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d'une réponse de cet enfant à nos questions que nous tirons la conséquence que sa pensée a dù concevoir avec la même exactitude une autre question; mais combien ces rapports peuvent être erronés, ces déductions illusoires? Comment pénétrer dans le sanctuaire de la conscience? Comment constater si l'intelligence même n'a pas devancé le sens moral, si l'action commise même avec discernement n'a pas été commise dans l'ignorance du mal moral qu'elle produisait?

Blakstone rapporte un exemple qui vient à l'appui de ces réflexions. Deux enfants, l'un de neuf, l'autre de dix ans, avaient été condamnés pour meurtre, et le plus âgé fut exécuté parce que, après l'action, au lieu de se cacher lui-même, il avait pensé à cacher le cadavre. Les juges virent dans cette action la preuve d'un parfait discernement; mais combien cette induction était incertaine et périlleuse surtout, ajoute M. Rossi, qui a reproduit ce fait, s'il n'était pas prouvé que cet enfant eût songé d'avance aux moyens de cacher le corps du délit? Car il ne faut pas confondre l'horreur et la peur qu'une action criminelle inspire à un enfant après qu'il l'a commise, lorsqu'il voit devant ses yeux le résultat de cette action, avec la connaissance préalable et distincte de la nature et des conséquences du fait qu'il va commettre. Si l'emploi du seul moyen qui existe d'apprécier l'intelligence d'un enfant présente quelques dangers, alors même que son application se fait individuellement, on doit en conclure qu'il est bien plus dangereux de poser une règle générale qui détermine à l'avance un age d'irresponsabilité et un àge de responsabilité [1].

Les enfants diffèrent entre eux par l'intelligence autant que par le physique. La nature a mis des degrés divers dans les facultés dont elle les a dotés. Ces facultés reçoivent de leur position sociale et de l'éducation des développements plus ou moins grands, plus ou moins rapides. Tel enfant dont l'esprit aura été exercé, dont le jugement aura été cultivé, pourra comprendre dès l'âge de six ans l'immoralité d'une action, la criminalité d'un fait. Tel autre, et du même âge, végétant dans les langes d'une grossière ignorance, ne se rendra compte ni du caractère de l'action, ni de ses conséquences. Le développement de l'enfant varie en raison de son organisation physique, en raison de la culture qu'on donne

[1] Traité du Droit pénal.

à son intelligence, en raison même des climats sous l'influence desquels il se trouve. Celui dont l'éducation a été négligée, dont le développement physique a été tardif, doit-il porter devant la justice la peine d'une position déjà si misérable? Le châtiment doit-il le frapper plus rigoureusement parce qu'il a été plus malheureux? Comment l'assimiler sans injustice, lui dépourvu des moyens de connaître le bien et le mal, à l'enfant qui a vu luire pour ainsi dire avec la lumière les notions de la morale et les principes sociaux ?

De ces considérations nous déduirons deux conséquences qui nous semblent parfaitement exactes: c'est qu'il est impossible d'établir avec précision le moment où la raison rend légitime la responsabilité morale de l'homme; c'est que l'application de cette responsabilité doit se faire, moins d'après une règle générale, que dans chaque cas individuel et d'après l'ensemble des faits.

Un corollaire rigoureux de cette double conséquence est qu'il ne faudrait établir aucune règle, et que le juge devrait demeurer le maître de proclamer le résultat de l'impression produite sur sa conscience par les débats du procès. Peu importerait l'âge de l'enfant, qu'il eût plus ou moins de 16 ans; le juge, pour apprécier son intelligence, n'aurait d'autre base que le fait lui-même, en faisant abstraction de toute distinction légale.

Tel n'est cependant pas le système que nous cherchons à établir. Il nous suffit de conclure de ce qui précède, que toute règle absolue sur l'âge où l'imputation doit commencer ne peut être qu'inexacte.

Ce n'est point non plus une limite inflexible entre l'enfance et l'âge mûr qu'il s'agit d'élever; la loi doit se borner à couvrir les actes de l'enfance par une présomption d'innocence: cette présomption favorable, qui la protége et la défend, satisfait à toutes les exigences de la justice. En effet, personne ne conteste l'irresponsabilité des enfants dans leurs premiers ans; mais plus ils avancent en âge, plus cette excuse devient douteuse et s'affaiblit. Elle forme d'abord une preuve dirimente de l'innocence des prévenus; elle se change ensuite en une simple présomption; enfin le moment arrive où cette présomption même doit disparaître, c'est lorsque l'enfant est devenu adulte, que sa raison a mûri, que ses facultés se sont développées, que son intelligence et son sens intime lui révèlent la moralité des actions. La présomption se tourne alors contre lui: on peut supposer qu'il a agi avec connaissance du crime.

La limite entre ces deux présomptions, quoique ni l'une ni l'autre n'emportent preuve d'innocence ou de culpabilité, est d'une haute importance, parce que la première laisse à l'accusation à prouver que le prévenu, quand il est d'un certain age, non-seulement a commis le crime, mais l'a commis avec discernement; parce qu'elle appelle l'attention des juges sur la question de culpabilité dans ses rapports avec l'âge de l'agent au moment du délit ; enfin, parce qu'elle environne les mineurs d'une prévention favorable, et qu'elle fait de leur âge un motif d'excuse et même de justification.

Cette distinction est importante encore parce que, dans le cas même où un adulte aurait agi avec discernement, on doit lui tenir compte de la légèreté et de l'irréflexion qui sont les compagnes ordinaires de son âge; on doit mettre dans la balance de la peine, son inexpérience, la promptitude avec laquelle ses actions bonnes ou mauvaises sont commises, et l'activité de ses jeunes passions. Le châtiment doit être moindre, et dans sa durée et par sa nature. Il est donc nécessaire de fixer une époque jusqu'à laquelle se prolonge cet adoucissement de la peine.

Notre Code pénal a placé cette époque à l'âge de seize ans (art. 66); et, suivant un célèbre professeur [1], aucun fait n'autorise à réclamer contre cette décision.

Cependant M. Rossi lui-même a remarqué qu'en cherchant à déterminer le point de sé paration entre l'âge favorisé par la présomption d'irresponsabilité et celui sur lequel pèse la présomption contraire, il convient d'étendre la première période un peu au-delà de la limite indiquée par l'observation et des résultats statistiques. En effet, la règle posée par la loi n'étant qu'une formule générale tirée d'un certain nombre de cas particuliers, et n'étant point l'expression d'une vérité absolue, le législateur doit laisser les chances d'erreur du côté de la présomption favorable plutôt que du côté opposé. Qu'importe, au fond, si quelques jeunes gens ne subissent qu'une punition inférieure à la peine ordinaire? Mais ce serait une chose déplorable qu'un jugement qui flétrirait injustement la vie d'un jeune homme, et frapperait de la peine réservée au crime les premiers égarements de la jeunesse.

A la vérité, les présomptions établies par la loi, relativement à l'âge de l'accusé, n'en lèvent point aux juges le droit de proclamer

[1] M. Rossi.

que l'accusé a agi sans discernement, et de l'absoudre quel que soit son âge; mais il faut reconnaître que l'opinion du législateur exerce une grave influence sur l'esprit des juges et des jurés. Ils seront naturellement portés à appliquer à l'accusé qui a dépassé seize ans la présomption défavorable établie par la loi ; ils seront moins disposés à faire une appréciation particulière du discernement qui a guidé l'action de l'accusé.

Sans doute, on serait mal fondé à prolonger jusqu'à la majorité civile le cours de la présomption favorable. Il est évident que l'intelligence du bien et du mal se développe dans l'homme avant qu'il ait acquis la capacité nécessaire pour gérer ses affaires. Aussi ne s'agit-il pas de reporter à vingt-un ans la limite fixée aujourd'hui à seize; mais entre ces deux époques serait-il donc impossible de tracer une ligne nouvelle, d'essayer une distinction?

Remarquons, en premier lieu, que nous sommes loin de vouloir écarter de la tête des jeunes accusés le châtiment qu'ils ont mérité ; il ne s'agit que de continuer, pendant une ou deux années de plus, la présomption favorable qui ne les accompagne que jusqu'à seize ans. Or, rendons-nous compte, d'après nos propres observations, de la situation morale d'un jeune homme de cet âge; il a, sans doute, l'intelligence de ses actions, il a la conscience du bien et du mal, il comprend les faits auxquels il se livre, il est doué d'une raison assez puissante pour s'en abstenir. Mais ce discernement, tel qu'on veuille le supposer, c'est celui d'un âge inexpérimenté, et non d'un àge mûr. Ne faut-il pas faire une part à la jeunesse pour l'emportement avec lequel elle conçoit ses projets, pour la légèreté avec laquelle elle les exécute? Pense-t-on qu'à l'âge de seize ans la raison soit toujours assez froide, l'imagination assez maitrisée, l'esprit assez lucide, non pour comprendre le crime, mais pour en calculer les suites et les périls? Donnons done à cette fougue, à cette impatience, à ces passions qui trop souvent à cet âge voilent l'intelligence et étouffent la voix de la conscience, non l'impunite, mais une peine moins rigoureuse; cherchons-y, non la justification du crime, mais l'excuse qui l'atténue.

Dans le cours des discussions relatives aux modifications du Code pénal, un député proposa de reculer jusqu'à dix-huit ans l'époque où la question de discernement doit être posée. « La disposition du Code, disait-il, me parait cent fois plus absurde et plus barbare que la peine de mort elle-même, car elle peut avoir

pour effet de faire appliquer cette peine à un enfant. Le Code pénal, en fixant à seize ans l'âge auquel est attachée la présomption légale que l'accusé a agi avec discernement, me paraît avoir complètement méconnu les lois qui président au développement de l'intelligence hemaine. Il n'est pas vrai qu'un jeune homme de seize ans ait le bon sens de la réflexion qu'il aura dans un àge plus avancé; il n'est pas vrai qu'il ait sur ses passions l'empire qu'il acquerra probablement sur elles avec quelques années de plus; et lors même qu'on me citerait l'exemple d'individus de cet âge chez qui se seraient rencontrés l'instinct qui pousse au crime, les combinaisons qui en calculent l'exécution, la férocité qui étouffe le remords, je répondrai que la question n'est pas de savoir si toutes ces circonstances peuvent se rencontrer ou même se rencontrent ordinairement chez les criminels de seize ans, mais, au contraire, de savoir s'il n'est pas quelques cas, quelque rares qu'ils puissent être, où ces mêmes circonstances ne se rencontrent pas. Voilà, ce me semble, comment la question doit être posée [1]. »

On sait que cet amendement ne fut point adopté. Mais les motifs qui l'appuyaient sont restés sans réponse, et nous les croyons assez graves pour appeler un jour sur cette question l'attention du législateur.

Un dernier argument peut se puiser dans l'art. 22 du Code pénal qui exempte les mineurs de l'exposition, non jusqu'à l'âge de seize ans seulement, mais jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Le législateur a donc reconnu lui-même que l'âge de seize ans ne peut former une majorité absolue en matière criminelle, et, dans le cas spécial de l'exposition, il a cru devoir y déroger. Mais cette dérogation ne prouve-t-elle pas déjà que le principe du Code ne répond pas à tous les besoins de la justice?

Et puis, pourquoi cette exception à l'égard de la seule peine de l'exposition? N'y avait-il pas les mêmes motifs de l'étendre à la peine de

mort, et peut-être même encore aux peines perpétuelles? « Si la peine de mort, a dit un professeur étranger que nous avons plusieurs fois cité, est encore une triste nécessité, du moins elle doit être restreinte à un très-petit nombre de cas. La vivacité des passions qui animent la jeunesse; l'absence, à cet âge, d'une perversité endurcie; la certitude de parvenir à l'amendement de l'accusé, tout commande à la société d'user d'indulgence envers de pareils coupables, et de ne pas les envoyer au supplice. La peine de mort exécutée sur des individus de cet âge serait un acte affligeant pour l'humanité, et qui n'aurait jamais l'assentiment de la conscience publique : Miseratio ætatis ad mitiorem pœnam judicium producere debet. On objectera peut-être le système des circonstances atténuantes et l'exercice du droit de grâce. Mais si l'on doit convenir que dans aucun cas la peine de mort ne doit être appliquée à de jeunes criminels au-dessous de l'àge indiqué, pourquoi la loi ne le déclarerait-elle pas formellement [2]? » Au reste, cette exception se trouve déjà consacrée par plusieurs législations: les Codes de Parme et de Naples défendent de prononcer la peine de mort contre des individus qui n'ont pas encore accompli leur dix-huitième année; et le Code criminel des États romains exige que le coupable soit àgé de plus de 20 ans, pour que cette peine puisse être appliquée.

Les mêmes raisons pourraient encore être alléguées à l'égard des peines perpétuelles appliquées à des mineurs de dix-huit ans : car, d'une part, la jeunesse du coupable atténue nécessairement sa faute, et, d'un autre côté, cette jeunesse elle-même ne fait qu'aggraver la mesure d'une peine qui saisit le coupable à son entrée dans la vie et le suit jusqu'au tombeau. Un autre motif vient militer encore pour une atténuation c'est l'inégalité d'une peine perpétuelle appliquée à la fois à un mineur de 18 ans et à ses complices plus àgés [3].

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Tels sont les principaux motifs qui semblent

[1] Discours de M. Teulon, Code pénal progres- l'autre y a seulement aidé. N'y faites-vous pas de sif, p. 190.

[2] M. Haus, t. 1, p. 216.

[3] Ce dernier motif est énergiquement développé dans les Pensées d'un Prisonnier, liv. 1, ch. 7, des peines perpétuelles: « Un crime a été commis, et deux misérables y ont pris part; quelle peine allez-vous leur infliger? une peine égale, n'est-ce pas ? C'est fort bien. Cependant l'un des deux a conçu, résolu, préparé, suggéré le crime;

différence? Non, la loi n'en fait pas: le complice du crime sera puni comme son auteur. C'est fort bien.-Et cette peine égale, enfin, quelle est-elle ? les galères à perpétuité? - A perpétuité. Pour l'un et pour l'autre? - Pour l'un et pour l'autre. — Attendu que la peine doit être égale, n'est-il pas vrai? - Oui, parce que la peine doit être égale. C'est fort bien. Mais ils sont d'â– ges inégaux.

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Je ne puis rien à cela — L'un n'a

se réunir pour reporter à l'âge de 18 ans l'excuse attachée à la jeunesse, et la présomption favorable qui oblige à résoudre la question de discernement avant l'application de toute pénalité. Cette question avait trop d'importance pour qu'il nous fût permis de la passer sous silence: il importait d'ailleurs d'appeler l'attention sur les doutes graves qui se sont élevés à ce sujet. Mais on doit le dire en terminant, c'est avec quelque hésitation que nous avons exprimé une opinion qui, quoiqu'elle nous paraisse fondée, ne doit pas cependant s'appuyer uniquement sur des considérations morales et les déductions plus ou moins rigoureuses qu'il est possible d'en tirer. C'est dans l'observation des faits que cette opinion devrait surtout puiser sa force, et c'est à cette observation que le législateur doit particulièrement s'astreindre. Mais jusqu'ici les statistiques criminelles n'ont présenté sur ce point que des documens incomplets, et les faits particuliers que nous avons pu recueillir sont trop peu nombreux pour qu'il soit possible de leur assigner le caractère de la certitude d'un fait général.

Il est une autre distinction encore sur laquelle notre Code est muet, et que réclament cependant à la fois la justice et l'humanité.

Il est un âge où l'innocence de l'agent est une certitude; cet âge est la première enfance. La loi ne doit pas livrer à la justice des enfans dans lesquels il est impossible de supposer un discernement quelconque de l'action qu'ils ont commise. Elle ne doit pas permettre que leur vie soit flétrie à l'avance par un jugement public, lorsque leur innocence est évidente.

« Il est, a dit M. Rossi, entre le jour de la naissance d'un homme et l'âge de 16 ans, un point où la présomption d'innocence s'affaiblit assez pour que l'acte individuel mérite d'être examiné. Mais, avant d'atteindre ce point, la présomption d'innocence est tellement forte, qu'elle doit dominer sans partage et ne point admettre d'examen. Placer sur la sellette un enfant qui n'a pas huit ou neuf ans accomplis, c'est un scandale, c'est un acte affligeant qui n'aura jamais l'assentiment de la conscience publique. C'est une éducation qu'il faut donner à ces petits

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infortunés; on ne peut songer à leur infliger une peine. Qui pourrait la prononcer avec une parfaite conviction de la culpabilité de l'accusé? Qui pourrait affirmer que la condamnation ne serait pas un mouvement de haine contre le fait en soi, plus encore qu'une appréciation impartiale de la culpabilité de son auteur [1]. »

Au reste, cette disposition ne serait une innovation que dans notre législation. Nous avons rappelé plus haut que le droit romain et la loi anglaise plaçaient jusqu'à l'âge de sept ans les enfans à l'abri de toute poursuite. Le Code pén. d'Autriche a été plus loin encore : il abandonne à la correction domestique les enfans qui n'ont pas atteint leur dixième année, quels que soient les délits dont ils sont accusés. Le législateur de la Louisiane a adopté cette dernière limite; le projet de ce Code pénal déclare que nul acte commis par un individu au-dessous de l'âge de dix ans ne peut-être un délit.

L'assentiment des législateurs proclame done comme un fait qu'il est un âge (que cet âge se termine à sept, neuf ou dix ans) où l'enfant est irresponsable de tous ses actes. Et, en effet, on ne peut méconnaître qu'à cette époque de la vie, l'enfant même le plus intelligent, n'a qu'une perception incomplète de l'action qu'il commet. Sans doute cette règle peut n'être pas d'une vérité absolue; sans doute quelques cas exceptionnels pourront être signalés: mais la sûrete publique ne sera point compromise, par cela seul que quelques coupables de cet âge échapperaient à la répression qu'ils auraient méritée ; et l'on ne doit pas se håter de flétrir dans son germe la vie de ces jeunes enfans dont il est difficile de prouver la criminalité.

Lors de la révision du Code pénal, cette vue morale avait fixé l'attention de la Chambre des Pairs. La commission de cette Chambre avait rédigé un amendement ainsi conçu : « Si l'individu est âgé de moins de douze ans, le tribnnal pourra ordonner, sur la réquisition du ministère public, que le jugement aura lieu en la chambre du conseil, les parens du prévenu dûment appelés, et en présence de son conseil. »> On disait à l'appui : « La loi ne nous a pas paru avoir tout prévu : il y a un âge auquel le discernement ne

mourir tout à l'heure, n'aura eu que quelques jours de galères, et le moins coupable, qui n'est qu'au commencement de sa vie, en aura de vos galères durant 50 ans ! Et voilà ce que vous appelez des peines égales! et voilà pour quelle égalité merveilleuse vouscondamnez uniformément à perpétuité !» [1] Traité du Droit pénal.

peut être mis en question. On ne peut le dire dans la loi, car il diffère selon les individus; mais c'est une chose tout-à-fait affligeante que de voir paraître sur les bancs des cours d'assises ou de la police correctionnelle de malheureux enfans. La commission a cru parer à cet inconvénient en établissant un âge au-dessous duquel le tribunal pourrait ordonner que le jugement n'aurait pas lieu en audience publique, mais en chambre du conseil. Elle a fixé l'âge de douze ans; elle a pensé que lorsque l'accusé avait moins de douze ans, il ne pouvait y avoir intérêt pour la société à faire paraître cet enfant devant le public [1]. » Néanmoins cette proposition fut écartée par le motif que le droit commun veut que les débats et le jugement soient publics en matière criminelle, que la Charte n'a autorisé d'exception à cette règle que dans le seul cas où l'ordre ou les mœurs seraient compromis par la publicité, et que s'il n'est pas douteux que le jugement d'enfans de moins de douze ans ne puisse dans beaucoup de cas compromettre les mœurs publiques, il suffit que la sagesse des magistrats puisse concilier le principe de la publicité des débats avec les égards qui sont dus à l'enfance [2].

Au reste, cette proposition, quoiqu'elle fût fondée sur les motifs les plus légitimes, n'aurait point atteint, ce nous semble, le but que les au teurs paraissaient désirer: car elle n'eût point sauvé l'enfant accusé, de la contagion du vice, de la lèpre des prisons; elle ne l'eût point préservé de la flétrissure morale dont un jugement peut irréparablement empreindre de jeunes ima ginations, et, en lui ôtant les garanties de la publicité de l'audience, elle n'eût point empêché la publicité du jugement. Le but de la Chambre des Pairs n'aurait été atteint qu'en fixant une limite jusqu'à laquelle les actes de l'enfance n'auraient pu être incriminés.

Cette limite doit-elle s'arrêter à sept, à neuf ou à dix ans? C'est à ce premier point de fait que se résume toute la difficulté. M. Ross a proposé l'âge de neuf ans; nous croyons qu'il y aurait peu d'inconvéniens à la reculer jusqu'à dix ans. Deux Codes étrangers ont adopté cette règle, et, dans les climats où règnent ces Codes, le développement de l'enfance est en général

[1] Observations de M. Decazes, Code pénal progressif, p. 191.

plus actif et plus précoce qu'en France. Résumons-nous sur ces principes généraux. La théorie de la matière peut se traduire tout entière dans trois règles également importantes: irresponsabilité de la première enfance jus qu'à l'âge de neuf ou de dix ans; présomption d'innocence jusqu'à l'âge de seize ou de dix-huit ans, et dès-lors nécessité d'une question sur le discernement; enfin, atténuation de la peine jusqu'à la même époque, dans le cas même où le pré venu a agi avec discernement. Ces trois princi pes nous semblent renfermer toutes les garanties que l'humanité peut suggérer en faveur des prévenus. Notre Code n'a consacré que les deux premiers, et encore a-t-il limité leur empire à l'âge de seize ans ; mais, même resserrés dans ces bornes, on ne peut méconnaître le bienfait de leur influence, et l'on doit répéter qu'une mûre appréciation des faits pourrait seule autoriser à les élargir.

Avant d'arriver à l'examen de ces dispositions, qu'il nous soit permis de placer ici une observation qui ne sera pas sans quelque intérêt : c'est qu'on doit peut-être regretter que la présomption d'innocence, qui protège les accusés de moins de seize ans, n'ait pas été étendue jusqu'aux sourds-muets.

Ces infortunés, dont la plupart sont encore dépourvus de toute instruction, n'ont qu'un développement incomplet des facultés mentales; leur intelligence bornée et confuse ne reçoit que les leçons incertaines qui éclairent l'enfance; les notions du bien et du mal, les rap-ports du délit et de la peine n'arrivent qu'avec peine jusqu'à leur esprit [3]. Ceux même que le bienfait d'une merveilleuse éducation a rendus à la société n'atteignent que rarement le degré de développement intellectuel qui permet la perception des idées abstraites et la science des devoirs sociaux: telles sont toutes les abstractions des objets dont les individualités ne frappent aucun des sens, le droit, l'obligation, la possibilité, la nécessité, etc. [4]. Enfin, l'expérience atteste que les individus atteints de surdi-mutité sont enclins à la colère, à la fureur, à la jalousie; la plus légère cause d'excitation leur fait perdre leur empire sur euxmêmes, et l'éducation ne réprime qu'incomplè

[4] Médecine légale relative aux aliénés, ou les lois appliquées aux désordres de l'intelligence, par Hoffbauer, traduit de l'allemand

[2] Observations de M. Renouard (Monit. du 20 mars 1832.) p. 223. [3] Traité des maladies de l'oreille. par Itard.

CHAUVEAU. T. I.

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