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plus sons les yeux, au moment de la délibération, les faits constitutifs de la complicité, pourrait être entraîné à faire dériver cette complicité de faits qui, aux yeux de la loi, n'auraient pas ce pouvoir.

Toutefois, il n'est plus nécessaire que les faits élémentaires soient déterminés, lorsque les accusés sont déclarés, non point complices, mais coanteurs du crime; car l'article 60 ne s'applique point à la coopération comme auteur, mais aux faits extrinsèques au crime, et qui tendent seulement soit à arriver à sa perpétration, soit à la faciliter. Ainsi, lorsque deux accusés sont déclarés coupables d'avoir, ensemble et de complicité, commis un meurtre, ils sont par là même reconnus coauteurs du meurtre, et il n'est plus besoin de constater les faits caractéristiques de la complicité. Cette exception, qui dérive de la nature des choses, mais qui signale la nécessité de distinguer avec soin, même dans la pratique, les auteurs et les complices d'un crime, a été reconnue par plusieurs arrêts [1]. La règle qui exige la constatation des diverses circonstances constitutives de la complicité, reçoit une application particulière relativement à chacun des actes de la complicité. Il est nécessaire que nous la suivions dans ses différens rapports. La provocation se manifeste par dons, promesses, menaces, abus d'autorité et de pouvoir. Si elle n'est pas accompagnée de ces circonstances, elle échappe à toute répression; ou du moins, si, dans quelques cas particuliers prévus par l'art. 102 C. P. et par les lois des 17 mai 1819 et 9 septembre 1835, elle devient passible d'une peine, c'est comme formant un délit principal et distinct, et non comme un acte de complicité. Il suit de là qu'il est indispensable que le jury déclare la circonstance qui peut seule en incriminer le caractère, puisque la simple provocation, libre de toutes circonstances aggravantes, ne constituerait ni crime ni délit. La Cour de cassation a dû proclamer à deux fois cette nécessité [2]. On ne doit pas, au reste, perdre de vue que cette espèce de provocation suppose nécessairement une supériorité de moyens, soit intellectuels, soit pécuniaires; ainsi, l'on ne pourrait raisonnablement la supposer de la

part d'un domestique envers son maître, d'un soldat envers ses chefs; car ni le soldat ni le domestique ne peuvent avoir exercé cette influence, suffisante pour déterminer le crime. Cette observation est de nature à lever beaucoup d'incertitudes sur les caractères de ce mode de participation. La provocation se révèle encore par des machinations ou artifices coupables. Or, il est d'abord hors de doute qu'il ne suffirait pas que l'accusé fût déclaré coupable d'avoir provoqué par des artifices, pour justifier l'applieation de la peine; car la loi n'incrimine que la provocation par artifices coupables. Ce point a été reconnu par la jurisprudence [3]. Mais cette qualification ne s'applique-t-elle qu'aux artifices? Ne doit-elle pas se référer en même temps aux machinations? En un mot, est-il nécessaire que les machinations qu'a employées la provocation soient déclarées coupables? La Cour de cassation ne l'a pas pensé; elle a établi une distinction entre les artifices et les machinations. Les premiers ne seraient coupables qu'autant qu'ils sont qualifiés tels; les autres entraîneraient une présomption de criminalité qui rendrait superflue toute qualification [4], M. Carnot a pensé, au contraire, que ces deux expressions ont le même sens; que l'épithète coupable doit leur être appliquée à toutes deux pour caractériser une fraude condamnable; et que si, dans l'art. 60, cette épithète ne se trouve qu'après le mot artifices, c'est pour éviter une répétition inutile. Cette dernière opinion nous parait préférable. L'expression de machinations n'emporte pas avec elle une telle idée de criminalité qu'il soit inutile d'y ajouter la qualification de coupables : les jurés seraient exposés à confondre de simples manœuvres avec des manœuvres criminelles; et ces dernières seules peuvent être un élément de complicité [*].

Enfin la provocation a lieu en donnant des instructions pour commettre l'action criminelle. Or la complicité est-elle suffisamment caractérisée par la déclaration que l'accusé a donné les instructions? Nous pensons avec M. Carnot [5] qu'il serait utile d'ajouter que l'accusé savait que les instructions devaient servir au crime. Cependant M. Dalloz [6] repoussé cette addition, parce que la connaissance lui paraît résulter des

[1] Arr. cass., 31 juill. 1818; Sirey, 1819, 1, 116; 19 janv. 1821; Dalloz, t. 6, p. 343.

[2] Arr. cass., 14 oct. 1825; 16 mars 1826; Sirey, 1827, 1, 43.

[3] Arr. cass., 27 oct. 1815; Dalloz, t. 6, p. 245.

[4] Arr. cass., 15 mars 1816; 19 oct. 1832; Dal loz, t. 6, p. 254.

[*] Rauter, no 112, est d'une opinion contraire. ́ [5] Comm. du C. pén., t. 1, p. 189. [6] Dalloz, t. 6, p. 245.

instructions elles-mêmes, et il cite un arrêt qui toutefois ne décide point la question [1]. Cette question est toute entière dans les circonstances élémentaires du crime: il ne suffit pas d'avoir indiqué les moyens par lesquels on commettrait tel crime, pour qu'on puisse en être réputé complice; il faut que ces instructions aient été données en vue du crime qui va se commettre, et pour en faciliter l'exécution. Dès lors, l'addition proposée par M. Carnot ne fait qu'exprimer la pensée de la loi.

Est-il nécessaire que les instructions données aient été accompagnées de dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir? On doit répondre négativement. Le premier paragraphe de l'art. 60 renferme deux modes distincts de participation morale: la provocation par dons, menaces, etc., et les instructions données pour commettre le crime. Les instructions, comme on vient de le dire, supposent un projet arrêté, un concert préalable, et, pour ainsi dire, une provocation antérieure. Les circonstances qui rendent la provocation coupable ne peuvent donc s'appliquer aux instructions; d'ailleurs la construction grammaticale de la phrase s'oppo serait à ce rapprochement.

Aux termes du 2o § de l'art 60, on participe également à l'action, en procurant des armes, des instrumens, ou tout autre moyen qui aura servi à l'action, mais seulement avec la connaissance qu'ils devaient y servir. Il suit de là que, pour établir cette sorte de complicité, il est nécessaire de constater le concours du fait et de l'intention criminelle, intention qui ne peut résulter que de la connaissance qu'aurait eue l'accusé de l'emploi qui devait être fait des armes, instrumens, ou autres moyens de commettre le crime. La Cour de cassation s'est donc, suivant nous, écartée de la loi, en décidant que la réponse du jury qui déclare l'accusé coupable d'avoir fourni des instrumens pour commettre le crime, implique suffisamment la connaissance exigée par l'art. 60 [2]. Si les termes de la loi ne sont pas sacramentels, ils doivent du moins être remplacés par des termes équipollens; leur suppression ôte au crime l'un de ses principaux élémens.

Enfin la participation se révèle par l'aide ou assistance donnée aux faits qui ont préparé ou

[1] Arr. cass., 27 oct. 1815; Dalloz. t. 6, p. 245. [2] Arr.cass., 2 juin 1832. (Journ. du Droit crim., 1832, p. 159).

[3] Arr.cass., 10 oct. 1816; Dalloz, t. 6, p. 261. [4] Arr. cass., 26 sept. 1822 Dalloz, t. 6, p. 257;

consommé l'action. Or, suffit-il de poser au jury la question en ces termes : « L'accusé est-il coupable d'avoir, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur du crime dans les faits qui l'ont préparé ou consommé ? » Ou fautil que la question énumère en outre les faits particuliers d'assistance qui ont préparé ou consommé le crime? Ce dernier mode, qui n'est nullement contraire à la loi, offre à l'accusé une garantie nouvelle, en astreignant le jury à analyser les faits qui déterminent sa conviction; mais il faut reconnaître en même temps que le Code ne l'exige point.

Au reste, la condition essentielle de toute complicité par assistance est la déclaration que l'accusé a agi avec connaissance. Si la question soumise au jury est muette sur cette cir constance, l'assistance, quels que soient les faits matériels qui la caractérisent, cesse de constituer soit un crime soit un délit [3]. C'est d'après ce principe fondamental que la Cour de cassation a décidé qu'il ne suffit pas que le jury ait déclaré un accusé complice d'un vol en aidant ou assistant l'auteur de ce vol dans les faits qui l'ont préparé ou consommé : «< Attendu, dit l'arrêt, que cette déclaration n'établit point que l'accusé ait aidé ou assisté avec connaissance, circonstance essentiellement constitutive de la criminalité; et que dès lors le fait déclaré constant ne constitue ni crime ni délil [4]. »

Neanmoins, la même Cour a créé une exccption à ce principe, en matière de viol [5] : « Attendu qu'il est contre l'essence des choses de supposer qu'un accusé ait pu aider et assister les auteurs du viol dans les moyens de le commettre, sans qu'il sût qu'il prêtait aide et assistance pour commettre une action criminelle; que de l'omission des mots avec connaissance, il est donc impossible de conclure que l'accusé n'est pas convaincu d'avoir agi dans des intentions coupables. »

Cette exception est-elle suffisamment justifiée? Ne pourrait-on pas faire le même raisonnement à l'égard de tous les crimes commis avec des violences, et, par exemple, de l'extorsion de signature? Même en matière de viol, les modes d'assistance sont-ils tellement uniformes qu'ils doivent tous également supposer la connaissance du crime? Il faut prendre garde d'en

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freindre une règle générale dont la loi a voulu étendre la protection tutélaire à tous les accusés de complicité par aide et assistance. L'art. 60 n'a point fait d'exceptions : nous pensons qu'on n'en doit point créer.

Nous passons à la seconde règle qui domine notre matière : c'est qu'il n'y a point de complices sans un fait principal à l'exécution duquel ils se rattachent. Cette règle, que la jurisprudence a souvent consacrée [1], résulte de la nature même des choses; car il est évident que, s'il n'y a pas de fait principal, s'il n'existe point de crime, il ne peut y avoir de participation criminelle à ce fait, de complices de ce crime.

Ainsi l'amnistie, si on lui reconnaît le pouvoir d'abolir le crime, ne laisse point de complices; aussi la Cour de cassation a-t-elle jugé que les complices des déserteurs, après une amnistie qui couvre la désertion, ne pouvaient être l'objet d'aucunes poursuites [2]. Mais il est clair qu'il en serait autrement si, à côté du crime de complicitéde désertion, s'élevait un autre crime, par exemple si cette désertion avait été favorisée par des gendarmes [3], car le fait principal serait l'abus fait par les gendarmes de leurs fonetions.

Ainsi, les témoins d'un duel ne sont passibles d'aucune peine, parce que le duel, d'après nos lois, nc constitue ni un crime ni un délit il a été jugé cependant que la .remise des armes de la part de celui qui en connaissait la destination, constituait un acte de complicité. (Liége, 3 fév. 1836; J. de Br.,1836, 1,66.

Ainsi, enfin, le complice d'un suicide ne peut être puni, parce que le suicide n'est point inscrit parmi les délits dans la loi pénale [4]; mais il faut prendre garde, toutefois ici, qu'on ne doit considérer comme acte de complicité de suicide que l'assistance donnée aux actes préparatoires, comme le fait d'avoir fourni les armes, instrumens ou substances avec lesquels le suicide a pu s'accomplir. Car il n'y a suicide proprement dit,

[1] Arr. cass., 8 vend. an vi (Bull., no 18); 14 janv. 1820 (Jurisp. gén., t. 3, p. 614) ; 29 sept. 1820 (Jurisp. gén., t. 1, p. 68).

[2] Arr. cass., 6 janv. 1809 (Jurisp. gén. t. 1, p. 424).

[3] Arr. cass., 10 mai 1811 (Jurisp. gén., t. 1, p. 434).

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que lorsqu'une personne se donne elle-même la mort. Mais l'acte par lequel on donne la mort à une autre personne, même avec le consentement de celle-ci, n'est plus, à parler exactement, un acte de complicité de suicide. Nous examinerons au chapitre de l'homicide, la qualification qu'une telle action doit recevoir.

Toutefois, si l'existence du fait principal est nécessaire pour la poursuite des complices, il importe peu que l'auteur de ce fait soit inconnu ou absent; il suffit que le crime soit constant [**]. La fuite des auteurs principaux ne peut assurer l'impunité de leurs complices [6]; il en serait de même s'ils étaient décédés avant les poursuites, car ce décès ne saurait profiter aux complices et anéantir l'action publique à leur égard [] .

Si l'auteur principal n'est pas poursuivi, soit à raison de sa bonne foi, soit à raison de quelque privilége personnel, l'action publique peut-elle se diriger néanmoins contre les complices? L'affirmative est évidente, pourvu que le motif d'excuse soit purement personnel, et que le fait matériel du crime principal ne cesse pas de subsister [8]. Ainsi, les complices d'un vol commis par un fils à son père, quoique le vol soit couvert du voile de la loi, ne seraient pas moins tenus des peines de vol, s'ils en avaient profité [9]. C'était aussi la décision d'Ulpien: «Item placuit eum qui filio, vel servo, vel uxori opem fert furtum facientibus, furti teneri, quamvis ipsi furti actione non conveniantur [10]. » Et c'est par suite du même principe qu'il a été jugé que le complice de l'enlèvement d'une mineure âgée de moins de seize ans peut être l'objet d'une poursuite criminelle, quoique le ravisseur soit à l'abri de cette poursuite par son mariage avec cette dernière [11].

Mais si l'auteur principal, mis en cause avee les complices, a été déclaré non coupable, ceuxci peuvent-ils être condamnés? Cette question délicate semble devoir se résoudre par une dis

rêts de la Cour de Bruxelles et de France, J. de Br., 1819, 207; Sirey, 1815. 1, 333; Legraverend, t. 1, p. 133, édit, Tarlier.

[5] Arr. cass., 19 août 1819 (Bull., no 97); 13 août 1829 (Journ. du Droit crim., 1829, p. 329). [6] Arr. cass., 4 juin 1835 (Bull. no 222). Voy. Rauter, no 115).

[7] Arr. cass., 24 avril 1812 (Bull. no 106). [8] Arr. cass., 15 avril 1825 (Bull., no 73). [9] L. 36, Dig. de furtis ; l. 52, ibid. [10] Arr. Cour d'assises de la Seine,26 mars 1834 (Jurisp. gén. 34, 2, 184).

tinction. Si l'acquittement de l'auteur principal est motivé sur sa bonne foi, sur son ignorance du crime dont il n'était qu'un instrument, il est évident que le bénéfice de cette exception toute personnelle ne peut s'étendre au prévenu de complicité. Aussi la Cour de cassation a-telle jugé, et avec raison, dans le cas de faux en écriture authentique, que la non-culpabilité du notaire n'empêchant pas le fait matériel d'exister, son acquittement n'était pas un obstacle à la punition des complices [1]. Toutefois, ajoutons que, si le faux avait été commis par supposition de personnes et à l'insu du notaire, ce crime ne constituerait plus un acte de complicité du faux en écriture publique, mais un crime principal et distinct que l'art. 147 du C. P. punit d'une peine inférieure. Cette exception a été consacrée par plusieurs arrêts [2].

Mais si l'acquittement, au contraire, est motivé sur ce qu'il n'y a pas de crime, sur ce que l'accusation est dénuée de fondement, il serait contradictoire de condamner les complices. Nous citerons un arrêt de la Cour de cassation qui a consacré cette distinction. Dans l'espèce de cet arrêt, un huissier signataire d'un exploit argué de faux avait été déclaré coupable; mais un prétendu complice de cet acte avait été condamné. Cette cour déclara que l'acquittement de ce dernier était de plein droit, parce que le faux n'ayant pu être commis que par l'officier ministériel dans l'exploit, la déclaration de nonculpabilité équivalait à la déclaration de nonexistence du fait [3].

La même distinction doit encore être invoquée dans le cas d'absolution de l'auteur principal. « Celui qui provoquerait, a dit Merlin [4], un enfant ou un fou à commettre un homicide, ne pourrait profiter de l'absolution prononcée en faveur de celui-ci. » Cela est évident, et il a été reconnu aussi, avec raison, que si l'absolution est motivée sur ce que l'auteur n'a agi qu'avec imprudence, le complice peut néanmoins être atteint par la peine, s'il a aidé, assisté, ou provoqué l'action dans le dessein de nuire [5]. Mais si l'auteur principal n'a été absous que parce que le fait poursuivi, quoique répréhensible aux yeux de la morale, ne constitue ni crime ni délit, il est visible qu'aucune

[1] Arr. cass., 24 avril 1812 et 23 avril 1813 (Dalloz, tom. 6, pag. 230); 17 juill. 1835; Sirey, 1835, 1, 789.

[2] Arr. cass., 21 juill. 1814 et 24 avril 1818 (Dalloz, t. 6, p. 230).

[3] Arr. cass. 8 vend. an vin (Bull., no 18).

CHAUVEAU. T. I.

poursuite, qu'aucune peine ne pourraient être maintenues à l'égard des complices d'un tel fait.

La troisième règle de la complicité est relative à l'application de la peine et se trouve textuellement dans l'art. 59: c'est que les complices sont punis des mêmes peines que les auteurs principaux. Il s'agit moins ici de tirer de faciles conséquences de cette règle générale que d'en expliquer le sens et la portée.

Remarquons, d'abord, que le principe qui est demeuré rigoureusement inscrit dans notre Code, n'a plus les mêmes effets qu'il avait autrefois. Si le législateur, en premier lieu, a prescrit les mêmes peines pour les auteurs et les complices, il n'a voulu parler que du même genre de peines, et non de peines de la même durée; aussi la jurisprudence n'a-t-elle point hésité à reconnaître que la peine imposée au complice peut être plus longue que celle encourue par l'auteur du crime [6]. Mais aujourd'hui, et depuis le système des circonstances atténuantes, ce n'est plus le même genre de peines qui s'applique à l'un et à l'autre; deux degrés dans l'échelle pénale peuvent les séparer; l'un peut être puni des travaux forcés, l'autre d'un simple emprisonnement correctionnel. Nous avons dit plus haut que cette distance qui s'étend entre les auteurs et les complices d'un crime nous semblait devoir être mesurée, non par le jury, mais par le législateur lui-même. Ce que nous voulons constater en ce moment, c'est que la règle de l'art. 59, purement nominale, n'est plus rigoureusement exécutée dans la pratique.

Cependant il est toujours important de connaître quelle est la peine qui menace et peut atteindre encore les complices, dans le cas où nulle déclaration de circonstances atténuantes n'est faite en leur faveur. L'art. 59 les punit de la même peine que les auteurs mêmes; quelle est la valeur de ces mots? Les complices sont-ils responsables des circonstances aggravantes qui ont accompagné le crime et qu'ils ont ignorées? Doivent-ils supporter l'aggravation qui frappe l'auteur principal, par suite d'une qualité purement personnelle? Ne doivent-ils, au contraire, être atteints que de la seule peine que la loi a décernée contre le crime auquel ils ont participé? Pour arriver à la solution de ces questions, il

[4] Quest. de droit, vo Suppression de titres.

[5] Arr. cass., 29 fruct. an x et 12 sept. 1812 (Dalloz, t. 6, p. 249).

[6] Arr. cass., 9 juil. 1813 et 2 fév. 1815 (Dalloz, 1. 6, p. 266).

12.

nous semble qu'il faut distinguer si les circonstances aggravantes sont intrinsèques ou extrinsèques au crime; c'est-à-dire, si elles font par tie du crime lui-même, ou si elles dérivent au contraire de la qualité personnelle de l'un des auteurs principaux.

Sous l'empire du Code pénal de 1791, la jurisprudence ne déclarait les complices passibles de la peine, qu'autant qu'ils avaient connu les circonstances intrinsèques du crime qui pouvaient motiver une aggravation. Ainsi le complice d'un assassinat n'encourait la peine de mort que dans le seul cas où la question de la préméditation avait été résolue particulièrement contre lui [1]. Cette jurisprudence ne s'est point maintenue sous le Code de 1810. La Cour de cassation a constamment jugé, depuis la promulgation de ce Code, que la même peine doit frapper et les auteurs du crime et leurs complices, encore bien qu'il soit reconnu que ces derniers n'ont point participé aux circonstances aggravantes du crime, et même qu'ils les ont ignorées. Les principaux motifs de ces arrêts sont : que l'art. 59 est général et ne fait point dépendre son application de la participation qu'aurait eue le complice aux circonstances aggravantes du fait principal; que l'article 63 ne permet, d'ailleurs, de modifier la peine, lorsque les complices n'ont point eu connaissance des circonstances aggravantes, que dans le seul cas du recélé [2].

Quelques criminalistes ont attaqué cette jurisprudence; on a dit: l'art. 60 ne déclare complices que ceux qui, avec connaissance, ont aidé ou assisté l'auteur de l'action. « Or, est-ce avoir connaissance d'une action, que d'en ignorer les plus graves circonstances? Est-ce agir avec connaissance, que de participer par une telle complicité à un crime, lorsqu'on a la ferme conviction qu'on ne participe qu'à un délit. Pour la complicité, comme pour tout autre fait punissable, ce n'est pas la matérialité de l'action, c'est sa moralité qu'il faut apprécier [3]. » Enfin, il est certain que le défaut de connaissance absolue enlève toute culpabilité : ainsi, l'action d'avoir fait le guet pendant la consommation d'un vol cesse d'être punissable, si le jury déclare que l'accusé n'a point connu qu'il se commettait un vol pendant qu'il faisait sentinelle [4]. Il semble donc rationnel que le défaut de con

[1] Arr. cass., 17 pluv. an ix, 18 vend. an x, 29 mess. an x11, 20 nov. 1806 (Dalloz t. 6, p. 251 et 268). [2] Arr. cass., 17 juil. et 26 déc. 1812 (Dalloz, 1. 6, p. 271); 12 août 1813 (Bourguig., t. 3, p. 51. sur l'art. 59.

naissance partielle de certaines circonstances ag gravent la criminalité du fait principal, atténue la culpabilité des complices.

Nous voudrions pouvoir adopter cette interprétation, entièrement conforme à la théorie que nous avons développée au commencement de ce chapitre; elle s'appuie sur ce principe fondamental de toute justice répressive, que la peine doit être proportionnée à la gravité du délit. Mais le texte du Code permet-il de l'accueillir? Ses termes sont précis : Les complices seront punis de la même peine que les auteurs. On objecte qu'il n'y a de complices par assistance que ceux qui ont agi avec connaissance. Mais que veulent dire ces dernières expressions? Que les complices ont dû connaître le but et la nature de l'action à laquelle ils ont participé. Mais la loi a-t-elle exigé qu'ils aient été informés de toutes les circonstances du crime pour en mériter la peine? Les termes de la loi ne permettent point cette distinction, et il suffit que l'art. 63 l'ait formellement autorisée vis-à-vis des complices par recélé, pour qu'elle soit implicitement repoussée à l'égard des autres complices. Tel est aussi le véritable esprit du Code. « Quand la peine, disait M. Target, dont nous avons déjà cité les paroles, serait portée à la plus grande rigueur par l'effet des circonstances aggravantes, il paraît juste que cet accroissement de sévérité frappe tous ceux qui, ayant préparé, aidé our favorisé le crime, se sont soumis à toutes les chances des événements, et ont consenti à toutes les suites du crime [3].

Mais la question nous paraît toute différente, lorsque l'aggravation prend sa source dans une circonstance, pour ainsi dire, extrinsèque au fait, telle que la qualité de père, de fils, de tuteur, de domestique ou de fonctionnaire, qui peut appartenir à l'auteur principal. La Cour de cassation a maintenu dans cette hypothèse, comme dans la première, une règle uniforme: c'est que l'aggravation de peine qui résulte de la qualité de l'un des complices doit s'étendre sur tous: ainsi, et d'après cette jurisprudence, les complices d'un vol dont l'un des auteurs est domestique sont punis de la peine infligée au domestique infidèle [6]; le faux commis en écriture authentique, avec le concours d'un fonctionnaire, entraîne sur tous les complices la

[3] M. de Molènes, de l'Humanité dans les lois crim., p. 547.

[4] Arr cass., 4 mai 1827 (Bull. no 111). [5] Voy. suprà, p. 169.

[6] Arr. cass., 23 oct. 1811, 26 déc. 1812, 8 juill.

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