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point le principe de la perpétuité. Celle-ci établie dans le projet de code, ouvre au condamné une carrière à l'extremité de laquelle il ne voit que la cessation de son existence; dans cet état et sans espoir, il n'a point d'intérêt à se bien conduire et à devenir meilleur; il peut se livrer à des excès ou à des crimes envers ses gardiens, ses compagnons et même des citoyens; on ne le contiendra que par une inflexible sévérité qui peut même être souvent en défaut à son égard. Si, au contraire, une lueur d'espérance se faisait entrevoir pour lui, elle offrirait une espèce de garantie de sa conduite, en l'engageant à chercher à se rendre digne d'un adoucissement [1]. »

Le Conseil d'état n'admit pas cette proposition, attendu que le recours à la clémence du prince est ouvert dans tous les temps aux condamnés. Le législateur de 1832 a suivi les mêmes erremens : << Dans les cas si rares, a dit M. Dumon, où l'amendement peut avoir lieu, l'espérance de la grace, toujours possible, toujours prochaine, luira aux yeux du condamné comme bien plus secourable qu'une liberté trop éloignée [2]. » M. de Bastard a répété dans son rapport à la chambre des pairs : « La perpétuité des peines peut se changer, par l'amendement du coupable, en un châtiment temporaire.... C'est là où le droit de grâce est libre de s'exercer dans toute son étendue [3]. »

Mais ici la difficulté se complique: Doit-on laisser au droit de grâce une telle puissance? Quelques publicistes ont contesté à ce droit l'utilité de son intervention [4]. M. Livingston en restreint seulement les limites : « Le pouvoir de pardonner ne doit être exercé que dans les cas d'innocence découverte après la condamnation, ou de réforme sincère et complète [5]. » Mais dans ce dernier cas, quelles garanties contre une décision intempestive ou arbitraire? quels moyens de constater la régénération du condamné, de rassurer la société sur l'abolition de la peine qu'elle avait prononcée dans l'intérêt de sa sûreté? M. Charles Lucas a proposé d'instituer un pouvoir disciplinaire, une cour d'é

[1] Procès-verbaux du conseil d'état, Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

[2] Code pénal progressif, pag. 86. [3] Code pénal progressif, pag. 87. [4] Beccaria, des délits et des peines; Bentham, Théorie des peines ; M, Bavoux, Leçons sur le Code pénal; M. Bourgnon de Laire, Essai sur le Code pénal, pag. 27.

quité [6], pour apprécier la conversion des détenus, leur retour à l'honnêteté, pour juger des épreuves auxquelles leur conduite serait soumise [*]. L'examen de cette question nous ferait sortir des limites de notre plan. Il nous a suffi d'indiquer une borne légitime à la peine perpétuelle, l'amendement sincère du condamné. Toutefois, il est important d'ajouter que cette réforme même, fût-elle bien constatée, ne serait pas toujours une raison de mettre immédiatement le condamné en liberté; il est nécessaire qu'il ait subi une partie notable de sa peine. Car ce n'est pas assez qu'il se repente, il faut que son crime soit réparé ; la peine est un moyen d'exemple et d'instruction, en même temps qu'un moyen de réforme. Il faut que le pouvoir, avant de la briser, non seulement ait acquis la certitude de la réforme du coupable, mais soit encore convaincu que la société a obtenu une réparation suffisante.

Le code pénal compte deux sortes de peines perpétuelles : les travaux forcés à perpétuité et la déportation. Mais la loi a commué ces deux peines dans leur exécution: la première, en une réclusion perpétuelle, à l'égard des femmes seulement; la seconde, en une détention également perpétuelle, à l'égard de tous les condamnés.

La peine des travaux forcés se trouve définie par l'art. 15 du Code pénal, ainsi conçu : « Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles; ils traîneront à leurs pieds un boulet, ou seront attachés deux à deux avec une chaîne, lorsque la nature du travail auquel ils seront employés le permettra. » Cette peine a été l'objet des critiques les plus vives : « Il n'y a qu'une voix en France, a dit M. Charles Lucas, sur le système désastreux des bagnes, dans les conseils généraux des départemens, dans les chambres, dans le gouvernement, enfin dans la nation tout entière [7]. » Nous n'avons pas sur ce point une opinion aussi absolue : la peine des travaux forcés a des vices très graves, mais elle possède aussi quelques avantages qu'on ne doit pas contester.

[5] Ce système of penal Law; introductory title, pag. 359.

[6] Du système pénal, pag. 305.

[*] Voyez un arrêté belge du 13 juillet 1831, relatif à l'exercice du droit de grâce, à l'égard des détenus dans les grandes prisons; l'art. 1er porte la bonne conduite des prisonniers pourra donner lieu à réduire la durée de leur détention. [7] 1827. Du système pénal, pag. 329,

La statistique criminelle a dissipé quelques préjugés que les esprits les plus éclairés avaient admis trop aveuglément. A peine pensait-on qu'il put sortir des bagnes quelques condamnés qui ne fussent avides de se jeter de nouveau dans la voie du crime; les forçats libérés étaient considérés en masse et sans distinction comme des brigands; la société les rejetait de son sein avec terreur. Ces alarmes étaient exagérées. Il est aujourd'hui établi par des relevés authentiques que le plus grand nombre des condamnés qui tombent en récidive n'appartient pas aux libérés des bagnes: il résulte, en effet, des comptes de la justice criminelle qu'en 1828, sur 100 libérés, 27 seulement sont tombés en récidive; en 1829, 25; en 1830, 30; en 1831, 31; enfin, en 1832, 38. La proportion des récidives, parmi les condamnés à la réclusion qui sortent des maisons centrales, est un peu plus élevée; elle est de 31 sur 100 en 1828; 28 en 1829; 30 en 1830; 32 en 1831, et 39 en 1832. On doit remarquer encore que la plupart des crimes commis par les libérés des bagnes sont d'une nature moins grave que leurs premiers crimes, et surtout sont moins graves que ceux qui sont commis par les libérés des maisons centrales ces crimes s'adressent plutôt aux propriétés qu'aux personnes. Peutêtre doit-on attribuer ces résultats moins au régime des bagnes qu'au caractère des infractions qui généralement y sont punies: ces infractions supposent souvent plus de fougue et d'audace que de véritable corruption.

des communications qu'ils établissent entre eux.

Mais cette peine est essentiellement exemplaire: c'est là son plus grand avantage. Elle intimide, elle inspire l'effroi ; l'opinion publique y trouve une expiation suffisante des plus grands crimes. « Elle offre sans cesse, ajoute M. Scipion Bexon, l'exemple des maux attachés au crime par le spectacle répété des chaînes, des fatigues et des signes honteux de la servitude des coupables [3]. » Peut-être est-ce la seule peine qui pût rassurer la société, si la peine de mort devait un jour être supprimée.

Il serait, d'ailleurs, possible de corriger ses inconvéniens les plus graves. Déjà l'ordonnance du 20 août 1828, en séparant les condamnés d'après la durée de leurs peines, a été un pas immense dans cette voie progressive. De nouvelles classifications, basées sur la nature des infractions, quelques améliorations introduites dans l'ordre de discipline intérieure et la peine, pourraient dépouiller les bagnes de son effet démoralisateur. Mais en la conservant, il faudrait en limiter l'emploi; le code pénal l'a prodiguée aux attentats les plus divers, aux crimes contre les personnes et contre les propriétés, à des infractions qui ne révèlent qu'une immoralité fort douteuse : c'est la base de ses pénalités; il y confond tous les faits sans avoir assez d'égard à leur plus ou moins de gravité, quelles que soient les circonstances caractéristiques qui peuvent modifier leur nature. Ainsi employée, cette peine, au lieu d'être exemplaire, est devenue barbare; en la voyant appliquer à un gardien qui a laissé échapper un prisonnier, aux bigames, etc., l'opinion publique s'est émue de pitié et a accusé la loi. Le législateur doit la réserver pour les crimes qui demandent une solennelle expiation. Devenue plus rare, elle acquerra une puissance de prévention plus grande, et les criminels dont les attentats ont troublé à un moindre degré l'ordre social, seront soumis à l'action plus efficace d'un système pénitentiaire mieux ap

Cela posé, la peine des travaux forcés doit être examinée en elle-même et abstraction faite des effets quelque peu fantastiques qu'on lui avait prêtés. Elle a deux vices principaux : elle est inégale; car comment en appliquant les condamnés aux travaux les plus pénibles mesurer la force des individus? Comment distinguer la faiblesse simulée ? « Si le poids de la chaîne, dit M. Livingston, est déterminé par la loi, le faible succombera sous le fardeau que le fort portera sans peine. Si ce point est laissé à la discré-pliqué. tion du geôlier, c'est une source intarissable d'extorsions et de tyrannies subalternes [1].» Elle n'est pas réformatrice : « Dans les travaux publics, a observé Bentham, l'infamie de la publicité tend plus à dépraver les individus que l'habitude du travail ne tend à les réformer [2]. » On doit ajouter que si les travaux en plein air favorisent l'état physique des condamnés, ils ont pour effet de les corrompre par la facilité

[1] Report on the plan of a penal Code, p. 58. [2] Théorie des peines, pag. 190.

La déportation est la seconde peine perpétuelle.

Cette peine a préoccupé vivement les esprits. Ses partisans vantent son efficacité préventive, qui met la population métropolitaine à l'abri des entreprises et de la contagion morale des condamnés. Ils lui attribuent aussi la vertu de faciliter l'amendement des coupables, en leur ouvrant une carrière nouvelle sous un autre ciel,

[3] Code de la sûreté publique, introduct.

et de changer à la fois, leur pays, leurs habitu des et leur cœur.

Ses adversaires lui reprochent d'être peu efficace et peu exemplaire. La question a été examinée sous toutes ses faces [1] : il nous serait facile d'en résumer les principaux argumens, si cette discussion ne nous semblait pas parfaitement oiseuse. La déportation ne pourrait présenter quelques avantages, qu'autant qu'elle serait appliquée aux individus que la misère ou la perversité a portés au crime; à cette population qui remplit les bagnes, et surtout aux condamnés à temps. Mais alors, c'est un autre système pénal qu'il faut substituer tout entier au système actuel. Dans notre Code, la déportation n'est point une peine générale qui embrasse tous les délits d'une certaine gravité ; c'est une peine spéciale, réservée à un petit nombre de délits d'une même nature: aux délits politiques.

<< Les crimes d'État qui ne sortent pas d'une ame atroce, disait M. Target [2], mais de fausses idées politiques, de l'esprit de parti, d'une ambition mal entendue, seront efficacement réprimés par un châtiment sévère et sans terme, qui ravit au condamné pour jamais, honneurs, fortune, jouissances, relations, existence civile et patrie. » Ainsi, les rédacteurs du Code pénal n'avaient point eu l'idée d'introduire dans nos lois la transportation anglaise, qui correspond à la réclusion et aux travaux forcés de ce Code; c'était une relégation, non dans une colonie pénale, mais dans une colonie ordinaire, qu'ils avaient voulu établir, et cette peine ne s'appliquait qu'à des crimes qui ne supposent point cette perversité profonde et incorrigible qui alarme la société.

La déportation n'a jamais été exécutée, faute d'un lieu où elle pût être convenablement subie: [*] on la commuait arbritrairement dans la pratique en une détention dans un lieu spécial. C'est pour faire cesser cette irrégularité que le gouvernement proposait, en 1832, de substituer la peine qui s'exécutait réellement à celle qui n'avait qu'une existence nominale. On a droit de s'étonner de l'instance que mirent quelques

[1] Voyages aux Terres australes, par Péron; Observations sur la déportation, par M. de BarbéMarbois; Théorie des peines, par Bentham ; Histoire des colonies pénales, par M. de Blosseville; Appendice au système pénitentiaire, par MM. de Beaumont et de Tocqueville; du Système pénal, par Charles Lucas, et Discussion de la loi du 28 avril 1832; Code pénal progressif, pag. 96 et suiv.

députés à conserver dans le Code ce mot de déportation [3]; car pourquoi tromper le condamné par l'illusion d'une peine qu'il ne doit point subir? et qu'importait à la question générale de la déportation, l'application exceptionnelle de cette peine à quelques délits spéciaux? La seule question que l'on dút discuter était de savoir, si la déportation était appropriée aux crimes politiques qu'elle réprimait, et cette question n'a pas même été effleurée dans la discussion.

Si l'on considère cette peine comme un simple exil dans un lieu spécial, cet exil ne serait point une peine suffisante pour les délits politiques, puisqu'elle ne mettrait point la société à l'abri de la fuite des coupables et de leur retour dans son sein; si, au contraire, on la considère comme une peine réprimante, efficace et propre à préparer la réforme des criminels les plus endurcis, si on l'accompagne d'une surveillance et d'un régime sévères, elle ne convient point encore à ces délits. Nous ne partageons donc pas l'opinion de M. Charles Lucas, qui propose de déporter à Cayenne ceux qui auraient porté atteinte à la liberté de la presse et à la liberté des cultes [4]. Restreinte dans des limites aussi étroites, l'utilité de cette mesure est plus que contestable. Sous des apparences humaines, elle cache une grande sévérité : l'exil et la déportation doivent être réservés à de grands crimes, car rien n'est plus sensible au cœur de l'homme, que l'éloignement de la famille et de la patrie. Nous concevons la déportation appliquée aux crimes les plus graves, aux hommes les plus dépravés, parce qu'elle délivre la société de la présence de ces coupables incorrigibles; mais cette peine nous parait bizarrement choisie quand elle ne s'applique qu'à quelques infractions spéciales, qui ne révèlent aucune immoralité intrinsèque.

Nous avons déjà vu que le gouvernement avait proposé de supprimer la déportation.

La Chambre des députés a paru craindre que cette abolition pure et simple ne préjugeât, contre la création future d'une colonie pénale

[2] Observations sur le projet du Code, Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

[*] Elle est supprimée dans le projet de Code pénal belge comme devenant impraticable dans un pays sans colonies.

[3] Voyez les Discours de MM. Delpon, ChalretDurieu, Odillon Barrot et Mérilhou; Code pénal progressif, pag. 101. [4] Du système pénal.

française, le grand problême social qui laisse à examiner cette sorte d'établissement. Elle a voulu conserver une question qui n'était nullement en jeu; elle a maintenu cette peine dans la loi, mais sans en étendre ses étroites limites, et en lui substituant dans l'exécution celle de la détention.

Le dernier paragraphe de l'art. 17 du Code pénal est, en effet, ainsi conçu : « Tant qu'il n'aura » pas été établi un lieu de déportation..... le >> condamné subira à perpétuité la peine de la » détention. » Cette substitution d'une détention perpétuelle à la déportation a soulevé d'énergiques réclamations, qui se fondaient toutefois uniquement sur ce que la première de ces peines semblait plus dure que l'autre [1]. A cette objection de fait qui ne pouvait trouver de raison décisive de solution, le rapporteur de la commission répondait : « Le but principal que le législateur doit se proposer, c'est la sécurité de la société. La détention perpétuelle assure cette sécurité. Sans doute, la perpétuité de la peine n'est pas toujours nécessaire. Les circonstances qui changent, les occasions qui fuient, les passions qui s'affaiblissent, les partis qui se dissolvent, l'ordre politique qui s'affermit, tout concourt à diminuer l'importance d'un condamné et le danger de sa liberté. Mais si tel est l'effet probable du temps, cet effet n'est pas nécessaire; il peut ne pas se réaliser. Les annales d'un pays voisin ne nous offrent elles pas l'exemple de conspirations héréditaires qui ont occupé et agité des siècles entiers?.... D'ailleurs, ce n'est pas seulement par la répression immédiate du crime, par l'impuissance temporaire ou perpétuelle à laquelle elles réduisent le coupable, que les peines agissent et protégent la société; elles la protégent surtout par le salutaire effroi qu'elles inspirent. La crainte d'une détention perpétuelle peut refroidir ou décourager des imaginations ardentes, qu'une détention temporaire n'effraierait pas. » On ajoutait encore un motif puisé dans l'esprit du Code pénal. Dans le système de ce Code, les peines se divisent en temporaires ou perpétuelles : en matière politique, il y a le bannissement à temps et la déportation à perpétuité; en matière ordinaire, il y a pour les hommes les travaux forcés temporaires et perpétuels, pour les femmes, la réclusion à temps et la réclusion à perpétuité. C'était donc

[1] Voyez les Discours de MM. Roger, de Vatimesnil, Salverte et de Laborde. Code pénal progressif, pag. 103 à 109. 1

une simple déduction de ce principe que l'institution de la nouvelle peine de la détention à temps et à toujours. Une dernière considération vient encore à l'appui de cette opinion. C'est surtout à l'égard des crimes politiques que plusieurs publicistes éloquens ont sollicité l'abolition de la peine de mort [2]. Or, la seule voie de l'obtenir serait de présenter une peine qui assurât la sécurité entière de la société. Une peine temporaire n'aurait pas cet effet; car le parti politique qui la prononcerait ne serait pas satisfait de l'impuissance momentanée du conspirateur qu'il redouterait. Nous reviendrons tout à l'heure à l'examen de la peine de la détention, considérée en ellemême et non plus comme l'exécution de la déportation.

Les peines temporaires que le Code pénal a qualifiées afflictives et infamantes, sont au nombre de trois : Les travaux forcés à temps, la détention et la réclusion. Nous nous sommes expliqués sur la première de ces peines quand elle est perpétuelle; nos réflexions s'appliquent parfaitement au cas où elle est prononcée entre le minimum de cinq et le maximum de vingt ans. Il nous reste donc à parler de la détention et de la réclusion.

Quoique la réclusion soit placée la dernière dans l'ordre des peines, à raison de ce que son maximum est limité à dix ans, elle est plus sévère que la détention temporaire, soit par le mode de son exécution, soit par les peines accessoires dont elle peut être accompagnée. La réclusion est à nos yeux, la base principale d'un bon système pénal; c'est la peine des sociétés civilisées. Il importe peu que le législateur l'appelle réclusion, détention ou emprisonnement. Sa première qualité est d'être éminemment correctionnelle, parce qu'elle peut être combinée avec le travail, parce qu'on peut lui imprimer une tendance morale. Le système pénitentiaire n'est qu'un mode d'application de cette peine.

La réclusion ou emprisonnement (car ces deux peines sont absolument identiques), consiste à enfermer le coupable dans une maison de détention et à l'employer à l'un des travaux établis dans cette maison (art. 21 et 40, Code pénal). Les avantages de cette peine sont faciles à apprécier. Elle est divisible, car on peut en modifier à volonté l'intensité et la

[2] De la Peine de mort en matière politique par M. Guizot.

durée. Elle est appréciable, car tous les hommes sont sensibles à la perte de leur liberté. Peut-être est-elle défectueuse sous le rapport de l'égalité, car l'emprisonnement n'impose pas à tous les hommes la même perte de fortune et de jouissances : mais en confiant aux tribunaux une certaine mesure de pouvoir discrétionnaire, ces inégalités peuvent être prévenues. Elle est instructive et exemplaire. Elle enlève au condamné tous les moyens de nuire; enfin, elle est la seule peine qui se prête à des essais d'amendement moral [*].

Est-il nécessaire d'ajouter que ce dernier résultat serait vainement recherché dans l'application actuelle de cette peine? Les récidives dans lesquelles tombent annuellement plus du tiers des condamnés qui sortent des maisons centrales, n'accusent que trop hautement le mode de cette application; mais nous n'avons point à signaler ici les vices de nos prisons; des hommes éclairés et courageux en préparent la réforme; nos vœux les suivent dans leurs travaux. Le seul fait qu'il importe de rappeler, c'est que la peine de la réclusion ou de l'emprisonnement, flexible dans son exécution, offrant des degrés pour la variété des crimes, peut seule permettre l'application d'un système pénitentiaire. C'est donc le lieu d'examiner, en peu de mots, le but et les espérances de ce système.

Les prisons pénitentiaires sont encore nouvelles en Europe; il n'y a même que trente ans environ qu'elles ont été créées aux EtatsUnis. La diversité des procédés qui y ont été appliqués successivement, quelques essais infructueux ont suscité des adversaires à ces établissemens. Les uns ont pensé que la régénération des condamnés n'était qu'un rêve brillant d'une crédule philanthropie; d'autres, prompts à se bercer d'illusions, après avoir exagéré les effets de ce système, l'ont dédaigné dès qu'ils ont vu qu'il ne pouvait réaliser leurs folles espérances. On a craint enfin que la douceur du régime pénitentiaire n'exerçât pas une répression suffisante, et que les condamnés ne vins sent à trouver trop d'agrément dans les pri

sons.

La question avait été mal comprise. Le but du système pénitentiaire n'a jamais été et ne

[*] L'on peut voir dans le recueil des arrêtés, réglemens et instructions pour les prisons de la Belgique, Bruxelles, 1832, les efforts faits par le gouvernement pour atteindre ce but. Ce recueil est du

peut être de régénérer radicalement les condamnés, de les revêtir d'une pureté primitive, d'en faire d'honnêtes gens dans l'entière acception de ce mot. Quelques-uns peuvent sans doute arriver à ce dégré; on doit même en conserver l'espoir; mais il serait chimérique de l'attendre du plus grand nombre, et il suffirait, pour détruire cette idée, de jeter un regard sur les élémens dont se compose la population des prisons.

Toutefois, il ne faut pas méconnaître les bienfaits réels de cette institution, parce qu'on lui dénie des effets presqu'impossibles. Son but est d'empêcher les récidives, et ce but, s'il était complètement atteint, serait encore pour la société un immense avantage. Indépendamment des principes de moralité qu'on doit s'efforcer d'inculquer au condamné, la mission principale du régime pénitentiaire est de lui imprimer des habitudes d'ordre et de travail, de l'éclairer sur ses véritables intérêts, de lui faire comprendre et suivre les règles de cette honnêteté relative, qui consiste à s'abstenir de ce que la loi défend de faire. Réduit à ces simples proportions, le problème cesse d'être insoluble, les moyens d'exécution, devenus presque matériels, sont plus faciles à mettre en œuvre, et l'œil en suit, pour ainsi dire, les effets pendant la durée de la détention. La régénération morale n'est plus qu'une conséquence et non le but unique.

Il n'est pas sans intérêt de jeter sur les moyens un rapide coup-d'œil.

La première règle de tout système pénitentiaire, est la séparation des criminels dans les prisons. L'expérience n'a que trop appris que la communication de ces hommes, entre eux, rend impossible toute réforme morale et devient même nécessairement la source d'une affreuse corruption. En effet, les détenus les plus consommés dans le crime initient les plus timides à leur funeste science, ébranlent leurs irrésolutions, les font rougir d'un remords et leur impriment dans l'ame la lèpre de la corruption. La prison devient une école de crime et de démoralisation. Les classifications des condamnés, basées sur la nature des crimes, ont été reconnues impuissantes pour remédier au mal: l'isolement est devenu le principe et la basé du système. Son premier avantage, celui qu'on ne

aux soins de M. Soudain de Niderwerth, administrateur des prisons, dont on ne peut assez louer le zèle éclairé dans les fonctions importantes qu'il remplit si honorablement et auxquelles il s'était dévoué.

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