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disait l'exposé des motifs, ne doit comprendre dans son domaine rien de plus que ce que le bien du service exige [1]. » Et M. de Broglie ajoutait dans son rapport : « On doit restituer à la connaissance du droit commun les délits commis contre le droit commun par des individus appartenant à l'armée [2]. » Enfin, M. Legraverend avait professé dès l'année 1808 cette opinion « que tous les faits qui blessent les lois générales de la société ou qui sont dirigés contre des individus non militaires, doivent être considérés comme des délits communs et soumis à la justice ordinaire; et qu'on ne doit entendre par délits militaires que les délits contre la discipline militaire, ou ceux qui sont commis de militaire à militaire [3]. »

La séparation des deux juridictions reposait sur le caractère ou commun ou exceptionnel des délits à juger. Les délits communs alors même qu'ils avaient été commis par des militaires, étaient du ressort de la justice ordinaire [8]. Le délit militaire n'était, dans ce système que la violation, définie par la loi, du devoir militaire [9]. Tout délit qui n'attaquait pas immédiatement le devoir était un délit commun et, d'un autre côté, nul délit n'était militaire, s'il n'avait été commis par une personne faisant partie de l'armée [10]. Enfin le complice, simple citoyen, attirait le procès devant les juges civils, et s'il y avait complication dans le même fait d'un délit commun et d'un délit militaire, ou si ces deux délits pesaient par suite de deux

Voilà la théorie. Jetons maintenant un coup faits distincts sur la même personne, la pourd'œil sur la législation en vigueur.

Et il est d'abord, digne de remarquer que notre ancien droit avait appliqué la plupart des principes qui viennent d'être rappelés. La juridiction militaire qui, avant 1789, était attribuée 1o aux conseils de guerre dans les places et garnisons; 2o au prévôt général dans les temps de guerre; 3o aux maréchaux de France dans les affaires relatives au point d'honneur, ne s'exerçait que sur les gens de guerre [4]. Jousse et Muyart de Vouglans définissent les délits militaires, ceux qui sont commis par les gens de guerre, dans les champs et armées et à l'occasion des fonctions militaires [5]. Les juges ordinaires connaissaient des délits communs commis par les soldats, à moins qu'ils ne fussent en campagne [6]; aux mêmes juges appartenait également la connaissance des crimes et excès commis par les gens de guerre, même dans les garnisons et dans le cours du service contre les habitans [7]. N'est-il pas étrange que ces règles sages, établies dès le seizième siècle, soient vainement encore sollicitées aujourd'hui? L'assemblée constituante, en cette matière comme en tant d'autres, avait su poser quelques principes vrais.

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suite était portée devant les tribunaux ordinaires [11].

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La convention nationale renversa cette législation. L'assemblée constituante n'avait statué que pour l'état de paix, et peut-être était-ce un tort; la discipline militaire appelle des règles distinctes pour l'état de paix et pour l'état de guerre. La convention fit de cette dernière situation l'état normal. Tous les délits commis par les militaires, qu'ils soient communs ou spéciaux, sont déférés aux tribunaux militaires. Cette juridiction envahit la juridiction civile, et les complices non militaires d'un fait commis par un militaire y sont entraînés [12].

Le directoire ne modifia que partiellement cet état de choses. A la vérité, la loi du 22 messidor an 4 restreignit la compétence exceptionnelle aux individus qui font partie de l'armée, et renvoya devant les tribunaux ordinaires les délits auxquels avait participé une personne qui n'appartenait pas à cette armée. Mais dans cette loi même qui rétablissait une règle tutélaire, les délits militaires ne sont plus considérés comme des infractions aux seules lois militaires : tous les délits commis par les personnes attachées aux armées sont rangés dans cette classe. La

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[6] Ordonn. 15 juill. 1525; Decrusy et Isambert, Pasinomie, Ire série, tom. 6, pag. 3.

compétence se décide par la qualité des individus, au lieu de se fonder sur la nature du fait. La loi du 13 brumaire an 5 acheva de confondre des limites déjà indécises. Son art. 9 attribua à la juridiction militaire, non seulement des catégories beaucoup trop nombreuses d'individus qu'elle considère comme attachés à l'armée, mais encore les espions, les embaucheurs, qu'ils soient ou non militaires, et les habitans des pays étrangers occupés par l'armée. Il est à remarquer que cette loi n'avait de force légale que jusqu'à la paix; ses auteurs eux-mêmes avaient senti que ses dispositions n'étaient pas de nature à survivre à la guerre; cependant elle est restée débout, et aujourd'hni encore elle est la loi de la matière.

Il reste à mentionner, pour former un tableau complet des lois sur la compétence, l'art. 85 de la constitution de l'an 8, qui renvoie devant les tribunaux militaires tous les délits commis par les militaires, soit contre la discipline, soit contre le droit commun; et l'avis du Conseil d'état du 7 fructidor an 12 qui, en renvoyant aux juges ordinaires les délits communs commis par des militaires en congé ou hors de leur corps, confirme la juridiction militaire à l'égard des mêmes délits commis au corps et sous les dra

peaux.

Telle était la législation lorsque le Code pénal fut rédigé. Dans le projet de ce Code, l'art. 5 était suivi d'un autre article supprimé depuis, et qui définissait les délits militaires [1[. L'intention de la commission avait été de donner aux juges une règle pour distinguer les délits militaires des autres délits. Cette définition, évidemment mal conçue et qui avait pour effet de rejeter à la juridiction exceptionnelle un grand nombre de délits communs, fut l'objet de vives objections dans le sein du Conseil d'état. M. Regnauld (de Saint-Jean-d'Angely) releva la confusion que cet article introduisait dans les

[1] En voici le texte : « Les contraventions, crimies et délits militaires sont seulement: 1o ceux qui ont été commis, en quelque lieu que ce soit, par des militaires de terre ou de mer, ou des personnes attachées aux armées de terre ou de mer, dans l'exercice de leurs fonctions militaires ou en état de service militaire; 2o ceux qui ont été commis par quelque personne que ce soit, envers des militaires en exercice actuel d'une fonction militaire, comme, par exemple, envers un officier faisaut actuellement sa ronde, ou envers un militaire actuellement en faction; 3° ceux qui ont été commis par quelque personne que ce soit, dans

principes. Il est remarquable que Napoléon, plus libéral que ses conseillers, voulait revenir aux règles posées par l'assemblée constituante, et proposait de saisir les Cours mipériales de la connaissance de tous les délits commis dans l'intérieur, en leur laissant la faculté de renvoyer le prévenu devant la juridic– tion, lorsque son délit serait purement militaire. «La justice est une en France, disait-il au Conseil d'état, on est citoyen français avant d'être soldat: Si, dans l'intérieur, un soldat en assassine un autre, il a sans doute commis un crime militaire, mais il a aussi commis un crime civil. Il faut donc que tous les délits soient soumis d'abord à la juridiction commune, toutes les fois qu'elle est présente [2]. » Cette généreuse théorie ne fut point adoptée, mais l'art. 6 fut retranché par le Conseil, qui décida en même temps que les bases de la juridiction militaire seraient proposées par une loi séparée du Code [3]. C'est à cette promesse, encore inexécutée, qu'il s'agit de suppléer ici par l'étude de la loi, toute confuse et incomplète qu'elle soit, et des principales interprétations que la jurisprudence lui a imposées.

La juridiction militaire ne commence à saisir le jeune soldat qu'au moment où il a reçu un ordre de route [4]. Le premier délit militaire qu'il peut commettre est l'insoumission à cet ordre. Tous les délits dont il a pu se rendre coupable jusqu'à ce moment, alors même qu'ils auraient eu pour objet de le soustraire au recrutement, appartiennent à la justice ordinaire [5]. Ainsi, on avait pensé à tort que le militaire était censé appartenir à l'armée dès le commencement de l'année à laquelle se rattachait le contingent dont il faisait partie. La Cour de cassation a repoussé avec raison cette fiction: il n'est soldat que lorsque, désigné par le sort et déclaré apte au service, il a reçu l'ordre de rejoindre son corps [6]. C'est cet ordre qui lui confère la

un lien actuellement et exclusivement affecté an service ou aux fonctions militaires; 4o l'espionnage et l'embauchage; 5o la désertion, le refus des réquisitionnaires ou conscrits de joindre leurs drapeaux, et tout autre acte commis uniquement contre la discipline ou le service militaire. »

]2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 21 fév. 1809; Locré, tom. 15 éd. Tarlier.

[3] Ibid., séances des 4 oct. 1808 et 22 juillet 1809. Locré, tom. 15 éd. Tarlier.

[4] L. du 21 mars 1832; art. 39. [5] Ibid., art. 41.

[6] Arr. 2 juill. 1825. (S. 26, 1, 217.)

qualité qui devient la règle de la compétence. [*] La même raison doit servir à déterminer le moment où la juridiction militaire s'ouvre pour les engagés volontaires; la signature de l'acte d'engagement devant le maire, de même que la désignation par le sort, ne suffit pas pour produire cet effet. La qualité de militaire ne s'acquiert alors que par l'inscription sur le registre matricule du régiment : c'est aussi dans ce sens que la jurisprudence s'est prononcée [1]. Mais cette qualité saisit aussitôt l'engagé, et lui imprime un sceau indélébile. C'est par déduction de ce principe que la Cour de cassation a jugé que le faux commis dans l'acte même d'inscription était justiciable du tribunal militaire [2}, et que la nullité de l'engagement, motivée soit sur ce que l'engagé n'avait pas encore atteint l'âge requis pour le contracter, soit sur ce qu'il se trouvait déchu du droit de servir dans les armées, soit enfin sur ce que l'époque de la libé ration était arrivée, n'est pas un obstacle à l'exercice de cette juridiction sur les délits militaires commis par cet individu au corps [3]. C'est la qualité de fait qui détermine ici la compétence.

Mais cette qualité de militaire ne soumet au

tribunal d'exception celui qui la porte légalement, qu'autant qu'il a commis le délit sous les drapeaux ou à son corps. Nous avons expliqué plus haut les motifs de cette règle qui a été rétablie par l'avis du Conseil d'état du 7 fructidor an 12. Divers corrollaires en sont découlés. [**].

Il en résulte d'abord, et c'est aussi ce que proclame la même décision, que la connaissance des délits communs, commis par des militaires en congé ou hors de leurs corps, est de la compétence des tribunaux ordinaires. Mais que fautil entendre par ces mots en congé ou hors du corps?

La Cour de cassation a rangé dans cette catégorie les militaires qui se trouvent en état de libération provisoire [4], ceux qui ont déserté, alors même qu'ils auraient été repris dans le lieu même de la garnison [5]; mais elle a refusé d'y placer les militaires qui se seraient éloignés momentanément de leur corps en marche, pour commettre un crime commun [6].

Peut-être la situation de la prison doit-elle être, dans l'esprit de la législation actuelle, la véritable raison de décider. En effet, l'avis du Conseil d'état du 7 fructidor an 12 défère aux

en fait au militaire à son arrivée au corps, comment le garde civique aura-t-il eu connaissance de la loi militaire si on ne remplit pas à son égard la formalité exigée par l'art. 2.

[1] Arr. cass. 12 déc. 1817, et 10 janv. 1822; Dalloz, 6, 166 et suiv.

[2[ Arr. 10 janv. 1822; Dalloz, 5, 168.

[3] Arr. 12 déc. 1817; 30 avril et 15 sept. 1825, janv.et11mars1826;6 avril 1832: Dalloz, 6, 166; Sirey, 26, 1, 331, 449. M. Merlin, vo Delit militaire, no 6. Un arrêt de la haute-cour militaire a décidé que l'engagement contracté par un mineur sans l'assentiment de son père est nul et que le chef de corps ou le juge doivent, d'office, ordonner qu'il soit rendu à son père. ( Arr. du 21 déc. 1832.)

[*] D'après l'art. 2 du Code pénal militaire en vigueur en Belgique, le soldat n'est justiciable des tribunaux militaires qu'après avoir reçu lecture des articles militaires, qu'il ait ou non reçu, en tout où en partie, la prime d'engagement. Cependant la haute-cour militaire a décidé, par arrêt du 6 décembre 1831, qu'il n'était pas nécessaire que les gardes civiques mobilisés eussent reçu lecture des lois militaires pour qu'ils pussent 7 être poursuivis du chef de délits militaires par eux commis. Mais la Cour, en décidant ainsi qu'elle l'a fait, n'est-elle pas en contradiction avec un autre arrêt du 25 octobre 1834, par lequelle elle a décidé, dans une affaire où l'on soutenait que le Code pénal militaire n'était pas obligatoire en Belgique, qu'il a été adopté pour la publication des lois militaires un autre mode que pour les lois civiles, vu que l'art. 2 du Code pénal militaire prescrivant que la lecture des lois militaires sera faite à chaque recrue à son entrée sous les drapeaux, emporte nécessairement en lui-même le mode de publication légale, qui remplace pour les lois militaires la formalité voulue pour les lois civiles. En effet, pourquoi faire une exception pour la garde civique qui, lorsqu'elle est mobilisée, est mise sur le même pied que la troupe de ligne, et si l'on a reconnu que la publication légale du Code pénal n'a lieu que par la lecture que l'on

[**] Le Code pênal milit. belge porte, art. 4: que les militaires qui ont reçu leur démission du service de l'état demeurent encore pendant un an et six semaines assujettis aux dispositions de ce Code pour des offenses faites à leurs supérieurs, relativement à leur service précédent.

[4] Arr. cass., 3 juill. 1829. (S. 29, 1, 348.)

[5] Arr. cass., 10 avr. 1829. (Bull. no 75.) — Il en est autrement en Belgique. Arrêt de la hautecour mil., du 21 mars 1833.

[6] Arr. cass, 5 janv. 1809. (Dalloz, 6, 163.)

tribunaux spéciaux tous les délits commis par les militaires à leurs corps, garnisons ou cantonnemens. Il semble dériver de cette règle générale, que si la prison militaire est située dans le rayon de la garnison, le militaire doit être soumis à ces tribunaux à raison des délits qu'il a pu y commetre, et qu'il rentre, au contraire, sous l'empire de la juridiction ordinaire si la prison est éloignée du corps dont il fait partie. Cette distinction qui aplanirait beaucoup de difficultés, peut encore être invoquée dans un cas semblable, celui où le militaire est à l'hôpital: à quelle juridiction doivent être portés les délits qu'il commet dans cette position? La solution est la même. Si l'hospice est dans le lieu même où réside le corps auquel appartient le prévenu, celui-ci est considéré comme n'ayant point quitté ses drapeaux; la juridiction militaire ne l'abandonne point, elle le suit dans toute l'étendue de la garnison soit à la prison, soit à l'hôpital. Elle ne lâche prise que lorsqu'il rentre, pour ainsi dire, dans la vie civile en s'éloignant du drapeau, en restant en arrière du corps, en cessant d'en faire partie. La Cour de cassation paraît avoir adopté ce système dans un arrêt récent du 9 août 1834 [1].

Au reste, on ne doit pas perdre de vue que pendant la durée même du congé ou de l'absence, le militaire ne devient justiciable des tribunaux ordinaires, qu'à l'égard des délits communs qu'il a commis. Les infractions à ses devoirs de militaire continuent de l'entraîner devant les juges exceptionnels; il se trouve dans la même situation que les militaires en non-activité et la gendarmerie. Il faut donc distinguer dans ce cas la . nature du fait incriminé, si ce fait est une infraction aux lois générales qui obligent tous les citoyens, ou seulement aux lois spéciales qui n'obligent que les militaires. Nous citerons un exemple de cette distinction. Un soldat en congé avait commis un délit d'outrage envers un lieutenant de gendarmerie qui l'avait fait comparai

[1] Voyez Journal du droit criminel, cah. de novembre 1834.

tre devant lui pour vérifier la validité de son congé. Ce délit commis par un militaire envers un officier, avait paru aux premiers juges constituer un délit militaire; mais la Cour de cassation a pensé avec raison que c'était une erreur. Pour qu'il y eût insubordination, il eût fallu que le militaire fût le subordonné de l'officier de gendarmerie; mais celui-ci n'avait sur lui aucune autorité militaire, puisqu'il était étranger à son corps; c'était donc un délit commun jus-ticiable des tribunaux ordinaires [2].

Mais cette distinction devient inutile lorsque le militaire est sous les drapeaux ; tous les délits, soit communs, soit spéciaux, dont il se rend coupable, sont déférés à la juridiction militaire. La loi est vicieuse, sans doute, on l'a démontré plus haut; mais elle est encore la loi. La Cour de cassation n'a donc pas hésité à décider que le délit de contrefaçon imputé à un officier général, commandant une école militaire, devait être jugé par un conseil de guerre [3]; et que le délit de violation de domicile dont un officier s'était rendu coupable à son corps est soumis aux mêmes juges [4]. Cependant cette règle, quelque absolue qu'elle soit, a reçu quelques exceptions.

En premier lieu, il est certains délits spéciaux dont les juges formellement désignés par la loi, restent les mêmes, quelle que soit la qualité des prévenus. Tels sont les délits de chasse [5], les contraventions aux lois de douanes et de contri-butions indirectes [6]. Ces faits commis par des militaires, même à leur corps, sont de la compétence exclusive des tribunaux correctionnels.

En second lieu, le prévenu militaire peut avoir des complices qui n'aient pas qualité, et dans ce cas, d'après le principe posé dans l'art. 2 de la loi du 22 messidor an 4, ceux-ci l'entraînent devant la juridiction ordinaire. Peu importe, dans ce cas, que le délit soit commun ou militaire: dans aucun cas, le simple citoyen ne peut être arraché à ses juges naturels [7]; cette maxime domine la loi même. Mais quelle serait la ju

que lesdites lois, publications ou ordonnances se→ raient en opposition avec son texte, il résulte de

[2] Arr. cass., 1er décembre 1827. (Sirey, 1828, cette disposition combinée avec celle de l'art. 13 1, 197.

[3] Arr. 9 fóv. 1827. (S. 27, 1, 335.)

[4] Arr. 18 juill. 1828. (Bull. no 211.) [5] Avis du Cons. d'état du 4 janv. 1806 [*]. [*] En Belgique le Code pénal milit. (art. 11) ayant annulé toutes les lois, publications ou ordonnances antérieures, et tous les réglemens quelconques relatifs aux délits ou aux peines des personnes soumises à la juridiction militaire, pour autant

du même Code, que les militaires sont soumis à la juridiction militaire pour tous les délits dont ils se sont rendus coupables, à l'exception de ceux relatifs à la perception des impôts, droits et contributions.

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ridiction, si un délit commun a été commis de concert par deux militaires dont l'un se trouvait en congé? La réponse est simple. Le militaire en congé n'est justiciable que des tribunaux, à raison des délits de cette nature qu'il peut commettre; le privilége s'efface à son égard, il rentre dans les rangs des citoyens; dès lors, loin qu'on puisse l'arracher à cette juridiction, il y entraîne son complice [1].

Mais il est nécessaire que l'existence des faits de complicité ne soit pas douteuse. Ainsi le fait d'un militaire qui aurait déserté en emportant des effets appartenant à l'État serait de la compétence des conseils de guerre, encore bien que ces effets eussent été achetés par un individu non militaire; car cet achat est nn délit distinct, particulier, justiciable des tribunaux correctionnels; ce n'est plus un fait de complicité, mais un fait principal. La jurisprudence a consacré ce point [2].

On a disputé néamoins à la juridiction militaire la connaissance du crime d'embauchage lorsqu'il est commis par des individus non militaires. C'était une question très délicate. Ce crime, défini par les art. 1et 2 de la loi du 4 nivôse an 4, est expressément attribué aux conseils de guerre par l'art. 9 de la loi du 13 brumaire an 5, quelle que soit la qualité de ses auteurs. [*] Cette exorbitante attribution a révolté avec raison l'opinion publique; on a senti que l'embauchage n'était point un délit militaire; qu'il y a toujours dans ce crime existence simultanée d'un fait de conspiration ou de complicité de conspiration contre la sûreté de l'Etat ; et que ce dernier crime ne doit appartenir qu'au jury. La jurisprudence, après avoir long-temps résisté [3], a fléchi enfin devant l'opinion, elle a renversé la loi parce

[1] Arr. cass. 6 sept. 1811. (Dalloz, 6, 161). [2] Arr. cass. 25 juill. 1823. (Dalloz, 6, 185). [*] Un arrêté du 9 fév. 1815, punit de la réclusion le fait d'embauchage, en temps de paix, des Belges, qu'ils soient ou non sous les armes. Il s'étend même à l'embauchage envers les troupes étrangères, alliées ou auxiliaires de la Belgique. Les prévenus de ce délit sont traduits devant les tribunaux ordinaires, sauf ce qui est statué à l'article 21 du réglement militaire du 26 juin 1799, rendu commun à la Belgique par arrêt du 21 octobre 1814, art. 2 et 3.

[3] Arr. cass. 13 oct. 1820; S. 21, 1, 118; 2 ct 22 aout. 1822; Sirey, 22, 1, 291 et 321; Dalloz, 6, 187 et suiv.

qu'elle était injuste et s'est investic d'un pouvoir presque législatif, pour réédifier un principe que la législation avait méconnu [4].

L'argument sur lequel on s'est appuyé n'en est pas moins singulier; on a dit : la disposition de l'art. 9 de la loi du 13 brumaire relatif aux embaucheurs, a cessé d'exister, puisque l'art. 1er décrétait que les dispositions de cette loi ne seraient exécutées que jusqu'à la paix. Mais pourquoi cette disposition seule au milieu de toutes les autres ? la loi du 13 brumaire n'estelle pas le Code militaire, le droit commun de cette juridiction exceptionnelle? comment en déclarer telle règle morte tandis que les autres resteraient vivantes? La restriction de l'art. 1or s'appliquait à toutes. L'abrogation de l'une d'elles proclamée, les autres tombent d'ellesmêmes, car le même souffle les animait. Voilà l'inconvénient des mauvaises lois; les tribunaux, après en avoir long-temps gémi, finissent presque malgré eux par leur imposer leurs périlleuses corrections.

Enfin, le principe que les citoyens ne peuvent, sous aucun prétexte, être distraits de leurs juges naturels, a reçu une éclatante consécration en 1832; [**] la Cour de cassation proclama en effet, à cette époque, à l'occasion de la mise en état de siége, « que les conseils de guerre ne sont des tribunaux ordinaires que pour le jugement des crimes et délits commis par les militaires ou par les individus qui leur sont assimilés par la loi, et qu'ils deviennent des tribunaux extraordinaires lorsqu'ils étendent leur compétence sur des crimes par des citoyens non militaires » [5].

Aujourd'hui ce principe conservateur se trouve donc inscrit, sinon dans la législation

[**] Le crime d'espionnage ne peut être placé dans la classe des délits politiques, dont parle l'art. 98 de la constitution.

Ce crime ne peut exister qu'en temps de guerre, dans une armée, relativement à cette armée ou dans une place assiégée, et alors les conseils de guerre en campagne ou les conseils de guerre temporaires sont seuls compétens pour le juger, aux termes des art. 272 et 290 du Code de procédure pour l'armée de terre, et partant un bourgeois coupable du crime énoncé ci-dessus devient justiciable de ces tribunaux. (Arr. de la haute-cour militaire du 10 fév. 1831). — Il y exception toutefois, lorsque le prévenu est, par son grade, soumis à la juridiction de la haute-cour. Art. 272 et 290, Cod.

[4] Arr. cass. 2 avril 1831 et 17 juin 1831; Si- proc milit. Voyez la note suivante. rey, 1831, 1, 377 et suiv.

[5] Arr. cass. 29 juin 1832; Sircy, 1832, 1, 40 1.

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