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Une question de compétence peut s'élever au sujet de l'appréciation de la démence au moment des débats. La Cour de cassation a jugé que si la démence de l'accusé au temps de l'action est de la compétence du jury, c'est qu'elle constitue alors une circonstance qui tient au fait de l'accusation; mais qu'il en est autrement lorsqu'il s'agit de savoir si l'accusé se trouve en démence au temps du jugement; que ce fait est étranger au crime, et que dès lors il n'appartient qu'à la Cour d'assises de le juger [1]. Cette distinction nous paraît fondée. Mais il est évident que si l'exception posée in limine litis est rejetée par la Cour, cette décision ne fait point obstacle à ce que le jury s'y arrête dans l'examen de la culpabilité.

Les anciens jurisconsultes enseignaient que si la folie n'éclatait qu'après l'établissement des preuves, post completum processum, les juges avaient la faculté de prononcer contre l'accusé les peines pécuniaires [2]; en effet, la culpabilité étant démontrée, la démence ne pouvait soustraire l'accusé qu'aux peines corporelles. Cette décision, qui pouvait être utile à une époque où toute l'instruction était écrite, ne saurait avoir une application actuelle, puisque l'instruction orale où se puisent tous les éléments du jugement ne se termine qu'au moment même de ce jugement, et qu'il paraît difficile de supposer que la folie se produise précisément dans l'intervalle étroit qui sépare les débats du jugement. Mais, même dans cette hypothèse, s'il s'agit de condamnations civiles, on sait que les tribunaux criminels ne peuvent les prononcer qu'accessoirement aux jugements d'acquittement ou de condamnation; et quant aux amendes elles constituent de véritables peines. Or, si le but de la peine, qu'elle soit corporelle ou pécuniaire, est l'expiation du délit, ce but serait-il atteint vis-à-vis d'un homme en démence? Enfin, l'aliénation mentale peut ne se manifester qu'après la condamnation. Quel doit être son effet sur l'exécution des peines? Ici l'on doit distinguer les peines corporelles et les peines pécuniaires. Il est évident, que l'exécution des premières doit être suspendue; il serait inhumain, il serait absurde de faire monter un

[1] Arr. cass. 15 fév. 1816, cité par Bourguignon, sur l'art. 66 C.pen., t. 3, p. 74.

insensé sur l'échafaud, ou de lui faire porter les fers. Differtur exsequutio, disaient les jurisconsultes, usque ad supervenientiam sana mentis [3]. Toutefois, Rousseau de la Combe a contesté ce sursis; il veut que le condamné à mort tombé en démence soit exécuté, « l'exécution des peines, dit-il, ayant l'exemple pour principal objet [4]. » Mais l'exemple on l'intimidation est l'un des effets légitimes de la peine, et non son objet principal; et puis, dans ce système même, la terreur de la peine seraitelle donc le seul effet moral d'une telle exécu tion? Ne s'y mêlerait-il pas quelque pitié pour la victime, quelque indignation d'un tel spectacle? La conscience publique ne se révolteraitelle pas de cette peine subie par un être qui n'a plus la conscience de l'avoir méritée ? Muyart de Vouglans modifie cette opinion en limitant l'exécution des condamnés en démence à ceux seulement qui ont commis des crimes de lèsemajesté, à cause de l'exemple [5]. Ces opinions et ces distinctions respirent entièrement l'esprit de l'ancienne jurisprudence.

Suffirait-il que le condamné fût dans un intervalle lucide pour que l'exécution pût avoir lieu? Les criminalistes n'hésitent pas à prononcer affirmativement [6]. Cette opinion peut être rigoureusement soutenue. Toutefois la justice doitelle courir l'horrible chance d'exécuter un maniaque? Est-il de sa dignité d'épier la lueur d'une raison vacillante pour préparer son glaive? Il semble qu'une guérison complète peut seule restituer le condamné à la peine qu'il doit subir. A l'égard des peines pécuniaires, nul doute ne semble pouvoir s'élever : du moment où la condamnation à l'amende est devenue définitive, il y a droit acquis pour l'État ; c'est une dette qui frappe les biens du condamné; sa démence postérieure ne peut pas mettre à l'exécution plus d'obstacle que si cette dette avait sa source dans toute autre obligation pécuniaire. Ce principe avait déjà été posé dans notre chapitre 7 [7]. On a demandé si la prescription doit courir pendant la suspension des poursuites occasionnées par la démence de l'accusé. En thèse géné– rale, la prescription ne court pas contre celui qui ne peut pas agir : contrà non valentem

[4] Traité des mat. crim, p. 39. M. Carnot a attribué par erreur cette opinion à Muyart de Vou

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agere non currit præscriptio. Or, nous avons vu que le ministère public ne peut pas agir contre un prévena qui est en état de démence. Mais cette règle n'a jamais été appliquée en matière criminelle; elle ne forme, d'ailleurs, qu'une exception à une règle plus générale encore: c'est que, comme le dit l'art. 2251 du C. C., la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par une loi. Or, l'art. 637 du Cod. d'inst. crim. n'est modifié par aucune exception, et l'on ne peut mettre à la généralité de sa disposition des limites que son texte repousse; il faut donc admettre que la prescription court contre le ministère public pendant tout le temps qu'il est placé, par une cause extraordinaire qui lui est étrangère ainsi qu'à la loi, dans l'impuissance de poursuivre le coupa ble. On sent, au reste, combien cette solution se justifie aisément. Quel est le motif principal qui a dicté l'article 637? C'est que pendant les dix années qui s'écoulent après le dernier acte d'instruction, les preuves de l'innocence du prévenu peuvent dépérir, et qu'il serait injuste de le condamner sur les indices qui resteraient de sa culpabilité, tandis qu'il ne resterait rien pour sa justification. Ce motif est-il moins applicable au cas où le ministère public a été dans l'impuissance de poursuivre le prévenu, qu'à celui où ses poursuites ont toujours été libres, et où l'on ne peut en imputer la discontinuation qu'à sa négligence ou à un défaut de renseignements? Évidemment non. Done, dans le premier cas comme dans le deuxième, la prescription doit courir en faveur du prévenu, et l'interruption des poursuites pendant dix années consécutives doit éteindre l'action publique. C'est, au surplus, dans ce sens que la question a été jugée par un arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 1813 [1]. M. Legraverend, qui paraît avoir ignoré cet arrêt, avait également proposé la même décision [2].

:

Il nous reste à examiner un point important de la législation. La loi a une double mission à remplir à l'égard des aliénés si elle doit les dispenser d'un châtiment qu'il serait barbare de leur appliquer, puisqu'ils n'en comprendraient ni la raison ni les effets, elle doit, d'un autre

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côté, protéger la société contre leurs atteintes, et ce pouvoir de protection doit se manifester au moment même où la justice pénale proclame son incompétence; car il est à craindre que les juges, mus par l'idée des excès auxquels l'accusé rendu à la liberté pourrait se porter, ne lui appliquent comme mesure de sûreté une peine évidemment injuste, s'ils reconnaissent son état de maladie et son innocence. L'intérêt même de l'accusé appelle donc ces précautions.

La loi romaine, après avoir posé le principe: Furiosus furore ipso punitur, ajoutait : diligentius qui custodiendum esse aut etiam vinculis coercendum [3]; et le principe est expliqué dans une autre loi : Furiosis, si non possunt per necessarios contineri, eo remedio per præsidem obviam eundum est, scilicet ut carcere contineantur [4]. L'ancienne jurisprudence se conformait à cette règle: «Quoique l'accusé qui est furieux, dit Jousse, ne doive point être puni, il ne doit pas pour cela être relâché; il faut le garder avec soin, et à cet effet le donner en garde à ses parents pour le tenir enfermé, afin qu'il ne soit plus dans le cas de faire du mal à l'avenir; et si les parents ne sont pas en état de le garder, il doit être renfermé dans une prison [5]. » En Russie et en Autriche, le sort de l'aliéné est à la discrétion de la police; en Angleterre, la Cour d'assises peut ordonner qu'il restera en prison jusqu'à ce que le bon plaisir du roi soit connu [6].

ce;

Ces diverses législations attestent un fait incontestable, la nécessité d'une mesure de prétion vis-à-vis d'un furieux acquitté pour démenmais si elles fournissent les moyens de protéger la société contre les écarts des maniaques, les moyens livrés au caprice de l'administration, sont dénués des garanties que réclame la liberté individuelle. La société doit être préservée des frénétiques accès de la folie, mais les mesures de précaution doivent être proportionnées au péril, c'est-à-dire à l'intensité et à la durée de la maladie. Ce n'est pas une peine sous une autre dénomination qu'il s'agit d'infliger aux acquittés accusés pour démence; c'est une sorte de détention préventive qui les mette hors d'état de nuire; c'est surtout un traitement qui les ramène à la jouissance de toute leur raison.

[5] Traité de la just. crim., t. 2, p. 622; Rousseau de la Combe, p. 89 ; Farinacius, loc. cit., no 25 .

[6] « The court may order him to be kept in custody till his majesty's pleasure be known. » Stephen's Summary, p. 4.

Interrogeons maintenant la législation; elle est fort brève, et se compose uniquement de deux dispositions. La loi des 16-24 août 1790, sur l'organisation judiciaire, confie à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux « le soin d'obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furieux laissés en liberté (tit. 11, art. 3, § 6). » Ensuite l'art. 475, n° 7, du Code pénal punit d'une amende de 6 à 10 fr. «< ceux qui auraient laissé divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde [1]. » Ces dispositions sont évidemment insuffisantes. D'une part, l'art. 475 du Code, qui semble n'avoir eu pour but que d'assurer l'ancien usage qui laissait les fous à la garde de leurs parens, ne s'applique qu'à la divagation des individus laissés en garde. La loi des 16-24 août 1790, d'un autre côté, n'accorde que dans les termes les plus vagues aux corps municipaux, le pouvoir de remédier aux événemens fâcheux occasionnés par les insensés ou les furieux. Cette insuffisance de la législation a eu un triste effet : la nécessité en a élargi les termes. On a vu dans la loi des 16-24 août 1790 un droit de détention général, illimité, à l'égard des individus atteints de démence. Ce droit que la loi n'accordait du moins qu'aux corps municipaux, l'usage l'a transporté d'abord aux maires, ensuite aux préfets. C'est maintenant par un ordre administratif, où la folie est alléguée, sans qu'il soit même besoin de la prouver, qu'un homme peut être détenu sans qu'il puisse apercevoir le terme de sa détention.

Il serait inutile de nous arrêter à prouver l'illégalité de ces mesures. Comment supposer que les vagues expressions que nous avons citées aient pu attribuer à l'administration le pouvoir énorme de prolonger indéfiniment, sur de simples renseignemens, sans débats ni contradiction, l'emprisonnement d'un homme dont la démence est peut-être même problématique? Un tel pouvoir serait repoussé par toute la lé gislation; la nécessité seule de pourvoir au besoin social peut excuser un tel empiétement. Mais, du reste, cette voie illégale trouve elle même des obstacles; car rien ne s'oppose à ce que, suivant les cas, la famille ou le procureur du roi formalise une demande en interdiction;

[1] Un décret de la Convention du 23 nov. 1792 charge le ministre de la justice de faire dresser des états de toutes les personnes détenues pour démence. Il ne paraît pas que ce décret ait eu de suite.

et si cette demande et rejetée, force cst de remettre le détenu en liberté. C'est ainsi qu'on a vu un individu acquitté parce qu'il était en démence et détenu ensuite par ordre administratif, être rendu à la liberté sur le jugement civil qui déclarait n'y avoir lieu à prononcer l'interdiction.

Nous ne nous occupons ici que des accusés dont la folie a motivé l'acquittement. Il nous semble que, dans ce cas, il appartiendrait naturellement aux juges, qui ont pu apprécier dans les débats l'état moral de l'accusé, de le soumettre, tout en l'acquittant, à une détention plus ou moins sévère. L'art. 66 permet la même mesure de précaution à l'égard des mineurs de 16 ans, et il faut reconnaître qu'il existe entre les mineurs et les insensés une grande analogie. Par ce moyen, la justice craindrait moins de proclamer la démence; les questions de folie seraient plus impartialement jugées, et la conscience publique serait rassurée en voyant que l'auteur de l'attentat, qu'il soit coupable ou malade, ne menacera plus sa sûreté.

Mais cette détention devrait trouver des limites naturelles dans le terme de la maladie; c'est le dérangement intellectuel de l'accusé qui la motiverait, elle devrait cesser avec sa cause. La plus grande difficulté serait, à la vérité, de constater ce terme de la maladie. Il faut concilier ici l'intérêt social et celui de la liberté individuelle. Mais il nous semble que la question devrait être portée, à la requête de l'accusé, devant les mêmes juges qui ont prononcé sa détention. Ce serait à lui de justifier, par les témoignages des médecins, par toutes les preuves possibles, qu'il a recouvré l'exercice de son intelligence; et la Cour, éclairée par un débat contradictoire avec le ministère public, statuerait. Telles sont les mesures que l'intérêt de la société, aussi bien que celui de l'humanité, paraît réclamer.

Nous ne terminerons pas ce chapitre sans émettre un autre vœu d'humanité et de justice, c'est que les accusés atteints de démence cessent d'être entassés dans les prisons avec les autres accusés dont ils deviennent le jouet. Ce sont des malades qu'il faut soigner, ce sont des maisons de santé spéciales qu'il faut instituer [*]. Il existe là une plaie sociale, plaie mal connue et trop négligée. La réforme des prisons ne serait pas complète, si un hospice pour les prisonniers

[*] Voy. à cet égard une instruction du ministre de la justice en Belgique, en date du 7 déc. 1834,au Recueil des arrêtés, etc., pour les prisons, 2o supp., p. 44; elle ordonne le transfert des détenus aliénés dans des maisons de santé.

malades ou en démence ne s'élevait à côté de chaque prison. Si la maladie est la seule cause du

crime, la société serait coupable si elle n'en hå– tait pas de tous ses moyens la guérison.

CHAPITRE XIV.

DE LA CONTRAINTE.

DE LA

DÉFINITION DE LA CONTRAINTE.-DE LA CONTRAINTE PHYSIQUE ET DE SES EFFETS. CONTRAINTE MORALE. —Quels doivent être ses effets, si la loi l'admet comme cause DE JUSTIFICATION?-ELLE DÉRIVE SOIT DE LA CRAINTE DES MENACES, SOIT DU COMMANDEMENT D'UN SUPÉRIEUR. —QUEL DOIT ÊTRE LE CARACTÈRE DES MENACES POUR JUSTifier l'agent? —DANS QUEL CAS LA CONTRAINTE DEVIEnt une simplE CIRCONSTANCE ATTÉNUANTE. -SI LA FAIM PEUT AVoir l'effet DE LA CONTRAINTE SUR LA CRIMINALITÉé de l'agent. — -DE LA CONTRAINTE PRODUITE PAR LE COMMANDEMEent d'un supÉRIEUR.-DOCTRINE DE L'OBÉISSANCE PASSIVE. —APPLICATION DE CETTE DOCTRINE SUR LA RESPONSAbilité des MILITAIRES, DES FONCTIONNAIRES, DES ENFANS, DES FEMMES, ET DES DOMESTIQUES. (COMMENTAIRE DE L'ART. 64 DU CODE PÉNAL. )

La contrainte est une cause de justification, lorsque, suivant les termes de l'art. 64, le prévenu a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister.

La loi n'a fait aucune distinction entre la contrainte physique et la contrainte morale; on doit en conclure que l'une et l'autre se trouvent compromises dans sa disposition.

La contrainte physique ne peut soulever des difficultés bien sérieuses. Elles consiste, suivant la définition de Puffendorf, en ce que, « malgré la résistance d'une personne, ses membres sont employés à faire ou à souffrir quelque chose [1]. » Il est évident que l'acte commis dans cette situation passive n'est point un acte imputable, puisqu'il est involontaire. L'auteur immédiat n'est qu'un instrument matériel; le seul coupable est l'auteur de la violence.

Cette contrainte matérielle ne s'est produite qu'accidentellement. Les auteurs d'un crime consentent rarement à se créer un témoin, qui, affranchi de la crainte d'une peine, peut devenir

[1] Droit de la nature et des gens, t. 1, p. 83.

un accusateur. Rarement aussi ils ont besoin d'un complice, qui ne leur prête qu'une assistance forcée, et n'est entre leurs mains qu'un instrument inerte. La contrainte morale se rencontre plus souvent, et les modifications qu'elle introduit dans la criminalité, plus variées dans leurs effets, sont aussi plus difficiles à apprécier,

La contrainte morale est celle qui résulte, soit de la menace d'un mal plus ou moins grave, en cas de refus d'exécuter le crime, soit du commandement d'une personne qui a autorité sur l'agent.

Quelques publicistes avaient nié que cette sorte de contrainte pût être invoquée comme fait justificatif.« Une personne, a dit Barbeyrac, forcée par les menaces de quelque grand mal, sans aucune violence physique et irrésistible, agit avec une espèce de volonté, et concourt en quelque manière à l'action qu'elle exécute. Il n'est pas absolument au-dessus de la fermeté de l'esprit humain de se résoudre à mourir plutôt que de manquer à son devoir. La crainte d'un grand mal, et même de la mort, peut bien diminuer le crimè de celui qui commet, quoique malgré soi, une action mauvaise contre les lu

mières de la conscience; mais l'action demeure toujours vicieuse en elle-même et digne qu'on se la reproche [1]. »

Cette doctrine, partagée par plusieurs écrivains [2], est rigoureusement exacte. Il est certain que les menaces ne doivent pas suffire pour déterminer celui auquel elles s'adressent à commettre un crime. Il est certain que nul n'a le droit de nuire à autrui, même dans le but d'éviter un mal quelconque pour soi-même. Mais la loi peut-elle exiger de chaque individu la fermeté de caractère nécessaire pour surmonter la terreur des menaces? Elle se borne à demander les formes et pour ainsi dire l'ombre de la vertu, plutôt que la vertu elle-même : conatum magis et quasi adumbrationem virtutis quàm virlutem ipsam [3]. L'homme qui agit, ployé sous la crainte d'une menace, n'est qu'un instrument entre les mains qui le poussent. Vainement vond rait-on discerner dans son action une espèce de volonté. Sa volonté est enchaînée par la terreur; il n'est mû que par l'instinct naturel d'éviter le mal dont il est menacé. Qu'il soit libre de cette pensée, et ses pas qu'il précipite vers le crime s'arrêteront aussitôt. Ce n'est donc pas sa volonté que l'on punirait, c'est sa faiblesse et sa pusillanimité; ce n'est pas le crime, c'est l'instrument qui a servi à le commettre.

C'est donc avec raison que notre Code, suivant l'opinion la plus générale, a placé la contrainte morale au nombre des faits justificatifs [4]. Le même principe se retrouve dans la plupart des législations étrangères. La loi anglaise et les codes des États-Unis déchargent de toute pénalité l'individu qui n'a agi que sous l'empire des menaces [5]. La loi prussienne pose en règle que « quiconque est privé de la faculté d'agir librement, n'est susceptible ni de commettre un délit ni d'encourir une peine. » Le Code pénal

[1] Notes sur Puffendorf, t. 1. p. 83.

[2] Covarruvias, t. 1, p. 2, c. 3, § 4; et Burlamaqui, Principes du droit de la nature et des gens, t. 1, p. 243. Jousse (t. 1, p. 626) cite dans ce cas un arrêté du parlement de Paris, qui condamne Jean Roseau, exécuteur de la haute justice. à être pendu pour homicide, parce qu'il avait prêté son assistance à l'exécution du président Brisson, par le commandement de Bussi-le - Clerc, chef des ligueurs.

[3] Cumani, de jur. crim.,lib. 1, p.1, cap. 4, § 4. [4] Puffendorf, loc. cit., t. 1, p. 83; Farinacius, quæst 97, no 11; Julius Clarus, quæst 60, no 17; Muyart de Vouglans, p. 31.

d'Autriche ne place de justification que dans une force insurmontable; la crainte ne constitue qu'une circonstance atténuante.

Mais toute contrainte morale ne saurait avoir l'effet de justifier le prévenu. Il ne suffit pas, suivant les termes de l'art. 1112 du Code civil, qu'elle soit de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle puisse lui inspirer seulement la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. Il faut, aux termes de la loi pénale, que cette contrainte soit telle qu'il n'ait pas été possible d'y résister. Ces expressions ne sont que la confirmation d'une ancienne règle : « Toutes sortes de craintes et de violences, dit Muyart de Vouglans, ne sont pas capables d'exempter de crimes et de peines. Il faut qu'elles soient justes et fondées sur des causes graves et capables de faire des impressions assez fortes pour que l'homme le plus ferme en fut ébranlé [6]. » C'était aussi là la définition des jurisconsultes romains: Vani timoris excusatio non est [7]; metum autem non vani hominis, sed qui meritò et in hominem constantissimum cadat [8].

A cet égard, on distingue diverses sortes de menaces. Celles qui s'attaquent à la vie même de l'agent, à ses membres, à sa personne, sont les plus puissantes, les plus capables de faire impression sur son esprit, de contraindre sa volonté. Celles qui, au contraire, ne concernent que ses biens et sa fortune, doivent moins solliciter le sacrifice de ses devoirs et de sa conscience. En général, et à la différence du droit civil, les premières seules sont considérées comme propres à le justifier. Talem metum probari oportet qui salutis periculum vel cruciatum corporis contineat [9].

La même restriction s'est reproduite dans la

gia, first div., sec. 12; Code of crimes and punishments. art. 40.

[6] Lois crim., p. 31.

[7] L. 184, Dig. de reg. juris.

[8] L. 6, Dig. quod met. causá. Voy. aussi 1.9 C. de his qui vi, metu; l. 13 C. de transact. Carmiguani, Teoria, p. 237, t. 2, définit également la contrainte: «Una forza capace di spingere pripotentemente et irresistibilemente la volunta in una direzione sola. »

[9] L 13, C. de transact. Toutefois la loi 49, Dig. ud leg. Aquil., dérogeait à cette règle au cas d'incendie: « Justo metu ductus, ne ad se ignis perveniat, vicinas ædes intercedit, existimat legis [5] Stephen's Summary, p. 6; Penal Code of Geor- Aquiliæ cessare actionem, »

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