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a que deux coupables qui méritent la mort l'as- compromise par la suppression de l'échafaud. sassin et celui qui trahit sa patrie [1]. »

Cela posé, on s'est demandé s'il est bien certain que, dans l'état actuel de la société, au degré de civilisation où elle est parvenue, la peine capitale soit indispensable à son existence, à sa sécurité : s'il est bien constaté que ce soit encore là, suivant l'expression de M. de Maistre, le pivot sur lequel elle se meut; s'il est prouvé que, dénuée de cette arme terrible, elle deviendrait la proie d'attentats plus violens, de crimes plus atroces: enfin, si les peines ne peuvent pas sans danger devenir moins sévères lorsque les mœurs s'adoucissent, et que l'aisance générale y rend les hommes plus sensibles.

Résumons ces diverses considérations. La peine de mort n'est point elle-même une peine illégitime; elle est dans le droit de la société, mais ce droit est soumis dans son exercice à deux conditions: son efficacité et son actuelle nécessité. L'efficacité de la peine de mort, à l'égard d'une certaine classe de crimes, ceux dont le motif est dans l'intérêt et quelquefois même dans la passion, est incontestable; mais alors même son application peut exciter de terribles regrets. Enfin, sa nécessité actuelle est vivement attaquée, et il faut avouer que des faits graves, des circonstances nouvelles prêtent à ces attaques une force grandissante. Le doute s'est emparé de beaucoup d'esprits ; mais le lé– gislateur, avant d'accorder la suppression définitive, doit attendre qu'elle puisse s'allier avec la sécurité de tous; qu'elle soit adoptée par les mœurs ; il ne peut pas devancer la société : il ne peut que la suivre.

Reprenons maintenant la législation.

Lors de la discussion du Code pénal de 1791, plusieurs orateurs réclamèrent avec chaleur l'abolition de la peine de mort: l'opinion contraire prévalut; cependant cette discussion dut laisser quelques traces, car, nous trouvons peu d'années après une loi ainsi conçue : « A dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans la république française [4]. »

Placée à ces termes, la question tombe dans le domaine du fait. Le publiciste doit en chercher la solution dans l'étude approfondie des faits moraux, dans l'analyse des intérêts, des passions ou des idées qui produisent les crimes capitaux; dans ces solennelles enquêtes chaque jour ouvertes devant les cours d'assises; dans ce sentiment intime du public, expression de la conscience de tous, qui juge les actions criminelles et leur assigne des peines analogues; enfin, dans les effets des châtimens eux-mêmes sur les condamnés. Les utiles travaux de la Statistique criminelle, d'une si heureuse création, et continués avec tant de talent au ministère de la justice, donneront, dans quelques années, un point d'appui nouveau, une base plus solide à cette discussion: les huit années de cette Statistique, publiées jusqu'ici, révèlent déja une tendance visible à restreindre l'emploi de la peine capitale, même à l'égard des crimes les plus horribles [2]; et, d'un autre côté, le nombre de ces crimes n'a point augmenté à raison de cet adoucissement des Les procès-verbaux des délibérations du conchâtimens [3]. Ces deux faits également graves, seil d'état qui préparèrent le Code penal, ne font l'un comme expression de la conscience publi- mention d'aucune discussion à ce sujet. M. Tarque, l'autre de l'état de la moralité, ne reposent get fut seulement chargé d'en établir le principoint encore sur une assez longue expérience; pe: «La peine de mort est-elle légitime? Estil faut que des années les reproduisent dans la elle nécessaire? Ces deux questions n'en font même proportion, pour que le publiciste soit c qu'une. Sans nécessité cette peine ne serait pas fondé à en inférer que la société peut se désar- légitime, et si elle est nécessaire, la légitimité mer sans péril; et que sa sûreté ne sera pas en est incontestable.... La peine de mort en at

[1] Principes des lois, liv. 3, ch. 4.

[2] Si l'on prend pour exemple l'assassinat, on trouve en 1825, 244 accusés, 81 condamnés à mort, 61 à d'autres peines; en 1826, 312 accusés, 88 à mort, 106 à d'autres peines; en 1828, 251 accusés, 56 à mort, 98 à d'autres peines; en 1829, accusés, 52 à mort, 90 à d'autres peines; en 1830, 230 accusés, 46 à mort, 92 à d'autres peines; en 1831, 242 accusés, 35 à mort, 83 à d'autres peines;

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La paix arriva, mais la promesse resta vaine : une loi nouvelle du 8 nivôse an 10 déclara que, « la peine de mort continuerait d'être appliquée dans les cas déterminés par les lois, jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné. »

en 1832, 331 accusés, 48 à mort, 152 à d'autres peines.

[3] En 1828,363 accusés condamnés pour assas sinat, infanticide, meurtre, empoisonnement; en 1829, 350; en 1830, 322; en 1831, 323; en 1832, 430. Ce dernier chiffre s'explique par les circonstances atténuantes dont l'admission a diminué le nombre des acquittemens.

[4] Loi du 4 brumaire an 4, art. 1.

tendant des temps plus heureux est encore né cessaire; et si elle l'est, loin de blesser l'humamanité, elle la sert, en conservant la vie à tous ceux que le scélérat aurait immolés encore, à plusieurs de ceux qui seraient tombés victimes de forfaits semblables [1].» Ce jurisconsulte avait cependant posé quelques limites à son application; mais elles furent reculées dans la discussion, et cette peine fut même prodiguée à des délits d'un ordre secondaire; le remède naquit de l'excès même du mal. La répugnance des jurés à envoyer à l'échafaud des accusés qui ne leur semblaient pas mériter une telle peine, fonda la doctrine de l'omnipotence, doctrine pernicieuse au fond, mais qui se produira avec une nouvelle force toutes les fois que les lois répressives cesseront d'être en harmonie avec l'opinion publique. La théorie des circonstances atténuantes n'a fait à peu près qu'enregistrer cette doctrine et lui donner un cours légal. Avant d'examiner ses résultats, n'omettons pas un fait important qui peut donner lieu à de sérieuses réflexions.

L'abolition de la peine de mort fut demandée quelques mois après la révolution de 1830, par un député. Cette proposition, à laquelle la prévention qui planait sur la tête des ministres de Charles X, donnait, à la vérité, un intérêt de circonstance, accueillie avec enthousiasme, fut adoptée, séance tenante, à l'unanimité. [*] Le roi, auquel elle fut immédiatement portée, la reçut avec la même faveur; néanmoins elle n'eut aucune suite. La réforme de 1832 ne s'en est souvenue que pour s'en écarter......

Le garde des sceaux s'exprimait en ces termes, en présentant cette dernière loi : « Toutes les fois que l'on s'occupe de législation pénale, la question de l'abolition de la peine de mort est la première et la plus haute qui s'offre à la pensée. Réclamée par des publicistes et des philosophes, sollicitée dans une occasion malheureusement trop mémorable par la chambre qui vous a précédés, mise en pratique dans quel ques pays, l'abolition de la peine de mort est un des vœux les plus ardens de beaucoup d'amis de l'humanité, qui sont divisés cependant sur les moyens de la satisfaire. Le projet de loi

[1] Observations préliminaires, Locré, t. 15, éd. Tarlier.

[*] Une proposition tendante à l'abolition de la peine de mort a été faite à la chambre des représentans par un de ses membres les plus distingués, M. H. de Brouckere, qu'on voit toujours empressé à seconder les idées de progrès et d'a

a été conçu dans la pensée qu'une abolition totale et immédiate n'est pas praticable. Il est des cas où les crimes sont à la fois si atroces et si dangereux, que de très grands obstacles s'élèveraient dans la plupart des esprit contre l'adoucissement de la peine qui les frappe. Conservée pour des cas qui demeureront très rares, maintenue dans la législation comme un épouvantail pour le crime, la peine de mort pourra peut-être disparaître plus tard, lorsque sa suppression sera devenue en harmonie avec les mœurs publiques. Le projet de loi a pour objet de rendre beaucoup plus rare le recours à cette dernière et lamentable ressource de la société contre le crime [2].

Le rapporteur de la commission de la chambre des députés est allé plus loin [3]. : « Votre commission n'a point soulevé la question de la légitimité de cette peine, question redoutable qui trouble la conscience et embarrasse la raison; mais que résout, contre les doutes de la philosophie et les scrupules de l'humanité, la pratique de tant de peuples et de tant de siècles! Votre commission s'est associée de tous ses vœux aux efforts philanthropiques qui poursuivent l'abolition de cette peine. Mais l'intérêt même de cette cause sacrée que le mauvais succès d'une tentative hasardée pourrait compromettre; l'intérêt de la société qu'on ne peut désarmer de sa protection la plus efficace, sans lui en avoir assuré une autre non moins énergique, quoique moins sanglante; l'état du pays et des opinions, sur lequel la magistrature rend un témoignage unanime, tout nous a déterminés à penser qu'une abolition graduelle était seule raisonnable et possible. Et nous avons cru marcher assez avant dans cette voie par l'admission des circonstances atténuantes........ »

Ces observations ne sembleraient-elles pas indiquer que déjà, dans l'esprit du législateur, l'abolition de la peine de mort est, sinon une pensée arrêtée, au moins un but lointain encore, mais vers lequel il marche ? Il la maintient dans des cas plus rares, mais comme un épouvantail, mais en émettant le vœu d'une prochaine abolition. Il conserve debout la menace et semble promettre ses efforts pour qu'elle

mélioration sociale. La chambre a pris le projet en considération, mais a cru, avant de se décider sur cette grave question, devoir prendre l'avis des cours et tribunaux.

[2] Code pénal progressif, pag. 79. Ibid. pag. 81.

ne soit pas suivie d'effets. C'est, enfin, dans l'intérêt même de cette cause sacrée qu'il redoute une tentative hasardée ; il n'attend pour l'exécuter qu'une seule chose, c'est que l'expérience ait éprouvé un autre système pénal. C'est cette pensée du législateur, pensée d'incertitude et de doute, qui a formulé la théorie des circonstances atténuantes.

Cette théorie a des effets très graves dans son application à la peine de mort. Le droit attribué au jury de déclarer, dans tous les cas, les circonstances atténuantes, et le résultat de cette déclaration qui est d'abaisser nécessairement la peine d'un degré, revêt en réalité ce jury d'un pouvoir immense celui de laisser subsister ou d'abolir à son gré la peine capitale. Ainsi, la loi abdique sa puissance; le législateur se dépouille du droit de résoudre cette haute question sociale. C'est au tribunal de douze jurés que cette grande cause de la politique et de la philosophie vient se plaider. Selon leur conviction du moment, ils vont effacer la peine ou la maintenir. Le législateur l'a inscrite dans la loi, et reste inerte devant l'application; c'est entre les mains des citoyens eux-mêmes qu'il dépose le glaive du bourreau.

Un tel système peut séduire au premier coup d'œil; une question s'élève, grave, terrible; elle préoccupe les esprits, le législateur s'abstient; il en abandonne la solution aux simples citoyens qui tour à tour sont appelés aux fonctions de jurés. Il leur dit : « Ecartez la peine de mort si vous la croyez illégitime ou inutile. Si vous la croyez indispensable et légitime, laissez appliquer la loi. » Ainsi, c'est une véritable enquête, une enquête solennelle sur l'état de l'opinion publique relativement à cette question. La Statistique en proclamera les résultats.

Mais cette transaction entre le fait et le droit, entre la théorie et l'application, est-elle sans inconvéniens? Le pouvoir exorbitant que le législateur abdique, tombera-t-il toujours entre des mains habiles? Les jurés sont-ils assez haut placés pour juger des questions sous

[1] D'après les re'evés de la statistique criminelle, il y a eu sur un nombre a peu près identique d'accusations capitales, en 1825, 134 condamnés à mort, 156 en 1826, 109 en 1827, 114 en 1828, 89 en 1829, 92 en 1830, 105 en 1831, 90 en 1832.En 1833, ce nombre n'a pas excédé 40. Les neuf premiers mois de 1834 donnent un résultat plus faible encore. Nous devons ajouter ici que le pouvoir lui-même intervient fréquemment pour commuer

lesquelles palpite tout l'avenir social? Ne se laisseront-ils jamais dominer par des préju– gés, ou des lumières fausses et incomplètes? Ne peut-on pas craindre que la peine de mort ne reste dans la loi comme une arme abandonnée qui ne retrouvera son tranchant que dans les temps de haines et de passions? N'est-ce pas enfin trop compter sur les hommes que de leur livrer des peines faibles ou terribles, humaines ou sanglantes, suivant le caprice de leur volonté ?

Les peines doivent être égales pour tous ; or, cette égalité ne subsiste plus lorsque le choix en est déféré au tribunal mobile de douze hommes pris au hasard dans la foule et qui y rentrent après leur jugement, sans laisser de traces après eux, sans être enchaînés par une responsabilité quelconque, sans lier leurs successeurs par leurs décisions. C'est méconnaître les limites de la mission naturelle du jury, que de donner à sa décision des effets si graves, que d'en faire dépendre une véritable question de législation; car, il ne s'agit pas d'opter entre deux peines de la même nature, plus ou moins rigoureuses, mais de choisir entre la détention et la mort, entre deux peines qu'un abîme sépare. Le même fait, commis avec les mêmes circonstances, sera puni, dans tel ressort, de la peine des travaux forcés seulement, dans tel autre, de la peine de mort.

Sans doute, ces conséquences qui accusent la théorie de la loi, ne doivent point avoir dans la pratique toute la gravité qu'on pourrait en attendre. Les jurés ont plus de tendance à em-preindre leurs décisions d'humanité que de rigueur, et s'ils doivent abuser de la puissante faculté qui leur est donnée, il est permis de croire que ce sera plutôt pour affaiblir les peines que les aggraver. Déjà plusieurs de leurs verpour dicts ont révélé une opinion assez générale pour l'abolition de la peine capitale; et cette doctrine s'est manifestée avec éclat lorsqu'il s'agissait même de sévir contre des crimes atroces [1]. On peut en trouver les motifs soit dans la douceur de nos mœurs, soit dans cette idée qu'une ci

la peine: aussi en 1825, sur 134 condamnations contradictoires, 111 exécutions ont en lieu; en 1826, sur 156 condamnations, 111 exécutions; en 1827, 76 sur 109; en 1828, 75 sur 114; en 1829, 60 sur 89; en 1830, 38 sur 92; en 1831, 25 sur 105; en 1832, 41 sur 90. En 1833, le nombre des exécutions n'a pas excédé 20; en 1834, il n'atteindra probablement pas ce chiffre.

vilisation plus grande, une aisance plus générale, rendent les hommes plus sensibles à des peines moins graves, soit enfin dans les idées libérales qui peu à peu ont conquis toutes les classes de la société.

La peine de mort, telle que la loi l'a faite, pourra donc, lorsqu'elle sera appliquée, être entachée d'inégalité, parce que la distribution de cette peine aux mêmes faits, n'a point de règle fixe.

Tels sont les termes dans lesquels se résume cette grande question. Nous avons dû nous borner à dessiner rapidement les traits principaux de cet immense débat : on voit qu'il se réduit à une question de fait, disons plus, à une question de temps et d'opportunité. L'opinion de Beccaria toujours combattue, tonjours vivante, a été comme un germe que les années ont développé érigée en loi à la Louisiane, déjà puissante dans d'autres états, un jour peutêtre elle dominera nos codes; et nos législateurs, au lieu de la combattre, se bornent à en ajourner l'application.

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Le législateur a supprimé la mutilation qui précédait, dans le code de 1810, la mort du parricide: il a proclamé que ce supplice était une inutile barbarie. Pourquoi donc a-t-il conservé cette étrange disposition qui prescrit de conduire le condamné pour parricide, sur le lieu de l'exécution, en chemise, nu-pieds et la tête couverte d'un voile noir ? Pourquoi le laisser exposé sur l'échafaud, en attendant la mort, pendant que l'huissier fait la lecture de l'arrêt de condamnation? Cette disposition, quoique modifiée, est encore une barbarie. « Le principe éternellement vrai de la gradation des peines, disait à ce sujet M. Berlier au conseil d'Etat [1], ne saurait s'étendre à différencier et à graduer le mode d'infliger la peine de mort; la justice qui établit des punitions, et la justice sociale qui veut des exemples, sont également satisfaites quand le coupable meurt [2]. » N'est-ce donc pas une aggravation de supplice que cette translation en chemise, ces pieds nus, ce voile noir sur la tête? Faut-il encore prolonger l'agonie de la victime pendant l'inutile lecture de l'arrêt de condamnation! On veut inspirer de l'horreur, on inspire de la pitié un tel spectacle outrage l'humanité et révolte les spectateurs.

[1] Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

[2] Ultimum supplicium esse mortem solum interpretamur, disait la loi romaine, texte qui semble avoir été paraphrasé par Montaigne quand

Nous passons aux peines perpétuelles. L'assemblée constituante avait proscrit les peines perpétuelles; elle les regardait comme plus terribles que la mort même qu'elle conservait dans la loi. La peine de 24 années de fers était la plus forte du Code pénal du 28 septembre 1791, après la peine de mort. Ce système de répression fut attaqué en 1810:

« L'assemblée constituante, disait M. Target, par un sentiment d'humanité digne de respect, sans doute, mais dont la sagesse n'a pas été prouvée par l'expérience, avait posé en règle que nulle peine ne serait perpétuelle. Tous les criminels qui n'étaient pas frappés de mort avaient en perpective un terme fixe qui, pour les ames profondément dépravées, annulle pr squ'entièrement l'effet de la peine. Il faut que les actions qui, dans l'ordre des crimes, suivent immédiatement ceux auxquels la mort est infligée, ne laissent point de délivrance à prévoir : sans cela les gradations ne seraient point observées, l'échelle des peines ne serait plus correspondante à celle des crimes, et la proportion serait rompue [3]. >>

Ces argumens ont été à peu près reproduits en 1832, par le rapporteur de la chambre des députés, lors de la discussion de la loi modificative du code pénal :

« La perpétuité des peines, a-t-il dit, retranche du monde un être incorrigible; elle épargne à ses semblables et à lui-même les nouveaux forfaits auxquels d'indestructibles habitudes l'avaient en quelque sorte prédestiné. Elle rassure la société en dissipant l'alarme que le crime avait causée, et en prévenant celle que le retour du criminel ferait naître. Les peines perpétuelles ont aussi un puissant effet d'intimidation: elles sont une imitation de l'éternité des supplices, et l'idée de l'éternité des supplices saisit fortement les imaginations. Elles seront la transition entre la peine de mort et les peines temporaires. Retranchez-les, et l'échelle pénale présentera un intervalle immense, sans correspondance avec l'échelle des crimes. Combien de crimes, en effet, pour lesquels la peine de mort est trop sévère et les peines temporaires trop indulgentes! Moins inquiétantes pour le jury qu'une peine irréparable, plus effrayantes pour les coupables qu'une peine dont ils espèrent voir la fin, les peines perpétuelles ont une

il dit : En la justice même, tout ce qui est au-delà de la mort me semble cruauté.

[3] Observations de M. Target, Locré, t. 15, éd. Tarlier.

efficacité préventive qui leur est propre, et qui dont les efforts s'éprouvent en ce moment, exerdoit être conservée [1]. »

Notre opinion est également que le principe de la perpétuité des peines doit être maintenu, mais en le modifiant toutefois dans son application, de manière à ce qu'il ne détruise pas entièrement l'un des effets les plus tutélaires de la peine, l'amendement du coupable.

On a surtout reproché aux peines perpétuelles d'achever la démoralisation du condamné. C'est l'espoir, a-t-on dit, de reprendre une place honorable dans la société qui le soutient dans les efforts qu'il fait pour changer ses habitudes et corriger ses penchans. Eprouvera-t-il le besoin d'une réconciliation avec lui-même, si la loi le déclare irréconciliable avec la société ? N'est-ce pas détruire le repentir dans son germe et la réhabilitation morale dans son plus puissant mobile?

A cette objection, plusieurs réponses. Nous avons vu que l'application de la peine de mort tendait par une pente marquée à devenir plus rare le pouvoir social rétrécit lui-même les limites dans lesquelles cette peine est resserrée, et dans les cas où elle est encore prononcée, il hésite devant une exécution capitale, et intervient souvent avec la grâce [2]. Dans une telle situation, la perpétuité des peines est une né cessité! C'est l'atténuation de la peine de mort; c'est la peine qui seule peut en justifier et en favoriser l'abolition. «< Car on serait placé, a dit un criminaliste que nous aurons occasion de citer plus d'une fois, entre deux maux inévitables, celui de ne pas opposer aux crimes un frein assez puissant en leur appliquant des peines inférieures à leurs dangers et à leurs maux, ou celui d'excéder l'intensité dont ils ont besoin, par une application criminelle et plus fréquente de la peine de mort [3]. »

Ensuite, le but principal de toute peine est de prévenir les crimes, et la perpétuité des peines qui, ainsi que l'a remarqué M. Dumon, saisit fortement l'imagination, a éminemment ce caractère. Il est des crimes qui jettent une telle épouvante dans la société, que la crainte d'un châtiment sans fin peut seule l'en préserver, et cette éternité du châtiment semble seule aussi répondre au besoin d'expiation que res sent la conscience sociale. Et puis, il ne faut pas perdre de vue que le système pénitentiaire

[1] Code pénal progressif, pag. 87.

[2] V. suprà, pag. 36.

cera bien difficilement son action bienfaisante sur ces homme que l'habitude du crime a endurcis et qui ont brisé les derniers liens qui les attachaient à la société. Contre ces hommes incorrigibles, quels seraient les moyens de défense de la société, si elle devait nécessairement et sans examen faire tomber les portes de leurs prisons après un certain laps de temps? La perpétuité doit donc être réservée pour les crimes qui arrachent à la société un cri d'effroi, lorsque l'exécution capitale ne leur est pas infligée, et pour les condamnés en récidive, contre lesquels les premiers peines sont reconnues impuissantes.

Au reste, nous retrouvons ce principe dans les lois de toutes les nations. Il sert de base aux codes criminels de l'Autriche et du Brésil, deux codes qui se distinguent par la douceur de leurs peines et leurs dispositions pleines d'humanité. La législation anglaise ne l'a jamais répudié. M. Scipion Bexon l'admet dans son code de la sûreté publique. Beccaria disait : « L'esclavage perpétuel substitué à la peine de mort, a toute la rigueur qu'il faut pour éloigner du crime l'esprit le plus déterminé [4]. » Enfin, M. Livingston, lui-même, n'hésite pas à le faire entrer dans son code pénal de la Louisiane [5].

Cependant, et c'est l'objection qui sert à la repousser, cette perpétuité de la peine est un obstacle presque insurmontable à la correction du coupable. Il faut donc à ce mal très grave tacher d'apporter quelques remèdes. Le premier serait de n'appliquer les peines perpétuelles qu'avec la plus grande réserve et seulement aux criminels dont on ne peut espérer une véritable régénération. Mais, ensuite, ne pourrait-on déposer entre les mains du captif lui-même, le moyen d'adoucir la rigueur de la peine, l'espoir de pouvoir la convertir lui-même en une peine temporaire par sa conduite, son activité laborieuse, sa réformation?

La commission du corps législatif appelée à délibérer sur le projet du Code pénal, avait eu cette pensée: elle demandait qu'il fût ajouté une disposition qui autorisât le gouvernement à remettre le reste de la peine aux condamnés à perpétuité qui se seraient conduits d'une manière satisfaisante. « Le but de cette disposition est moral, disait la commission, et ne détruit

[4] Des délits et des peines, pag. 114.

[5] Le paragraphe 8 de l'art. 85 qui énumère

[3] Scipion Bexon, Code de la sûreté publique, les peines, porte: Imprisonment at hard labour in-fol, introduction Ivij.

for life.

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