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Il faut néanmoins remarquer que ce même système que nous poursuivons dans ses dernières conséquences, pourrait perdre la plus grande partie de ses inconvéniens dans les mains d'un législateur habile qui traduirait le principe utilitaire dans une utilité bien entendue de la société. Car le premier besoin de cette société est une'exacte distribution de la justice; mais ce serait alors, et nous le reconnaitrons plus loin, à l'accession secondaire d'un principe moral que serait dù ce résultat, et non à l'application isolée de la doctrine de l'intérêt.

Il nous reste à exposer une dernière théorie, à laquelle se rattache l'autorité d'un professeur célèbre, M. Rossi [1]. Rejetant à la fois et le principe de l'utilité et celui de la légitime défense, c'est dans la loi morale qui nous est révélée par la conscience, que ce publiciste a cherché le principe et la raison de la justice pénale. Ce tribunal de la conscience, qui sépare le mal du bien, le juste de l'injuste, révèle à l'homme les règles immuables de ses devoirs et lui apprend qu'il est responsable de ses actions. Ces devoirs moraux et cette responsabilité de l'être libre et intelligent sont la base de la justice pénale.

Mais l'homme ne doit plus être considéré isolément : la société lui a été donnée comme moyen de secours et de développement, elle est son état naturel; l'existence sociale est l'un de ses devoirs. Ce principe en le combinant avec le premier, conduit à ce corollaire, que la société, ou le pouvoir social qui la représente, a le droit de punir ceux qui jettent le trouble dans son sein; mais que ce droit de punir est subordonné dans son exercice à l'existence de la violation d'un devoir, à l'existence d'une infraction morale. Ainsi, dans cette théorie, la punition n'est point un mal infligé dans l'intérêt d'un nombre quelconque d'individus, ou dans le but de produire une impression utile sur la multitude. La peine n'est en elle-même que la réparation d'un devoir violé, la rétribution du mal pour lcamal.

Cependant comme l'application des peines a pour but final la conservation de l'ordre social, il-existe un autre élément indispensable de cette application. La justice absolue n'est pas la même que la justice sociale, quoiqu'elles dérivent de la même source. La justice sociale est limitée par les besoins de l'ordre et par l'imperfection de ses moyens d'action. Le législateur dépasserait donc

[1] Traité du droit pénal.

ses pouvoirs s'il infligeait une peine à un fait dont l'ordre social n'exige pas la répression, ou dont la poursuite amènerait plus de dommages que d'avantages à la société. C'est le principe de l'utilité que nous retrouvons ici, mais comme élément, et non plus comme circonstance constitutive du délit. Sans doute le législateur, en recherchant l'expression du besoin social peut se tromper; mais son erreur aura moins de péril puisque l'utilité d'une peine est insuffisante pour incriminer un fait : il faut encore que ce fait soit criminel aux yeux de la conscience humaine.

La conclusion de ce qui précède est que la justice pénale ne peut légitimement s'exercer qu'autant qu'elle appuie les punitions qu'elle inflige sur cette double condition; 1° que l'acte à punir soit immoral, ce qui constitue la justice intrinsèque de la punition; 2o que la punition soit nécessaire à la conservation de l'ordre social. Telles sont les règles qui forment la base de la théorie proposée par M. Rossi.

M. Guizot a écrit ces admirables paroles : « Les hommes n'ont jamais pu supporter de voir le châtiment tomber d'une main humaine sur une action qu'ils jugeaient innocente; la providence seule a le droit de traiter sévèrement l'innocence sans rendre compte de ses motifs. L'esprit humain s'en étonné, s'en inquiète même; mais il peut se dire qu'il y a là un mystère dont il ne sait pas le secret, et il s'élance hors de ce monde pour en trouver l'explication : sur la terre, et de la part des hommes, le châtiment n'a droit que sur le crime [2]. »

Cette réflexion profonde a été la source de la théorie que nous venons d'exposer; le châtiment n'a droit que sur le crime! Cette idée seule la résume et l'explique; les systèmes qui justifient la peine par sa seule utilité sont désavoués par la conscience humaine, qui en repousse l'application à des actes qu'elle ne condamne pas. C'est dans l'immoralité intrinsèque du fait, dans la perversité de l'agent, que la punition puise toute sa légitimité. A ce point du vue nous sommes complètement d'accord avec la théorie : nous y trouvons de salutaires limites aux incriminations légères ou despotiques, un principe qui satisfait l'intelligence et la conscience de l'homme, une règle morale féconde en applications utiles. Ce système se complique cependant encore de difficultés graves.

La justice humaine a-t-elle les moyens de

[2] De la peine de mort en matière politique, pag. 100.

déterminer la criminalité absolue des actes, d'après une connaissance complète de la loi morale? A-t-elle les moyens de connaître la criminalité de l'agent d'après une connaissance également complète de son intention? Il est évident qu'elle n'a point cette science et qu'elle est à la fois limitée par l'imperfection de ses moyens d'action. Faut-il en déduire l'impossibilité d'appliquer la théorie? Oui, si l'on veut y chercher la distribution de cette justice morale qui n'est l'attribut que de Dieu seul; non, si l'on consent d'en restreindre l'application aux besoins de la société. Lorsqu'elle agit, il lui suffit de constater que la punition qu'elle inflige est intrinsèquementjuste, c'est-à-dire que l'acte qui en est l'objet est immoral, et que la culpabilité de l'agent est reconnue. Or, elle a les moyens nécessaires d'acquérir cette double certitude : il lui suffit de s'en rapporter à la conscience humaine pour porter ces deux jugemens.

Mais le système de M. Rossi n'est pas également satisfaisant sous un autre rapport. Après avoir combattu le principe utilitaire comme base unique du droit de punir, il est forcé de l'admettre comme élément de ce droit. Il ne suffit pas que l'acte soit immoral pour que le pouvoir social doive le frapper, il est nécessaire qu'il expose la société à des périls. L'utilité de la peine est donc l'une des conditions de son application. Or, où seront les garanties contre les exigences injustes du pouvoir social? L'immoralité ne peutelle pas se trouver à un certain degré dans des actions qu'il n'est pas utile de punir? Le duel et le suicide sont des actions immorales; s'en suitil que le législateur ait le pouvoir de les atteindre? Ces questions restent sans réponse; comment fixer les besoins variables et incessans de la société? Comment définir les limites de l'utilité générale?

Ensuite, il existe des faits que la conscience ne désavoue pas et que la société est toutefois dans la nécessité de punir, dans l'intérêt de sa propre conservation. Supposez qu'une maladie reconnue contagieuse ait envahi l'une de nos cités les peines les plus sévères devront punir toute violation des règles sanitaires [1]. Cependant cette violation qui n'est le plus souvent qu'une contravention toute matérielle, peut n'avoir aucun des caractères du délit moral. Il en est de même du vagabondage, de la mendicité, de l'exercice illégal de la médecine, etc. Fautil laisser ces faits impunis parce qu'ils n'en

freignent pas la loi morale? Faut-il proclamer la théorie insuffisante ou lui créer des exceptions?

Peut-être eût-il été possible, sans déplacer les bases de ce système, d'en faire disparaître les conséquences que nous venons de signaler.

On admet que l'existence de l'homme en société est un devoir; on admet encore que la mission de la justice pénale est limitée à la défense de cette société. Que conclure de ces prémisses? que tout trouble apporté à l'ordre social est un délit moral, puisque ce trouble est la violation d'un devoir, celui de l'homme envers la société. Ainsi les actions que la justice a mission de punir seraient de deux sortes ou empreintes d'une immoralité, intrinsèque, ou pures en elles-mêmes de cette immoralité, mais la puisant alors dans la violation d'un devoir social : dans ces deux cas il y aurait délit social; l'élément de ce délit serait la criminalité intrinsèque ou relative de l'acte. La plupart des contraventions matérielles rentrent dans cette dernière classe. Pour les incriminer il faut substituer les devoirs de l'homme en société aux devoirs de l'homme isolé, le citoyen à l'homme, la conscience publique à la conscience individuelle.

Résumons en quelques mots ces divers systè– mes. On a vu que l'un fait dériver le droit de punir d'une primitive convention entre les membres de la société ; qu'un autre le fait remonter à un droit de défense qu'il attribue au pouvoir social; un troisième à un principe exclusif d'utilité; un dernier enfin à un principe de justice morale. Il est évident que les législateurs qui choisiraient l'un ou l'autre de ces principes pour bannière et en adopteraient franchement le conséquences, arriveraient à des résultats opposés. C'est ainsi que celui qui aurait inscrit sur le fronton de son Code le mot utilité, éprouverait une tendance presque invincible à apprécier les actes humains d'après leurs effets accidentels, plutôt que d'après leur perversité intrinsèque. C'est ainsi encore que toute législation qui reposera sur un principe moral tendra à mesurer les peines sur la valeur des actions, à punir plutôt qu'à effrayer.

Toutefois ces différences peuvent s'effacer insensiblement dans l'application, soit que le législateur tempère la rigueur des déductions. de chacun de ces principes, soit qu'il cherche à les concilier ensemble. M. Livingston, que la

[1] La loi du 3 mars 1822 et la loi belge du toute violation du régime de la patente brute. 18 juillet 1831, portent la peine de mort contre

Louisiane a chargé de la noble mission de lui rédiger un Code pénal, s'est abstenu de professer aucune théorie dans son travail; il a même ambitionné de se faire applaudir de tous les systèmes. « Si le contrat social, dit-il, a jamais existé, son but a dû être la conservation des droits naturels de ses membres, et dès lors les effets de cette fiction sont les mêmes que ceux de la théorie qui prend une abstraite justice comme base du droit de punir, car cette justice, bien entendue, est celle qui assure à chaque membre de la cité l'exercice de ses droits. Et s'il se trouve que l'utilité, dernière source à laquelle on fasse remonter le droit de punir, soit si intimement unie à la justice qu'elle en est inséparable dans la pratique du droit, il s'ensuivra que tout système fondé sur l'un de ces principes doit être soutenu par les au

tres [1]. »

Il résulterait de cette observation, et le même criminaliste n'hésite pas à le dire, que les querelles des théories auraient plutôt porté sur les termes que sur le fond des choses. Il nous semble que c'est aller un peu loin. Il est très vrai que les diverses théories peuvent, avec des déviations plus ou moins avouées, se fondre dans un même résultat. Mais quelle en est la raison? C'est que le législateur, tout en inscrivant dans ses lois le principe de l'utilité ou de la défense sociale, aura plus ou moins admis le concours accessoire d'un principe moral; nous verrons plus loin un exemple de cette coïncidence dans le Code pénal.

Il faut, au surplus, le dire hautement; car toutes les théories du droit pénal se résument là: il ne peut exister un bon système pénal que sous un gouvernement libre. Les théories, quelque fortes que fussent leurs lois, seraient impuissantes sous le despotisme. Il y a une liaison intime entre les progrès des institutions politiques et ceux des lois criminelles ; elles croissent, elles se perfectionnent ensemble; celles-ci sont la conséquence presque immédiate des autres. C'est donc au pouvoir social qui émane d'institutions libres, à apprécier, soit sous un point de vue théorique, soit abstraction faite de tout système, les actes qui menacent l'existence de la société : bornée aux faits qui offrent ce péril et qui sont empreints d'une criminalité intrinsè

[1] Introductory report to the Code of crimes and punishments; pag. 114.

[2] Les Traités de législation civile et pénale de Bentham, ont été publiés en 1802 par M. Dumont; la Théorie des peines et des récompenses

que ou relative, la justice pénale aura rempli sa mission.

Notre dessein n'est pas d'insister sur ces idées; il a suffi de les indiquer. Ce que nous voulons constater comme résultat de cette discussion, c'est que l'examen de toute législation pénale serait incomplet si l'on oubliait de remonter au principe qui lui a servi de base; c'est qu'il est certain que ce principe n'est pas sans influence sur le législateur qui l'a pris pour point d'appui de ses prescriptions. Le commentateur doit donc puiser dans cette recherche, la première règle de ses interprétations.

Nous arrivons au Code pénal.

Préparé quelques années après la publication des traités de Bentham [2], qui firent une si profonde sensation parmi les publicistes, ce Code dut naturellement s'empreindre des principes de cet auteur. On le trouve plusieurs fois Sa théorie revit tout entière dans ces lignes de cité dans les rapports officiels du conseil d'Etat. M. Target:

« Il est certain que la peine n'est pas une vengeance: cette triste jouissance des ames basses et cruelles n'entre pour rien dans la raison des lois. C'est la nécessité de la peine qui la rend légitime. Qu'un coupable souffre, ce n'est pas le dernier but de la loi; mais que les crimes soient prévenus, voilà ce qui est d'une haute importance. Après le plus détestable for-fait, s'il pouvait être sûr qu'aucun crime ne fût désormais à craindre, la punition du dernier des coupables serait une barbarie sans fruit, et l'on ose dire qu'elle passerait le pouvoir de la loi. La gravité des crimes se mesure donc, non pas tant sur la perversité qu'ils annoncent que sur les dangers qu'ils entraînent [3]. »

C'est donc à l'école des utilitaires qu'appartiennent les rédacteurs du Code pénal de 1810. Ils mesurent la peine sur le danger et non sur la moralité des actes qu'ils incriminent. Ils font, en thèse générale, abstraction de cette loi morale que revèle la conscience et qui distingue parmi les actions humaines celles qui sont licites, celles qui sont défendues. La nécessité de la peine, c'est la règle des incriminations du Code pénal.

n'a été publiée qu'en 1811 par le même publiciste; enfin, le Traité des preuves judiciaires n'a paru qu'en 1823. Voyez les préfaces de M. Dumont.

[3] Observations de M. Target sur le Code pénal. Locré, t. 15, édit. Tarlier.

Cependant d'un principe rigoureux on peut ne pas tirer toutes les conséquences extrêmes. Les rédacteurs du Code, en se rangeant sous la bannière de l'école utilitaire, n'ont point prétendu suivre par une logique sévère le principe de l'intérêt dans toutes les applications: à côté de ce principe, on voit même surgir parfois une pensée de moralité.

« L'on n'a pas oublié, disait M. Berlier, que des lois qui statuent sur tout ce que les hommes ont de plus cher, la vie et l'honneur, ne doivent effrayer que les pervers, but qui serait manqué si elles imprimaient trop légèrement le caractère de crime à des actes qui ne sont pas essentiellement criminels. L'on a soigneusement cherché à établir de justes proportions entre les peines et les délits [1]. »

Ces paroles révèlent en quelque sorte un principe moral dans la pensée du législateur. Il est vrai que ce principe fléchit et s'efface toutes les fois que les besoins réels ou prétendus de la société sont mis en avant; le législateur est préoccupé des périls de l'ordre social; il ne s'attache que secondairement à peser la valeur intrinsèque des actes qu'il frappe de ses peines. Mais l'application même secondaire de ce principe de justice doit être mise en lumière; on croirait vainement connaître l'esprit de la loi si on en faisait abstraction; nous aurons plus d'une occasion de remarquer des incriminations qui reposent sur une saine appréciation du juste et de l'injuste.

En général, le Code pénal de 1810 nous paraît avoir été jugé avec trop de sévérité. L'excessive élévation de ses pénalités a surtout frappé les regards, et l'on en a déduit une réprobation générale. Il faut distinguer: l'échelle pénale aujourd'hui refaite quoique d'une manière incomplète, était en effet empreinte d'une barbare exagération, et les réclamations qui se sont élevées à ce sujet étaient l'expression de la conscience publique qui cherchait vainement une juste proportion entre les châtimens et les délits. Mais le système des incriminations, quelque défectueux qu'il soit, ne méritait peut-être point les mêmes reproches, et les peines trouvent généralement (à quelques exceptions près) une base légitime dans le caractère immoral des actes qui sont compris dans la catégorie des délits. Le projet du Code était conçu dans un esprit plus doux, plus

[1] Exposé des motifs du tit. 1 du liv. 3 du Code pénal. Locré, t. 15, édit. Tarlier.

modéré. On suit facilement dans les discussions du conseil d'État les déviations que ce principe de modération a éprouvées. Chaque crime, chaque délit, successivement analysé dans ses élémens et ses effets, excitait ce sentiment d'indignation et de crainte qui conduit à l'exagération des peines. C'est dans ce sens qu'on a pu dire avec justesse que les rédacteurs du Code « se sont bien moins occupés de combiner une répression suffisante pour la sûreté publique, que de compenser l'horreur du crime par l'horreur du châtiment [2]. »

La réforme de cette législation était devenue un besoin public. La marche progressive des idées libérales, l'adoucissement des mœurs, les discussions philosophiques, avaient amené les esprits à réclamer énergiquement des améliorations dans le système pénal. Cette idée était descendue dans les mœurs; l'application journalière de la doctrine de l'omnipotence en était l'expression. Le jury protestait contre l'exagération des peines et s'était attribué le pouvoir de les proportionner aux délits.

Le législateur n'a pu méconnaître ce grave symptôme d'un besoin social, car la législation doit s'appuyer sur les mœurs publiques, et les peines doivent être proportionnées non seulement aux crimes, mais encore aux mœurs et à la civilisation. Ainsi les peines ne doivent pas être les mêmes chez un peuple barbare et chez un peuple policé, parce que là, la crainte est le seul frein des actions, et qu'ici, les lumières, la morale et la réligion en sont les utiles auxiliaires. En général, c'est par la législation criminelle d'une nation qu'on peut juger du degré de civilisation auquel elle est parvenue et de la tendance morale de son gouvernement. « Il serait aisé de prouver, dit Montesquieu [3], que dans tous ou presque tous les Etats de l'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté. » Enfin, la civilisation progressive de la société, en adoucissant les mœurs, en amollissant les hommes, les rend plus sensibles aux souffrances de la peine; les peines peuvent dès lors diminuer à mesure des progrès de l'intelligence et de l'industrie; la punition reste la même.

La loi du 28 avril 1832 a eu pour but de répondre à ce vœu général. C'est la troisième révolution que notre législation voit s'accomplir dans son sein depuis quarante ans ; car nous ne

[2] M. Ch. Remusat, Globe du 10 sept. 1825. [3] Esprit des lois, liv. 12.

donnerons pas le nom de réforme aux modifications timides que la loi du 25 juin 1824 n'avait introduites qu'avec une espèce de regret. Nous avons à fixer le caractère et l'esprit de cette révision, et les limites dans lesquelles elle s'est exercée.

Dirigé par une pensée d'humanité, le législalateur de 1832 n'a semblé frappé que de l'exagération de l'échelle pénale; il a borné sa mission à rétablir plus de proportion entre les peines et les délits [*]. Au lieu de remonter au principe, il s'est contenté d'en corriger les applications; au lieu de dominer le système de la loi qu'il voulait réviser, il l'a suivi dans ses diverses conséquences négligeant à peu près le système des incriminations, il lui a suffi de modérer les peines. Cette tâche était peut-être la seule qu'il fût possible d'accomplir à cette époque d'inquiétudes politiques. On doit en recueillir le travail avec reconnaissance; c'est un pas dans une voie progressive, dans une carrière nouvelle. Mais on se tromperait sans doute si on voulait y voir un Code nouveau, substitué à l'ancien, le règne d'un autre système, la consécration d'une pensée nouvelle et complète.

Les paroles de l'exposé des motifs, ces paroles qui font partie de la loi elle-même, en révèlent l'esprit et la tendance.

«Sans doute, disait cet exposé, pour préparer et mettre à fin un si important travail, le courage n'aurait manqué ni au gouvernement ni aux chambres; néanmoins on ne saurait se dissimuler qu'en s'imposant la tâche de réviser les 484 articles du Code pénal et des lois accessoires, beaucoup plus nombreuses encore, on risquerait de retarder plus qu'on ne doit des améliorations dont la plupart présentent un caractère d'urgence incontestable. On a préféré pourvoir au plus pressé. C'est aux préparations de la science, aux méditations journalières du gouvernement et de la magistrature qu'il faut demander une refonte générale de législation. Il est beaucoup de besoins auxquels on peut satisfaire dès aujourd'hui et que le bon sens public a suffisamment mûris pour que l'humanité en tire profit immédiatement. Nous ne nous sommes pas livrés, je le répète, à une révision générale de nos lois pénales, mais nous avons reconnu qu'il était urgent d'effacer de nos Codes des cruautés inutiles. L'humanité les repoussait et un besoin impérieux de protection

[*] Là se sont aussi bornées jusqu'ici les modifications du législateur belge. Nous aurons occasion de les citer plus tard.

pour les intérêts légitimes de la société ne les rendait pas indispensables. Toutefois l'expérience nous a fourni ses utiles renseignemens pour nous défendre contre un entraînement dangereux, et nous avons procédé avec une prudence qui ne compromet pas le présent, et qui nous permettra d'attendre, sur plusieurs points, les leçons de l'avenir. »>

Il nous est impossible de ne pas rappeler également les termes dont s'est servi le rapporteur de la commission de la chambre des Députés : « Votre commission a jugé utile de déterminer d'abord le véritable caractère de la révision qui vous est proposée : Elle est et doit être incomplète. Ce sera notre réponse à ceux qui auraient souhaité une refonte dans nos lois pénales: ce travail ne serait pas seulement immense, il serait provisoire. Qu'importe que le législateur refasse avec plus ou moins d'art le système de l'incrimination, quand la pénalité dont il dispose est vicieuse et appelle des changemens prochains, mais peu connus encore et peu éprouvés? Ce sera aussi notre réponse à ceux qui auraient souhaité une réforme plus large et plus profonde. Donnons aux châtimens inférieurs plus d'efficacité et d'énergie avant de renoncer aux peines supérieures. Élevons autour de l'ordre social un rempart nouveau et durable, avant de renverser la vieille barrière qui l'a protégé si long-temps. »>

Il était important de constater par les paroles mêmes du législateur, le caractère incomplet de la réforme qu'il opérait. Il en résulte jusqu'à l'évidence qu'il a limité lui-même sa mission à la correction, à l'atténuation des peines; il n'a pas voulu toucher aux principes. Les principes et les motifs de l'ancien Code pénal se réfléchissent donc encore sur le nouveau, bien que tempérés dans leur logique application et leur rigueur primitive. Vainement, en effet, on chercherait dans les discours des divers orateurs qui ont expliqué la loi le principe d'un système nouveau [1] : ce que ces auteurs demandent à la peine, ce n'est pas la réparation morale du délit, c'est d'être préventive, c'est l'intimidation; la terreur est presque le seul objet de la punition. Ils puisent toujours le droit de punir dans un principe matériel, dans l'utilité sociale; de même que dans le système de M. Target, c'est la seule nécessité de la peine qui la rend légitime.

[1] Voyez Code pénal progressif.

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