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même Cour a jugé, dans une espèce où, nonobstant cette jurisprudence, une question spéciale avait été posée sur l'excuse alléguée par l'accusé qu'il n'avait pu résister à la contrainte exercée sur lui: « qu'en ordonnant la position d'une question tendante à demander aux jurés si l'accusé avait été contraint à commettre le crime par une force à laquelle il n'avait pu résister, la cour d'assises n'avait violé aucune loi [1]. » Ainsi, en matière de contrainte, la position d'une question n'est plus contestée, et les cours d'assises doivent dès-lors se conformer à cette règle. Mais il est évident que les

mêmes raisons de décider se présentent à l'égard de la démence et de la contrainte; car ces deux excuses ont le même effet, celui de justifier l'accusé. C'est donc pour nous un nouveau motif de croire que toutes ces excuses, qu'elles aient pour effet d'anéantir ou d'atténuer le crime, doivent faire le sujet d'une question spéciale. La position de cette question fixe l'attention des jurés, dégage l'excuse des nuages qui l'enveloppent dans une question générale de culpabilité, et sert puissamment à rendre la déclaration, l'expression claire et sincère de l'opinion du jury.

CHAPITRE XV.

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DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE. FONDEMENT DU PRINCIPE DE LA RESPONSABILITÉ Civile. QUELLES PERSONNES SONT CIVILEMENT RESPONSABLES?-EFFETS DIVERS DE CETTE RESPONsabilité en ce qUI CONCERNE LEs aubergistes ou Hôteliers, les PÈRES ET MÈRES, LES MARIS, LES MAÎTRES ET COMMETTANTS, LES INSTITUTEURS ET ARTISANS, LES COMMUNES, LES GREFFIERS, ETC.-COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX CRIMINELS POUR PRONONCER SUR L'ACTION EN RESPONSABILITÉ. (COMMENTAIRE DES Articles 73 et 74 du code pénal.)

La responsabilité civile, qui fait l'objet des dispositions de la loi pénale, est en général l'obligation qui nous est imposée de répondre du préjudice causé par les crimes et délits des personnes qui sont placées sous notre dépendance. En principe, les fautes sont personnelles ; nul ne doit répondre que de celles qu'il a commises, et qui peuvent lui être imputées. Celui qui n'est ni auteur ni complice du délit qui a causé le dommage, ne peut en supporter la responsabilité. La loi qui violerait cette règle fondamentale de l'imputabilité des actions humaines, en faisant peser sur un homme la responsabilité d'une action qui lui est complètement étrangère, serait subversive de toute justice morale [2]. Toutefois cette règle doit recevoir une limite naturelle, en ce qui concerne le fait des personnes qui se trouvent sous notre surveillance; et

ce n'est pas même, à proprement parler, une exception, car la responsabilité ne dérive point, dans ce cas, du fait d'autrui, mais bien de notre propre fait, c'est-à-dire de l'infraction du devoir qui nous était imposé. Le délit que commet la personne que nous sommes chargés de surveiller, n'aurait point été commis, si notre surveillance eût été assidue; la responsabilité prend donc sa source dans une cause qui nous est personnelle, dans notre négligence à remplir unc obligation.

Cette matière n'appartient que par accession au droit pénal; les art. 74 et 75 du Code ne s'en occupent même (à l'exception du nouveau cas de responsabilité qu'établit le premier de ces articles) que pour formuler un renvoi aux règles du droit civil. Nous devons donc, pour rester fidèles à notre œuvre spéciale, en renfermer l'exa

[1] Arr. cass. 10 janv. 1834; Sirey, 1834, teri imputari, nisi quatenus ille potest ettenetur 1, 666. istas moderari (Puffendorf, de off. hom, et eiv.,

[2] Actiones ab alio patratæ... non possunt al- lib. 1, cap. 1, no 18

men dans d'étroites limites. Nous nous bornerons à rechercher quelles personnes sont responsables aux yeux de la loi, et quel est l'effet légal de la responsabilité civile dans ses diverses applications.

Si l'on peut répondre du fait d'autrui, ce ne peut être qu'en vertu d'une disposition expresse et formelle de la loi; car cette responsabilité repose sur une présomption de négligence que la preuve contraire ne détruit pas, et dès lors son application peut souvent être injuste et opposée à la raison. On ne peut donc ni étendre au-delà de leur terme les cas de responsabilité, ni en créer d'autres par voie d'analogie. C'est le cas d'appliquer l'axiome : Quod contra rationem juris receptum est, non est producendum ad consequentias [1].

Cela posé, parcourons les diverses dispositions de la loi qui ont établi les cas de responsabilité civile.

L'art. 73 de notre Code nous offre d'abord un cas tout exceptionnel de cette responsabilité. « Les aubergistes et hôteliers, porte cet article, convaincus d'avoir logé, pendant plus de vingt-quatre heures, quelqu'un qui, pendant son séjour, aurait commis un crime ou un délit, seront civilement responsables des restitutions, des indemnités, et des frais adjugés à ceux à qui ce crime ou ce délit auraient causé quelque dommage, faute par eux d'avoir inscrit sur leurs registres le nom, la profession et le domicile du coupable. »>

L'omission de cette inscription ne constitue en elle-même qu'une simple contravention de police, qui est punie d'une amende de 6 à 10 francs par l'art. 475, no 2, du Code pénal [2]. Mais à côté de cette contravention, la loi a placé la responsabilité civile des suites du délit commis pendant sa durée. La sévérité de cette responsabilité avait excité les réclamations de la commission du Corps législatif [3]; l'orateur du gouvernement répondit : « que faute par les aubergistes et hôteliers de remplir une formalité facile et simple, ils fournis sent à des coupables les moyens de se dérober plus aisément aux recherches; qu'ainsi leur négligence favorise l'impunité, par le défaut de notions propres à faire découvrir les traces du

[1] L. 14, Dig. de legibus.

[2] Cet article ajoute : « Sans préjudice des cas de responsabilité mentionnés en l'art. 73 du présent Code, relativement aux crimes ou aux délits de ceux qui, ayant logé ou séjourné chez eux, n'auraient pas été régulièrement inscrits. >>

crime ou du délit [4]. » Ces motifs pouvaient sans doute porter le législateur à aggraver la mesure de la peine appliquée à la contravention, mais il nous semble qu'ils ne justifient nullement la responsabilité civile; car cette responsabilité suppose que l'hôtelier doit surveiller les actions des personnes qui logent chez lui, et toutefois il est évident que ces personnes ne sont d'aucune façon sous sa dépendance; les rapports qui s'établissent entre elles et lui ne peuvent donc motiver une garantie qui n'a lieu qu'en raison de l'influence ou de l'autorité des personnes responsables sur les auteurs de l'action punissable. Du reste, il faut remarquer que cette responsabilité exceptionnelle n'est applicable qu'autant que les personnes, non inscrites sur les registres, ont commis le crime ou le délit pendant leur séjour dans l'auberge ou l'hôtellerie. Il faut remarquer encore que les aubergistes ou hôteliers (expression qui comprend tous les logeurs) ne sont soumis à la responsabilité que lorsque le coupable qu'ils ont reçu dans leur maison y a passé plus de vingt-quatre heures. « Il eût été trop rigoureux et même injuste, dit l'exposé des motifs, de leur appliquer la peine, quelque courte qu'eût été la durée de son séjour. Lorsqu'un voyageur ne s'arrête que pendant quelques heures dans une hôtellerie, et disparaît pour faire place à d'autres qui n'y restent pas plus longtemps, il serait le plus souvent impossible de remplir à l'égard du premier comme à l'égard de ceux qui lui succèdent, les formalités exigées par la loi. L'hôtelier ne doit répondre que de celui qu'il a été à portée de voir; mais il est inexcusable de ne s'être pas mis en règle, lorsque la personne qu'il a logée n'a quitté sa maison qu'après les 24 heures. »>

L'article 73 ajoute : « sans préjudice de leur responsabilité dans le cas des art. 1952 et 1953 du Code civil. » Ces deux articles, auxquels se réfère la loi pénale, disposent que les aubergistes ou hôteliers sont responsables du vol ou du dommage des effets apportés par le voyageur, soit que le vol ait été fait ou le dommage causé par les domestiques et préposés de l'hôtellerie.

La loi romaine distinguait si le vol avait été commis dans l'hôtellerie par des étrangers ou par des gens attachés à la maison : dans le pre

[3] Observations de la commission du Corps législatif du 19 déc. 1809. Locré, t. 15, édition Tarlier.

[4] Rapport de M. Riboud. Locré, t. 15, édition Tarlier.

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L'aubergiste est responsable de tous les effets apportés par le voyageur, encore bien qu'ils ne lui aient pas été donnés en garde à lui-même, et qu'il n'ait même point eu connaissance de leur apport. Le texte de l'art. 1952, ne permet aucune distinction, et telles étaient sur ce point les dispositions des lois romaines [2]. « Ces dispositions sont dures, dit M. Toullier [3], mais la nécessité et la sûreté publique ont paru exiger cette sévérité. Les hôtelleries sont des asiles nécessaires; ceux que leur santé ou leurs affaires obligent à voyager sont contraints d'y loger, et de suivre ainsi la foi du maître pour la garde et la sûreté de leurs effets. Ajoutez à cela la crainte de voir s'établir entre eux et les voleurs une société secrète pour dépouiller les voyageurs.» La Cour royale de Paris a appliqué cette règle avec une extrême rigueur, en déclarant que l'aubergiste est responsable du vol commis sur des voitures restées à l'extérieur de son auberge, parce qu'il n'avait pas de cour pour les remiser [4]. Les motifs de cet arrêt sont : « que si l'aubergiste n'a pas de cour pour remiser les voitures, il doit avoir des préposés pour leur garde que le Code civil ne constitue aucune exception au principe général de la responsabilité que pour les cas où les vols ont été faits à main armée ou par force majeure; que si la responsabilité dans les aubergistes est une exception au droit commun, c'est un motif de plus pour les juges de se renfermer strictement dans la lettre de la loi, qui n'exige pas, pour cette responsabilité, que les effets des voyageurs soient dans l'intérieur de la maison de l'aubergiste.» Cependant la même Cour a jugé, dans une autre espèce, que le voyageur, dont les effets avaient été volés dans une auberge,ne pou

[1] L. 1, Dig. furt. adv. naut. ; l. 1. §8, Dig. nuutæ, caupones.

[2] Maxima utilitas est hujus edicti, dit Ulpien, quia necesse est plerumqué eorum fidem sequi et res custodia eorum committere. L.1, Dig. nautæ, caupones, etc.

vait invoquer la responsabilité de l'aubergiste lorsque les effets soustraits n'avaient pas été montrés à celui-ci, et qu'il avait d'ailleurs négligé de se servir d'une armoire à clef mise à sa disposition. [5].

La Cour de cassation s'est servie du principe posé dans l'article 73 pour décider que le vol commis par un aubergiste d'un objet laissé chez lui, mais sans lui avoir été confié, constituait non un simple délit, mais un crime, quoique l'article 386, no 4, ne punisse de la réclusion que le vol commis par l'aubergiste des choses qui lui sont confiées à ce titre [6]. Nous nous bornerons à signaler ici cet arrêt, dont l'examen appartient à un autre chapitre; nous remarquerons seulement ici que les expressions de l'art. 386' semblent exiger un dépôt préalable des effets, et qu'en matière pénale il est interdit d'étendre le texte de la loi.

Nous passons maintenant aux cas de responsabilité qui sont énumérés par l'art. 1384 du Code civil, lequel, suivant l'expression de l'exposé des motifs, sert d'appendice à cette partie du Code pénal. L'art 74 de ce Code est en effet ainsi conçu : « Dans les autres cas de responsabilité civile qui pourront se présenter dans les affaires criminelles, correctionnelles ou de police, les cours et les tribunaux devant lesquels ces affaires seront portées se conformeront aux dispositions du Code civil. »

La règle générale de la matière se trouve dans l'article 1383 du Code civil, qui dispose que : «< chacun est responsable du dommage qu'il canse, non-seulement par son fait, mais encore par sa négligence et par son imprudence. » L'article 1384 fait une application de cette règle au fait des personnes qui sont sous notre dépendance: «On est responsable, dit cet article, non-seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. » C'est là la responsabilité spéciale dont la poursuite, accessoire à l'action criminelle, a dû faire l'objet des prévisions de la loi pénale.

Avant d'énumérer les cas où s'applique cette règle, il est nécessaire de rappeler un principe qui domine toutes les espèces et que nous avons déjà développé ailleurs [7] : c'est que la responsa

[3] Droit civil français, t. XI de l'édit. française,

n° 252.

[4] Arr. Paris 15 sept. 1808; Sirey, 1809, 2, 21, [5] Arr. Paris 2 avr. 1811; Sirey, 1814, 2, 100. [6] Arr. cass. 18 oct. 1813; Sirey, 1814, 1, 17. [7] Voy. t. 1, chap. vi.

bilité civile, telle que l'établit l'article 1384, ne comprend que les dommages-intérêts et les restitutions civiles; elle ne s'étend pas aux amendes [*]. Nous ne reprendrons point les développements où nous sommes entrés sur ce sujet. Il suffit de répéter ici que cette règle fondamentale reçoit deux exceptions: l'une, en matière de douane, consacrée par l'art. 20 du titre 13 de la loi du 22 août 1791, l'autre en matière de contributions indirectes, par l'art. 35 de la loi du 1er germinal an XIII [**].

Les cas énumérés dans l'article 1384 se rapportent aux pères et mères, aux maris, aux maîtres et commettants, enfin aux instituteurs et artisans.

Le second paragraphe de cet article est ainsi conçu « Le père et la mère, après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. » M. Toullier enseigne [1] que cette responsabilité ne commence qu'à la puberté de l'enfance et cesse à son émancipation. Ces décisions, qui ne font que reproduire une ancienne jurisprudence, se fondent d'une part sur ce que l'action d'un enfant impubère n'est point imputable, et d'une autre part, sur ce que la responsabilité, puisant son principe dans la puissance paternelle, doit s'éteindre avec elle. Il nous paraît difficile de concilier cette doctrine avec le texte de la loi, qui étend sans distinction la responsabilité des pères et mères à toutes les actions de leurs enfants mineurs. Ensuite, de ce que le fait a été commis sans discernement, il ne s'ensuit pas que la responsabilité ne puisse être invoquée, car il suffit qu'il y ait dommage pour donner ouverture à l'action civile [2]; et d'ailleurs, l'esprit de la loi se manifeste à cet égard dans l'article 1385, qui déclare responsable le propriétaire d'un animal à raison du dommage qu'il a causé. Enfin, et en ce qui a rapport à l'émancipation, est-il exact de dire qu'elle délie tous les liens de la puissance paternelle, qu'elle anéantit complètement l'autorité des pères et mères? S'il est vrai que le père conserve, même après

[*] Liége 20 fév. 1834; J. de Belg., 1834, 319; Dalloz, t. 21, p. 320, no 21.

[**] Un arrêt de la Cour de Brux. du 22 mai 1835 déclare que la responsabilité civile des maîtres pour contraventions commises par leurs domestiques en matière d'imposit. commun. s'étend même jusqu'à l'amende. J. de Br., 1835, p. 431; Dalloz, t.1, p. 460. [1] Droit civil français, t. Xl de l'édit. française, n° 260, 270 et 277.

[2] Voy. dans ce sens arr. 2 juill. 1813.

l'émancipation, une autorité qu'il tient de la nature, avant que la loi la lui ait donnée; s'il est vrai, que la surveillance et, suivant l'expression de M. Toullier, la censure des actions de son fils soit encore pour lui un droit et un devoir, pourquoi sa responsabilité cesserait-elle? Les résultats seulement en seront moins onéreux pour lui, puisque l'émancipation fait présumer des biens dans lequels ce dommage pourra trouver une réparation suffisante.

Néanmoins, s'il peut sembler juste à certains égards que le père réponde de ses enfants mineurs, cette responsabilité doit être restreinte dans de certaines limites, car on ne peut imputer à personne de n'avoir pas fait une chose qui n'était pas dans son pouvoir. Une première restriction borne, ainsi qu'on l'a vu, cette responsabilité des pères et mères aux actions des enfants habitant avec eux : car ce n'est qu'alors qu'ils peuvent exercer une surveillance réelle. La disposition finale de l'article 1384 fait une seconde exception pour le cas où les pères et mères prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité [***].

Cependant plusieurs arrêts ont jugé que, même dans ce dernier cas, et quand l'impossibilité matérielle de la surveillance est établie, les pères et mères ne cessent pas d'être responsables, si les écarts des enfants peuvent être attribués au relâchement de la discipline domestique, et aux mauvais exemples qu'ils ont reçus dans la maison paternelle [3]. Les tribunaux ont pensé que les parents avaient alors à s'imputer la faute grave de la mauvaise éducation donnée aux enfants, ou d'avoir négligé d'employer les moyens en leur pouvoir pour réprimer des penchants vicieux.

Le 3 § de l'art. 1384 déclare les maîtres et commettants responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans l'exercice des fonctions auxquelles ils les emploient. Il résulte de cette disposition que la responsabilité ne comprend que les faits commis par les domestiques ou préposés pendant la durée de

[***] La seule impossibilité physique, telle que l'absence, ne suffit pas pour dégager le père de la responsabilité résultant du fait illicite de son enfant; il faut en outre, que le fait n'ait été précédé d'aucune faute, négligence ou imprudence de la part du père. Brux., 29 juin 1826; J. de Br., 1826, 2, 135; Dalloz, t. 21, p. 318.

[3] Arr. cass. 29 mars 1827; Sirey, 1828, 1, 373; Bourges, 9 mars 1821; Sirey, 1822, 2, 238; Bordeaux, 1er avril 1829; Sirey, 1829, 2, 259.

leurs fonctions, ou, en d'autres termes, que les maîtres et commettants ne répondent en aucun cas du dommage causé par les délits qu'ils ont commis en dehors de leur service habituel. Ainsi circonscrite, cette responsabilité est fondée en raison. En effet, elle prend sa source dans l'autorité que les maîtres et commettants exercent, dans le droit de commander dont ils sont investis. Le domestique ou le préposé n'est qu'un agent; la responsabilité remonte naturellement à ceux dont il exécute les ordres; ils doivent répondre de ses actions comme de leur propre fait. C'est d'après ce principe que la Cour de cassation a jugé que l'obligation de réparer le dommage causé par un domestique, est une obligation personnelle et non de garantie, principale et non subsidiaire [1]. Cette responsabilité diffère donc sous ce rapport de celle du père de famille, qui ne répond qu'accessoirement et par forme de garantie, du dommage causé par son enfant mineur.

Cette différence explique le silence du dernier paragraphe de l'art. 1384 à l'égard des maîtres ou commettants; ce paragraphe, en effet, n'étend point à ces individus l'exemption de la responsabilité dans le cas même où ils prouveraient qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui la produit. La raison en est que, lorsque le dommage a été commis pendant la durée des fonctions, les maitres ou commettants sont présumés en être la cause au moins indirecte, et dès lors ils en doivent la réparation dans tous les cas, comme de leur propre faute [2]. C'est ainsi qu'il a été jugé que le vol de bois ou de fourrage commis par un berger, pendant qu'il gardait les troupeaux de son maître, entraînait la responsabilité civile de celui-ci, alors même qu'il prouverait avoir ignoré le fait et n'avoir pu l'empêcher [3]. Mais les rixes, les voies de fait, les injures verbales dont les domestiques ou préposés peuvent se rendre coupables, sont des délits évidemment étrangers à leur service et à leurs fonctions. Les maîtres et commettants sont donc fondes à en décliner la responsabilité. C'est aussi dans ce

[1] Arr. cass. 11 juin 1808; Sirey, 1810,

217.

[2] Voy. l'Exposé des motifs, par M. Tarrible; Rapport au tribunat par M. Bert rand de la Grenille; Toullier, t. 2, p. 388; M. de Maleville, sur l'article 1384; Pothier, Traité des obligations,

n° 121.

[3] Arr. cass, 25 nov. 1813; Sirey, 1814, 1, 24; 13 janv. 1814; Sirey, 1814, 1, 190; 18 juill. 1826; Sirey, 1827, 1, 232.

sens que s'est prononcée la Cour de cassation, en annulant un jugement qui avait condamné un maître solidairement avec une domestique à des dommages-intérêts, motivés par des injures verbales dont cette dernière s'était rendue coupable [4].

Enfin, le 4 § de l'art. 1384 soumet à la res-ponsabilité les instituteurs et les artisans, à raison des délits commis par les mineurs et les apprentis qui leur sont confiés. Le père, en effet, leur a conféré sa puissance et son autorité; ils sont donc en faute lorsque l'enfant dont ils ont accepté la surveillance commet un acte dommageable, et ils doivent en répondre. Mais cette responsabilité, de même que la responsabilité paternelle, cesse dès que l'instituteur ou l'artisan prouve qu'il n'a pu empêcher le fait; la responsabilité serait injuste dès qu'aucune négligence ne peut lui être imputée.

L'art. 1384 n'a point fait aux maris l'application spéciale de la règle de la responsabilité; il n'a point établi contre eux la présomption de négligence qu'il a élevée contre les pères, les maîtres et les instituteurs. On doit en conclure qu'en général, ils ne sont point responsables des délits de leurs femmes. Ce principe a été confirmé par plusieurs arrêts qui ont successivement décidé que le mari n'est pas responsable des délits d'injures [5], de diffamation [6] et de calomnie [7] commis par sa femme.

Néanmoins, s'il était constant qu'il a pu empêcher le délit et qu'il ne l'a pas fait, ou bien encore qu'elle a causé le dommage dans des fonctions auxquelles il l'avait employée, la responsabilité pourrait être invoquée contre lui: car, dans ce cas, la faute de la femme deviendrait la faute personnelle du mari; seulement la partie lésée devrait faire la preuve de cette participation [s].

Il existe, au reste, une exception formelle à ce principe, en ce qui concerne les délits ruraux. L'art. 7 du tit. 2 de la loi du 25 septembre - 6 octobre 1791 déclare les maris civilement responsables des délits commis par leurs femmes. Mais

[4] Arr. cass. 17 sept. 1806; rapp par Merlin, Rép. vo Delit, § 8.

[5] Arr. cass. 16 août 1811; Sirey, 1821 >

214.

[6] Arr. cass. 20 janvier 1825; Sirey, 1825, 1,

276.

[7] Arr. cass. 6 juin 1811; Sirey, 1812, 1, 70. [8] Arr. cass. 31 juil. 1807, 23 déc. 1818, et 27 fév. 1827; Sirey, 1807, 2, 1048; 1819, 1, 278; et 1827, 1, 228.

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