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M. Cambacérès remarqua que cet article ne permettrait pas d'atteindre les correspondances qui, sans être de nature à constituer une trahison formelle, contrarieraient néanmoins les vues politiques du gouvernement. « Les relations de commerce, dit cet orateur, ne doivent pas toujours être punies de mort; mais si le gouvernement les a interdites, ces défenses doivent avoir leur effet, sans qu'on puisse s'y soustraire, même sous prétexte de donner des renseignements et des nouvelles. Cependant aujourd'hui on viole impunément les défenses, quoique ce soit là un crime très-grave. Ensuite il convient de combiner la rédaction de manière que les juges prononcent plutôt d'après l'intention des prévenus que d'après le fait matériel; il peut y avoir des intelligences qui, au dehors, ne présentent pas le caractère de la félonie, et qui néanmoins, au fond, soient véritablement hostiles [1]. » C'est d'après ces observations que fut rédigé l'art. 78. Cet article ne s'applique donc qu'aux correspondances qui, bien que criminelles, ne constituent pas le crime de trahison; car si elles avaient eu pour objet d'engager une nation étrangère à commettre des hostilités envers la France, ou de faciliter à l'ennemi l'entrée du territoire, elles rentreraient dans les termes des art. 76 et 77, et constitueraient un crime plus grave et distinct. C'est donc un crime spécial qui n'est pas la trahison, mais qui la précède; qui ne livre pas la France à l'ennemi, mais qui lui fournit les moyens de préparer ses entreprises.

Les termes de l'art. 78 donnent lieu à plusieurs observations. Il est à remarquer, en premier lieu, que la correspondance n'est criminelle, aux yeux de la loi, qu'autant qu'elle a eu pour résultat de fournir des instructions nuisibles à sa situation. Est-ce donc au résultat seul qu'on doit s'attacher pour reconnaître s'il y a crime? « Si l'on ne devait considérer que le résultat, dit M. Carnot, sans rechercher quelle aurait été l'intention de l'accusé, il pourrait arriver qu'il fût condamné pour l'action la plus innocente; il serait possible, en effet, que la correspondance la plus insignifiante dans son principe fût devenue, par des faits qui lui sont étrangers, hostile dans ses conséquences [2]. » On doit donc entendre ces expressions de l'art. 78 de manière à ne pas blesser le principe fondamental du droit, qu'il ne peut y avoir d'action punissable là où il n'y a pas eu inten

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 12 oct. 1808. Locré, t. 15, édit. Tarlier.

tion de nuire; et en effet, suivant les paroles mêmes de M. Cambacérès, dans les crimes de cette nature où le fait matériel est difficile à constater, l'intention criminelle est un élément indispensable du délit. Ce n'est pas à dire, toutefois, qu'il faille juger l'accusé sur l'intention, les principes de notre législation repoussent également une telle conséquence; et d'ailleurs les termes de la loi sont formels, il faut que la correspondance ait eu un résultat matériel, celui de fournir aux ennemis des instructions nuisibles sur l'effet des instructions fournies.

« On conçoit encore, dit M. Carnot, ce qui peut être nuisible à la situation militaire de la France; mais il n'est pas aussi facile de se faire une idée de ce qui peut être nuisible à sa politique. » Que doit-on entendre, en effet, par instructions nuisibles à la situation politique de la France? Combien ces expressions sont vagues et indéfinies! Comme elles autoriseraient toutes les poursuites, même les plus arbitraires! Mais comme, en même temps, elles peuvent entraver ces poursuites, lors même qu'elles seraient fondées, par la difficulté de caractériser le crime! Car s'il est nécessaire de constater devant un jury quelle est la politique suivie par la France, et de quelle manière et à quel degré les instructions transmises par la correspondance ont pu nuire à cette politique, il ne suffirait pas que ces instructions eussent contrarié les vues du gouvernement, il faudrait qu'elles lui eussent créé des entraves, qu'elles lui eussent porté préjudice : les termes de la loi, en ceci du moins, sont clairs et précis.

La correspondance peut être incriminée nonseulement quand elle a fourni des instructions nuisibles à la situation militaire ou politique de la France, mais encore à celle de ses alliés. On se demaude d'abord quels sont les alliés dont cet article entend parler? Il est évident qu'il faut expliquer ces termes dans le sens de l'art. 79, c'est-à-dire qu'il faut entendre les alliés de la France agissant de concert avec elle dans un but commun. En effet, il serait absurde de supposer qu'une correspondance qui aurait eu un résultat nuisible aux intérêts politiques des alliés de la France, n'agissant pas contre l'ennemi commun, fût punie des peines de l'art. 78, tandis que le cas plus grave des art. 76 et 77, les manœuvres ne sont punies,

[2] Comin. du Code pénal, art. 78.

vis-à-vis des alliés, qu'autant que ces alliés agissaient de concert avec la France.

Mais ensuite comment déterminer la situa tion politique de ces alliés? Comment l'accusation parviendra-t-elle à l'expliquer au jury? Comment le jury pourra-t-il l'apprécier? I est étrange que la loi de révision n'ait pas fait disparaître ces dispositions obscures, qui figuraient peut-être à dessein dans le Code de l'empire, mais qui devaient tomber avec la pensée de pouvoir arbitraire qu'elles réclamaient.

Il nous reste à faire observer sur cet article, que la loi du 28 avril 1832 a substitué la peine de la détention à celle du bannissement qu'il portait. « Il y avait un grand inconvénient, a dit, pour justifier ce changement, le raporteur de la Chambre des Pairs, à rendre à l'étranger un homme qui avait le secret de la situation politique de la France. On a remplacé cette peine par la peine de la détention; peine de la même espèce, mais mieux appropriée à cette nature de crime [1]. » Ces paroles renferment une erreur grave. C'est à tort, en effet, qu'elles appliquent l'art. 78 au fait d'une personne qui, instruite officiellement du secret de la situation politique de la France, livrerait à l'étranger ce secret un tel fait rentre évidemment dans les termes de l'art. 80. On a aggravé le crime prévu par l'art. 78, parce qu'il s'agissait d'aggraver la peine; mais on a méconnu son caractère. Il est évident également que la peine du bannissement était insuffisante, et le motif allégué est loin de démontrer son impuissance à nos

yenx.

Après les correspondances criminelles, le fait qui se présente naturellement, quoiqu'avec un caractère plus grave, est la révélation du secret d'une négociation par les personnes auxquelles ce secret a été confié.

L'art. 80 est ainsi conçu : «Sera puni des peines exprimées en l'art. 76 [2], tout fonctionnaire public, tout agent du gouvernement, ou toute autre personne qui, chargée ou instruite officiellement ou à raison de son état, d'un secret, d'une négociation ou d'une expédition, l'aura livré aux agents d'une puissance étrangère ou de l'ennemi. »>

Cet article exige quelques explications. Posons d'abord les limites de son application. Il ne comprend que les seules personnes auxquel

[1] Moniteur du 31 mars 1832.

[2] C'est-à-dire de la peine de mort; l'article porte des peines, parce que l'art. 76 portait en outre, avant la Charte de 1814, la peine de la confisca

les un secret d'État aurait été confié officiellementou à raison de leur état. Toutes autres personnes, encore bien qu'elles aient livré le secret, sont donc en dehors de ses termes. Ensuite, il faut que ce soit le secret d'une négociation ou d'une expédition. Si donc le renseignement ne constituait pas un secret, et si ce secret s'appliquait à toute autre chose qu'à une négociation ou à une expédition, le crime prévu par l'article cesserait d'exister.

Cela posé, il importe d'examiner ce qu'on doit entendre par le mot livré, dont se sert la loi. Le Code pénal du 28 septembre-6 octobre 1791 (tit. Ier, sect. Ire, art. 6) exigeait que le secret fût livré méchamment et traitreusement. De la suppression de ces expressions dans notre Code, faut-il induiré que la seule révélation du secret, sans intention coupable, suffit pour constituer le crime prévu par l'art. 80? Nos précédentes observations répondent à ces questions: il n'y a point de crime sans intention coupable. D'ailleurs le mot livré indique la nécessité de cette intention. On laisse surprendre un secret par imprudence, on le révèle sans intention criminelle, on ne le livre que frauduleusement. La fraude, l'intention de nuire, sont donc des conditions essentielles de ce crime. Si les expressions de la loi de 1791 n'ont pas été reproduites, c'est sans doute parce qu'elles formaient une superfétation.

On a demandé s'il y avait crime dans le cas où le secret aurait été livré, non aux agents d'une puissance étrangère, mais à cette puissance elle-même, par l'intermédiaire d'un agent [3]. Cette question ne nous semble pas sérieuse; le concours d'un agent n'est point une circonstance caractéristique du crime; et ce crime ne change pas de nature parce que le secret a été livré au chef de l'état étranger, au lieu de l'être à l'un de ses agents.

L'article ne fait nulle distinction entre le cas où le secret a été livré à une puissance étrangère ou à l'ennemi. L'incrimination de ces faits distincts se fonde sur ce que la puissance neutre pourrait profiter dans la suite de cette communication pour commettre des hostilités contre la France. Mais si le motif peut justifier la répression de l'un et de l'autre de ces faits, elle ne saurait effacer la distance qui les sépare. Il est visible que la même révélation a des con

tion. Cette irrégularité de rédaction a échappé à la révision.

[3] M. Carnot, sur l'art. 80; M. Haus, t. 2, p. 19.

séquences et une criminalité diverses, suivant qu'elle est commise envers une puissance alliée ou ennemie, et l'art. 81 a reconnu cette différence en appliquant deux peines distinctes à celui qui livre des plans à l'ennemi ou à une puissance étrangère. La même distinction aurait dû être introduite dans l'art. 80; et tel est aussi le vœu émis par M. Haus, dans ses observations relatives au projet du Code pénal belge [1].

La soustraction des plans de fortifications pour les livrer à l'ennemi est le troisième acte de trahison prévu par la loi. Ce crime se présente dans deux espèces, suivant qu'il a été commis par le préposé chargé de leur dépôt ou par toute autre personne. L'art. 81 prévoit la première de ces hypothèses.

<< Tout fonctionnaire public, porte cet article, tout agent, tout préposé du gouvernement, chargé, à raison de ses fonctions, du dépôt des plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades, qui aura livré ces plans ou l'un de ces plans à l'ennemi ou aux agents de l'ennemi, sera puni de mort. Il sera puni de la détention, s'il a livré ces plans aux agents d'une puissance étrangère, neutre ou alliée. »

On doit remarquer d'abord la distinction que fait cet article entre la trahison opérée au profit de l'ennemi ou d'une puissance neutre ou alliée. Cette distinction est parfaitement fondée; car non-seulement le péril de l'Etat n'est pas le même dans l'un et l'autre cas, mais l'intention criminelle diffère également celui qui livre le plan à une nation alliée ne commet pas le même crime que celui qui le livre à l'ennemi. Il est étrange que la même séparation n'ait pas été introduite dans l'art. 80.

L'art. 81 énonce deux conditions constitutives du crime: il est nécessaire que le fonctionnaire, agent ou préposé, ait été chargé par ses fonctions du dépôt des plans; il faut ensuite qu'il les ait livrés, c'est-à-dire frauduleusement remis à une puissance ennemie ou alliée. S'il n'y a pas de faute, il n'y a pas de crime; si ce n'est pas le dépositaire lui-même qui a livré le plan, le fait sort des termes de l'art. 81, et se trouve compris dans l'article suivant.

Si les plans ne sont relatifs ni à des fortifications ni à des arsenaux, ports ou rades, mais à d'autres objets tels que des routes, des villes, des édifices, l'article cesserait d'être applicable. En effet, les termes dont il se sert sont limita

[1] T. 2, p. 18.

tifs; on ne pourrait, d'après une analogie plus ou moins contestable, étendre la pénalité à d'autres faits que ceux qu'il a prévus. Ce sont certains moyens de défenses de l'Etat dont la loi a voulu protéger le secret; l'interprétation ne doit pas porter la prévoyance plus loin. L'art. 82 faisait partie, dans le projet du Code pénal, de l'art. 81, et ne se composait alors que de la disposition qui forme son premier paragraphe. M. Régnier, ministre de la justice, demanda, dans la discussion du Conseil d'état si celui qui livrerait les plans sans se les être procurés par violence, fraude ou corruption, demeurerait impuni. M. Berlier répondit que ce caractère préalable d'appropriation des plans par corruption, fraude ou violence, avait pour objet de ne pas soumettre à la peine ceux qui, détenteurs par toute autre voie, comme propriétaires et non comme dépositaires, pourraient ne pas connaître l'importance de ces plans. « Cette ignorance, ajouta l'orateur, est très supposable dans la personne d'un héritier qui aura trouvé de tels plans dans les papiers de son père ou de son aïeul. Il y a une autre considération, c'est que s'il s'agit de plans anciennement distraits de leur dépôt, il devient fort vraisemblable qu'il en a été tiré des copies, et qu'alors l'Etat n'éprouve plus la même lésion dans la communication qui en serait donnée. »> M. Treilhard déclara que la commission n'avait pas voulu prévoir ce cas particulier, de peur de donner lieu à des injustices et à des méprises. Cependant, sur l'insistance du ministre de la justice et de Cambacérès, M. Berlier reconnut, «qu'en effet, hors le cas d'ignorance du caractère de la personne à qui la livraison serait faite, et de la valeur des plans livrés (ignorance qui deviendrait un légitime moyen de défense), il y avait pour toute personne criminalité dans le fait; qu'ainsi on pouvait admettre l'amendement, en observant toutefois que les peines devaient être moindres quand la livraison ne se combinait point avec le délit préalable prévu par l'article. [2] »

C'est d'après ces observations que fut rédigé l'article 82, ainsi conçu : « Toute autre personne qui, étant parvenue par corruption, fraude ou violence, à soustraire lesdits plans, les aura livrés ou à l'ennemi ou aux agents d'une puissance étrangère, sera punie comme le fonctionnaire ou agent mentionné dans l'article précédent, et selon les distinctions qui y sont éta

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 29 juill. 1809.

blies. - Si lesdits plans se trouvaient, sans le préalable emploi de mauvaises voies, entre les mains de la personne qui les a livrés, la peine sera, au premier cas mentionné dans l'art. 81, la déportation, et au second cas du même article, un emprisonnement de deux à cinq ans. » Cet article prévoit donc deux crimes distincts qui consistent l'un et l'autre dans la livraison des plans, mais qui diffèrent en ce que, dans un cas, cette livraison a été précédée de leur soustraction frauduleuse, et que dans l'autre cas, au contraire, ces plans se trouvaient dans la possession légitime de l'accusé. Il faut, pour l'existence de la première hypothèse, que la soustraction ait été opérée par corruption, fraude ou violence. Ces termes, quoique assez peu précis, sont cependant limitatifs; et lorsque le deuxième paragraphe de l'article pose le cas où les plans se trouvent entre les mains de l'accusé, sans le préalable emploi de mauvaises voies, il faut entendre sans emploi de corruption, fraude ou violence. Mais, dans l'un comme dans l'autre cas, la peine n'est applicable qu'autant que l'agent a connu le · préjudice qu'il causait à l'Etat. « Il est hors de vraisemblance, disait Cambacérès dans la discussion du Conseil d'état, que celui qui se trouve, même par hasard, en possession de plans n'en connaisse pas l'importance. Néanmoins, comme, absolument parlant, cela peut arriver, il convient d'exprimer que cet acte ne sera puni que lorsqu'il aura été fait sciemment [1]. Ces paroles révèlent l'esprit et forment le commentaire de l'article.

Lors de la révision du Code, un amendement fut proposé à la Chambre des Députés pour remplacer dans l'art. 82 la déportation par la détention temporaire. Mais cet amendement fut repoussé par le rapporteur : « La peine de la détention perpétuelle, disait-il, sera-t-elle donc excessive? Si l'on regarde au préjudice éprouvé, en est-il de beaucoup plus grave? Si l'on regarde l'intention criminelle, en est-il de beaucoup plus coupable? Est-il beaucoup de trahisons plus lâches et plus dangereuses tout ensemble ? L'art. 77 punit de mort celui qui livre une place à l'ennemi; celui qui en livre le plan et facilite par là le moyen de s en emparer, n'est-il pas presque aussi coupable? Si la possession du plan a été obtenue par corruption, fraude ou violence, la peine est la mort; l'heureux hasard qui aurait mis le coupable en pos

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 29 juill. 1809.

session de ces plans pourrait-il justifier la différence entre la peine de mort et la détention à terme ? Ainsi, la gravité du crime en lui-même, et la proportion qu'il faut maintenir entre la peine et le crime, et celle des crimes analogues, exigent la détention à perpétuité [2]. » Ces arguments nous touchent peu, et nous pensons avec l'auteur de l'amendement que la peine établie par le deuxième alinéa de l'art. 82 est trop forte. On doit remarquer, en effet, que le fait que punit ce paragraphe n'est, au fond, que la simple disposition que fait un propriétaire de sa chose. Or, si l'intérêt de l'Etat peut frapper cette aliénation d'une prohibition, il convient que la sanction pénale soit renfermée dans d'étroites limites. Et puis, le préjudice que ce fait peut causer à l'État est d'ailleurs fort douteux, puisque M. Berlier faisait observer au Conseil d'état qu'il ne s'agissait dans ce paragraphe que de plans anciennement distraits de leur dépôt, et dont il est vraisemblable qu'on a fait des copies; de sorte que l'Etat n'éprouve pas la même lésion.

Dans la discussion du Conseil d'état, un membre fit remarquer qu'on avait oublié d'infliger une peine à quiconque ferait sans autorisation le plan d'une forteresse. Il peut n'avoir pas eu d'intention criminelle, ajoutait-on, mais on doit craindre que dans la suite on n'abuse du plan qu'il s'est procuré [3]. Cette observation, renvoyée à la section de rédaction, n'eut aucun résultat; mais elle nous donne lieu de remarquer, d'abord, que la levée d'un plan d'une forteresse sans autorisation n'est point un fait punissable; ensuite, que la communication d'un tel plan ne rentrerait point dans les dispositions des articles 81 et 82, puisqu'il n'est question dans ces deux articles que des plans levés et gardés en dépôt pour le gouvernement. Cette hypothèse pourrait être comprise dans les termes de l'art. 78.

Nous touchons maintenant aux espèces les plus graves du crime de trahison. L'article 76 est ainsi conçu : « Quiconque aura pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec les puissances étrangères ou leurs agents, pour les engager à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre la France, ou pour leur en procurer les moyens, sera puni de mort.-Cette disposition aura lieu dans le cas même où lesdites machinations ou intelligences n'auraient pas été suivies d'hostilités. »

[2] Monit. du 30 nov. 1831, 2e suppl. [3] Même séance.

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La première difficulté que soulève l'examen de cet article est de définir les expressions de machinations et intelligences, expressions vagues, dont le sens reste indéterminé, dont les limites sont arbitraires. Cet inconvénient fut senti dans le sein même du Conseil d'état où s'élaborait le Code pénal. M. Defermon fit observer qu'il était important de n'employer dans la loi pénale que des mots dont l'acception fût précise, et il proposa de substituer à ces termes ceux de conspiration contre l'Etat. M. Berlier répondit qu'en matière pénale les spécifications sont préférables aux généralités; que parler des conspirations contre l'Etat, c'était reproduire la rubrique de la section intitulée des crimes contre la sûreté extérieure de l'Etat; qu'il fallait bien en développer ensuite les différentes espèces, et que tel était l'objet de la rédaction proposée [1] Il résulte de ces explications que, dans l'esprit du législateur, les expressions de machinations, de manœuvres et intelligences, ne sont qu'une spécification du crime générique de conspiration, un acte spécial et détaché, formant en lui-même un élément de ce crime principal; et cette observation indique déjà quelles intelligences, quelles machinations la loi a voulu incriminer ce sont celles qui peuvent menacer la sûreté extérieure de l'Etat, celles qui, d'après la volonté de l'agent et le péril que l'acte peut entraîner, constituent un acte de conspiration contre l'existence de l'Etat. Il est donc inexact de dire, comme le fait M. Carnot, que par machinations on doit entendre tous les moyens qui peuvent être mis en usage pour favoriser les desseins de l'ennemi. Il faut de plus que ces moyens aient été employés avec l'intention criminelle d'attaquer l'existence de l'Etat.

:

Ce crime reçoit ensuite une nouvelle spécification des termes mêmes de l'article. En effet les machinations ou intelligences ne sont coupables qu'autant qu'elles ont eu pour objet d'engager les puissances étrangères à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre la France, ou de leur en procurer les moyens. Ainsi c'est la provocation à commettre des hostilités qui imprime aux machinations un caractère criminel: toutes intelligences ou manœuvres qui ne renferment pas cette provocation peuvent être plus ou moins répréhensibles, mais cessent de constituer le crime pré

vu par l'article 76. C'est là le deuxième caractère distinctif de ce crime.

Cet article a textuellement reproduit l'art. 1er du tit. 1er (2o part.) du Code de 1791. Toutefois ce Code ne portait que ces mots pour leur en indiquer les moyens. Le législateur au mot indiquer a substitué celui de procurer; et il en résulte que les simples indications ne sont plus constitutives du crime; il faut cons tater que l'accusé a voulu ou provoquer une déclaration de guerre, ou procurer les moyens de l'entreprendre.

Du reste, la loi n'exige pas comme élément du crime que la puissance étrangère soit ennemie de la France; elle serait au nombre de ses alliés que le fait ne changerait pas de nature. Seulement la qualité des agents par l'intermédiaire desquels les trames ont été ourdies doit être vérifiée : l'article veut qu'ils soient les agents avoués de la nation étrangère ; et cette qualité seule, en effet, imprime au fait un caractère spécial et criminel. C'est une des circonstances constitutives du crime, elle doit être déclarée par les jurés.

L'art. 76 prononce une peine uniforme, celle de mort, soit lorsque les machinations ou intelligences ont été suivies d'hostilités, soit lorsqu'elles n'ont eu aucun résultat. On conçoit l'incrimination, dans l'un et dans l'autre cas. La provocation, même non suivie d'effet, peut à elle seule former un délit distinct; et ce principe, dont le germe était déposé dans l'art. 102 du Code pénal, a depuis été développé par l'article 2 de la loi du 17 mai 1819. C'est une dérogation à la règle de l'article 2 du Code, qui ne punit la tentative qu'autant qu'elle est suivie d'un commencement d'exécution; et cette dérogation se justifie en matière de délits de publication et en matière de complots : le péril naît de la seule provocation, abstraction faite des actes d'exécution. Mais alors le législateur a établi deux pénalités diverses : l'une pour la provocation non suivie d'effet, l'autre pour celle qui a été suivie d'un résultat. Dans l'une et l'autre hypothèse, en effet, le danger de l'Etat n'est pas le même; et la criminalité même de l'agent est différente, car on doit présumer que la provocation a été faite avec plus de puissance, a été suivie avec plus de persévérance, lorsqu'elle a déterminé l'exécution du crime. La peine ne devrait donc pas être identique.

Si l'auteur des machinations, entraîné par le repentir, s'est désisté de son entreprise avant

[1] Procès-verb. du Conseil d'état, séance du 12 qu'aucun acte d'exécution ait été commencé, oct. 1808.

sera-t-il punissable? La raison de douter naît

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