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pas suffisamment protégée par la détention contre les dernières entreprises d'une vie qui n'a plus de forces à déployer contre elle?

L'âge de 70 ans n'a soulevé jusqu'ici aucune objection sérieuse. A la vérité, quelques juris consultes romains faisaient commencer la sénilité à l'âge de 60 ans; et c'est également à cet âge que le Code pénal du Brésil (art. 45) substitue la prison aux travaux de force. La différence des climats peut justifier ces dispositions; mais il semble qu'en général l'humanité n'a point à réclamer contre la fixation à 70 ans de l'époque où cessent les peines les plus dures; ce n'est le plus

souvent qu'à cette époque que les infirmités en¬ tourent la vieillesse et sollicitent pour elle une atténuation de ces peines.

Il suffit, au surplus, que les accusés aient atteint l'âge de 70 ans accomplis au moment du jugement, pour que le bénéfice de l'article 70 doive leur être appliqué. Cela est établi par le texte même de cet article; et il en résulte une différence notable entre la disposition de cet article et celle des articles 66 et69, car ces derniers articles, relatifs aux mineurs de 16 ans, considèrent pour fixer l'âge le moment même de l'action.

CHAPITRE XIII.

DE LA DEMENCE.

DES CAUSES DE JUSTIFICATION.—de la démence :-PRINCIPES DU code.-ce qu'il faut entendre PAR DÉMENCE. —Caractères de l'idiotisme, de LA DÉMENCE PROPREMENT DITE, DE LA MANIE AVEC DÉLIRE, DE LA MONOMANIE. LIMITES DU PRINCIPE D'IRRESPONSABILITÉ.

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-DES INTER

VALLES LUCIDES PENDANT L'ALIÉNATION, ET DU CARACTÈRE DES FAITS COMMIS PENDANT CE TEMPS. -CARACTÈRES DU SOMNAMBULISME ET DE L'IVRESSE. DANS QUELS CAS ON PEUT LES ASSIMILER A LA DÉMENCE.— effets de la démenge.—SI ELLE PEUT SUSPENDRE LES POURSUITES, LE JUGEment, l'exécution de la peine?—si elle DOIT FAIRE L'OBJET D'UNE QUESTION SPÉCIALE AU JURY? SI ELLE INTERROMPT LA PRESCRIPTION?- Effets de l'ACQUITTEMENT POUR CAUSE DE DÉMENCE. (ART. 64 C. P.)

Après les excuses viennent les causes de justification. Nous avons vu que l'effet de celles-ci est, non pas seulement d'atténuer le crime, mais de le faire disparaître, et d'exclure toute criminalité dans l'agent.

Elles sont générales ou spéciales: générales, lorsqu'elles s'étendent à tous les crimes ou délits, lorsqu'elles peuvent être invoquées par tous les prévenus, telles sont la démence et la contrainte; spéciales, lorsqu'elles ne s'appliquent qu'à un délit ou à une classe de délits: telles sont la défense légitime de soi-même qu'oppose un accusé de meurtre (art 327), l'obéissance hiérarchique que peut alléguer un fonctionnaire prévenu d'un abus de pouvoir dans l'exercice de ses fonctions (art. 114 et 190; tels sont enfin les motifs légitimes dont l'officier public, accusé de

violences, peut se couvrir devant la justice (art. 186). Il est évident que ces dernières causes de justification se rattachent étroitement aux crimes ou délits auxquels la loi les a appliquées. Nous n'avons donc à nous occuper maintenant que de la démence et de la contrainte.

On lit dans l'exposé des motifs du Code pénal : « Une règle commune à tous les prévenus, soit du fait principal, soit de complicité, est qu'on ne peut déclarer coupable celui qui était en état de démence au temps de l'action, ou qui, malgré la plus vive résistance, n'a pu se dispenser de céder à la force. Tout crime ou délit se compose du fait et de l'intention; or, dans les deux cas dont nous venons de parler, aucune intention criminelle ne peut avoir existé de la part des prévenus, puisque l'un ne jouissait pas de ses facul

tés morales, et qu'à l'égard de l'autre la contrainte seule a dirigé l'emploi de ses forces physiques,»

Telle est la pensée que l'art. 64 du Code a exprimée en termes concis mais énergiques: « Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »

Ces deux causes de justification portent en elles-mêmes un tel caractère d'évidence, elles puisent une telle force dans la conscience humaine, que, le législateur ne les eût-il point exprimées, leur empire n'eût été ni moins puissant ni moins certain sur l'esprit des juges. Appelés à déclarer si un homme a agi sciemment et volontairement, comment eussent-ils pu donner cette déclaration lorsqu'ils auraient reconnu qu'au temps du délit cet homme ne jouisssait ni des lumières de sa raison, ni de sa liberté? Néanmoins il n'était pas inutile d'inscrire dans les textes de la loi ces deux limites à la responsabilité humaine; car il importe que l'attention des juges et des jurés soit impérieusement fixée sur cette double exception, et qu'ils en fassent légalement l'objet d'un examen judiciaire.

Nulle difficulté ne peut donc s'élever sur le principe en lui-même. La justice morale, d'accord avee la loi, ne peut reconnaître aucun délit dans l'action d'un homme dont la maladie a énervé l'intelligence, ou dont la contrainte a subjugué la liberté. Toutes les législations se réunissent dans cette disposition. « Cùm injuria ex affectu facientis consistat, dit la loi romaine, consequens est furiosos injuriam fecisse non videri [1]. » Les Codes de Prusse et d'Autriche posent la même règle [2]; la loi anglaise [3] et les différents Codes des Etats-Unis la proclament également [4].

Mais les difficultés naissent lorsqu'il s'agit d'appliquer cette règle d'irresponsabilité aux actes nombreux et divers qui peuvent réclamer, soit par leur caractère propre, soit par analogie, une exception qui ne s'étend qu'aux actes accomplis sous l'empire de la démence ou de la contrainte. C'est donc à poser les limites de cette doctrine, c'est à la saine appréciation des faits que doivent tendre nos efforts. La diversité des règles et des espèces exige que cette matière soit divisée en deux chapitres, et nous

[1] L. 3, 1, Dig. de injuriis et famosis libellis.

nous occuperons d'abord, dans celui-ci, de le démence.

La première difficulté est de constater les vrais caractères de la démence, c'est de préciser les faits qui la constituent. La loi pénale n'au-rait pu tracer le cercle de son application sans descendre à des définitions scientifiques qui ne sont point de son ressort, et dont l'expérience aurait sans doute plus tard démontré l'erreur. Il lui a suffi de poser une règle : la justification des individus qui sont dans un état d'aliénation mentale. C'est à la pratique à discerner les actes que cette règle protége, à placer les bornes qu'on ne peut dépasser. L'étude des faits est le guide le plus sûr de son application, et il semble que la théorie en cette matière n'ait point d'autres principes à rappeler. Nous essaierons cependant d'en énoncer quelques-uns.

Chaque accusation où s'agite l'exception de démence voit surgir ces questions redoutables. A quels signes reconnaître le dérangement de l'intelligence, et comment le constater? Quel est le degré de lésion des facultés intellectuelles nécessaire pour constituer la démence légale ? Jusqu'à quel point les idées qui ont guidé l'agent doivent-elles s'écarter de la chaîne de nos idées communes pour qu'il soit justifiable? Dans quels cas, en un mot, la justice peut-elle légitimement le saisir et le déclarer responsable, malgré la maladie qu'il invoque comme une excuse?

Telles sont les premières questions qu'il nous faut examiner, questions insolubles peut-être, mais que la théorie ne peut néanmoins passer sous silence; car elle doit réunir ses efforts aux efforts de la justice pour éviter de fatales erreurs dans l'appréciation des circonstances qui caractérisent la folie, erreurs faciles cependant, surtout en matière pénale, parce que l'accusé peut avoir intérêt à simuler la démence pour se mettre à l'abri de la peine, parce que la pensée de cette simulation peut prévenir les juges contre les signes d'une véritable folie.

La science médicale distingue en général parmi les maladies mentales, deux degrés principaux, l'idiotisme et la folie,

L'idiotisme (fatuitas) est une sorte de stupidité qui a divers degrés, suivant qu'elle est plus ou moins prononcée. Les idiots ou imbéciles ont un cercle très-étroit d'idées, et sont

[3] Summary of the criminal law, p. 3. [4] Code of crimes and punishments, art. 34.

[2] Cod. prussien, art. 16 et 18; Cod. pén. d'Au- Penal Code of the state of Georgia, div. 1. sect. 7. triche, art. 2, § 1, 2.

dénués, de caractère. Leur intelligence ne s'est jamais développée, ou ne s'est révélée que d'une manière incomplète. Leur infirmité date de leur naissance.

La folie comprend les individus dont l'intelligence, après avoir acquis tout son développement, s'est troublée, affaiblie ou éteinte accidentellement. On la divise en démence proprement dite, en manie avec délire, puis enfin en manie sans délire ou monomanie [1].

La démence (insania) est une débilité particulière des opérations de l'entendement et des actes de la volonté. Cette espèce de folie se caractérise par la perte de la mémoire et l'abolition de la pensée. « La tête du malade, suivant l'expression d'un auteur, n'est plus qu'une boîte où les idées qu'il avait acquises avant la maladie s'agitent sans liaison et sans ordre. »

La manie (furor) est un délire général, variable, s'appliquant à toutes sortes d'objets. Le malade ne peut avoir aucune idée fixe dans la tête, ne peut enchaîner ses pensées. Une incroyable activité surexcite les opérations délirantes de l'esprit. Le maniaque est le jouet continu d'idées fausses et incohérentes, d'illusions des sens et de rapides hallucinations.

Qulquefois, enfin, le délire se compose particulièrement d'une idée exclusive, autour de laquelle viennent, pour ainsi dire, sc grouper toutes les idées désordonnées; ou, dans un délire plus général, apparaît une série d'idées dominantes sur un même objet, une passion fortement prononcée qui fixent le plus souvent l'attention du malade et de ceux qui l'observent c'est la monomanie, ou manie sans délire, autrefois connue dans la science sous le nom de mélancolie, parce que les individus qu'elle affecte sont enclins à l'abattement et au désespoir. Les idées exclusives ou dominantes des monomanes sont ordinairement relatives aux passions et aux affections. Les uns sont poursuivis par les terreurs religieuses, par des chagrins imaginaires, par de chimériques terreurs. D'autres sont le jouet des sens, soit qu'ils se trompent sur les qualités du corps, soit qu'ils éprouvent des hallucinations.

[1] Voy. les Observations médico-légales sur la folie, par le docteur Georget; Médecine légale relative aux aliénés, par Hoffbauer; Essai médicolégal, par le professeur Fodéré, et Traité de médeeine légale, par le même; M. Esquirol, vo Folie,

Reprenons maintenant ces différentes classes d'aliénés, et essayons de déterminer les effets du principe d'irresponsabilité de la loi pénale, relativement à chacune d'elles.

L'idiotisme complet soulève peu de difficultés. L'idiot, en effet, n'a aucune perception des idées communes; sa vie, purement végétative, ne connaît d'autres sensations que celles que lui font éprouver ses besoins matériels; il ne peut donc être responsable de ses actions: fati infelicitas eum excusat. Et puis l'appréciation de l'idiotisme est sujette à peu d'erreurs; ses signes caractéristiques sont simples et faciles à vérifier; ce n'est point un fait isolé et passager, c'est un état qui remonte presque toujours jusqu'à l'enfance, et dont il est permis de suivre les phases diverses [2].

Mais cette maladie a ses degrés et ses nuances. A côté de l'idiot complet on rencontre fréquemment ces êtres dégradés par le crétinisme et à demi idiots, dont les facultés imparfaites perçoivent quelques idées, mais en petit nombre et confusément; ces infortunés, qu'un auteur [3] nomme demi-imbéciles, et dont l'intelligence n'a que des lueurs incertaines, doivent-ils être considérés comme en état de démence ? La disposition de l'article 65 doit-elle les protéger ?

Il est peut-être nécessaire de remarquer qu'il ne s'agit point ici de l'ignorance, qui, portée à un certain degré, semble participer de l'idiotisme. La loi, sous l'expression générale de démence, n'a pu comprendre que les maladies mentales. Et d'ailleurs l'ignorance, lorsqu'elle est réelle, peut être une cause d'atténuation de la peine, et non de justification: car, d'une part, l'agent doit s'imputer d'avoir négligé d'acquérir les connaissances nécessaires pour éviter le mal qu'il a commis; et, d'un autre côté, la loi pénale a sa sanction dans la conscience, et si l'ignorance peut l'obscurcir, elle ne peut l'abolir entièrement. Il est évident, au reste, que nous ne parlons ici que de l'ignorance qui agit en suivant une idée fausse ou des préjugés absurdes, mais qui délibère et qui agit volontairement; car le mal qui serait le résultat d'une erreur accidentelle, d'un cas fortuit, d'une imprudence, ne serait nullement imputable,

Dict. des sciences méd.; Leçons de médecine légale, par Orfila, etc.

[2] An idiot cannot be guilty of a crime. Stephen's, Summary of the criminal law, p. 3. [3] M. Orfila, Leçons de méd. lég., t. 2, p. 48.

puisqu'il ne serait ni prévu ni volontaire [1]. La démence, dans le sens légal de ce mot, n'est point une complète abolition de l'intelligence: furor continua mentis alienatio quá quis omni intellectu caret [2] Cette définition serait évidemment trop absolue, puisqu'elle rejetterait hors des termes de la loi tous les aliénés qui auraient conservé quelques rayons, même à demi éteints, de leur intelligence, tous ceux même à qui la maladie permettrait de jouir encore de quelques intervalles lucides.

Ce que la loi exige pour dégager l'agent de sa responsabilité, c'est qu'il soit atteint d'une maladie mentale, c'est que cette maladie ait été assez grave pour suspendre sa volonté mais il importe peu que cette perte de la pensée soit absolue ou incomplète; il suffit, d'après le texte même du Code, que le prévenu n'ait pas joui de ses facultés morales au temps de l'action. Ainsi, lorsque la débilité de ses facultés est telle qu'elle exclut nécessairement dans l'agent la volonté, il est évident qu'elle doit aussi bien le justifier que leur privation complète.

Mais, en admettant même cette interprétation, la difficulté ne peut se résoudre que dans une question de fait, puisque les espèces où elle se produit échappent par leur diversité à une formule générale, et que ce n'est point par la loi, mais bien par les jugements, que les cas individuels peuvent être résolus. Toutefois, on a prétendu que les demi-idiots discernent, en gé néral, le mal des actes les plus graves que condamne la loi naturelle, tels que l'homicide et le vol, et que l'excuse qu'ils peuvent invoquer doit dès lors être circonscrite aux actes défendus pas les lois positives; mais une telle distinction, qui ne s'appuie que sur des probabilités, ne pourrait servir de base aux présomptions de la justice toute règle en cette matière se traduit dans la vérification des faits. Si le juge reconnaît un idiotisme complet, il doit décharger l'accusé de toute responsabilité; s'il ne constate qu'un affaiblissement plus ou moins prononcé, qu'une privation partielle des facultés mentales, il doit examiner si l'intelligence incomplète ou confuse de l'agent discerner le caractère de l'acte qu'il a commis, et s'il résulte des circonstances qui ont accompagné et suivi cet acte, qu'il avait la conscience de son immoralité, l'imputabilité dépend de cette appréciation.

[1] L. 9, § 2, Dig. de jur. et fact. iquor.
[2] L. 14, Dig. de off. præs.
[3] L. 14, Dig. de off. præs.

La manie et la démence qui se décèlent, l'une par un délire général et continu, l'autre par la nullité complète des facultés morales, n'offrent la plupart du temps dans la pratique que des difficultés secondaires. En effet, le caractère de ces deux maladies se reconnaît facilement: elles ne se trahissent point par un acte extraordinaire et isolé, mais par une série d'actes successifs; la science peut en suivre les progrès, en observer les phases, en constater l'existence. Ici s'applique la définition de la loi romaine: continua mentis alienatio, et il faut ajouter également : furiosus satis ipso furore punitur ; [3] car c'est surtout à l'égard des maniaques et des insensés, dont la maladie emporte une entière privation des facultés intellectuelles, que la justification n'admet aucune incertitude, et que l'application d'une peine est repoussée par son injustice autant que par son inefficacité.

Toutefois une question que les anciens criminalistes ont long-temps agitée, est de savoir st les maniaques et les insensés sont responsables des actes qu'ils ont pu commettre pendant les intervalles lucides dont ils jouissent. La loi romaine admettait cette responsabilité: Si verò, ut plerumquè adsolet, intervallis quibusdam sensu saniore, num fortè eo momento scelus admiserit, nec morbo ejus danda est venia, diligenter explorabis, et si quid tale compererit, consules nos ut æstimamus, an per immunitatem facinoris, si eum posset videri sentire, commiserit, supplicio adficiendus sit[4]. Les anciens jurisconsultes ont suivi cette opinion [5], et on la retrouve encore dans quelques législations modernes. C'est ainsi que le Code pénal d'Autriche excuse l'accusé, soit quand il est totalement privé de sa raison, soit quand il a commis son action pendant une aliénation d'esprit intermittente, durant le temps de l'aliénation (1re p., art. 2, § 1 et 2).

Cette question ne nous semble point avoir toute l'importance que quelques auteurs y ont attachée. La surveillance étroite qui environne les maniaques, même dans les intermittences de leur maladie, ne leur permet que difficilement pu de se livrer à des actions criminelles. Si néanmoins ils commettent un crime, soit dans un intervalle lucide, soit après une interruption plus ou moins longue de la maladie, il n'est pas douteux qu'ils n'en soient moralement responsables, puisqu'on suppose que l'acte a été accompli en

[4] L. 14, Dig. de off. præs.

[5] Farinacius, de pœn. temp., quæst. 94, no 6; Muyart de Vouglans, p. 25.

toute connaissance de cause. Mais cette responsabilité doit-elle entraîner ses effets légaux? Ne peut-on pas présumer que l'état habituel d'aliénation a pu exercer quelque influence sur la détermination de l'agent, alors même qu'aucun signe ne la décèle ? Et comment constater la lucidité d'un intervalle dans une maladie mentale? Quel juge oserait affirmer que cette intelligence, tout à l'heure éteinte, a repris subitement toutes ses clartés? Enfin, faudra-t-il attendre pour le jugement un autre intervalle lucide? Et la folie ne ponrra-elle pas survenir au milieu de l'instruction, et avant que la justice ait achevé son cours?

Ces considérations semblent assez graves pour faire décider que le maniaque, qui dans une intermittence desa maladie a commis un crime, ne doit pas, en général être mis en jugement. Cependant M. Carnot parait penser que le texte du Code s'oppose à cette décision [1]. Cette opinion, qu'il n'appuie du reste d'aucun motif, se fonderait sans doute sur ce que l'article 64 semble exiger l'existence de l'aliénationautemps de l'action, pour lui donner la puissance d'une excuse; mais pourrait-on soutenir qu'il n'y a pas eu démence au temps de l'action, par cela seul que le malade aurait agi dans une intermittence de la maladie, si l'influence de cette démence a pu s'exercer mê me dans un moment prétendu lucide, si l'état habituel d'affaissement ou de perturbation des facultés morales du prévenu a pu réagir, même d'une manière inaperçue, sur son action [2] ? Nous reviendrons plus loin sur cette question.

Au reste, les anciens criminalistes posaient cnrègle, comme une borne à la rigueur de leur système, qu'en cas d'incertitude sur la criminalité de l'acte, cet acte devait être réputé commis sous l'empire de la maladie : Si dubitetur quo tempore delinquerit, an tempore furoris, an sana mentis, in dubio est potiùs quod delinquerit tempore furoris [3]: et ils ajoutaient que la preuve que le crime a été commis dans un intervalle lucide, doit être faite, soit par l'accusation, soit par la partie qui poursuit le procès [4].

Nous arrivons à la partie la plus difficile de cette matière, à la folie partielle, généralement connue sous le nom de monomanie. De graves débats se sont récemment élevés

[1] Comm. du Code pén., t. 1, p. 135, sur l'art. 64. [2] L'art. 489 du C. C. vient à l'appui de cette opinion.

à ce sujet : les uns, trop préoccupés des motifs d'impulsion au crime, paraissent disposés à couvrir de l'excuse de la démence tous les faits qui sont commis sans qu'on aperçoive aucune des causes qui expliquent d'ordinaire, sans la justifier, l'action criminelle; les autres, au contraire, ont nié jusqu'à l'existence d'une démence partielle; ils ont prétendu que cette affection extraordinaire et bizarre avait été créée par une philantropie mal éclairée, pour arracher quelques coupables à la juste sévérité de la loi.

L'existence d'une démence partielle peut-elle être révoquée en doute? Les actes de monomanie sont-ils des actes de démence? Des faits incon-testables répondent à cette question. Les anciens criminalistes ont rapporté plusieurs exemples d'actes instantanés et frénétiques commis sans motifs apparents. Les médecins qui ont écrit sur la manie ont recueilli un plus grand nombre de ces faits dans ces derniers temps, et ce problème n'en est plus un pour la science [5]. On a reconnu qu'il pouvait y avoir absence de raison, absence de la connaissance du bien et du mal relativement à certains objets, sans que vis-à-vis des autres il y eût altération sensible des facultés intellectuelles. Le délire est quelquefois tellement exclusif, et l'intelligence est tellement libre sous tous les autres rapports, que le malade pent paraître sain d'esprit, tant qu'il ne dirige pas son attention vers l'objet sur lequel il extra

vague.

Et en effet, comment expliquer ces agressions qui contrastent si fortement avec les affections et les passions ordinaires des hommes; cette frénésie, véritable anomalie dans la nature humaine, qui ne se révèle par des déterminations atroces, qu'après avoir longtemps rongé le cœur qui l'ensevelissait, ou qui tout-à-coup éclate an moment même où elle s'empare de l'intelligence? Y a-t-il beaucoup d'homicides commis par des personnes honnêtes, sans motifs réels, sans esprit de vengeance ou de cupidité ? Ne serait-ce pas calomnier l'humanité que de supposer sain d'esprit l'homme capable de commettre un horrible forfait, pour le seul plaisir de se baigner les mains dans le sang de ses semblables?

Cependant on a essayé d'écarter l'idée de ma

[5] Examen des procès criminels des nommés Leger, Papavoine et la fille Cornier, par le docteur Georget; Médecine légale, par Hoffbauer; M. Marc, Dict. des sciences médicales, vo Aliénés; [4] Jousse, Comm. sur l'art. 1, tit. 28 de l'ord. Médecine léga'e de Fodéré ; Leçons de M. Orfila ; crim. de 1670.

[3] Farinacius, quæst. 98, n° 8.

Observat. de M. Esquirol et de M. Pinel.

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