Images de page
PDF
ePub

Nous ne partageons pas l'opinion de ce savant magistrat, et sa dernière considération nous touche peu; en effet, si les individus qui se sont rendus coupables ne méritent aucune faveur, ils doivent être soumis au régime qui pèse sur tous les condamnés, parce qu'on ne doit pas présumer que ce régime puisse blesser les règles de l'humanité.

Du reste, les effets de l'interdiction légale établie par l'article 29 du Code pénal, ne se rapportent qu'à l'administration des biens. C'est ainsi qu'il a été décidé, par la Cour royale de Rouen, que rien ne s'opposait à ce que le condamné disposât de ses biens par testament [1], et par la cour de cassation, qu'il pouvait porter plainte devant les tribunaux, à raison d'un délit dont il avait ressenti un préjudice [2]. Le Code pénal n'a point, en effet, reproduit cette disposition du Code de 1791, que « le condamné ne peut, pendant la durée de sa peine, exercer par lui-même aucun droit civil » ; et on doit en conclure que tous les droits qui ne lui ont pas été expressément enlevés, lui sont conservés. Néanmoins, la Cour de cassation a reconnu, en même temps, qu'il etait incapable d'aliéner, pendant l'exécution de la peine [3] : ce contrat, quoiqu'il appartienne au droit des gens plus qu'au droit civil, pourrait n'être entre ses mains qu'un moyen détourné d'échapper aux prohibitions dont il est frappé.

La dernière peine accessoire et privative d'un droit, celui de libre locomotion, est la surveillance de la haute police [*].

Cette mesure qui succède à la peine, qui saisit le condamné au moment même où son châtiment s'achève, est une disposition particulière à la loi française. Les Codes des autres nations l'ont repoussée, soit qu'ils aient considéré le crime comme entièrement effacé par l'exécution de la peine, soit que la surveillance leur ait paru constituer une seconde punition imposée au même fait [4]; mais cette surveillance n'est point, à proprement parler, une peine : c'est la privation d'un droit, c'est une incapacité qui pèse

[1] Arr. 28 déc. 1822, Sir. 23, 2, 179. [2] Arr. 6 nov. 1817, Bull. off., no 108. [3] Arr. 25 janv. 1825, Sir. 25, 1, 345. [*] La haute police et toutes ses attributions sont abolies en conséquence les articles 44, 45, 46, 47, 48, 49 et 50 du Code pénal sont abrogés. Les individus Ꭹ soumis en sont relevés. (Arrêté gouv. prov. du 22 octobre 1830). Mais voyez l'appendice.

du

[4] L'art. 52 du Code du Brésil institue la peine

sur le coupable à la suite du châtiment, semblable à la plupart des incapacités que nous venons de passer en revue.

Nous ne contesterons point à la société le droit de prendre des mesures de précaution à l'égard des hommes dont elle a de justes motifs de suspecter la conduite. Et quelle dénonciation plus pressante que celle qui résulte d'un arrêt de condamnation? un premier crime, bien qu'expié, ne subsiste-t-il pas encore comme une menace jetée à l'ordre social? La société doit donc veiller sur ces hommes, elle doit les connaître et suivre leurs pas; cette surveillance est une mesure de sûreté, une garantie prise dans un intérêt général. La difficulté ne commence qu'au mode d'exécution.

Toutefois on doit remarquer que le Code pénal a peut-être été prodigue de cette mesure;il n'a point hésité à l'attacher à des délits qui n'offraient que peu de périls, à la faire peser sur des condamnés dont le caractère ne devait point inspirer d'inquiétude. Ainsi l'art. 401 permet de l'adjoindre à la peine d'emprisonnement, dans tous les vols, quelques minimes qu'ils soient, et l'art. 58 en fait la conséquence nécessaire de la récidive dans le cas même de

simple délit. Il suit de là que le prévenu d'un larcin, que l'individu qui s'est trouvé deux fois mêlé dans une rixe, y sont assujétis, et cette précaution sociale, juste à l'égard des grands criminels, devient tyrannique vis-à-vis de ces simples délinquans, parce qu'elle est presque toujours inutile. Cambacérès voulait qu'elle ne pût être prononcée que par les cours d'assises [5]; et la commission du corps législatif, appelée à participer à la rédaction du Code pénal, émettait le vœu que ce moyen ne fût employé qu'avec circonspection dans les matières correctionnelles [6].

Le Code pénal de 1791 n'avait point institué de surveillance; on en trouve les premières traces dans un décret du 19 ventôse an 13, qui dispose que les forçats libérés seront tenus de déclarer dans quelle commune ils veulent éta

de l'exil local. mais comme peine principale; et l'art. 5 du Code prussien prescrit une mesure plus rigoureuse que la surveillance, en disposant que « les délinquans qui peuvent devenir dangereux à la société, ne doivent pas, encore qu'ils aient subi leur peine, être remis en liberté, avant d'avoir prouvé comment ils peuvent vivre par quelque moyen honnête. »

[5] Locré, t. 15, édit. Tarlier. [6] Locré, t. 15, édit. Tarlier.

l'exiger ou de le refuser. « Mais, dit à ce sujet M. Carnot, est-il bien exact de prétendre que le cautionnement ne soit pas dans l'intérêt du condamné, lorsque c'est le seul moyen qui lui soit offert d'éviter l'exil ou l'emprisonnement [2] ? »

blir leur résidence, et qu'arrivés dans cette commune, ils y seront mis sous la surveillance de l'autorité locale. Un second décret du 17 juillet 1806 imprima plus de vigueur à ces mesures. La capitale, les résidences impériales, les places de guerre et les frontières, furent interdites aux libérés, le ministre de la police eut la faculté de les déplacer des lieux qu'ils habitaient, de leur prescrire un lieu de résidence; enfin, ils ne purent changer de domicile sans autorisation. Mais ces dispositions ne s'appliquaient encore qu'aux forçats libérés.

Le Code pénal introduisit un nouveau système, moins rigoureux sans doute, mais aussi moins restreint dans son application. Le cautionnement en était le principe fondamental: les condamnés étaient soumis, à l'expiration de leur peine, à l'obligation de fournir une caution de bonne conduite, et cette caution admise, ils recouvraient une liberté franche de toute entrave. Ce n'était qu'en cas d'impossibilité ou de refus de leur part de fournir cette caution, que les liens d'une surveillance continuelle enchaînaient leur existence : ils étaient alors à la disposition du gouvernement, qui pouvait leur prescrire soit leur éloignement d'un certain lieu, soit leur résidence obligée dans un lieu déterminé. Leur désobéissance était punie d'un emprisonnement qui, dans la plupart des cas, n'avait point de terme.

Ce système des art. 44, 45 et 46 du Code pénal de 1810, quelque rigoureux qu'il fût, reposait sur un principe humain et généreux, celui du cautionnement. Mais les interprétations des décrets impériaux vinrent en restreindre le bienfait un avis du conseil d'État, approuvé le 30 septembre 1812, déclara, malgré l'opinion contraire du ministre de la police [1], qu'en cas d'omission, dans l'arrêt de condamnation, du taux du cautionnement, les condamnés n'avaient aucune action pour la faire réparer, et que ce droit n'appartenait qu'au ministère public et aux parties civiles. Un autre avis du 4 août 1812 décidait en même temps, qu'alors même que le cautionnement était fixé et que le condamné offrait de le réaliser, le gouvernement pouvait ne pas l'accepter, attendu que ce cautionnement étant établi non dans l'intérêt de l'accusé, mais dans celui du gouvernement, il dépendait de celui-ci de

Ainsi l'esprit de la loi avait été méconnu. Le cautionnement n'était plus un droit, mais une faculté; l'exception était devenue la règle, et le pouvoir de fixer aux condamnés libérés le lieu de leur résidence, était considéré comme le droit commun. La peine des malheureux qui croyaient, en secouant leurs fers, avoir expié leurs fautes, se trouvait perpétuée, et leur liberté n'était qu'une détention moins étroite.

Le mode de cette surveillance élevait d'ailleurs des obstacles presque insurmontables à l'amendement des criminels. Les mesures prises par la police pour s'assurer que le libéré occupait réellement la résidence qui lui avait été assignée, donnaient au fait de la condamnation une publicité inévitable. Surveillé par des agens subalternes, signalé à la défiance des maîtres, à la jalousie et au mépris des ouvriers, suspect de tous les crimes commis dans le lieu qu'il habitait, le libéré ne trouvait pas de travail; l'impossibilité de gagner honnêtement son pain, étouffait en lui toute résolution d'une vie meilleure, et la misère le rejetait bientôt dans le crime et dans les bagnes. [3].

Le cautionnement eût évité la plupart de ces inconvéniens. Mais un petit nombre de condamnés seulement en profitaient; la plupart ignoraient ce bénéfice de la loi, et l'administra-tion ne le leur faisait point connaître [4]. Ensuite, le vice de ce cautionnement était d'être déterminé long-temps à l'avance dans l'arrêt de condamnation. Comment cependant prévoir à cette époque quelle serait la conduite du condamné et quelles garantics il serait nécessaire de lui demander à la sortie de sa prison? Peu importait sa conduite pendant la durée de la peine; peu importait qu'il s'amendât ou qu'il persévérât dans le crime: la société n'avait point de garantie contre des vices devenus plus menaçans, point de récompenses pour le condamné régénéré. En Angleterre, le jury exige également des recognizances de bonne conduite, mais au moment du trouble même et en le proportionnant exactement à la gravité de l'alarme

[1] Rapport du duc de Rovigo et Projet de dé- avril 1832; Code pénal progressif, pag. 162. cret; Locré, t. 15, édit. Tarlier.

[2] Comment. du Code pén.

[3] Voyez l'exposé des motifs de la loi du 28

[4] Rapport de la commission; Code pénal pro

gressif, pag. 163.

CHAUVEAU. T. 1.

5.

ou du danger [1]. Peut-être le système des cautionnemens pourrait-il se coordonner avec un Code disciplinaire des prisons, et devenir, pendant la durée de la peine, l'espérance des condamnés et un puissant mobile de bonne conduite [2].

La loi du 28 avril 1832 a complètement changé ce mode de surveillance, et nous n'hésitons pas à dire que le système qu'elle a introduit, est, parmi les améliorations de cette loi, une de celles qui, dans la pratique, doivent produire les meilleurs et les plus salutaires résultats.

Les résidences obligées, les détentions administratives ont cessé. Le droit de surveillance n'est plus qu'un simple droit de défense: ses effets sont restreints à l'interdiction des lieux où la présence du libéré pourrait être dangereuse. Partout ailleurs, liberté pleine et entière; partout ailleurs, le libéré est confondu dans la classe commune des citoyens; aucune mesure préventive ne peut être prise à son égard, ne doit révéler sa position. « L'effet du renvoi sous la surveillance de la haute police, porte l'article 44, sera de donner au gouvernement le droit de déterminer certains lieux dans lesquels il sera interdit au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine.

Cependant la police administrative doit suivre ses pas, quoique silencieusement; sans manifester de craintes, elle doit veiller sur ses démarches, elle doit connaître ses déplacemens et sa résidence. C'est pour atteindre ce but que le même article ajoute que « en outre le condamné devra déclarer, avant sa mise en liberté, le lieu où il veut fixer sa résidence; il recevra une feuille de route, réglant l'itinéraire dont il ne pourra s'écarter, et la durée de son séjour dans chaque lieu de passage. Il sera tenu de se présenter, dans les vingt-quatre heures de son arrivée, devant le maire de la commune; il ne pourra changer de résidence sans avoir indiqué, trois jours à l'avance, à ce fonctionnaire, le lieu où il se propose d'aller habiter, et sans avoir reçu de lui une nouvelle feuille de route ». Toutes ces formalités n'ont qu'un seul objet, c'est de faire connaître à l'autorité les lieux où le libéré réside; c'est de la mettre à même d'observer ses mouvemens. Mais elles se réduisent à une simple déclaration : le condamné n'a besoin ni de permission ni d'autorisation pour se déplacer.

[blocks in formation]

« Ainsi ( et nous aimons à emprunter ici les termes d'une instruction administrative qui résume parfaitement l'esprit de la loi ) les condamnés doivent être dispensés à l'avenir de toutes ces mesures de police qui, en donnant au fait une inévitable publicité, les frappaient d'une sorte de réprobation universelle et les mettaient dans l'impossibilité d'amender leur conduite. Ils ne seront donc plus assujétis à se représenter à des époques, comme on leur en avait imposé l'obligation dans certaines villes. Il faut qu'ils soient toujours connus de l'administration, mais qu'ils restent inconnus du public [3].»

Néanmoins, il est nécessaire de préciser avec soin les droits de l'administration et ceux des condamnés. La loi définit le droit de défense, celui de déterminer certains lieux dans lesquel il sera interdit au condamné de paraître. De là d'abord il suit que ce droit n'est que facultatif: c'est un pouvoir confié à l'autorité dans l'intérêt de la sûreté publique. Si le libéré donne des garanties de moralité et de bonne conduite, ce serait un abus de ce pouvoir que de se servir de cette faculté, puisque la sûreté publique ne serait point menacée par sa résidence dans un lieu quelconque.

Il faut définir encore ce qu'on doit entendré par certains lieux. Il est évident que ce serait méconnaître l'esprit de la loi que d'interdire, par exemple, au condamné tous les départemens hors un seul; ce serait alors une résidence obligée. Quel est le but de l'interdiction? c'est d'écarter le meurtrier des lieux habités par la victime ou sa famille, c'est d'éloigner le coupable du théâtre de son premier crime, c'est de rassurer les témoins, les jurés, la partie plaignante des actes de sa vengeance, c'est enfin de purger les grandes villes de la présence d'une multitude de libérés qui viennent s'y perdre dans la foule, et dont les associations redoutables deviennent un juste sujet d'effroi pour la tranquillité publique. La raison de la loi justifie, dans ces diverses hypothèses, l'application de cette sorte de bannissement. Cependant nous croyons qu'il ne faut point faire une règle générale de l'éloignement du condamné du lieu où il a commis son crime. Cette mesure devrait être réservée pour les cas de meurtre, de violences exercées, de voies de fait graves, pour tous les cas enfin où la présence du condamné peut répandre une impression de terreur, où son caractère peut faire naître des

[2] Rapport de la commission de la Chambre des députés. Code pénal progressif, pag. 163. [3] Circ. du min. de l'intérieur, du 18 juil. 1833.

inquiétudes sur sa conduite, où de précédentes liaisons paraîtraient un obstacle invincible à son amendement. Car il faut songer que ce n'est le plus souvent que dans ces lieux, qui sont ordinairement ceux de son domicile, qu'il retrou vera une famille, des amis, des ressources; que c'est là qu'est sa patrie; que l'en éloigner sans nécessité, ce serait lui imposer légèrement la peine de l'exil après celle des cachots ou des fers. On pourrait cependant invoquer à l'appui d'une telle interprétation, l'art. 635 du Code d'instruction criminelle, qui déclare en effet que le condamné pour crime qui a prescrit sa peine « ne pourra résider dans le département où demeureraient soit celui sur lequel ou contre la propriété duquel le crime aurait été commis, soit ses héritiers directs. » Mais cette disposition, qui a peut-être été le germe de l'interdiction locale, est évidemment exceptionnelle. La loi a dû déployer plus de sévérité pour le condamné qui a prescrit sa peine que pour celui qui l'a exé cutée. Celui-ci présente à la société des garanties que l'autre ne saurait offrir. De là, la différence qui se fait remarquer dans les deux dispositions; là l'interdiction locale n'est que facultative, ici elle est nécessaire.

Le même article ajoute encore : « Le gouverne ment pourra assigner au condamné le lieu de son domicile. » Or, cette disposition ne fait qu'attester davantage la position spéciale du condamné qui a échappé à la peine par la prescription: la loi a cru nécessaire de l'environner de précautions particulières; et ces mesures qui l'assimilaient aux forçats libérés sous l'empire du Code de 1810, ont survécu pour lui seul aux améliorations que la condamnation des autres condamnés a éprouvées.

Les lieux qui peuvent être frappés d'interdiction sont donc, en général, d'abord les lieux témoins du crime, ensuite la capitale et les grandes villes, où les condamnés libérés trouvent trop de facilités d'échapper à la surveillance qui doit les environner; les villes où sont établies les maisons de détention ou les bagnes, afin qu'ils n'établissent aucuns liens criminels dans l'intérieur de ces établissemens; enfin les places de guerre, à l'égard des condamnés politiques et dans les temps de guerre : nous avons vu que le décret du 17 juillet 1806 renfermait une disposition précise à ce sujet.

Est-il nécessaire de répéter que ce droit de défense, même resserré dans ses limites, n'est encore qu'une faculté pour l'administration; et que toute application de cette mesure évidemment inutile, serait par là même injuste? donc, si l'administration a exercé cette faculté vis-à

vis d'un condamné, et que les motifs qui l'avaient fait établir aient cessé d'exister, elle ne doit point hésiter à la modifier, à la révoquer. C'est une récompense accordée à la bonne conduite du libéré; et ces améliorations successives sont dans l'esprit de la loi.

Quelques difficultés peuvent s'élever à l'égard des changemens de résidence que les libérés sont libres d'effectuer. La seule formalité à laquelle la loi les assujétit dans ce cas, est une double déclaration, l'une au maire de la commune qu'ils quittent, et trois jours avant leur départ, l'autre au maire de la commune où ils viennent s'établir. Cette formalité est pleinement remplie, dans le premier cas, par la demande d'une feuille de route, avec l'indication du lieu où ils veulent aller, et, dans le deuxième, par la remise de cette feuille. Le refus du maire de délivrer la feuille de route, serait-il un obstacle au changement de résidence? En droit, cet obstacle serait nul, car le condamné, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, n'est point tenu de demander une permission, mais de faire une déclaration. La feuille de route ne diffère point du passeport: si la loi ne s'est pas servie *de ce dernier terme, c'est pour placer les libérés dans une position distincte des autres citoyens, c'est comme moyen de surveillance. Mais, en fait, comme il courrait le risque d'être arrêté comme vagabond, aux termes des lois des 28 mars 1792 et 28 vendémiaire an 6, il devrait se pourvoir administrativement comme en cas de refus de passeport. Au surplus, il est probable que les instructions émanées du ministère de l'intérieur préviendront des refus de cette nature.

La déclaration elle-même de changement de résidence ne doit être exigée qu'en cas d'éloignement prolongé de la commune. Le législateur a voulu laisser aux libérés une sorte de tolérance qui leur permit de vaquer à leurs affaires, et de chercher des travaux dans les environs de leur résidence. « L'art. 44 ne veut pas dire, déclarait M. de Bastard à la chambre des pairs, que les condamnés ne pourront aller d'une commune dans une autre pour chercher du travail. Ces excursions, qui peuvent durer deux ou trois jours, ne constituent pas un changement de résidence [1].» Mais le garde des sceaux ajoutait: Dans l'application de la législation, quelque précises que soient les expressions dont on se sert, il y a toujours quelque chose qui est abandonné à la conscience de l'administration. Il est certain qu'un individu, qui aurait fixé sa ré

[ocr errors][merged small]
[ocr errors]

sidence à Paris et qui irait passer quelques jours à Auteuil, ne serait pas dans le cas d'un individu qui veut changer de résidence [1]. » Ainsi, lorsque le libéré s'absente momentanément pour ses affaires, pour les travaux de son commerce ou de son industrie, il n'est tenu de faire aucune déclaration, car il ne change pas de résidence, il ne se propose pas d'aller habiter un autre lieu.

Telles sont les règles qui s'appliquent à la surveillance. Cette mesure, à la fois répressive et préventive, suit, mais avec un degré différent d'intensité, les différentes peines. Les condamnés aux travaux forcés à temps, à la détention et à la réclusion, y sont placés de plein droit, après qu'ils ont subi leur peine, et pendant toute la vie( art. 47 du C. p.). Les condamnés au bannissement n'y sont assujétis que pendant un temps égal à la durée de leur peine (art. 48). Les condamnés pour crimes qui intéressent la sûreté de l'État doivent également y être soumis (art. 49 ). Mais, hormis ces trois cas, la surveillance ne peut être prononcée qu'en vertu d'une disposition particulière de la loi (art. 50 ). De ces dispositions il résulte que la surveillance ne peut jamais être attachée à une peine perpétuelle. Et en effet, que servirait-elle lorsque le condamné est à jamais privé de sa liberté? aussi la Cour de cassations a-t-elle annulé par un arrêt du 13 septembre 1834 [2], la disposition de l'arrêt d'une Cour d'assises qui l'avait attachée à la peine des travaux forcés à perpétuité, en proclamant cette disposition erronée, inutile et dérisoire. Cependant la peine perpétuelle peut être abrégée par la grâce; or, le condamné à perpétuité gracié, sera-t-il affranchi de cette mesure? L'affirmative est évidente, à moins que la grâce n'ait elle-même commué la peine principale en celle de la surveillance.

Plusieurs questions se sont élevées. On a demandé si les tribunaux pouvaient, en vertu de l'art. 463 du Code pénal, dispenser de cette peine le prévenu dans les cas où le Code l'attache nécessairement à la peine principale, comme dans les cas de récidive correctionnelle ? La cour de cassation a refusé de leur reconnaître cette faculté: <«< attendu que le dernier paragraphe de l'art. 463, qui autorise les tribunaux correctionnels à reduire, même en cas de récidive, les peines de l'emprisonnement et de l'amende, n'étend pas

[1] Code pénal progressif, pag. 170.

cette faculté à la mise en surveillance [3].» Mais il nous paraît que cet arrêt, en se renfermant trop étroitement dans le texte de l'art. 58, a méconnu le véritable esprit du nouveau Code pénal. Les dernières expressions de l'art. 463, en étendant l'effet de cette disposition, même aux cas de récidive et en permettant ainsi de tempérer les peines rigoureuses de l'art. 58, révèlent l'intention du législateur de les graduer sur la moralité réelle du condamné, en faisant de son état de récidive une complète abstraction. Comment donc supposer qu'il ait voulu laisser subsister inébranlable une peine qui ne serait que la conséquence de cet état? On objecte que la faculté d'atténuation ne s'étend qu'à l'emprisonnement et à l'amende. Mais les juges peuvent faire descendre ces peines jusqu'au taux de celles de simple police : la Cour de cassation, fidèle à son système, jugera-t-elle qu'une peine de 15 francs d'amende devra nécessairement être accompagnée de cinq ans de surveillance? et toutefois n'est-il pas de l'essence des peines de police de n'être jamais suivies de la surveillance? il nous semble done que cette peine accessoire doit suivre le sort de la peine principale, et que la faculté d'atténuer ou de faire disparaître celleci, suppose le pouvoir de dispenser de la première.

La Cour de cassation a également décidé que le terme de cinq ans est un minimum dont les juges ne peuvent abréger la durée [4]. On ne trouve, en effet, dans le Code, aucun texte qui autorise cette atténuation. Et cependant il est difficile de croire qu'elle soit contraire au vœu du législateur, lorsqu'on se rapporte aux lois du 10 avril et du 24 mai 1834, sur les assocciations et les détenteurs d'armes, lois qui ne sont qu'une partie séparée de ce Code, et qui permettent de prononcer la surveillance depuis un mois jusqu'à deux ans. Et pourquoi, en effet, cette peine demeurerait-elle seule inflexible dans sa durée, tandis que les autres peines s'assouplissent suivant les degrés si variables de la culpabilité des prévenus? Les inquiétudes que leur conduite future peut faire naître, les périls qu'elle peut susciter, sont-ils donc toujours les mêmes? Pourquoi la peine resterait-elle uniforme et sans degrés?

La rédaction assez bizarre des articles 47, 48, 49 et 50 peut suggérer quelques incertitudes. Aux termes des articles 47 et 48, la surveillance suit de plein droit les peines des travaux for

1833, pag. 80, et Arr. Colmar, 8 sept. 1833.

[2] Journal du droit criminel, 1834, page Ibid., 1834, pag. 89.

268.

[4] Arr. du 7 août 1834; Journ. du droit crim.,

[3] Arr. du 8 mars 1833; Journ. du droit crim., 1834, pag. 241.

« PrécédentContinuer »