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la détention à perpétuité. Il y a autant de culpabilité dans un cas que dans l'autre, et si l'on n'applique pas la même peine, on ne doit mettre entre eux qu'une légère différence. » Le rapporteur de la commission répondit : « Si la détention à temps est admise contre le complot, une aggravation de peine est nécessaire pour les actes préparatoires qui l'ont suivi, et la détention à perpétuité est inévitable. Cette peine ne peut paraître trop sévère, soit qu'on la compare avec la peine de mort que prononçait le Code pénal, soit qu'on la rapproche du crime si grave et si dangereux qu'elle est destinée à punir. » Nous ajouterons qu'il ne serait pas exact de mettre sur la même ligne le simple complot et le complot que des actes préparatoires ont suivi. On peut croire à la légèreté des paroles, on peut penser qu'une résolution a été concertée dans un moment d'entraînement et qu'elle s'évanouit avec l'enthousiasme passager qui l'a produite; mais quand elle se traduit en préparatifs, quand les conspirateurs dédaignent l'avertissement qui ressort de ces apprêts, quand ils se mesurent avec les difficultés de l'exécution et qu'ils persistent à avancer, la résolution revêt une criminalité plus grande, sa persistance la rend plus menaçante, et la justice peut punir avec plus de sévérité. La peine ne doit donc pas être la même dans ces deux cas; et si la détention perpétuelle parait trop sévère pour l'espèce qu'elle frappe, il ne faut pas oublier que c'est précisément dans cette matière que l'action presque nécessaire du système des circonstances atténuantes a pour effet d'atténuer et de modérer les peines inscrites dans la loi.

Maintenant quelles sont les règles posées par le Code pour l'incrimination du complot? Dans quels cas et à quelles conditions le législateur s'est-il décidé à déclarer la simple volonté punissable? « Il y a complot, dit l'article 89, dès que la résolution d'agir est concertée et arrétée entre deux ou plusieurs personnes. » [*]. De cette définition découlent plusieurs corollaires. Il faut en premier lieu qu'il y ait résolution d'agir, c'est-à-dire volonté positive, arrêtée, d'exécuter l'attentat: les vœux, les menaces, les projets n'équivalent pas à une résolution. Il faut ensuite que cette résolution soit concertée et arrêtée entre plusieurs personnes, c'est-à-dire qu'il y ait en quelque sorte une association de deux ou plusieurs personnes contre le roi ou la sûreté de l'Etat. La résolu

tion isolée de commettre un attentat, toute perverse qu'elle puisse être aux yeux de la morale, n'est rien encore aux yeux de la loi; mais le pacte d'association formé pour arriver à cet attentat, voilà l'objet des sollicitudes du législateur, voilà le crime qu'il a voulu punir. C'est le concert des conspirateurs, c'est leur accord, c'est l'association en un mot qui fait le péril.

Or il n'y a point de contrat, point d'association, si les associés diffèrent sur le but, sur la condition, sur les moyens d'exécution, sur la distribution des rôles dans la tragédie du crime: l'unité, voilà l'essence du complot. Lorsque le but est vague et indécis, lorsque les conditions ne sont pas arrêtées, que les moyens sont incomplets, que les fonctions ne sont pas distribuées, en un mot lorsque la volonté flotte irrésolue sur l'un ou sur plusieurs des faits dont l'ensemble compose le crime, il n'y a point d'association, car il n'y a point de concert, il n'y a point d'accord entre les associés; et tous ces préliminaires franchis, il n'y a point encore de société criminelle, car il ne suffit pas que la résolution soit prise, la loi exige qu'elle soit définitivement arrêtée.

Ainsi quatre conditions sont nécessaires pour l'existence d'un complot il faut qu'il y ait non point un vague projet, mais une résolution d'agir; que cette résolution soit arrêtée; qu'il y ait association pour l'exécution entre plusieurs personnes; enfin qu'elle ait pour but les crimes énoncés aux art. 86 et 87. Voilà les conséquences immédiates de la définition de la loi; voilà les règles qui sont puisées dans son texte.

Que si l'on s'écartait de ces règles précises on tomberait dans un arbitraire que le législateur a lui-même répudié. Au lieu d'une volonté arrêtée, d'une ferme résolution, les vœux confus, les vagues projets deviendraient le fondement d'une accusation; les paroles et jusqu'à la pensée pourraient être inculpées. Tel n'est pas l'esprit de la loi ; elle a voulu protéger la société, mais sans excéder les limites de la justice et de son droit. En incriminant le complot, elle a posé des garanties contre des poursuites arbitraires ou irréfléchies; ces garanties sont dans les conditions qu'elle a mises à l'existence du crime. La simple résolution d'agir est punissable, mais seulement quand elle a été successivement précisée, concertée et arrêtée; quand toutes les volontés se sont confondues en une volonté unique et commune: quand toute délibération ultérieure est devenue inutile, et qu'il ne s'agit

Voyez l'art. 89 du Code de 1810 à l'ap- plus que de passer aux actes d'exécution. Si

pendice.

donc à la place de cet accord, de ce consente

ment unanime, on voit surgir au sein des prévenus des luttes, des résistances, des démarches isolées, des vues contradictoires, on peut apercevoir de l'inquiétude, de la malveillance, des desseins dangereux, mais il est impossible de reconnaître un contrat, une association, un complot.

Les caractères du crime ainsi définis, on doit en examiner les différentes espèces. Nous avons vu que le complot formait deux crimes distincts: le premier existe par le seul fait de la proposition d'agir, agréée par deux ou plusieurs personnes, concertée et arrêtée entre elles. Il est évident que c'et principalement à ce premier crime que se rapportent nos précédentes observations. Les juges sont sujets à l'erreur quand ils sont appelés à punir une résolution qui a pu ne laisser aucune trace de son existence; c'est donc un motif d'appliquer avec rigueur à cette espèce chacune des conditions que la loi a imposées à la constitution du crime. S'il n'est pas démontré que la résolution a été concertée et arrêtée, l'acquittement est pour l'Etat un péril léger; la condamnation serait un péril immense pour la justice.

Le deuxième degré du complot a lieu quand il a été suivi d'un acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution. Il est néccssaire de distinguer les actes préparatoires et les actes d'exécution. Si l'acte commencé ou commis était un acte d'exécution, le fait cesserait d'être un complot, il constituerait un attentat. Si l'acte est purement préparatoire, le complot ne change pas de caractère, seulement cet acte devient un élément d'aggravation de la peine. Mais comment tracer une ligne de démarcation entre ces actes? Nous avons vu (suprà, p. 50) combien cette distinction était difficile. Nous répéterons seulement ici que les actes préparatoires sont ceux qui précèdent l'action, mais qui n'en font pas une partie intrinsèque ; et que les actes d'exécution, au contraire, sont ceux dont la série et l'ensemble constituent le crime lui-même. Ainsi l'achat des munitions, la location des lieux nécessaires pour les déposer, la réunion des associés, la préparation des armes, sont des actes purement préparatoires, car l'action n'est pas encore commencée. C'est ainsi qu'à l'armée la réunion des forces sur un point donné, la disposition des munitions de guerre, l'occupation même de certains lieux, précèdent immédiatement l'action, mais ne sont pas l'action même.

[1] Arr.cass. 26 mars 1817 (Bull. no 33).

Mais si les conspirateurs se sont mis en marche vers le point d'attaque, armés et prêts à combattre, cet acte est un commencement d'exécution. Supposez ensuite que la force publique les ait rencontrés et dispersés avant qu'ils aient alteint le point qu'ils voulaient attaquer; l'acte ne changera pas de nature, car il était en relation immédiate avec le crime lui-même, il tendait à le consommer, il faisait partie de son exécution.

Mais il faut nécessairement qu'il y ait un acte, c'est-à-dire un fait matériel. Ainsi la Cour de cassation a jugé avec raison que les écrits et les discours ne peuvent jamais constituer l'acte ou le fait extérieur qui forme la circonstance aggravante du complot [1]. Et en effet, les discours et les écrits ne peuvent être considérés comme des actes dans le sens de l'art. 89. Nous verrons plus loin qu'il en est autrement dans le système de la législation postérieure.

Ce n'est pas seulement l'acte préparatoire qui imprime au complot un caractère plus grave, c'est le commencement même de cet acte: la loi dit en effet s'il a été suivi d'un acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution. M. Haus a proposé de retrancher ces mots ou commencé : « Comment, dit-il, pourra-t-on jamais acquérir la conviction qu'un acte qui n'est que commencé l'a été pour préparer l'exécution du crime? Il faudrait donc prouver qu'un acte a été commencé, et que cet acte commencé avait pour but non d'exécuter, mais de préparer un crime? Comment remonter à la résolution criminelle à l'aide de moyens aussi incertains? Sans doute le complot qui est prouvé peut, jusqu'à un certain point, servir à fixer le caractère des actes préparatoires qui l'ont suivi et qui ont été commis; mais si vous prétendez que cette circonstance est également propre à expliquer le but de ces actes, lorsqu'il n'en existe encore qu'un commencement, vous pourrez par ce moyen incriminer tous les actes des conspirateurs, les actes les plus irréprocha-· bles, les plus innocents, en les considérant comme des actes commencés pour préparer l'exécution de leur projet [2]. » Cette critique nous parait juste et fondée. Comment discerner l'instant où l'acte préparatoire est réputé commencé? Comment apprécier la moralité de cet acte sur ce simple commencement? Nous ajouterons qu'il n'existe nul danger à attendre que l'acte soit commis pour en faire une circonstance aggravante de complot: car déjà le complot, abs

[2] Observ. sur le Code pénal, p. 35.

attentat; dans des temps de faiblesse et d'impunité, jamais résolution ne semble assez arrêtée pour avoir le caractère du complot, jamais ten tative ne semble assez grave pour avoir le caractère de l'attentat. I importe donc de réserver ces graves accusations de complot et d'attentat pour les circonstances solennelles, pour les conspirations flagrantes dans lesquelles le concert et la résolution se révèlent de toutes parts, pour les tentatives audacieuses dont le but et la haute portée se manifestent à tous les yeux. Ce sont là des complots et des attentats. Mais au-dessous de ces complots et de ces attentats se placent des actes dangereux et criminels qu'il est difficile de leur assimiler complétement et que la sûreté de l'État commande cependant de ne point laisser impunis. Ils forment la matière du projet de la loi. Incriminer et punir, à titre d'infraction à des lois de police et de sûreté, les actes qui préparent l'insurrection; incri

traction faite de cette circonstance, est puni de la détention temporaire; et l'acte commencé, même en supposant la criminalité, n'a d'autre but que de préparer l'exécution. Il semble donc juste d'attendre, avant d'accroître la peine, que l'acte commencé ait pris un caractère plus déterminé, qu'il soit commis, et qu'il soit possible dès-lors d'apprécier son but et sa nature. Les actes préparatoires ont été récemment envisagés sous un autre point de vue: un nouveau système d'incrimination a modifié, sous certains rapports, le système du Code pénal relativement à ces actes. La loi française du 24 mai 1834, sur les détenteurs d'armes et les munitions de guerre, a considéré plusieurs de ces préparatifs, non plus comme des circonstances aggravantes du complot, mais comme des délits distincts, sui generis, et elle les a punis à part d'après leur valeur morale intrinsèque, et abstraction faite de leur liaison avec un complot. Les dispositions de cette loi doivent nécessaire-miner et punir, à titre de crimes spéciaux, les ment être combinées avec notre Code.

Son système s'explique facilement. Dans la théorie du Code, un acte préparatoire ne peut être incriminé qu'autant qu'il prend sa source dans un complot, qu'il en est à la fois l'indice et l'exécution: ainsi des préparatifs qui, dans certaines circonstances, peuvent entraîner un grave péril, resteraient impunis si leur connexité avec un complot préexistant n'était pas établie. Un amas d'armes ou de munitions, la confection de cartouches, la préparation de balles, seraient des faits complétement innocents, si l'accusation ne prouve pas qu'ils sont destinés à l'exécution d'une pensée criminelle arrêtée à l'avance entre les prévenus.

Or, en matière de complot, la difficulté de la preuve judiciaire est immense. Nous l'avons dit déjà: il faut prouver la résolution d'agir en ellemême, le concert qui la prépare et la détermination qui la constitue. Il faut donc pénétrer les plus intimes secrets de la vie privée, il faut sonder toutes les profondeurs de la conscience et de la volonté ; et ce n'est que sur des inductions et des conjectures que la preuve, souvent fragile, peut s'élever. Cette argumentation est aussi difficile que périlleuse : elle ne suffit pas aux esprits timides, elle égare les esprits prévenus.

C'est cet inconvénient de la définition légale du complot que la loi du 24 mai 1834 a voulu détruire. « Dans les temps de rigueur et de réaction, a dit le rapporteur de cette loi, tout concert est un complot, toute résistance est un

[1] Moniteur du 1er mai 1834, 1er suppl.

principaux actes insurrectionnels, telle est la pensée qui a présidé à la rédaction de ce projet [1]. »

Ce mode d'incrimination est-il à l'abri de toute critique? En thèse générale les actes préparatoires ne sont point frappés d'une peine, non parce que la société n'a pas le droit de les punir: l'acte qui prépare un délit est un acte immoral, et il peut être dangereux; mais parce qu'ils n'offrent qu'une base fragile pour prouver la résolution criminelle, parce que l'auteur de ces actes aurait intérêt à les couvrir du voile le plus épais, parce qu'il faut laisser place au repentir et au désistement volontaire, plutôt que de forcer l'agent à précipiter la marche de son crime [2]. Mais à cette règle il peut y avoir des exceptions; il est certains actes qui, quoique purement préparatoires, offrent un grave danger, et dont le caractère, quoique toujours enveloppé de quel-que incertitude, peut cependant devenir le fondement d'une induction. Si, dans cette hypothèse, la punition de ces actes est nécessaire à l'ordre social, le législateur a le droit de l'infliger. Nous en trouvons des exemples nombreux dans la législation: qu'est-ce, en effet, que le vagabondage, la mendicité, les maisons de jeux, les attroupements, le criage public et les associations, sinon des actes préparatoires de crime ou délit, ou, suivant l'expression de M. Rossi, des moyens occasionnels de crimes ? C'est sous cet unique rapport que la loi a incriminé ces faits divers. Mais ces incriminations ne forment

[2] M. Rossi.

qu'une exception. Ce serait une erreur que de poser en principe qu'on peut transformer en délits spéciaux tous les faits qui peuvent devenir des actes préparatoires ou des moyens occasionnels de délits. La vie de l'homme se trouverait renfermée dans un étroit réseau de prohibitions et de prescriptions; car il est à peine un acte qui ne puisse servir à préparer un crime. Le législateur reste done soumis à ces deux règles: il faut que l'acte préparatoire qu'il punit, menace par lui-même la sûreté publique; il faut que cet acte se produise avec un caractère assez déterminé pour être saisi et constaté avec certitude. En remplissant cette double condition, l'acte préparatoire peut être incriminé; mais l'immora lité du dessein criminel, dont il avait pour but de préparer l'exécution, ne se reflète plus sur lui: détaché du complot, ce n'est plus que la violation d'une défense, une contravention matérielle, une infraction de police; la peine doit donc être en rapport avec ce caractère du fait.

Tels sont les principes auquels est nécessairement soumise l'incrimination des actes préparatoires; et la loi du 24 mai 1834 ne nous paraît point en général infidèle à cette théorie. « Ce système d'incrimination, disait le rapporteur de cette loi, nous a paru efficace et irréprochable. Ce système est efficace, car en précisant les incriminations, en leur donnant un fait matériel pour base, il circonscrit la preuve et la rend plus directe et plus facile. Poursuivez un approvisionnement à titre d'infraction à la loi qui défend de tenir des armes, la preuve est facile dès que l'approvisionnement est prouvé. Poursuivez au contraire cet approvisionnement d'armes à titre de complot, il faut prouver encore que c'est dans un but criminel, avec la résolution concertée et arrêtée d'atteindre le but, que cet approvision nement a été fait. Ce système d'incrimination est, disons-nous, irréprochable. Il ne s'agit pas en effet d'ériger en crimes ou en délits des faits innocents. La loi proposée ne prohibe que ce qui ne peut être permis, et ne réprime que ce qui ne peut être souffert dans un Etat policé; et de plus, établissant dans les peines une juste proportion, elle punit les préparatifs de l'insurrection bien moins sévèrement que le complot.»>

Ainsi deux voies s'ouvrent en cette matière devant le législateur : il peut autoriser la poursuite de l'auteur de l'acte préparatoire, comme prévenu du crime que cet acte est présumé préparer; il peut autoriser cette poursuite à raison de l'acte en lui-même, isolé du crime et considéré comme dangereux pour la sûreté publique. Ces deux modes ne sont même pas incompatibles l'un avec l'autre : « Le même fait, dit M. Rossi, peut

être poursuivi d'abord comme acte préparatoire; et dans le cas où la résolution criminelle ne serait pas reconnue, il peut être puni comme délit sui generis, comme violation d'une loi de police. »

Tels sont l'esprit et le but de la loi du 24 mai 1834. Cette loi incrimine successivement, comme délit distincts du complot, la fabrication, le débit, la distribution et la détention des armes prohibées par la loi (art. 1er), des poudres (art. 2), des armes de guerre, des munitions et des cartouches (art. 3 ). Ces actes qui, s'ils étaient connexes à une accusation de complot, seraient punis comme préparatifs de l'attentat, ne sont plus considérés, détachés de cette accusation, que comme des infractions matérielles justiciables de la juridiction correctionnelle, et passibles d'une peine d'emprisonnement qui peut s'élever d'un mois à deux ans (art. 4). Il suit de là que chacun de ces faits peut être poursuivi suivant les circonstances, soit en vertu de l'art. 89 du Code, comme indice d'un complot, soit en vertu des art. 1, 2 et 3 de la loi du 24 mai, comme infraction matérielle aux prohibitions de cette loi. Les deux poursuites peuvent même, ainsi qu'on le remarque, s'épuiser successivement sur le même fait; car rien ne s'oppose à ce que ce fait, par exemple un dépôt d'armes et de munitions, poursuivi d'abord comme indicateur d'une résolution criminelle, ne soit, à défaut de preuve, puni ensuite comme infraction à la loi qui prohibe un tel dépôt. C'est ainsi que ces deux législations sont intimement liées l'une à l'autre, et que l'interprétation ne peut plus en séparer les dispositions. Nous reprendrons plus loin la loi du 24 mai 1834, en nous occupant de l'attentat.

Il nous reste à parler, dans ce paragraphe, d'un fait que nous sommes forcés d'y placer, puisque la loi l'a assimilé au complot, mais qui toutefois diffère entièrement de ce crime. Il s'agit de la résolution d'agir individuelle. « Votre commission, disait le rapporteur de la loi du 28 avril 1832, a assimilé au complot les actes préparatoires qui accompagnent une résolution d'agir individuelle, et vous propose d'appliquer également à ce crime la détention à temps. Il ne faut pas oublier que ce fait était qualifié d'attentat et puni de mort par le Code pénal. »

L'art. 90 est ainsi conçu [*]; «Lorsqu'un individu aura formé seul la résolution de commettre l'un des crimes prévus par l'art, 86, et qu'un acte, pour en préparer l'exécution, aura été commis ou commencé par lui seul et sans assis

[*] Voy. à l'appendice l'art. 90 du Code de 1810.

tance, la peine sera celle de la détention [1]. »

L'espèce que prévoit cet article, quoique toute différente du complot, a cependant quelques points d'identité avec ce crime. Dans le complot, la résolution d'agir, la simple volonté est punie, indépendamment de tout acte extérieur, parce que cette volonté, cette résolution présente des dangers pour la société, dès qu'elle émane une et définitive de plusieurs personnes réunies; le pacte d'association est en quelque sorte considéré comme l'acte extérieur qui matérialise le crime. Dans l'hypothèse de l'art. 90, il ne s'agit plus d'une association, d'un contrat auquel plusieurs individus ont adhéré, d'une volonté de venue plus menaçante par cette adhésion même; c'est un individu isolé qui, seul en silence, médite un projet d'attentat, qui ne se confie que dans ses propres forces pour le mettre à exécution. Sa pensée, tant qu'il ne l'a point manifestée; sa volonté, quelque coupable qu'elle soit, tant qu'elle demeure inerte dans son sein, est hors de l'atteinte de la loi. Ce n'est donc pas la simple résolution que pouvait punir l'article 90: quelque arrêtée qu'elle soit, lorsqu'elle est individuelle, elle n'est point punissable. Ce que cet article punit, c'est l'acte extérieur qui la révèle, c'est l'acte préparatoire de l'exécution de l'attentat. Cet acte, aux yeux de la loi, a les mêmes périls et la même valeur morale que l'association qui constitue le complot.

On doit néanmoins le reconnaître: cette incrimination, plus vague encore que celle du complot, autoriserait les accusations les plus arbitraires. En matière de complot, l'acte préparatoire n'est pas la base de l'accusation, il ne forme qu'une circonstance aggravante du crime: il faut d'abord établir le fait du complot; les préparatifs n'en sont que le corollaire et le mode d'exécution. Dans l'espèce, au contraire, l'acte préparatoire, et même le commencement de cet acte, forme lui seul tout le corps du délit; c'est la base de l'accusation; on en déduit même la résolution criminelle. Or, quelle base plus fragile qu'un acte préparatoire qui ne laisse que des traces fugitives, et qui ne manifeste que d'une manière incomplète et vague l'intention de son auteur?

Pour éviter ce danger, on doit fortement s'attacher au texte de l'article 90. Trois conditions sont exigées pour l'existence du crime: il faut

qu'il soit constaté que l'agent avait formé la résolution d'agir; que cette résolution avait pour but l'attentat contre la vie ou de la personne du roi ou des membres de la famille royale: enfin, qu'il y a eu un acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution. A défaut d'un seul de ces éléments, il n'y aurait plus de crime. Si donc il était constaté que l'acte commis ou commencé l'a été sans préméditation et dans un mouvement instantané, ou que cet acte avait pour but de préparer un crime autre que ceux que l'article 86 prévoit; ou enfin si l'acte n'avait pas en luimême le caractère d'un acte préparatoire, et par conséquent d'un fait matériel; si on le faisait résulter d'un écrit, de simples paroles, de cris proférés, il est évident qu'il n'y aurait pas lieu d'appliquer l'art. 90.

Au reste, il est nécessaire de remarquer que cet article cesserait encore d'être applicable, en premier lieu, si le prévenu avait agi avec une assistance quelconque, car alors il y aurait complot; en deuxième lieu, si l'acte prépararatoire constituait un véritable commencement d'exécution, car le fait prendrait alors le caractère d'une tentative et serait puni comme un attentat.

§ III.

Nous avons suivi jusqu'ici la résolution criminelle, depuis le jour où elle se révèle par la proposition de former le complot, jusqu'au moment où le complot étant arrêté, elle en prépare l'exécution par des actes extérieurs. A ces actes préparatoires succèdent les actes d'exécution: le crime revêt une plus haute gravité; sa menace est plus directe; sa volonté criminelle persiste avec plus d'énergie: le péril s'accroît: et la loi n'hésite plus à déployer l'appareil de la plus imposante de ses peines.

L'attentat est un crime générique et complexe qui comprend des crimes différents par leur nature, quoique identiques dans le but qu'ils se proposent. La législation a successivement appliqué cette dénomination à des actes matériels, à des écrits, à de simples discours. Il est nécessaire, pour en fixer le sens, d'examiner toutes les dispositions qui se rattachent à ce crime.

Les art. 86, 87 et 88 du Code pénal sont ainsi

[1] Le projet adopté par la Chambre des Députés avait ajouté à la mention de l'art. 86 celle des ar

CHAUVEAU. T. I.

ticles 87 et 91. Cette addition fut retranchée avec raison par la Chambre des Pairs.

18

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