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et de rattacher ces frénétiques accès à quelques vices horribles, à des goûts de bizarre cruauté, à d'affreux caprices de misanthropie, à une haine invélérée contre les hommes, transformée en un instinct de férocité et une soif de sang.

Il est possible que l'homme qui a parcouru tous les degrés de l'immoralité, finisse par des cendre à la dépravation la plus horrible, et par ressentir les appétits de la bête féroce. Il est possible que le coupable qui a longtemps nourri dans son sein une criminelle pensée, se trouve tout-à coup enchaîné comme un esclave au crime que ses désirs ont caressé, et l'accomplisse avec fureur. Nulle voix ne s'élèverait assurément pour écarter la responsabilité de la tête de ces hommes. Ils ont connu l'immoralité de leur penchant ; ils ont eu la conscience du mal qu'ils voulaient faire; ils ne sont tombés dans l'égarement que lorsque la perversité de leur pensée les a précipités dans le crime. Ils sont responsables. L'égarement qu'ils ont pu manifester au moment de l'exécution, ne saurait seul être une cause de justification; car l'approche d'une horrible catastrophe, la consommation d'un crime peuvent jeter la perturbation dans l'esprit sans nuire à la puissance de la raison. Ce trouble, cet égarement que les plus grands coupables décèlent, sont un hommage à la conscience humaine; ils accusent celui qui les a ressentis, loin d'atténuer son crime.

Mais ces hommes, quelque dépravés qu'on les suppose, ont une horreur profonde des crimes qu'ils ont commis; ils apprécient le mal qu'ils ont fait ; ils en éprouvent le remords; ils savent qu'ils ont cédé à une passion qu'ils pouvaient combattre, et non à une maladie invincible; enfin, il est possible de saisir la suite des idées qui les ont conduits au crime. A la vérité, ces différentes circonstances sont souvent difficiles à constater. Des nuances plus ou moins prononcées, et qui échappent même à l'observation, séparent seules ces frénétiques des monomanes. C'est là même l'objection la plus forte qu'on ait opposée à l'excuse de la monomanie; car personne n'a demandé l'application d'une peine à un homme en démence, mais on a craint que cette démence ne fût un prétexte pour sauver de vrais coupables.

C'est à la science que la justice doit demander des lumières pour ne pas égarer ses décisions: des travaux récents ont permis de poser quelques règles qui sont comme des jalons destinés à di

[1] M. Georget, vo Folie, Dict. de médecine.

CHAUVEAU. T. I.

riger ses pas. Ainsi, les médecins ont remarqué qu'en général, dans les délires exclusifs, le trouble de l'intelligence est rarement limité, la plupart des malades paraissent préoccupés, incapables de leurs occupations habituelles, inhabiles à se livrer à un travail continu; ils oublient les personnes qui leur étaient les plus chères, ou il n'y pensent qu'avec un sentiment de défiance ou pour les accuser d'injustice; enfin ils sont de temps en temps en proie à des paroxysmes d'agitation et d'un délire plus général [1]. Un autre caractère de la démence partielle est l'existence d'une idée dominante, exclusive, sous l'empire de laquelle le crime a été commis. Hoffbauer pose en principe que, dans cette sorte de délire, la présence seule de cette idée fixe peut excuser [2]; et en effet, en dehors de ce point unique, l'agent comprend, raisonne, possède toute son intelligence. Il est donc essentiel de reconnaître l'idée exclusive sur laquelle repose la démence, et d'examiner les rapports de cette idée avec les causes apparentes du crime. L'irresponsabilité doit être partielle comme la folie.

Enfin, l'absence de tout intérêt, et 1 indifférence à l'égard du châtiment, sont encore des traits distinctifs de la démence. Mais il faut prendre garde que ces signes peuvent se rencontrer chez des hommes que l'abrutissement du vice, ou le dégoût de la vie, jettent dans le crime. Ceux-ci sont libres, et par conséquent responsables; la maladie seule, on le repète, détruit la culpabilité.

Lorsque l'existence de la démence partielle est établie, il est évident qu'on doit appliquer aux monomanes les mêmes règles que pour l'appréciation de la folie complète. Le jugement est plus difficile, mais les principes sont nécessairement les mêmes; il s'agit toujours de véri– fier si le prévenu a eu la conscience du mal qu'il a commis.

Il n'est pas douteux, d'ailleurs, que l'art. 64 ne comprenne la monomanie dans l'expression démence dont il se sert; car la seule condition qu'exige cet article, est que l'accusé ait été en état de démence au temps de l'action. Il ne demande point que cette démence ait été habituelle et continue; l'aliénation, même momentanée, peut donc justifier 1 accusé lorsqu'elle est constante. Ce principe avait été posé par la Cour de cassation, avant même que le Code l'eût consacré. En effet, dans une espèce où un militaire qui avait frappé à mort l'un de ses cama

[2] Médecine légale, ou les lois appliquées aux désordres de l'intelligence, p. 103 et 106.

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rades dans un accès d'épilepsie, avait été condamné par un conseil de guerre, la Cour de cassation déclara « qu'il résultait du jugement que le prévenu était dans le moment de l'homicide par lui commis, atteint d'une maladie qui lui avait causé des accès de rage et de fureur qui n'étaient pas naturels ; que cette déclaration, d'où résultait le défaut de culpabilité, entraînait nécessairement l'acquittement du prévenu [1]. » On peut donc regarder comme certain que toutes les fois que le fait a été commis dans un moment de démence même accidentelle, l'auteur de ce fait doit être à l'abri des peines que la loi ne décerne que contre les coupables. Ce principe est conforme à la raison. Qu'importe que la démence soit complète ou partielle? Il suffit qu'elle ait 'produit, même instantanément, l'abolition de la pensée, pour que l'agent ne soit pas coupable. La société ne peut lui imposer une expiation, si au moment même du crime il n'a pas agi librement. La démence complète entraîne à la vérité moins de chances d'erreur de la part des juges; mais la raison de justification est la même dans les deux cas. Ensuite, dans ces deux hypothèses, la peine est inutile, parce qu'elle est inefficace la crainte du châtiment n'a point retenu les monomanes, l'affliction de la peine ne guérirait point l'erreur de leurs passions. Heureusement, d'ailleurs, ces hommes sont en petit nombre; et s'il était vrai, ce qui est un des mystères de l'humanité, qu'il existât des espèces de folie dont l'homme a la conscience, qu'il peut contenir par un certain genre de vie, et dont il peut jusqu'à un certain point s'imputer les excès, du moins leur impunité n'aurait point le même péril qu'à l'égard des crimes ordinaires.

On a distingué plusieurs variétés de la monomanie: la plus terrible est la monomanie homicide, autrefois appelée homicide bestial. Les malades sont poussés à répandre le sang par des motifs imaginaires qui agissent puissamment sur leur esprit. Quelques-uns seulement éprouvent un instinct sanguinaire, une impulsion plus ou moins violente et quelquefois irrésistible à l'homicide, avec la conscience de leur état. Les autres entendent une voix intérieure, obéissent au doigt de Dieu qui leur désigne une victime, veulent arracher d'innocentes créatures à la corruption du monde, ou pensent s'affranchir de prétendus ennemis ou de génies malfaisants. On connaît également des cas assez nombreux de

[1] Art. cass. 8 frim. an xш; Sirey, 1820, 493.

monomanie incendiaire; cette démence partielle offre ce caractère étrange qu'elle se communique par une sorte de contagion. On a vu des personnes s'armer de la torche en écoutant le récit d'une incendie : inexplicable problème de la volonté humaine! Enfin la monomanie du vol a présenté d'incontestables exemples; la preuve en est plus difficile, parce qu'on ne peut dire qu'il y ait absence d'intérêt, à moins que la chose volée ne soit que d'une faible valeur en égard à la position de celui qui l'a prise. Mais, dans ces divers cas, l'aliénation mentale a des caractères qui lui sont propres, des signes qui la révèlent; et il faut en prouver l'existence lorsqu'on allègue cette maladie comme moyen de défense

L'exception justificative de la démence fait naître encore d'autres questions. Il s'agit de savoir si elle peut être étendue à certaines perturbations de l'intelligence qui ne prennent point leur source dans la démence proprement dite, mais qui offrent plusieurs des caractères et des effets de cette maladie. Telles sont les passions et l'impétuosité de la colère; tels sont encore le somnambulisme et l'ivresse.

Quelques personnes ont voulu assimiler la puissance des passions humaines à l'aliénation mentale, la fureur de l'homme en proie à la jalousie ou au désespoir à la fureur de l'aliéné. On a demandé si une passion exclusive et dominante ne peut pas être considérée comme un accès de monomanie, et si cette passion ne pent pas exciter momentanément un état d'aliénation.

Ces questions ont été fréquemment soulevées dans l'intérêt de la défense devant les cours d'assisses, pour excuser les crimes commis dans un moment d'emportement. « Il est, disait un célèbre avocat, diverses espèces de fous ou d'insensés : ceux que la nature a condamnés à la perte éternelle de leur raison, et ceux qui ne la perdent qu'instantanément par l'effet d'une grande douleur ou d'une grande surprise, ou de toute autre cause pareille. Il n'est de différence entre ces deux folies que celle de la durée; et celui dont le désespoir tourne la tête pendant quelques jours ou pour quelques heures, est aussi complètement fou pendant son agitation, que celui qui délire pendant beaucoup d'années [2]. »

Il importe de repousser une doctrine qui nous paraît aussi erronée qu'elle est dangereuse. D'abord, il n'est pas vrai, aux yeux de la science, qu'une passion puisse exciter un dérangement

Barreau français ; M. Bellart, plaidoyer pour Joseph Gras,

momentané des facultés intellectuelles. Les annales de la médecine n'ont point encore signalé de folie temporaire qui soit née et qui ait cessé avec une passion dominante [1]. Les passions peuvent être la source d'une affection persistante, et ce sont même de toutes les causes de la folie les plus nombreuses et les plus puissantes. Mais on ne saurait apercevoir des symptômes d'une aliénation réelle dans ces troubles de l'esprit, quelque graves 'qu'ils soient, qui voilent l'intelligence comme d'un nuage, mais qui disparaissent avec leur cause.

En assimilant les passions à l'aliénation mentale, on justifie l'immoralité en la plaçant sur la même ligne que le malheur; on l'encourage, en offrant l'impunité comme une peine à ses débordemens. L'infortuné dont une maladie a ébranlé l'intelligence, obéit comme une machine à une force motrice dont il ne peut combattre la puissance; l'homme qui agit sous l'empire d'une passion a commencé par laisser corrompre sa volonté, et c'est sa volonté qui, emportée par la passion, s'est précipitée dans le crime: le premier subit un pouvoir irrésistible, l'autre a pu résister et ne l'a pas voulu. Dans le paroxysme même de la passion la plus délirante, l'homme ne cesse point d'avoir la perception du bien et du mal, et de connaître la nature des actes auxquels il se livre; l'amour, la jalousie, la vengeance peuvent le subjuguer ; il cède à l'entraînement de ses désirs, mais il trouverait dans son sein la force de les combattre. Les passions violentes abrutissent le jugement, mais ne le détruisent pas; elles emportent l'esprit à des résolutions extrêmes, mais elles ne le trompent ni par des hallucinations, ni par des chimères. Elles excitent momentanément des sentimens de cruauté, mais elles ne produisent pas cette perversion morale qui porte l'aliéné à immoler sans motifs l'être qu'il chérit le plus. En un mot, il n'y a pas suspension temporaire des facultés de l'intelligence; l'homme agit sous l'empire d'un sentiment impérieux qui le maîtrise, mais il a accepté cette domination, il agit volontairement.

La loi pénale doit donc être entendue dans ce sens, que le motif de justification qu'elle établit ne doit s'appliquer qu'aux seuls accusés qui sont atteints de démence. Sans doute, sous cette expression il faut comprendre toutes les nuances que la science médicale a reconnues dans l'alié nation mentale; mais la condition nécessaire

[1] Le docteur Georget, Dictionn. de médecine, vo Folie.

pour que l'agent soit justifié, est qu'il y ait mala die, lésion complète ou partielle des facultés de l'intelligence. Toute perturbation des sens qui prend sa cause non dans une maladie mentale, mais dans les frénésies ou la corruption de la volonté, ne peut invoquer une excuse qui n'appar. tient qu'à la maladie. Ce principe n'admet aucune exception; en le maintenant dans ses limites précises, on lui confère d'ailleurs une puissance moins contestable à l'égard des espèces si variées de la folie partielle.

Cependant, si les passions ne peuvent être assimilées à des excès de monomanie, on ne peut méconnaître qu'elles obscurcissent, qu'elles enchaînent même la volonté, et ne lui laissent pas dès lors la liberté nécessaire pour commander à l'impulsion de leurs désirs. La responsabilité morale n'a pas disparu, mais elle s'affaiblit. Elles ne peuvent être invoquées comme motifs de justification, mais comme motifs d'atténuation de la peine. « Jurisconsulti sanxerunt delicla quæ irá aut dolore concitati commisimus non esse severiùs punienda. [2]. »

En effet, la conscience universelle a admis des distinctions entre l'homicide commis de sangfroid, que la vengeance ou la cupidité ont longtemps prémédité, et l'homicide qu'un moment de jalousie frénétique ou qu'une violente provocation ont fait commettre. Le danger social et la criminalité elle-même ne sont pas les mêmes dans ces diverses espèces. La justice, comme la raison politique, commande donc des degrés distincts dans la pénalité.

C'est en obéissant à cette loi morale que notre Code a séparé les crimes commis avec ou sans pré méditation. Il abandonne ensuite aux juges et aux jurés le pouvoir d'abaisser les peines, par l'effet des circonstances atténuantes, d'après les nuances infinies que réfléchissent les passions humaines, et les motifs d'excuse qui peuvent se puiser dans leur cause, dans les combats de l'agent avec lui-même, dans ses efforts pour lutter contre le sentiment qui l'a dominé, dans ses regrets et ses pleurs. Là s'arrête l'indulgence de la loi; l'accusé peut paraître digne de pitié, mais il reste coupable à ses yeux. Il doit, en effet, se reprocher d'avoir nourri un désir qui s'est peu à peu changé en une indomptable passion, ou de s'être imprudemment placé dans une position qui a dominé sa volonté, et lui a fait du crime une sorte de nécessité.

[2] Tiraqueau, p. 15; Farinacius, quæst. 98, no 77; Baldus, in l. impuberum, C. de impub. ; Julius Clarus, in pract., quæst. 61, no 7.

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Les mêmes motifs peuvent s'appliquer aux crimes commis dans l'émotion d'une colère violente ou d'une juste douleur. « Quidquid in calore iracundiæ vel fit, vel dicitur, non priùs ratum est, quàm si perseverantià apparuit judicium animi fuisse [1]. » La colère, de même que la passion, n'est point une cause de justification, car l'homme a le pouvoir de dominer ses émotions et de s'en rendre maître; mais elle peut être invoquée comme un motif d'excuse, et même, dans certains cas, son effet légal est plus étendu que celui des passions. C'est que l'emportement de la colère diffère sous un rapport de l'emportement d'une passion désordonnée. L'homme dont une cause imprévue et subite trouble l'esprit, n'a pas, comme celui qui est en proie à la jalousie, laissé fermenter dans son sein le poison qui, plus tard, bouleverse sa raison. Il cède à un transport instantané; il n'a pu le prévenir ni en écarter la cause; aussi a-t-on assimilé la colère à la folie : ira furor brevis. Le devoir du législateur est de remonter à la source de cet emportement, et de discerner la nature des faits qui l'ont excité, cùm sit difficillimum justum dolorem temperare [2]. L'excuse n'est pas dans la colère elle-même, mais dans la cause : «Simplex iracundiæ calornon excusat, nisi justa causa præcedat [3]. » Les anciens jurisconsultes distinguaient les causes de la colère, justæ ac injustæ causæ iræ aut doloris. Le Code pénal, qui a suivi en cela la loi romaine, couvre le crime commis dans un moment de colère ou de douleur, du voile de l'excuse légale, lorsque le crime a été provoqué par des coups ou des blessures (art. 321), par l'adultère de l'épouse dans la maison conjugale (art. 324), enfin par un outrage violent à la pudeur (art. 325). Voilà les justes causes de colère que reconnaît la loi; elles dépouillent le crime de son caractère, et l'abaissent au rang des délits. Mais, hors de ces cas, la colère ou la douleur rentrent dans la classe des circonstances atténuantes, et peuvent seulement motiver une atténuation de la peine : « Non excusant in totum, sed tantùm faciunt ut mitiùs delinquens puniatur [4].» L'imputabilité des actes commis en état de somnambulisme a donné lieu à des opinions diverses. Le mystérieux travail de l'intelligence

[1] L. 48, Dig. de div. reg. juris.

[2] L. 38, § 8, Dig. ad leg. Juliam de adulteriis. [3] Farinacius, quæst. 91, no 13.

[4] Farinacius, quæst. 91, no 4. Voy. encore 1. 16, 2, Dig. de pænis; l. 1, § 2, Dig. ad S. C. turpit.; 1. 2, C. de abol.

pendant le sommeil échappe à l'observation, et dès lors ce n'est que sur de vagues présomptions que les discussions ont pu s'asseoir. « Et ces discussions oiseuses, a dit M. Rossi [5], ne méritent d'être citées que comme un exemple de la témérité de l'homme, lorsqu'il prétend se lancer sans frein et sans guide dans le domaine de la justice morale. Il suffit de se rappeler un instant les formes et les imperfections de la justice humaine, pour reconnaitre qu'elle n'a ni les moyens, ni le besoin, ni le droit de s'enquérir des actions commises pendant le sommeil. »

Nous pensons également qu'il faut établir en principe que les somnambules ne sont point responsables des actes qu'ils ont commis dans leur sommeil. Ce n'est point par une assimilation que la loi ne permet point d'ailleurs, du som– nambulisme à la démence; mais la volonté du somnambule est trop incertaine, pour qu'on puisse le rendre responsable de ses actes; il y a doute, doute complet, sur la culpabilité : l'agent doit être absous. Telle était aussi la règle mise en pratique dans l'ancienne jurisprudence, d'après la maxime : Dormiens furioso æquiparatur[6].

Cette règle avait quelques exceptions. Si le somnambule connaissait sa maladie, et n'avait pas pris les précautions que la prudence lui suggérait, le crime lui était imputé [7]. Mais il est évident que, dans ce cas même, il n'était coupable que d'imprudence ou de négligence; et telle est aussi la décision de la loi que les jurisconsultes citent à l'appui de l'imputabilité pénale: «Culpam est quod a diligente provideri poterit, non esse provisum [8]. »

Une autre exception a été établie pour le cas où l'agent aurait ratifié à son réveil l'action qu'il a commise en état de somnambulisme [9] Cette approbation, en effet, révélerait une volonté criminelle préexistente au crime; elle indiquerait que le somnambule n'a fait qu'exécuter machinalement un dessein conçu à l'avance, et dont la pensée préoccupait encore son sommeil ; et cependant, même dans cette hypothèse, combien insuffisantes sont les présomptions! Qui dira si cette volonté, sans guide, ne se serait pas arrêtée de sang-froid devant l'exécution? Une large distance sépare le désir

[5] Traité du droit pénal.

[6] Tiraqueau, de pæn. temp., p. 15; Farinacius, quæst. 98, no 63; Muyart de Vouglans, p. 29. [7] Farinacius, quæst. 98. no 70. [3] L. 31, Dig. ad leg. Aquil.

[9]Menochius,de arb, quæst.lib.2.casu 327, no 8.

et l'action; et l'acte du somnambule ne doit être considéré que comme un désir hautement manifesté. Or, la jouissance immorale qu'il en a ressentie indique-t-elle suffisamment qu'au désir il joint l'audace de l'exécution? Pourraiton en induire d'une manière certaine la préméditation?

Cependant les jurisconsultes et les professeurs de médecine légale ont été plus loin. Ils ont prétendu que, si l'agent avait une inimitié capitale, le crime lui serait imputable, parce que ce crime ne serait alors qu'une exécution des sentiments criminels qu'il aurait nourris pendant son réveil [1]. On pourrait soutenir avec autant de raison que toutes les actions des somnambules ont leur source dans une pensée préexistante, et ne sont que l'exécution d'un projet, d'une intention criminelle conçue durant les veilles; mais sur quelle fragile base reposerait une telle criminalité? Comment remonter à une intention que couvre le mystère du sommeil? Par quelle échelle de présomptions arriver à punir une intention présumée? Et même, en supposant prouvée une volonté criminelle préexistante à la perpétration, la culpabilité ne serait-elle pas incertaine encore, puisque le crime ne peut se former que par le concours simultané et non successif du fait et de la volonté ? Au reste, le somnambulisme, de même que les autres égarements de l'esprit, peut être simulé; c'est à celui qui l'invoque comme excuse à prouver que cet état moral lui est habituel, et qu'au temps de l'action, particulièrement, il s'y trouvait soumis.

L'ivresse est le dernier des états de l'intelligence qui présente de l'analogie avec la démence, et sa présence soulève les mêmes difficultés. Peut-elle produire l'effet de justifier l'agent? Doit-on lui reconnaître le caractère d'une démence passagère ? Ces questions ont donné lieu aux discussions les plus diverses, aux opinions les plus contradictoires: Les uns n'aperçoivent dans l'ivresse aucun motif d'excuse; les autres dégagent au contraire de toute responsabilité l'agent qui a commis l'action

[1] Hoffbauer. loc. cit.; Fodéré, Traité de decine légale; Muyart de Vouglans, p. 29.

en cet état; d'autres enfin distinguent entre les diverses espèces d'ivresse, et n'accordent ce privilége qu'à l'ivresse involontaire.

Arrêtons-nous d'abord à fixer le caractère intrinsèque de l'ivresse : lorqu'elle est volontaire, alors même qu'elle n'est pas habituelle, il est évident qu'elle constitue un acte reprochable, une faute; cette faute peut même revêtir un caractère plus grave, lorsque l'ivresse se produit publiquement et qu'elle est accom pagnée de scandale; la morale peut en être blessée, et l'ordre public est compromis. Aussi la législation offre plusieurs exemples de pénalités qui lui sont appliquées. Un édit de François Ier d'août 1536 portait contre les personnes ivres des peines afflictives assez graves [2]. Les statuts anglais punissent encore l'ivresse d'une amende, et, en cas de récidive, l'inculpé, doit donner caution de bonne conduite [3]. Il est visible que la nécessité de cette pénalité dépend entièrement des pays, des habitudes, etdes caractères même des peuples.

Mais, que l'ivresse soit ou non réprimée, sou caractère ne peut être que celui d'une faute, d'une infraction plus ou moins grave de police, en un mot, d'une imprudence. C'est sous ce seul point de vue que les législateurs qui l'ont punie l'ont considérée, et il est évident qu'elle ne pourrait, sans blesser la loi morale, être élevée au rang des délits. Maintenant ce caractère reçoit-il une modification si, pendant la durée de l'ivresse, l'agent a commis quelque crime? En d'autres termes, cet agent est-il responsable des actes auxquels il s'est,livré dans cet état?

En thèse générale, cette question ne présente aucun doute à nos yeux. Il est certain que l'ivresse complète produit un complet aveuglement; elle place comme un nuage autour de l'intelligence; l'homme prend les instincts et suit les inspirations de la brute; il n'agit que machinalement, et sa raison ne participe point aux actes matériels auxquels il se livre. Cette ivresse qui replace l'homme dans l'enfance, ou le plonge dans une passagère aliénation, doit donc aux yeux de la conscience

mé-nissement de sa personne et si est par exprès commandé aux juges, chacun en son territoire et distroict, d'y regarder diligemment. >>

[2] « Quiconque sera trouvé yvre soit incontinent constitué et retenu prisonnier au pain sec et à l'eau pour la première fois; et si secondement il est reprins, sera, outre ce que devant, battu de verges on fouet par la prison, et la tierce fois fustigé publiquement; et s'il est incorrigible, il sera pani d'amputation d'aureille, d'infamic et de ban

[3] Every person who shall be drunk shall forfeit for the first offence five schillings; on a second conviction, shall be bound with two sureties in 10 liv.. conditioned for his good behaviour. (Stephen's Summary, p. 3.)

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