Images de page
PDF
ePub

surtout qu'elle en détourne les peuples et qu'elle Tous les criminalistes répètent cette maxime devient, dans le vrai sens de ce mot, exemplaire. de la loi romaine : Pœna debet commensuMais ce ne sont pas là les seules propriétés rari delicto [1]; mais il faut avouer avec Benque les peines doivent posséder. Il faut encore tham [2] que renfermée dans des termes aussi qu'elles soient personnelles : le châtiment ne généraux, elle est plus édifiante qu'utile..Il faudoit frapper que l'auteur du crime. Trop sou- drait expliquer quelle est cette proportion de la vent il blesse indirectement la famille du cou- peine avec le delit, et d'après quelle règle à tel pable; l'amende la plus légère diminue son délit on doit appliquer telle mesure de la peine. revenu; l'emprisonnement peut être sa ruine. Le même publiciste pose en principe, que le mal Le devoir du législateur est de restreindre ces de la peine doit surpasser le profit du délit, et de effets indirects dans les limites les plus étroites, là, il déduit comme des corollaires : que si l'acte par le choix de ses peines: Divisibles, c'est fait supposer une habitude, la peine doit être à-dire susceptibles de plus ou de moins soit assez forte pour atteindre les actes même préen intensité, soit en durée. Les nuances de la sumés du délinquant; que plus un délit est nuiculpabilité sont infinies; il faut que la peine, sible, plus on peut hasarder une peine rigousouple et variée, puisse grandir et se propor- reuse pour la chance de le prévenir, etc. tionner avec elle. Les peines indivisibles ne peuvent correspondre aux différens degrés de l'échelle des délits; elles sont excessives ou inefficaces. Egales et certaines : la peine doit emporter la privation d'un bien; mais ce bien devrait avoir la même valeur à l'égard de tous. Cependant, l'inégalité et l'incertitude sont inhérentes à la plupart des applications pénales. Existe-t-il deux prévenus qui soient placés dans les mêmes circonstances, dont l'ame, empreinte de la même sensibilité, soit au même degré accessible à la honte, aux regrets, à la souffrance? La même peine les frappe inégalement; le mal qui effleure l'un pénètre l'autre au cœur. C'est à la loi à donner des degrés à ses peines, au juge à les graduer d'après la sensibilité qu'il rencontre dans l'agent. Enfin réparables: la justice humaine n'est point infaillible; les peines dont elle dispose ne devraient donc point être irréparables. Mais l'objection tirée de cette qualité des peines ne s'applique complètement qu'à la peine de mort.

[blocks in formation]

Mais d'après quelle base déterminer le profit d'un délit ? D'après quels rapports établir une peine supérieure à ce profit? Ce système qui tend à réduire à un calcul matériel la science de la législation, ne repose lui-même que sur des données plus ou moins vagues et insaisissables. N'est-il pas à craindre ensuite que pour combattre, comme l'eut dit Bentham, l'espérance du profit par la crainte de la perte, le législateur n'entre dans la voie dangereuse de l'exagération des peines? Les premières conséquences que le publiciste fait découler de son principe, ne sont-elles pas elles-mêmes la preuve de cette tendance irresistible?

Nous retrouvons dans les autres systèmes la mème difficulté d'application. La peine doit, suivant M. Rossi, se proportionner à la nature du devoir violé et à la moralité de l'agent; mais comment apprécier avec exactitude dans chaque prévenu ces deux élémens? « Le rapport de la peine avec le délit, répond ce publiciste, est une vérité d'intuition; elle ne se démontre pas. C'est la notion du bien et du mal, du juste et de l'injuste qui s'applique au fait de l'expiation; c'est dans la conscience seule que nous pouvons en trouver la juste application; c'est elle qui doit nous indiquer la limite de la peine morale, de cette peine que la justice sociale ne doit jamais dépasser » [3]. Cette limite, on ne peut le méconnaître, est bien vague et bien incertaine ; comment nous assurer que les jugemens de la conscience nous ont conduits à une appréciation vraie? La passion, les intérêts, les préjugés, ne peuvent-ils à notre insu en altérer le résultat ?

par pœna possit flagitiis inveniri et condignis
nefas cruciatibus expiare. »

[2] Théorie des peines, pag. 23 et 24.
[3] Traité de droit pénal.

Néanmoins, on peut admettre, dans l'absence d'un principe plus précis, que ces jugemens de Ja conscience se révèlent à l'égard de certains faits, empreints d'une naïveté, environnés d'une unanimité, qui les revêtent du caractère de la vérité même. Cette sorte de sanction populaire, quand elle a pour objet l'application d'une peine, doit servir de point d'appui au publiciste; c'est l'expression formulée de la conscience humaine; c'est l'axe sur lequel doit reposer tout le système pénal. C'est ensuite par analogie, c'est par induction de ce fait à d'autres faits qu'il pourra découvrir, sinon avec une complète exactitude, du moins par approximation, les limites de la puissance pénale à l'égard de chaque délit. La pénalité doit donc être mesurée sur la gravité intrinsèque du délit, mais elle doit l'être à la fois sur l'impulsion criminelle qui porte à le commettre; car, le nombre des délits révèle la force du péril social et de la résistance qu'il convient d'y opposer. Mais cette gradation ne doit jamais être établie de manière à ce que le châtiment paraisse à la conscience, disproportionné avec le fait punissable. C'est à ces règles, trop vagues peut être encore, que se réduisent toutes les théories sur la mesure des peines.

Nous allons faire l'application de ces principes généraux, à l'examen successif de chacune des pénalités du Code.

La première disposition que nous rencontrons dans ce Code, est la distinction des peines afflictives et infamantes, des peines simplement infamantes, et des peines correctionnelles. Cette distinction a été l'objet de graves reproches.

Elle fut contestée dès la discussion du Code pénal au Conseil d'état. On lit, en effet, dans les procès-verbaux de cette discussion [1], que l'un des conseillers (M. Regnaud) proposait de se boruer à énumérer les peines, «toute peine, ajoutait-il, étant infamante en matière criminelle.» Cette proposition fut repoussée par M. Régnier, qui soutenait qu'il n'y a de peines infamantes que celles auxquelles la loi donne ce caractère. M. Corvetto et M. Berlier répliquèrent que l'opinion peut n'être pas toujours d'accord avec la loi sur ce point et que la distiction était au moins inutile; mais elle fut néanmoins maintenue sur l'observation de M. Merlin, que la constitution n'attachait qu'aux seules peines infamantes la privation des droits politiques.

La révision du Code en 1832 ne l'a point effa

[1] Séance du 4 oct. 1808, procès-verbaux, Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

cée; on craignait de faire cette révision trop profonde, d'attaquer les bases mêmes du Code; mais aucune voix ne s'est élevée pour contredire M. Decazes, lorsqu'il a dit à la chambre des pairs [2] : « C'est ici qu'il y aurait lieu de traiter cette grave question de savoir si le Code a sagement fait d'établir la distinction des peines infamantes et des peines correctionnelles; si c'est une sage disposition du législateur que celle qui outrage les individus qu'elle frappe, qui les déclare infàmes alors que l'infamie n'est pas toujours attachée par l'opinion au crime dont ils se sont rendus coupables, surtout quand il s'agit de crimes politiques, que l'opinion ne frappe pas de la réprobation d'infamie. Il eut été plus rationel de faire disparaître cette distinction de peines infamantes et de peines non infamantes, distinction que la loi fait vainement, puisque l'opinion publique ne la sanctionne pas toujours; et qu'en politique les actions changent de nature, suivant les époques et les gouvernemens, et que telle action répu– tée crime sous tel régime attire des récompenses sous le gouvernement suivant. »

M. Rossi, dont nous aimons à rappeler les vues élevées, a dit également : « En songeant aux moyens de punition qu'on appelle peines infamantes, la première idée qui se présente à l'esprit, est de demander: Existe-t-il telle chose qu'une peine infamante? [3] En effet, la conscience publique comprend et juge l'immoralité des actions, et elle apprécie mieux que la justice pénale leur valeur relative, les nuances qui doivent leur faire encourir l'éloge ou le blame. Or, de deux choses l'une ou l'opinion publique, flexible à l'impulsion de la loi, déclarera avec elle infâme l'auteur de ces actes; ou, comme il est arrivé maintes fois, surtout en matière politique, le peuple entourera de ses hommages celui que le juge a noté d'infamie, et voilera sa flétrissure par des couronnes. Dans le premier cas, le législateur fait une chose immorale et dangereuse, en aggravant la mesure du blàme qui est due aux actes qu'il punit, en troublant par l'influence qu'il exerce les notions vraies et instinctives de la conscience publique. Dans la seconde hypothèse, il fait un acte inutile qui n'est propre qu'à décrier la loi elle-même, et à jeter le mêpris sur ses dispositions.

Si les peines, même simplement correctionnelles, sont méritées, ne sont-elles pas aux

[2] Code pénal progressif, p. 92. [3] Traité du droit pénal.

yeux du public et des juges des peines infamantes? A la vérité, il y a divers degrés dans l'infamie. Mais ces degrés ne sont susceptibles d'aucune appréciation rigoureuse; ils varient suivant les idées que chacun se fait de la moralité des personnes ou de la nature des devoirs sociaux, suivant des sentimens moraux qui ne se laissent point gouverner au gré de la loi positive. « Toutes les peines, a dit M. Charles Comte, quand elles ne privent pas de la vie, sont afflictives et correctionnelles, et toutes les actions qui méritent châtiment sont plus ou moins infamantes [1]. »

Remarquons, au reste, que cette distinction entre les peines a un effet bizarre, c'est de faire rejeter l'infamie sur la forme du jugement, sur l'application de la pénalité, et non sur l'action elle-même; c'est de la faire dépendre, non du fait intrinsèque du crime, mais du fait extérieur de la peine. Cependant la honte est dans le délit; elle ne peut être ailleurs. Le législateur ne peut s'en rendre dispensateur officiel.

Enfin, la peine infamante perpétuelle de sa nature, brise violemment tous les liens qui unissaient le condamné à la société; elle le sépare de cette société par une barrière insurmontable. Quel espoir peut nourrir encore ce lui qui a été exposé sur la place publique, au mépris et à la dérision de ses concitoyens? L'un des résultats les plus funestes, est de détruire dans le condamné toute espérance de réformation. « L'infamie, a dit Bentham, quand elle est portée à un haut dégré, loin de servir à la correction de l'individu, le force, pour ainsi dire, à persévérer dans la carrière du crime. C'est un effet presque naturel de la manière dont il est envisagé par la société. Sa réputation est perdue; il ne trouve plus de confiance ni de bienveillance; il n'a rien à espérer des hommes, et par conséquent rien à en eraindre son état ne saurait empirer. S'il ne

:

peut subsister que de son travail, et que la défiance et le mépris général lui ôtent cette ressource, il n'en a pas d'autres que de se faire mendiant ou voleur [2]. »

Les peines infamantes ne renferment point, du reste, les principales propriétés que les peines doivent, en général, posséder pour atteindre leur but. Elles sont immorales puisqu'elles élèvent un obstacle à peu près invincible à la reforme du condamné; indivisibles, puisqu'elles ne permettent pas de distribuer le blâme suivant le dégré et les nuances de la criminalité; inégales, puisque, légères pour les uns, pour les autres elles sont accablantes; irréparables enfin, puisqu'elles empreignent le condamné d'une indélébile flétrissure. A la vérité, elles sont exemplaires, mais le législateur doit-il acheter cet effet aux dépens de la morale et de l'humanité?

Nous poserons done, comme une première règle, qu'il ne doit point exister de peines infamantes proprement dites, qu'en général les peines afflictives doivent être correctionelles, en un mot, que la loi doit se borner à dresser l'échelle de ses peines, à en faire l'énumération, en laissant à l'opinion publique la mission de distribuer l'infamie sur les actions qu'elle punit. Cette règle est devenue élémentaire. Au premier degré de l'échelle pénale, nous trouvons la peine de mort.

Les longues discussions que l'emploi de cette peine a soulevées ne sont ignorées de personne. Il n'entre point dans le plan de cet ouvrage de reprendre une controverse à peu près épuisée, et de reproduire des argumentations tant de fois reproduites [3]. Une tâche nouvelle nous est imposée : c'est de constater l'état de cette haute question; c'est de la présenter telle que la science, l'opinion publique et la législation l'ont faite; en un mot, de dévoiler les circonstances actuelles dans lesquelles elle se produit. La question a souvent changé de face. Beccaria

[1] Considérations sur le pouvoir judiciaire, letier Saint-Fargeau sur le Code pénal de 1791; pag: 93.

[2] Théorie des peines, tom. 1, pag. 127. Et M. Livingston, Report on the plan of a penal code, pag 21.

[3] Voyez des délits et des peines par Beccaria, chap. 16; Commentaire du Traité des délits et des peines, par Voltaire; Principes des lois de Mably; les Lois pénales, tom. 1er, 2o partic, par M. de Pastoret ; Théorie des lois criminelles, par Brissot - Warville; Dissertation sur la peine de mort, par M. Nicolas Pinel; le Rapport de Lepel

Théorie des peines de Bentham; Théorie du Code de 1810, par M. Target; de la peine de mort en matière politique, par M. Guizot ; du Système pénal, par M. Charles Lucas; le Rapport au sénat de la Louisiane, par M. Edw. Livingston; le Traité du droit pénal de M. Rossi; M. Faucher, Temps de 1830; M. Urtis, de la Conservation de la peine de mort; les Discussions des chambres, Code pénal progressif, pag. 79, etc., etc.; de la Peine de mort par Ducpétiaux, Brux., 1827.

qui, le premier, la souleva, avait nié le droit de la société de mettre l'un de ses membres à mort, parce qu'à ses yeux la société avait un contrat pour principe; or, disait-il, quel est celui qui aurait voulu céder à autrui le droit de lui ôter la vie? Comment supposer que dans le sacrifice que chacun a fait de la plus petite portion de liberté qu'il ait pu aliéner, il ait compris le plus grand des biens [1]? Nous avons vu précédemment que cette hypothèse était chimérique; mais en l'admettant même, les déductions que Beccaria en tire n'étaient point irrésistibles. Nous ne nous arrêterons pas à la réponse de Rousseau qui a prétendu que les malfaiteurs devaient être mis à mort par le droit de la guerre, parce qu'ils s'étaient déclarés les ennemis de la société par leurs forfaits [2]. Cet écrivain a pris le soin de se réfuter lui même lorsqu'il a dit: « On n'a le droit de tuer l'ennemi que quand on ne peut le faire esclave [3]. » Mais Filangieri avait répondu, avec plus de sagacité, que tous les hommes ayant dans l'état de nature le droit de punir la violation des lois naturelles, et d'ôter par conséquent la vie au transgresseur, ce droit avait été transmis à la société elle-même et déposé entre les mains du pouvoir social [4].

La discussion s'est transportée sur un autre terrain. On a dit : la peine de mort est illégitime: l'homme a un droit personnel à l'existence, et ce droit cst inviolable.

Deux argumens principaux ont été opposés à cette théorie

La justice sociale est un devoir, et la peine en est un élément, un moyen nécessaire, et par conséquent légitime. La peine est une souffrance, la privation d'un bien. Tout bien peut offrir matière de pénalité. Le bien qu'enlève la peine capitale est la vie corporelle. Quels sont donc les motifs particuliers qui rendraient illégitime en soi ce moyen de punition? «En supposant, ajoute -M. Rossi [5], que la mort d'un homme coupable d'assassinat soit le seul moyen d'atteindre le but que le devoir impose à la justice sociale, comment affirmer que le bien de l'existence ne pourra être enlevé à l'assassin? »

En second lieu, si l'homme avait à l'existence un droit personnel qui fût inviolable, comment concili cr cette théorie absolue avec l'unanime assentiment des peuples, qui, dans tous les siècles, à toutes les époques, soit de civilisation, soit de barbarie, n'ont point hésité

[1] Traité des délits et des peines, ch. 16. [2] Contrat social liv. 2, ch. 5., [3] Ibid. liv. 1, ch. 4.

à admettre la peine de mort, n'ont point été troublés de son appareil et de son exécution? Ce fait inébranlable a résisté à toutes les tempêtes politiques, à toutes les transformations sociales. II suivi les peuples dans leurs migrations; tous les cultes l'ont reconnu sans le combattre; les progrès de l'intelligence, le développement moral de l'humanité ne l'ont point détruit. La peine de mort n'a jamais été abolie au sein d'un peuple d'une manière complète et permanente. Comment donc, en présence de l'histoire, accuser la société d'assassinats juridiques? Comment flétrir la peine comme illégitime, lorsqu'on ne fait entendre ni le cri de la conscience, ni le frémissement de la réprobation publique?

La doctrine de l'illégitimité a été à peu près abandonnée, mais ses partisans sont entrés dans une autre voie d'argumentation; ils ont soutenu que la peine de mort, fût-elle dans le droit de la société, devait être abolie, parce que, quelle que fut son efficacité, elle avait cessé d'être nécessaire. Suivons-les sur ce nouveau terrain.

>> Que demandons-nous, s'écrie M. Livingston? que vous abandonniez une expérience imperturbablement suivie depuis cinq ou six mille ans, modifiée de toutes les manière et sous toutes les formes qu'a pu inventer le génie de la cruauté dans tous les âges, et qui a toujours manqué son effet. Vous avez fait votre essai : il a été accompagné d'une dévastation incalculable de l'espèce humaine, d'une dégradation affligeante de l'entendement humain ; il a été trouvé souvent fatal à l'innocence, fréquemment favorable aux criminels, toujours impuissant pour réprimer le crime. Vous avez à votre gré et sans obstacle poursuivi l'œuvre de la destruction, toujours témoins de la progression des crimes et toujours supposant qu'une progression de sévérité était le seul moyen de les réprimer. Mais comment se faitil que n'apercevant, malgré tout, nul relâche dans la répétition, nulle diminution dans le nombre des crimes, il ne vous soit pas venu une seule fois dans l'esprit que la douceur pourrait réussir peut-être, où avait échoué la sévérité [6]. »

Sans vouloir affaiblir l'effet de ces éloquentes paroles, nous nous permettrons quelques explications. Sans doute on peut soutenir avec fon

[4] Liv. 3, pag. 11, ch. 5.

[5] Traité du droit pénal.

[6] Introductory report on a penal Code. p. 97.

dement, en s'étayant des témoignages de l'histoire, que là où les supplices les plus cruels ont existé, les crimes les plus atroces se sont manifestés. Car, ainsi que le remarque Bentham, les malfaiteurs s'endurcissent à la pensée du sort qui les menace, et leurs actes les plus effroyables de barbarie ne sont alors que des représailles. Mais peut-on attribuer à la seule peine de mort une progression dans les crimes, progression qui, du reste, pourrait être fort constestée. Cette assertion serait sans doute hasardée. En général, les délits n'ont point varié à raison des peines, mais à raison des mœurs et des temps. Nous ne savons si la suppression de la peine de mort les rendrait plus nombreux ou plus terribles, et nous attendons avec un vif intérêt le fruit des essais que M. Livingston va tenter à la Louisiane. Mais il nous est difficile d'admettre que l'application de cette peine soit comme une semence féconde de crimes, et que de l'échafaud même descendent les attentats qui l'ont fait dresser.

Nous ne pouvons non plus adopter cette opinion du même publiciste, que la peine de mort est méprisée des criminels. C'était aussi l'opinion de Lepelletier de Saint-Fargeau, lorsqu'il disait dans son rapport à l'assemblée constituante: « Les grands criminels ont toujours de commun avec les plus vertueux des hommes, les héros même, le mépris de la mort [11.» Les faits isolés que l'on cite à l'appui de cette assertion, nous touchent peu; cette peine est la plus redoutée et elle doit l'être; c'est une loi de la nature humaine. Toutefois, on doit remarquer que toute puissante, lorsque l'intérêt est le seul mobile du crime, son pouvoir s'affaiblit quand ce crime est le fruit des passions, et qu'il devient plus faible encore, quand ce sont des idées qui ont mis les armes à la main, comme en matière politique.

Elle a d'autres avantages: elle ôte le pouvoir de nuire; elle est analogue au délit dans le cas d'assassinat; enfin elle est exemplaire par son formidable appareil et l'impression qu'elle laisse dans les esprits. Mais à côté de ces avantages, on peut lui reprocher d'être inégale, indivisible et irréparable; elle est inégale: excessive pour les uns, pour d'autres elle est presque nulle; et c'est à mesure qu'elle sévit sur la classe la plus dépravée et la plus redoutable des malfaiteurs, que son action est souvent faible et

[1] Moniteur de 1791, no 152, pag..630. [2] Traité de droit pénal.

[3] Des lois pénales, tom. Ier, 2o partic.

CHAUVEAU. T. I.

incertaine. Elle est indivisible:maximum immuable, elle s'applique à des crimes variés et distincts les uns des autres; elle confond toutes les nuances, toutes les gradations du crime dans une même punition. Enfin, elle est irréparable. «Ici, dit M. Rossi, viennent échouer tous les raisonnemens de ceux qui osent encore l'appliquer à un grand nombre de crimes, aux crimes difficiles à constater [2]. » Et M. de Pastoret s'écrie; « Ai-je besoin de rappeler la faillibilité de l'homme, l'incertitude des preuves, les erreurs des jugemens? La justice peut retrouver le coupable fugitif, elle ne retrouve pas l'innocent égorgé [3]. »

N'est-il pas déjà permis de conclure, sans entrer dans de plus longs développemens que si la peine de mort peut entraîner, en cas d'erreur, de déplorables effets, que si cette peine est défectueuse, sous d'autres rapports, du moins, son efficacité répressive ne doit pas être mise en doute. Arrivons au dernier point de cette grave controverse; la question va prendre une face nouvelle; ce n'est plus la puissance ni la légitimité de la peine que l'on conteste, c'est sa nécessité.

On reconnaît que la société est soumise aux idées de chaque époque; les vérités sociales ne lui arrivent qu'une à une, et sa conscience est en sûreté tant qu'elle se conforme à l'idée universellement admise. Ainsi, tant que la nécessité de la peine de mort sera son dogme, elle pourra appliquer cette peine, sans blesser les lois de la morale. Mais cette nécessité peut se modifier avec les temps, avec les peuples; il est évident qu'elle n'est pas la même aux époques de barbarie et aux époques de civilisation, chez les nations éclairées et chez celles qui sont encore dans les ténèbres de l'igorance; enfin, dans les pays puissans et populeux, et dans ceux dont les frontières forment un cercle de quelques lieues.

Or, c'est une règle qui n'est plus contestée par personne, que la peine de mort est un moyen de justice extrême, dangereux, dont on ne peut faire usage qu'avec la plus grande reserve et senlement en cas de véritable nécessité [4]. C'était aussi l'opinion de Montesquieu, qui la considé rait comme le remède de la société malade, et la voulait réserver aux seuls attentats contre la vie [5]. L'abbé de Mably, l'un des plus zélés défenseurs de cette peine, disait également : «Il n'y

[4] M. Rossi, Droit pénal.

[5] Esprit des lois, liv. 12, ch. 4.

3.

« PrécédentContinuer »