Images de page
PDF
ePub

au seul complot formé entre deux personnes pour atteindre ce but, lorsque ce complot se trahit par un acte extérieur [1].

M. Livingston n'incrimine au contraire que le seul fait de tenter de changer la constitution par la force des armes, et il ne punit ce fait que de l'emprisonnement à vie [2]. Le Code du Brésil pousse la mansuétude plus loin encore: la tentative du crime de détrôner l'empereur n'est punie que de 5 à 15 ans de travaux de force; et la consommation de ce crime, de la même peine depuis 10 ans jusqu'à perpétuité (art. 87). Quant aux attentats contre la vie des princes, ils sont laissés dans la classe commune des crimes.

Au milieu de ces systèmes divers, notre législation a eu la gloire, en se réformant la première, de rejeter des incriminations et des peines que le despotisme moderne avait empruntées aux lois tyranniques d'un autre temps, et contre lesquelles protestaient à la fois la justice et l'humanité.

:

Le Code de 1791 ne portait que cette simple et rigoureuse disposition : « Tous les complots et attentats contre la personne du roi, du régent ou de l'héritier présomptif du trône, seront punis de mort. » Le Code pénal ne fit que développer ce principe seulement le Conseil d'état de l'empire voulut rétablir, pour l'empereur, le crime de lèze-majesté; ce crime fut assimilé au parricide. Aucune distinction ne sépara le complot et l'attentat de même que sous le Code de 1791, ces faits si différents furent frappés de la même peine. La manifestation, par un simple acte extérieur, de la résolution criminelle, était assimilée à l'attentat avant même qu'il y eût commencement d'exécution; l'auteur d'une simple proposition non agréée était puni d'une peine afflictive et infamante; enfin, la non-révélation d'un complot était seule et par elle-même considérée comme un crime.

:

Ces dispositions du Code pénal, soit par l'arbitraire des incriminations, soit par la disproportion des peines avec les faits incriminés, blessaient la raison et la justice. L'un des principaux bienfaits de la loi du 28 avril 1832 a été de les effacer une loi nouvelle a été substituée en cette matière aux anciennes dispositions du Code; ce sont d'autres principes, un esprit nou

veau.

[1] « Shall suffer death... combination of two or more persons by force, to usurp the government of this state, or to overturn the same, evindenced by a forcible attempt made within this state, to

Le premier soin de la loi a été de séparer le complot et l'attentat. L'attentat seul est puni de la peine de mort; le complot ne reçoit d'autre peine que la détention. « La simple résolution du crime, disait le rapporteur de la Chambre des Députés, peut-elle se comparer à son accomplissement? Combien d'incertitudes ou de remords entre le projet et l'exécution! combien d'avertissements salutaires apportent avec eux les préparatifs, les précautions, les difficultés, et cet aspect du crime prochain, presque inévi– table, qui fait souvent pàlir les plus intrépides et désarme les plus résolus! Est-il possible de placer sur le même rang, de punir de la même peine, l'inexpérience qui n'a subi aucune de ces épreuves, et la persévérance qui leur a résisté? Sous le point de vue de l'utilité, cette assimilation du complot à l'attentat peut devenir funeste. Le complot formé, l'intérêt évident des conspirateurs est d'en précipiter l'exécution. Déjà menacés de la mort, ils n'ont plus rien à craindre; placés entre le succès et le supplice, l'hésitation est dangereuse, le repentir impuissant; et ils sont souvent poussés au crime par le besoin et l'espérance d'échapper au châtiment. »

L'expression de lèze-majesté, dernier et inutile débris d'une législation tombée, a disparu du Code. La peine capitale, que presque toutes les législations appliquent aux simples entreprises ou complots, est réservée au seul attentat, et l'attentat n'existe que là où des actes d'exécution le révèlent. Toute manifestation d'une résolution criminelle, par les simples actes extérieurs qui précèdent le commencement d'exécution, cesse d'être assimilée au crime lui-même. La proposition faite et non agréée de former un complot, conservée après quelques hésitations dans la classe des faits punissables, n'est plus du moins atteinte que d'une peine correctionnelle.

Enfin les peines de la non révélation qui, suivant l'expression du rapporteur, donnaient à un devoir de patriotisme les apparences d'une obligation de police, ont été écartées. « Sans doute, porte l'exposé des motifs, c'est un devoir rigoureux pour tout citoyen, s'il apprend qu'un crime se prépare, soit contre les particuliers, soit contre le prince et l'Etat, de donner au pouvoir, par de salutaires avertissements, les moyens de protéger contre toute atteinte

accomplish such purpose.» (Revised statutes of New-York, tit. 1, sect. 1 et 2.) [2] But after death his body shall by delivered for dissection (art. 110).

les lois, la constitution du pays et les existences menacées; mais ce devoir, la conscience seule doit le faire remplir, la menace d'une pénalité n'y fait rien. Les peines contre la non révélation ont toujours été réprouvées par les mœurs publiques; elles sont évidemment sans efficacité. La non révélation appellera donc toujours sur un citoyen la plus grave responsabilité morale; mais elle cessera de figurer dans le Code pénal comme crime ou délit. » En conséquence, les art. 103, 104, 105, 106 et 107 du Code ont été pleinement abrogés [*].

justice divine. Vainement la loi humaine voudrait l'enchaîner et la punir; elle échappe à son action: la tyrannie, entraînée par ses inquiétudes, a pu lui imposer des peines; ces peines s'égaraient dans leur application. La simple résolution d'attentat à la vie du chef de l'Etat, ou de renverser la constitution du pays, n'entraîne donc nulle responsabilité sur son auteur, tant qu'elle demeure isolée et qu'elle ne se manifeste pas en dehors du sein où elle fermente. Ce n'est qu'un mouvement passionné de l'esprit, un projet que la réflexion peut détruire; son impuissance la déroberait à la justice, dans le cas même où la justice aurait le pouvoir de la saisir et le droit de la juger

Telles sont les innovations heureusement introduites dans cette grave et délicate matière. La tâche du législateur était difficile; car, d'une part, c'était pour lui un devoir de protéger la Mais si cette résolution criminelle veut agir, forme sociale du pays, et de ne pas livrer sans si elle se produit au dehors, l'acte extérieur qui défense aux attaques des partis ses lois et ses la révèle tombe sous la juridiction humaine. Cet institutions. Et cependant il devait respecter acte a différents degrés de valeur morale: il peut les limites de la justice morale, ne soumettre à n'avoir d'autre résultat que de mettre au jour la l'action répressive que les faits que la nature résolution criminelle, il peut constituer un acte des choses y soumet, et surtout établir une sage préparatoire du crime, il peut être un commenproportion entre les degrés de la peine et les cement d'exécution. degrés de la criminalité. Ce grave problème politique, dont la solution a été vainement tentée dans les diverses législations, trop rigoureuses ou trop imparfaites, que nous venons de passer en revue, se trouve-t-il résolu par les dispositions de notre nouveau Code? Telle est la question que nous allons examiner, en suivant dans leur théorie, dans leur application et dans leurs développements, chacune de ces dispositions.

La loi a marqué les progrès de la résolution criminelle, sa transformation en actes matériels et les différentes phases de l'action, en incriminant chacun de ces degrés dans des dispositions distinctes, et en leur appliquant des pénalités progressives. Ces distinctions indiquent la division naturelle de cette matière, et nous ne faisons que l'appliquer en séparant ce chapitre en trois paragraphes: le premier aura pour objet la proposition faite et non agréée de former un complot; le deuxième, le complot lui-même; et le troisième enfin, l'attentat avec ses caractères divers et ses éléments indéfinis.

§ Ier.

Le premier degré prévu par la loi dans la marche du crime, le premier acte extérieur qu'elle punisse, est la proposition faite et non agréée de former un complot. Le quatrième paragraphe de l'art. 89 est ainsi conçu: «S'il y a eu proposition faite et non agréée de former un complot pour arriver aux crimes énoncés dans les art. 86 et 87, celui qui aura fait une telle proposition sera puni d'un emprisonnement d'un à 5 ans. Le coupable pourra de plus être interdit, en tout ou en partie, des droits mentionnés en l'article 42 [**]. »

M. Berlier motivait cette disposition, qui dans l'ancien Code portait la peine de la réclusion, dans les termes suivans: « La simple proposition non agréée de former un complot est punissable elle-même, mais à un moindre degré ; car bien qu'il n'ait manqué à celui qui a fait la proposition que de trouver des gens qui voulussent s'associer à ses desseins criminels, cependant le danger et l'alarme n'ont pas été portés au même point que si le complot eût réellement existé. »>

Personne ne nie que la proposition de former un complot ne soit elle-même un acte immoral; et c'est là tout ce qu'attestent les paroles de

La pensée est libre, elle ne relève que de la M. Berlier. Mais de là s'ensuit-il que cet acte

[*] Ils subsistent encore en Belgique où le Code de 1810 a conservé son empire sauf quelques rares modifications que nous aurons soin de signaler sous chaque article, ainsi que les différences du

Code pénal français de 1832, qui sera ajouté à la
fin de cet ouvrage, présentera le tablean.
[**] Voy. l'article ancien à l'appendice.

puisse être puni? C'etait là qu'était la question. M. Rossi ne l'a pas pensé. « Quant à la simple proposition, a dit ce professeur, à la proposition non agréée, est-il nécessaire de démontrer que cet acte ne devrait jamais se trouver inscrit au catalogue des crimes? De simples paroles, des paroles rapportées par ceux-là même auxquels elles auraient été dites, des paroles qu'il est si facile de mal entendre, de mal interpréter, de dénaturer à dessein; enfin un acte qui de sa nature n'admet guère de témoignage impartial et digne de foi, comment oser le qualifier de crime? Comment s'assurer que la proposition était sérieuse; qu'elle exprimait une résolution criminelle plutôt qu'un désir blàmable; qu'elle était l'expression d'un projet arrêté, plus encore que l'explosion d'un mouvement de colère, une boutade de l'animosité et de la haine [1]? »

Nous pensons avec M. le professeur Haus [2] que cette opinion est trop exclusive. Sans doute il serait absurde de fonder une accusation sur des paroles vagues ou légères, sur des désirs ou des menaces exprimés dans la chaleur d'une discussion, et qui même sérieux ne seraient que l'expression d'une opinion, d'une pensée intime. Mais de là que suit-il? Que cette incrimination doit être contenue dans de sages limites, définie avec précision, soumise à des conditions rigoureuses; il faut, en un mot, qu'il soit constaté que la proposition était l'expression d'un projet arrêté. Cela posé, les preuves d'une pareille proposition sont-elles insaisissables dans tous les cas? Ne peut-il pas arriver que la proposition ait été faite à plusieurs personnes et à différentes reprises; que son auteur ait communiqué ses plans, développé ses projets, révélé ses moyens d'exécution; que sa proposition ait même laissé des traces matérielles qui en constatent l'existence et le caractère? Il n'est donc pas impossible de parvenir jusqu'à la preuve de ce fait; et dès lors le législateur peut l'atteindre, pourvu qu'il recèle les éléments qui caractérisent une proposition arrêtée.

Mais cette incrimination, dont l'application ne peut être que fort rare, est-elle réellement nécessaire? En général la simple proposition de former un complot n'offre point de péril sérieux à l'État : une vaste distance sépare cette proposition et les actes préparatoires, au nombre desquels la loi a placé le complot, et c'est seulement quand ces actes se manifestent que le pouvoir social a un intérêt véritable à intervenir. Il nous

[1] Traité de droit pénal.

paraît du moins que la1oi aurait dû distinguer le but de la proposition, et ne l'incriminer qu'au seul cas où elle aurait pour objet un complot contre la vie du roi et les membres de la famille royale.

Cette distinction se trouvait déjà dans l'ancien art. 90 du Code. Ea proposition non agréée n'était punie de la réclusion que lorsqu'elle avait pour but le crime prévu par l'art. 86; lorsqu'elle tendait au contraire à l'un des crimes énoncés dans l'art. 87, la peine était le bannissement. La commission de la Chambre des députés recueillit, en 1832, cette idée : « La proposition non agréée, disait-elle dans son rapport, d'un complot contre la constitution ou l'établissement politique, n'a rien de bien alarmant; c'est le rève d'une mauvaise passion, c'est l'espérance d'un factieux, le propos d'un mécontent, une provocation peut-être que dissuade ou décourage le premier refus. La proposition non agréée d'un complot contre la vie du roi ou des membres de sa famille a un caractère bien plus grave; ici l'exécution est plus facile, le but plus net et plus circonscrit, les moyens plus sûrs et plus prompts, les occasions plus fréquentes et plus décisives. >>

Cette distinction fut effacée dans la discussion. « Il est difficile de concevoir, dit un député, pourquoi on a retranché du nombre des crimes que la proposition peut avoir pour but, ceux que proscrivent les derniers paragraphes de l'art. 87. Comment laisser impuni l'homme assez coupable pour faire une proposition tendante à exciter la guerre civile, à porter la dévastation dans sa patrie? Peut-on le regarder comme un homme beaucoup moins criminel que celui qui propose d'attenter à la vie du roi ou d'un membre quelconque de la famille royale?»

La question n'était pas dans la criminalité, qui dans les deux hypothèses est la même : elle était tout entière dans le danger social. C'est ce danger qui seul peut justifier l'incrimination d'un acte qui, dans les principes ordinaires du droit, échappe à l'action de la loi pénale. Or ce péril peut être allégué quand il s'agit d'un complot contre la vie du roi ou des membres de sa famille, parce qu'ici l'exécution peut suivre immédiatement la résolution, qu'aucun fait intermédiaire ne doit nécessairement séparer les deux actes, et que la société a dès lors un grave intérêt à désarmer la résolution dès qu'elle se révèle à la justice, même par la simple communication

[2] Observ. sur le projet du Code belge, t. 2, p. 27.

[ocr errors]

$ II.

qui en est faite à un tiers. Mais un complot con sur-le-champ. La proposition est indépendante tre l'établissement politique exige des relations de sa conduite: son adhésion seule pourrait la étendues, des forces nombreuses, des compli- changer en complot. ces, des agents, des préparatifs. La proposition non agréée pour former ce complot, n'est qu'un acte d'impuissance; l'Etat n'en éprouve aucun péril, aucune alarme, car un immense intervalle sépare la proposition et l'exécution. La loi doit donc se borner à frapper les actes extérieurs, le complot, les préparatifs.

Au reste, la loi n'a établi qu'une peine correctionnelle pour prévenir les dangers qu'elle redoutait, et cette atténuation ôte à la question une partie de son importance; il eût été néanmoins rationnel de graduer le maximum de la peine d'emprisonnement, dans les deux cas prévus, conformément au système de l'ancien art. 90 que l'on continuait.

Recherchons maintenant les conditions constitutives de la proposition faite et non agréée de former un complot. La première est qu'il y ait une véritable proposition dans le sens le plus étendu de ce terme. « Il faut donc, dit M. Carnot, qu'elle ait un objet déterminé. De sorte que ce serait vainement que l'on prétendrait la faire ressortir de propos vagues et insignifiants; elle doit avoir été précise, formelle, directe, telle enfin qu'elle ne puisse présenter de doute à l'esprit sur sa nature et sur son objet [1]. » Ainsi les désirs, les espérances, les passions politiques, les menaces même, ne pourraient servir de base à la prévention. La proposition suppose nécessairement un projet arrêté à l'avance; son auteur veut conquérir des adhérents et des complices; c'est dans ce but qu'il révèle ses projets, ses plans, ses moyens d'exécution: voilà la proposition telle que la loi a voulu l'atteindre; c'est celle-la seule qui constitue un délit. On voit dans les discussions du Conseil d'état que la commission du corps législatif avait proposé de remplacer les mots non agréée par le mot rejetée. Le Conseil d'état n'admit pas ce changement: « Les expressions non agréée, porte le rapport, semblent plus exactes. Une proposition à laquelle la personne à qui elle est faite ne répond rien, n'est pas à proprement parler rejetée, mais n'est pas agréée [2]. » Il suit de là que le rôle de celui auquel la proposition est faite est indifférent en ce qui concerne l'existence du délit peu importe qu'il ne réponde rien ou qu'il l'improuve

[1] Comm. du C. P. sur l'art. 90.

Le complot est le second degré du crime suivant l'ordre de la loi. L'article 89 est ainsi conçu: « Le complot ayant pour but les crimes mentionnés aux art. 86 et 87, s'il a été suivi d'un acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution, sera puni de la déportation. S'il n'a été suivi d'aucun acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution, la peine sera celle de la détention.-Il y a complot dès que la résolution d'agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes. » [*].

Ce texte nous donne la définition du complot: c'est la résolution d'agir concertée et arrétée entre plusieurs personnes. Il divise ensuite ce crime en deux espèces, en deux crimes distincts: l'un, lorsque le complot n'a été suivi d'aucun acte préparatoire; l'autre, quand il a été suivi au contraire d'un acte commis ou commencé pour préparer l'exécution de l'attentat.

Remarquons en premier lieu que, dans l'une et l'autre hypothèse, il n'y a pas encore de tentative dans le sens légal de ce mot. En thèse générale, la loi ne punit que l'exécution commencée ou la tentative, c'est-à-dire le commencement de cette exécution. Elle pardonne à celui qui, retenu par le remords ou par un retour à la vertu, s'est arrêté spontanément dans le chemin du crime. Quelque sûre que la volonté criminelle pense être d'elle-même, il y a un intervalle immense entre l'instant où elle se forme et celui celui où elle s'accomplit; elle peut se laisser décourager par un obstacle, intimider par un danger, vaincre par un repentir. Il suffit qu'une rétractation soit possible, pour que la loi la suppose et l'attende. Les pensées, les désirs, les résolutions échappent à sa juridiction, comme elles échapperaient à ses preuves; ce n'est que lorsque l'exécution ou la tentative leur donnent un caractère de certitude irrévocable et de dommage positif, qu'elle peut proclamer un crime et punir. Telle est la règle fondamentale du droit pénal, et nous l'avons développée plus haut [2] : la matière du complot en est une exception.

Des motifs politiques viennent à l'appui de cette exception, qui remonte jusqu'à la légis

[*] Voy. à l'appendice l'article correspondant

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du du Code de 1810. 9 janv. 1820.

[2] Voy. suprà, chap. 10.

lation romaine [1]. «Deux hommes, disait M. Berlier dans l'exposé des motifs, ont-ils dessein de tuer leur voisin? cette horible et funeste pensée ne sera pourtant pas réprimée comme le meurtre, si elle n'a été suivie d'aucun commencement d'exécution; mais dans les crimes d'Etat, le complot formé est assimilé à l'attentat et au crime même. Ainsi, dans cette matière, le crime commence et existe déjà dans la seule résolution d'agir, arrêtée entre plusieurs coopérateurs : le suprême intérêt de l'Etat ne permet pas d'attendre et de ne considérer comme criminels que ceux qui ont déjà agi. » Le rapport de la loi du 28 avril 1832 développe et explique cette pensée: «Dans les crimes contre la sûreté de l'État, une telle longanimité de la loi aurait d'immenses périls. Un crime privé ne met pas en danger la puissance qui doit le réprimer, l'État survit à la victime. Le succès le plus complet ne donne au coupable aucune chance d'impunité. Le criminel d'état est dans une condition bien différente; son ennemi est aussi son juge, la victoire lui donne le pouvoir et lui rend les droits de l'innocence. Ici la répression ne peut plus attendre la tentative; car une tentative heureuse rendrait la répression impossible, et l'existence seule du complot est un incalculable danger. C'est donc pour l'Etat un droit de légitime defense que d'incriminer et de punir le complot avant son entière exécution. »

Cependant la justice de cette incrimination a été contestée, dans le cas surtout où le complot n'est suivi d'aucun acte préparatoire. M. Destri vaux ne pense pas que les investigations de la justice puissent descendre à rechercher et punir de simples paroles [2]. M. Rossi partage cette opinion: « Ou le complot est un fait plus positif, plus matériel, ayant des caractères moins indéterminés que la simple proposition...... mais alors même quel vague dans la loi! Des faits aussi insignifiants par eux-mêmes que le sont les actes de se voir, de se réunir, de parler, de discuter, comment arriver au dessein criminel? Si le complot n'a encore été suivi d'aucun autre acte préparatoire, sur quel fondement s'appuyer pour saisir la résolution de l'agent? On n'aura à peu près pour la proposition non agréée que des paroles rapportées, commentées par des complices ou par des traîtres. Les dangers seront analogues, les erreurs presque aussi faciles [3].»

[1] Quisquis inierit scelestam factionem, vel cogitaverit...... 1. 5, C. ad leg. jul. maj. << Solum consilium, sola machinatio in hoc crimine punitur

Les moyens de prévenir ces erreurs et ces dangers doivent être dans la loi; ils sont même une condition de l'existence de l'incrimination. Mais d'abord il y a peut-être quelque exagération à ne voir dans un complot que des paroles et des réunions. Ne peut-il donc exister des écrits émanés des accusés? D'autres faits matériels, d'autres éléments ne peuvent-ils venir se réunir autour du complot et lui imprimer un caractère plus déterminé et plus sensible? Un crime de cette nature ne se trahit-il pas par une foule d'indices et de circonstances qui forment comme un cortège de preuves secondaires à l'appui des révélations du complice? Il est donc des circonstances où le complot, même non suivi d'actes pré-. paratoires, peut être prouvé, et son incrimination n'est pas nécessairement sujette à des erreurs et à des périls.

Maintenant nous reconnaissons que le législateur, en plaçant le complot au nombre des crimes, doit assigner à son incrimination quelques limites, quelques garanties particulières : il ne faut pas que des condamnations puissent se fonder sur de simples paroles; il ne faut pas, lorsque les jugements en cette matière sont soumis à tant de chances d'erreurs, que les coupables soient frappés d'une peine trop sévère et surtout irréparable. C'est un devoir pour la loi d'environner l'incrimination de règles précises qui en limitent sagement l'application, et de graduer les peines suivant les progrès du complot. Examinons si on trouve ces règles et ces conditions dans notre Code.

En ce qui concerne les peines, les modifications introduites par la loi du 28 avril 1832 semblent satisfaire toutes les exigences de la justice. Le complot, quelles que soient les circonstances qui l'environnent, n'est plus frappé d'une peine irréparable. La loi trace des distinctions suivant les progrès de sa marche et les périls dont il menace l'ordre : lorsqu'il ne consiste que dans une résolution concertée, la peine est la détention temporaire; cette peine est perpétuelle si des actes préparatoires ont suivi la résolution. Un amendement fut présenté à la Chambre des Députés pour diminuer la distance qui sépare ces deux peines: «Les deux crimes, disait-on, sont à peu près les mêmes, sont identiques, et cependant le premier est puni de la détention temporaire, le second de

eâdem pœnâ, ac si effectus fuisset sequutus, Farinacius, quæst. 115, no 148.

[2] Essais sur le Code pénal, p. 7. [3] Traité de droit pénal.

« PrécédentContinuer »