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tement cette disposition [1]. Suffit-il, d'ailleurs, qu'un sourd-muet sache que tel fait est repréhensible et entraîne une punition, pour qu'on doive le traiter suivant toute la rigueur des lois? Ne serait-il pas équitable de prendre en considération l'absence ou la faiblesse de différents motifs qui exercent une puissante influence sur l'esprit et la volonté de l'homme, tels que la honte attachée au crime et au châtiment, la crainte du déshonneur, le besoin de l'estime publique? Autrement les sourds-muets, déjà si disgraciés de la nature, seraient traités par leurs semblables avec plus de sévérité que ceux qui jouissent de l'intégrité de tous leurs sens [2].

Il résulte de ces observations que la surdimutité modifie singulièrement la responsabilité en matière criminelle, et que dès lors il serait juste de poser à l'égard des sourds-muets la même question sur le discernement que la loi autorise à l'égard des accusés de moins de seize ans. Nous passons à l'examen des dispositions de la loi.

L'art. 66 est ainsi conçu: « Lorsque l'accusé aura moins de seize ans, s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté; mais il sera, selon les circonstances, remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d'années que le jugement déterminera, et qui toute fois ne pourra excéder l'époque où il aura accompli sa vingtième année. »>

On lit dans l'exposé des motifs : « Le Code détermine l'influence de l'âge des condamnés sur la nature et la durée des peines. Il s'occupe, d'abord, de celui qui, au moment de l'action, n'avait pas encore seize ans. On se rappelle que l'art. 340 du Code d'instruction criminelle a décidé qu'à l'égard de l'accusé qui se trouverait dans cette classe, la question de savoir s'il a commis l'action avec discernement serait examinée. Les dispositions actuelles règlent ce qui doit être ordonné d'après le résultat de l'examen. Si la décision est négative, l'accusé doit nécessairement être acquitté ; car il serait contradictoire de le déclarer coupable d'un crime, et de dire en même temps que ce dont il est accusé a été fait par lui sans discernement. Les juges prononceront donc qu'il est acquitté; mais ils ne pourront pas le faire rentrer dans la société, sans pourvoir à ce que quelqu'un ait les regards fixés sur sa conduite : ils auront l'option de le rendre à ses parents, s'ils ont en eux assez de confiance, ou de le tenir renfermé durant un

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espace de temps qu'ils détermineront. Cette détention ne sera point une peine, mais un moyen de suppléer à la correction domestique, lorsque les circonstances ne permettront pas de le confier à sa famille.

Ces lignes exposent avec clarté le système et le but de la loi. Une présomption d'innocence est établie par le premier article en faveur des prévenus qui n'ont pas atteint l'àge de seize ans ; cette présomption oblige à poser une question sur leur discernement, et si cette question est résolue négativement, ils sont non pas absous, mais pleinement acquittés ; la loi les remet à la correction domestique. La détention que les juges peuvent, même dans ce cas, leur imposer, n'est donc point une peine, mais un moyen de suppléer. à cette correction. Nous suivrons plus loin l'application de ces principes que la jurisprudence a quelquefois méconnus.

Après la présomption favorable qu'elle créait en faveur de ces prévenus, la loi a placé l'excuse dans le cas même où ils auraient agi avec discernement. Les articles 67 et 69 modifiés prononcent une atténuation des peines en leur faveur, lorsqu'ils se sont rendus coupables soit d'un crime, soit d'un simple délit.

« Si la décision, dit l'exposé des motifs, porte que l'action a été commise avec discernement, il ne s'agit plus de correction, c'est une peine qui doit être prononcée; seulement, ce ne sera ni une peine afflictive, ni une peine infamante. La loi suppose que le coupable, quoique sachant bien qu'il faisait mal, n'était pas encore en état de sentir toute l'étendue de la faute qu'il commettait, ni de concevoir toute la rigueur de la peine qu'il allait encourir. Elle ne veut point le flétrir, dans l'espoir qu'il pourra devenir un citoyen utile; elle commue, en sa faveur, les peines afflictives en peines de police correctionnelle; elle ne le soumet point à l'exposition aux regards du peuple; enfin elle consent, par égard pour son jeune âge, à le traiter avec indulgence, et ose se confier à ses remords. >>

L'art. 67, rédigé d'après ces motifs, est ainsi conçu: «S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées ainsi qu'il suit: S'il a encouru la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité, de la déportation, il sera condamné à la peine de 10 à 20 ans d'emprisonnement dans une maison de correction. S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps, de la détention ou de la réclusion, il sera condamné à être renfermé dans une maison de correction

[2] Leçons de médecine légale, par Orfila, t.2, p. 171

pour un temps égal au tiers au moins, et à la moitié au plus, de celui pour lequel il aurait pu être condamné à l'une de ces peines. Dans tous les cas, il pourra être mis par l'arrêt ou le jugement sous la surveillance de la haute police pendant trois ans au moins et dix ans au plus. S'il a encouru la peine de la dégradation civique ou du bannissement, il sera condamné à être enfermé, d'un an à cinq ans, dans une maison de correction. >>

L'article 69 établit une atténuation de la même nature pour le cas où le fait ne constitue qu'un délit : : « Dans tous les cas où le mineur de seize ans n'aura commis qu'un simple délit, la peine qui sera prononcée contre lui ne pourra s'élever au-dessus de la moitié de celle à laquelle il aurait pu être condamné s'il avait eu seize ans.»>

Nous ferons remarquer en passant que cet article a été légèrement modifié par la loi du 28 avril 1832. L'article abrogé portait ces termes: Si le coupable n'a encouru qu'une peine correctionnelle, ce qui semblerait se rapporter à la nature de la condamnation plutôt qu'au caractère primitif du fait. La correction a eu pour objet de faire dépendre l'atténuation de la peine de ce seul caractère. Si ce fait constitue un crime, alors même que le mineur n'aurait encouru qu'une peine correctionnelle, l'article est inapplicable. La mesure de cette atténuatiou des peines doit, au reste, paraître pleinement suffisante: le châtiment, en effet, s'abaisse à la moitié et même jusqu'au tiers de la peine encourue; la peine de mort et les peines perpétuelles sont remplacées par une détention qui ne peut excéder vingt ans; enfin le système des circonstances atténuantes, ainsi que nous le verrons plus loin, peut encore modifier ces pénalités déjà réduites. Les législations les plus indulgentes n'ont point dépassé de pareille limites. Elles concilient les vœux que l'humanité peut former en faveur d'une jeunesse égarée, avec la nécessité d'une répression que le discernement du condamné ne laisse plus mettre en doute.

Une troisième modification qui avait été introduite en faveur des mineurs de 16 ans, par la loi du 25 juin 1824 a été à peu près textuellement transportée dans la loi du 28 avril 1832, et forme aujourd'hui l'article 68 du Code pénal. [*] Cette transposition a été expliquée, lors des discussions, dans les termes suivants : « L'article 1er de la loi du 25 juin 1824 a déféré aux tribunaux correctionnels les mineurs âgés de 16 ans, qui se seraient

[*] Voy. la loi Belge du 29 fév. 1832. [1] Code pénal progressif, p. 191.

rendus coupables de crimes autres que ceux auxquels la loi attache la peine de mort, celle des travaux forcés à perpétuité, ou celle de la déportation. Cette loi devait trouver place dans le projet actuel. Nous avons pensé que cette disposition ne trouvait pas convenablement sa place à la suite de l'art. 67, qu'il fallait qu'elle fût entièrement isolée de cet article, afin qu'on pût trouver plus facilement les rapports qu'elle a essentiellement tout à la fois avec ce dernier article et avec l'article précédent. Il fallait donc trouver une autre place : cette place est naturellement celle de l'art. 68, qui devient sans objet au moyen d'une disposition que vous avez adoptée précédemment [1]. »

Cet art. 68 est ainsi conçu : «L'individu, âgé de moins de seize ans, qui n'aura pas de complices présents au-dessus de cet âge, et qui sera prévenu de crimes autres que ceux que la loi punit de la peine de mort, de celle des travaux forcés à perpétuité, de la peine de la déportation, ou de celle de la détention, sera jugé par les tribunaux correctionnels, qui se conformeront aux deux articles ci-dessus. » [**]

Le but de cette dernière exception au droit commun est donc de soustraire les accusés de moins de 16 ans à la juridiction des cours d'assises, toutes les fois qu'ils n'ont pas de complices, ou que le crime dont ils sont prévenus emporte la peine des travaux forcés à temps ou de la réclusion. Cette dérogation, à côté de quelques avantages, offre d'incontestables inconvénients. Elle évite au mineur la solennité des assises, la flétrissure d'un débat qu'une plus grande publicité environne; elle permet d'abréger la détention provisoire, en imprimant à la procédure une plus grande célérité; enfin elle institue dans le tribunal correctionnel, en quelque sorte, un tribunal de famille, qu'elle charge d'une mission répressive et paternelle à la fois. Mais ce dernier avantage se retrouverait au même degré sans doute dans le jury, plus apte à apprécier les qu estions de moralité et de discernement. Il est à craindre que les tribunaux correctionnels, juges permanents, n'apportent dans le jugement de ces accusés ces règles fixes que la jurisprudence établit, et qui peuvent entraîner une fausse appréciation du fait et de l'accusé. Les jurés ne sontils pas les juges naturels des accusés de moins de 16 ans comme des autres accusés? Auraient-ils moins d'indulgence et de paternité? Sauraientils moins apprécier les causes impulsives du

[**] Voy. la loi Belge du 29 février 1832, article 1er.

crime, faire la part des passions et de la légèreté du mineur, discerner la mesure de son intelligence? Un grand inconvénient de ce changement de juridiction est d'ailleurs d'apporter dans cette compétence des hésitations et des difficultés qui embarrassent, des règles qui devraient être évidentes pour tous. Aussi le législateur a-t-il été obligé de faire des exceptions à l'exception qu'il créait si le prévenu a des complices, si son crime est passible de la peine capitale ou d'une peine perpétuelle, s'il a le caractère d'un crime politique, ou s'il a été commis par voie de publication, la juridiction des assises, ainsi qu'on le verra plus loin, se trouve nécessairement saisie; [*] de sorte que l'exception qui investit les tribunaux correctionnels se restreint singulièrement dans l'application, et c'est peut-être un motif encore de la faire disparaître : car, en admettant même qu'elle ait quelques effets salutaires, cette utilité n'est que fort secondaire, puisqu'elle ne s'exerce que partiellement et dans quelques cas seulement, et l'on eût évité des conflits de juridiction qui entravent nécessairement la marche de la justice criminelle.

Il résulte des observations qui précèdent que le Code pénal a dérogé au droit commun, en faveur des détenus au-dessous de seize ans, sous trois rapports différents : 1o la loi les protège par une présomption d'innocence qui oblige à prouver qu'ils ont agi avec discernement; 2° alors même que le discernement est établi, elle voit encore dans leur âge une excuse, et les peines sont atténuées; 3° enfin, ils sont justiciables de la juridiction correctionnelle, alors même qu'ils sont prévenus de crimes.

Nous allons successivement développer ces trois dispositions exceptionnelles.

Que faut-il d'abord entendre par l'ex pression: les individus âgés de moins de seize ans? Ces mots désignent-ils tous les individus qui n'ont pas seize ans accomplis, ou bien seulement ceux qui ne sont pas entrés dans leur seizième année? Quelque criminalistes ont pensé que les art. 66 et suivants ne peuvent être invoqués que par celui qui est encore dans sa quinzième année. On fait remarquer, en faveur de cette opinion, que lorsque le législateur veut désigner un certain nombre d'années accomplies, il le dit expressément, ainsi qu'on le voit dans les art. 66

[*] Voy. Constit. helge, art. 98, et décret du 29 juill. 1831.

[1] Voy., dans ce sens, Carnot, sur l'art. 66. L'article 903 C. C, relatif à la liberté de disposer, parle également du mineur ágé de moins de seize

in fine, 70, etc., du Code pénal, dans l'art. 368 du Code civil, etc. On cite ensuite l'adage : Annus inceptus pro completo habetur. Nous croyons, malgré ces raisons, qu'on doit entendre par individus âgés de moins de seize ans tous ceux qui n'ont pas encore accompli leur seizième année, bien que leur quinzième soit révolue. En effet, le Code pénal de 1791(1 repart., tit. 5, art. 1) désignait en termes exprès l'âge de seize ans accomplis. Rien n'annonce que le législateur de 1810 ait voulu modifier cette disposition. Cette interprétation est d'ailleurs en harmonie avec le sens naturel et grammatical, et l'on doit ajouter que dans le doute l'opinion la plus favorable devrait être adoptée [1].

Il faut remarquer encore qu'il suffit que les seize ans ne soient pas accomplis, au moment ducrime ou du délit, pour que le mineur puisse invoquer le bénéfice de l'article 66. Cela résulte de la raison même qui motive cette exception; et la loi confirme cette interprétation, puisqu'elle fait coïncider l'âge de seize ans avec l'époque du délit, le moment où il a agi.

Toutes les fois qu'un accusé de moins de seize ans est mis en jugement, le président, aux termes de l'art. 340 du Code d'instr. crim., doit, à peine de nullité, poser cette question : L'accusé a-t-il agi avec discernement? La loi modificative du 28 avril 1832 a ajouté à l'article ces mots : à peine de nullité; et toutefois il n'y avait point ici d'abus à réformer : la Cour de cassation avait plusieurs fois annulé des arrêts, par cela seul qu'ils avaient omis de mentionner la position de cette question [2]. Du reste, cette position doit avoir lieu devant le tribunal correctionnel comme devant la Cour d'assises, car le principe est général, et l'article 68 déclare formellement que les tribunaux correctionnels se conformeront aux deux articles ci-dessus. Il faut donc que le jugement constate, à peine de nullité, que la question de discernement a été posée et résolue.

Cette question ne doit plus être posée, s'il est constant que l'accusé a plus de seize ans ; mais quelques difficultés peuvent s'élever à cet égard. Rappelons d'abord que, dans ce cas, l'arrêt qui rejette la demande de l'accusé, tendant à poser la question de discernement, doit nécessairement être motivé; car cet arrêt, qui a pour

ans, et les auteurs entendent par là tout mineur qui n'a pas accompli sa seizième année, malgré la faveur due à la liberté de disposer.

[2] Arr. 9 therm. an vin, 8 brum. an ix, 16 août 1822, ele.

objet de modifier le fait de l'accusation, la culpabilité de l'accusé et l'application de la peine, ne peut être considéré comme un arrêt d'instruction, ou comme un arrêt simplement préparatoire [1]. Rappelons encore que l'existence du discernement, dans les accusés de plus de seize ans, n'est et ne peut être que présumée par le législateur. C'est aux jurés, c'est aux juges à se convaincre, par l'audition attentive des débats, que cet accusé a connu toute la portée de son action, toute la responsabilité qui devait en résulter pour lui, en un mot, qu'il a agi avec discernement. Le jugement sur la responsabilité morale est entièrement abandonné à leur conscience; et, s'ils acquièrent la conviction que l'accusé, quoique âgé de plus de seize ans, a néanmoins agi sans discernement, ils doivent l'acquitter, comme ils l'acquitteraient s'il avait moins de seize ans. Seulement cette formule, que l'accusé a agi sans discernement, ne suffirait plus pour entraîner cet acquittement [2]; il faudrait qu'il fût dé claré non coupable.

:

En thèse générale, l'accusé constate son âge par la production de son acte de naissance; mais s'il ne peut produire cet acte, s'ensuit-il qu'il doive perdre le bénéfice de la loi? La Cour de cassation a jugé l'affirmative, en se fondant sur ce qu'il y a présomption légale, quand l'acte de naissance n'est pas produit, que le prévenu n'était pas âgé de moins de 16 ans [3]. Il nous parait impossible d'admettre une semblable présomption qui ne s'appuie sur aucune disposition de la loi l'âge de l'accusé est un fait, un élément d'aggravation ou d'atténuation de la peine, et il nous semble qu'en cas de doute, ce fait doit, comme tous les autres, être soumis à l'appréciation du jury; car, de ce que la preuve authentique d'un fait n'est pas produite, comment conclure qu'elle n'existe pas? Comment d'une simple omission induire une présomption légale? Cette présomption ne devraitelle pas d'ailleurs exister également en faveur de l'accusé? Et puisque l'âge de 16 ans accomplis est une circonstance aggravante, n'est-ce pas au ministère public à l'établir?

On peut remarquer, au reste, dans l'espèce de l'arrêt que nous venons de citer, une circonstance favorable à notre opinion. L'accusé

[1] Arr. cass., 14 oct. 1826.

[2] Arr. cass., 1er sept. 1820. [3] Arr. cass.. 19 avril 1821.

[4] M. Maguin, Traité des minorités, no 1494;

n'avait produit qu'après sa condamnation un acte de naissance duquel il résultait qu'il n'avait pas 16 ans ; et la Cour de cassation, en re-jetant son pourvoi, motiva surtout ce rejet sur ce qu'il n'est pas dans ses attributions de juger le mérite des actes qui n'ont pat été produits devant les tribunaux qui ont entendu le jugement attaqué. Cette décision spéciale a néanmoins été critiquée [4]. « Faudra-t-il que l'accusé, a dit M. Carnot, porte sa tête sur l'échafaud, lorsqu'il pourrait être si facilement constaté qu'il n'avait pas réellement l'âge de 16 ans accomplis quand il s'était rendu coupable? La poursuite des crimes doit être faite à charge et à décharge, et l'accusé n'aurait pas allégué qu'il n'était pas âgé de 16 ans accomplis, qu'il serait du devoir du ministère public de s'en assurer; si le ministère public a négligé de remplir ce devoir sacré, l'accusé devrait-il devenir la victime d'une telle imprévoyance? Cependant il le deviendrait si, son acte de naissance à la main, il n'en devait pas moins subir une peine qu'il n'aurait pas encourue. » Le scul moyen d'éviter ces inconvéniens est de consulter le jury sur l'âge de l'accusé, toutes les fois qu'il y a quelques doutes sur cet åge. Telle est aussi l'opinion qu'a enseignée M. Lagraverend [5].

La Cour de cassation, en sanctionnant cette dernière opinion, paraît être revenue elle-même sur sa jurisprudence. En effet, dans une espèce où la Cour d'assises s'était déclarée incompétente à raison de l'âge de l'accusé, elle a posé en principe qu'il n'appartient qu'au jury de décider si au moment du crime imputé à l'accusé il était ou non âgé de moins de 16 ans, et que la Cour d'assises ne peut juger cette question sans sortir des bornes de sa compétence [6].

L'article 66 dispose formellement que l'accusé qui est reconnu avoir agi sans discernement doit être acquitté. Il est évident, en effet, que l'absence du discernement dans l'agent dépouille l'action de toute criminalité. Or de cette règle se déduisent plusieurs corollaires.

Il en résulte, en premier licu, que cet accusé ne peut être l'objet d'aucune mesure répressive; et la Cour de cassation s'est conformée à ce principe, en jugeant qu'il ne pourrait être mis sous la surveillance de la haute police [7]: car cette

M. Carnot, art. 66, no 11.

[5] Traité de législation, t. 3, p. 214. [6] Arr. cass., 20 avril 1827 (Bull. no 89.) [7] Arr. cass., 16 août 1822.

surveillance constitue une peine, et l'acquittement emporte l'affranchissement de toute peine. Il en résulte encore cette conséquence, que la détention dont le mineur même acquitté peut être l'objet, n'est point une peine; cette mesure (et c'est ce qu'établit l'exposé des motifs cité plus haut) n'a d'autre caractère que celui d'une correction domestique. C'est en quelque sorte une tutelle substituée à la tutelle de la famille, lorsque celle-ci n'offre pas des moyens suffisans de surveillance, des garanties d'une bonne éducation. Et en effet, il ne s'agit plus alors de punir un délit, puisqu'il est reconnu que le fait n'est pas criminel, que le délit n'existe pas; il ne s'agit que de prévenir de perverses inclinations, et de corriger des penchans vicieux; et c'est là la mission et le but de l'instruction morale que la détention doit assurer aux mineurs. C'est par suite de ce principe, conséquence nécessaire de l'acquittement du prévenu, que la jurisprudence a reconnu que cette mesure, prise à l'égard d'un prévenu de moins de 16 ans, ne peut jamais être considérée comme une première peine élémentaire de la récidive. [1].

La durée de cette détention a fait naître une question intéressante: on a demandé si elle peut être prononcée pour moins d'une année. La Cour de cassation s'est décidée pour la négative par arrêt du 10 octobre 1811: «Attendu que ces expressions de l'art. 66: tel nombre d'années, prouvent clairement que la volonté du législateur a été que la détention qu'il ordonne, dans le but et l'espoir d'effacer les mauvaises impressions reçues par l'individu et de changer sa conduite, n'ait pas une durée moindre d'une année.» Depuis, et par un arrêt du 8 février 1833 [2], cette Cour est revenue sur sa jurisprudence en décidant « que l'article 66 n'a établi qu'un maximum de la durée de la détention, et ne s'oppose pas à ce que cette détention soit fixée à moins d'une année. D'où il suit que les juges peuvent ordonner que l'enfant, acquitté pour avoir agi sans discernement, soit conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant six mois. » Cette dernière opinion doit seule, suivant nous, être suivie. Elle s'appuie sur le texte de l'article 66, et elle

[1] Arr. Paris, 9 déc. 1830 (Journ, du droit crim., 1830, p. 323.)

[2] Journ. du droit crim., 1833, p. 36.

[*] V., dans ce sens, un arrêt de Liége du 11 juil. 1825; J du 19 s., 1825, p. 148; Dallox,t. 18, p. 299. [3] Arr. cass., 2 juill. 1813 (Bull. no 145 )

[4] Arr. cass., 15 avril 1819. Sirey, 1819, 1, 311.

est conforme à son esprit, puisque les juges, qui remplacent dans cette circonstance le père de famille, doivent être investis du pouvoir de mesurer la durée de la détention d'après la perversité présumée du mineur.

Une troisième conséquence de l'acquittement du mineur doit être son affranchissement des frais de la procédure [*]; car la loi criminelle ne fait peser ces frais que sur ceux qui ont succombé dans les poursuites (art. 368 Cod. inst. crim.) Cette question, que la Cour de cassation a résolue dans un sens opposé, a été examinée dans notre premier volume, p. 90.

La Cour de cassation a posé en principe que la présomption favorable établie par l'art. 66 doit être restreinte dans les limites du Code pénal, et qu'elle ne peut en conséquence être appliquée à l'égard des crimes ou délits que ce Code n'a pas prévus. Cette jurisprudence ne s'est toutefois manifestée qu'à l'égard des délits forestiers [3] et des contraventions en matière de douanes, et l'on sait que, dans ces matières, l'amende est, en général, considérée par cette Cour comme une condamnation civile, plutôt que comme une peine [4]; la Cour de Grenoble l'a étendue aux délits de chasse [5]. Au reste, le motif sur lequel s'appuient ces décisions, est « que les lois spéciales qui punissent ces délits ne contiennent aucune disposition qui autorise les tribunaux à prendre en considération l'âge et le défaut de discernement des délinquants dont elles s'occupent. » Nous ne pouvons donner notre assentiment à l'induction que l'on tire de ce silence des lois spéciales. La règle que consacre l'art. 66 n'est point un de ces principes qui, placés dans un Code, ont pour limites les limites mêmes de ce Code. Elle résulte de la nature des choses, elle se puise dans les lois de la nature humaine, dans l'étude des progrès de l'intelligence de l'homme. C'est une loi générale qui domine toutes les lois, une règle commune qui plane sur toutes les législations, car elle prend son origine dans un fait commun à toutes les actions de l'homme, son igorance présumée de la criminalité de ses actes jusqu'à l'âge de seize ans accomplis. Prétendrait-on créer une exception à cette loi commune, à l'égard des délits

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