les principales bases du projet de loi présenté en 1829 à la Chambre des Pairs, sur l'organisation des tribunaux militaires. « La législation spéciale,

droits et attributions des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions. Const. belge, art. 105.

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