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une amende unique était distribuée entre un grand nombre de délinquans, il se trouverait que la disposition répressive de la loi n'aurait plus d'effet, et que son vou, qui a été d'infliger une certaine mesure de la peine à chaque personne convaincue du délit, ne serait pas rempli. Ce principe a reçu à diverses reprises la sanction de la jurisprudence [1].

Toutefois, deux exceptions doivent y être établies: La première a lieu lorsque le législa→ teur a mesuré le taux de l'amende à raison de la quotité du dommage causé. C'est ainsi que la Cour de cassation a décidé que l'amende portée par l'art. 144 du Code forestier, pour l'enlèvement de certaines matières dans les forêts, devait être unique pour chaque enlèvement, quel que fût le nombre des délinquans, parce que cette amende est calculée, non à raison du nombre des personnes qui ont pris part à la contravention, mais à raison du mode d'enlèvement des matières [2]. Nous trouverons un autre exemple de cette exception dans l'art. 164 du Code pénal.

La deuxième exception est celle où les prévenus qui ont commis le délit, forment, réunis entre eux, une société collective, un être moral. Ainsi, une société commerciale peut encourir une condamnation à l'amende par suite de la responsabilité du fait de l'un de ses agens; mais cette condamnation ne frappe que sur l'être collectif et non sur chacun des associés individuellement, lorsque la contravention est punissable d'une amende le juge ne peut donc en prononcer qu'une, alors même que plusieurs associés ont été mis en cause individuellement [3].

du Code pénal : c'est la solidarité de l'amende entre tous les individus condamnés pour un même crime ou pour un même délit. La première conséquence de cette règle est que le lien de cette solidarité n'existe qu'autant que les prévenus ont été condamnés pour le même fait. [*] Ainsi, il ne suffit pas, pour que cette solidarité puisse être invoquée, que les prévenus aient été condamnés pour différens faits compris dans la même plainte ou dans le même acte d'accusation; il faut qu'ils aient concouru au même délit [4]. Mais il n'est pas nécessaire qu'ils aient été condamnés aux mêmes peines ainsi la Cour de cassation a pu juger, d'après le texte de la loi, que deux prévenus condamnés, l'un à 200 francs, l'autre à 400 fr. d'amende, étaient tenus solidairement du paiement de ces amendes, parce qu'ils avaient commis le délit ensemble, au même lieu, dans le même temps, envers les mêmes personnes, et que dès lors il existait entre eux une communion de fait et d'intention qui justifiait la solidarité [5]. La Cour de cassation a également jugé qu'il n'est pas nécessaire que le délit ait été commis par suite d'un concert réfléchi et prémédité entre les prévenus [6]. Cependant dans ce cas, la complicité n'existe pas; ce sont des actes isolés qui ont concouru accidentellement à un même fait, et dès lors il est douteux que la loi ait voulu lier par une commune responsabilité des prévenus qui sont étrangers les uns aux autres.

La solidarité établie par l'art. 55 est de plein droit: elle doit être appliquée aux prévenus, encore bien que le jugement ait omis d'en faire mention [7], mais cette obligation accessoire ne

Une troisième règle est écrite dans l'art. 55 peut être étendue au-delà des termes précis de

[1] Arr. cass., 22 avril 1813, 7 janv. et 21 oct. 1814, 18 oct. 1822, 7 déc. 1826 ; Sirey, 1816, 1,330; Dalloz, t. 1, p. 465; Br. cass. 19 févr. 1835; Bull. de cass. 1835, 186.

[2] Arr. cass., 6 août 1826.

[3] Arr. cass., 6 août 1829. (Sirey, 1829, 1, 354; Journal du droit crim., 1829, pag. 210.)

[*] Celui qui a payé la totalité de l'amende et des frais de procédure auxquels il a été condamné solidairement avec des complices, n'est point subrogé au droit du fisc, en ce sens qu'il puisse, en vertu du jugement de condamnation, agir par voie de commandement contre les autres condamnés, en recouvrement de leur part dans les mêmes frais et amende. Br., 4 mai 1821; J. de Br., 1821. 1, 274.

On ne peut envisager comme constituant un

seul et même délit des coups réciproques, et par suite il ne peut y avoir lieu à condamnation solidaire quant aux frais. Brux., 25 nov. 1831; J. du 19es, 1832, p. 364.

En matière de rebellion par une réunion de trois individus et plus, cette réunion est considérée comme un individu moral, une masse collective agissant par un ou plusieurs de ses membres, et il en résulte pour chacun des membres qui la composent, la responsabilité des faits constitutifs de la rebellion opérée par la réunion. Liége, 19 juin 1828; J. du 19o s., 1832, p. 179.

[4] Arr. cass., 3 fév. 1814, 24 nov. 1820.

[5] Arr. cass. 3 nov. 1827. (Sirey, 1828, 1, 104.) [6] Arr. cass., 2 mars 1814. (Dalloz, t. 18, p. 312; Sir. 1814, 1, 224.)

[7] Arr. cass., 26 août 1813.-Carnot, sur l'art. 55.

strumens du délit, ne sont point comprises dans cette abolition. Consacrée par la jurisprudence, cette distinction est aujourd'hui hors de contestation, puisque des lois nouvelles, postérieures à la Charte, ont établi des confications partielles [5].

la loi [1]. Ainsi vainement voudrait-on l'invocations d'objets particuliers, produits ou inquer dans les matières de police; car l'art. 55 ne parle que des condamnés pour crimes ou pour délits. Différent en cela de la loi du 22 juillet 1791 (tit. II, art. 42), le Code pénal a gardé le silence à l'égard de la solidarité des amendes encourues pour contraventions, et les juges ne pourraient la suppléer. [*] Ainsi encore, si plusieurs prévenus d'un même délit n'ont pas été condamnés par un même jugement, la solidarité ne pourrait leur être appliquée. Car l'art. 55 suppose évidemment une poursuite simultanée, et il serait impossible d'admettre que la condition d'un condamné pût être aggravée après son jugement, par la condamnation postérieure de ses complices [2].

Il nous reste une dernière règle à poser en cette matière lorsque la loi a omis de fixer la quotité de l'amende, le juge ne doit appliquer qu'une amende de police. Cette règle introduite par la jurisprudence de la Cour de cassation, doit être adoptée; car les amendes arbitraires sont bannies de notre législation, et dès lors, dans le doute, il y a lieu de réduire l'amende indéterminée au taux de la plus faible des amendes, celle de simple police. Ce principe qui repose sur l'interprétation toujours favorable que doivent recevoir les lois pénales, a été appliqué par l'art. 35 de la loi du 19 ventôse an 11, qui punit l'exercice illicite de la médecine d'une amende pécuniaire envers les hospices. La Cour de cassation a reconnu que cette amende illimitée ne pouvait être prononcée que dans les limites des amendes de simple police [3].

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[1] Arr. 1202 du Code civil.

Cette espèce de confiscation devait naturellement prendre place parmi les condamnations pécuniaires, car elle se résout en une perte, en une privation plus ou moins grave d'une valeur quelconque. Mais de même que l'amende, elle a le caractère d'une peine : l'art. 11 du Code pénal le lui imprime formellement; et ce caractère répressif doit être considéré comme une règle de solution dans les questions qui peuvent se présenter.

C'est en vertu de ce principe que la confiscation des objets saisis ne peut être prononcée que lorsqu'elle est autorisée par un texte formel de la loi. Ainsi, la Cour de cassation a annulé avec raison celle qu'un jugement avait prononcée de divers instrumens qui avaient servi à commettre un délit de maraudage [6] : aucune disposition de la loi n'ordonnait cette confiscation.

C'est par suite du même principe qu'on doit décider que les juges ne peuvent convertir la confiscation de l'objet du délit, en une confiscation de sa valeur; car la confiscation est une peine particulière dont ils ne peuvent altérer la nature; elle se résume, à la vérité, en une perte pécuniaire, mais elle a pour but de frapper un objet déterminé, l'instrument ou le fruit du délit ; et ce but ne serait point atteint si l'inculpé était admis à en offrir le prix [7]. Toutefois, dans quelques matières spéciales, les tribunaux ont la faculté, lorsque l'objet du délit ne peut être représenté, de condamner le prévenu au paiement de sa valeur présumée : on trouve un exemple de cette disposition exceptionnelle dans l'article 45 du Code forestier, et dans le décret du 4 mai 1812, sur le port d'armes de chasse [**].

Enfin, c'est encore par application de la même règle qu'un prévenu, renvoyé des fins de la plainte, ne peut à la fois être condamné à la

[4] Art. 68 de la Charte de 1814, 57 de la Charte

[*] Voyez dans ce sens Br. cass. 19 fév. 1835; de 1830; Constit. B., art. 12. Bull. 186.

[5] Lois des 17 déc. 1814, art 15; 28 avril 1816,

[2] Voyez Carnot, sur l'art. 55, et Bourgui- art. 51; 15 avr. 1818; 25 avr. 1827, et 4 mars 1831. gnon, ibid.

[3] Arr. cass., 5 nov. 1831. (Journal du droit crim., 1831, pag. 364.) — 28 août 1832. (Ib., 1832, pag. 246.)

[6] Arr. cass.. 21 avr 1826. (Bull. off., no 80.) [7] Voyez, dans ce sens, arrêt de la Cour de cass. du 23 mai 1823, rapp. au Bull. off., 1823,no 7. [**] V. Cependant J. de Belg., 1833, p. 55.

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confiscation des objets saisis; car il implique contradiction qu'un prévenu soit acquitté et frappé en même temps d'une peine la confiscation ne peut être prononcée qu'à la suite d'une déclaration de culpabilité [1]. Toutefois, ici encore, nous rencontrons dans les lois spéciales une exception à notre principe: l'article 23 du titre 10 de la loi du 22 août 1791, prononce la confiscation des marchandises prohibées à l'entrée, dans le cas même où la nullité du procès-verbal ne permet pas de constater le délit. L'art. 109 de la loi du 19 brum. an 6, sur la garantie des matières d'or et d'argent, prononce également, dans tous les cas, la confiscation des ouvrages marqués de faux poinçons. D'après les termes de l'art. 11 du Code pénal : « La confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la propriété en appartient au condamné, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le commettre, est une peine commune aux matières criminelles et correctionnelles. » Or, ces termes donnent lieu à deux observations la première, c'est que la restriction qui semble résulter de cet article, à l'égard des matières de simple police, n'est pas exacte, puisque les art. 464 et 470 ont étendu à ces matières la confiscation spéciale. La deuxième a pour objet de faire remarquer que ces mots limitatifs quand la propriété en appartient au condamné, ne se réfèrent qu'au corps du délit ; d'où il suit que les tribunaux pourraient prononcer la confiscation des objets qui sont le produit ou qui ont été les instrumens de ce délit, alors même qu'ils n'appartiendraient pas au condamné [2].

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Nous nous arrêtons à ces règles générales: les diverses applications de cette peine, faites par le Code, seront examinées avec les dispositions qui les prononcent. Quant aux applications plus nombreuses, que les matières fiscales en ont faites, nous ne pourrions nous en occuper sans sortir des limites de notre ouvrage.

§ III. Des Restitutions civiles et dommages-intérêts.

Lorsqu'un délit a été commis, l'application d'une peine ne suffit pas toujours pour l'ex

[1] Arr. cass. 15 mars 1828. (Bull. off., no 78.) [2] Un arrêt de la Cour de cassation, l'a ainsi décidé pour une arme de chasse. (Journal de droit crim., an 1835.)

[3] Les anciens auteurs distinguent les domma

CHAUVEAU, T. 1.

pier : ce délit a blessé la conscience publique que la peine a pour mission de rassurer; mais il a pu léser en même temps des intérêts privés, et le préjudice causé doit être réparé : c'est l'application exacte du principe d'éternelle justice qu'ont recueilli les articles 1382 et 1383 du Code civil; l'article 10 du Code pénal en fait la réserve expresse.

Cet article proclame, en effet, que « la condamnation aux peines établies par la loi est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties. » Ainsi, la loi conserve aux personnes qu'un délit a lésées le droit d'obtenir la réparation de ce dommage.

On ne doit pas confondre les restitutions et les dommages-intérêts [3]. Les premières ont pour objet les choses mêmes dont le plaignant a été dépouillé, les autres sont la réparation du préjudice qu'il a souffert. Les demandes formées par ce plaignant pour atteindre ce double but, sont donc indépendantes l'une et l'autre ; elles peuvent être exercées soit isolément, soit simultanément : la loi les distingue sans cesse dans ses textes (art. 10, 51 et 172, Code pénal, et 366, Code d'instruction criminelle). Ainsi, ce ne serait point une fin de non-recevoir absolue, pour la partie qui demande la restitution des choses qui lui ont été volées, que d'avoir déjà obtenu des dommages-intérêts pour ce même vol; car ce délit peut avoir entraîné des dommages autres que la valeur des objets volés.

Dans la plupart des cas, ces objets ont au procès le caractère de pièces de conviction. Leur restitution ne peut alors être ordonnée qu'à la fin de ce procès; cependant, au cas de contumace de l'un des accusés, l'article 474 du Cod. d'inst. crim. permet à la Cour d'assises d'en faire la remise aux propriétaires, mais à charge de les représenter, s'il y a lieu. Cette remise ne peut être faite par simple ordonnance du président : l'art. 366 du même Code a réservé ce droit à la Cour d'assises [4]. Ainsi, lorsque cette Cour a omis de l'ordonner par l'arrêt qui a statué sur l'accusation, il est indispensable qu'un nouvel arrêt intervienne sur la requête de la partie, pour vider cet incident.

La rédaction un peu confuse de l'ancien article 51 du Code pénal, avait fait naître quelques

ges-intérêts et les réparations civiles : les uns sont la réparation d'un préjudice pécuniaire, les autres d'un tort matériel ou n oral causé par un délit Voy. Jousse, tom. I, no 128

[4] Arr. cass., 1er juill, 1820. (Dalloz, t. 7, p. 232.).

6.

difficultés; la révision de 1832 les a fait disparaître [1]. Une première modification a eu pour objet d'effacer le minimum des indemnités dues à la partie lésée. Telle avait été même la seule pensée du projet de loi dont l'article 11 portait: «Quand il y aura lieu à restitution, la Cour ou le tribunal appréciera s'il est dû une indemnité et en déterminera la quotité, sans avoir égard au minimum fixé par l'art. 51 du Code pénal.» La loi a rempli cet objet en se bornant à retrancher de cet article ces mots : sans qu'elles (les indemnités) puissent jamais étre au-dessous du quart des restitutions.

Une autre modification, non moins importante, fut proposée par la commission de la chambre des députés. Il résultait du texte de l'article 51 que, toutes les fois qu'il y avait lieu à restitution, le coupable devait être condamné à des indemnités. Cette condamnation, qui pouvait paraître alors nécessaire, est devenue facultative, d'après l'amendement portant: « Le coupable pourra être condamné envers la partie lésée, si elle le requiert. »

Au surplus, cette interprétation avait déjà été admise par le conseil d'État, dans les discussions préparatoires du Code. En effet, M. Merlin ayant remarqué que cet article semblait restreindre les dommges-intérêts au cas où il y a restitution, M. Treilhard répondit que la section dont il était le commissaire, n'avait pas entendu, en le rédigeant, affaiblir le principe d'après le quel les dommages-intérêts sont dus à toute personne lésée par un crime. « Si, ajouta-t-il, elle a parlé plus particulièrement de la restitution, c'est qu'elle a craint que les juges ne crussent que la réparation devait se borner là, et qu'il ne leur était pas permis d'adjuger d'autres indemnités; la dernière disposition de l'article s'applique donc à tous les cas où il y a lieu à des dommages-intérêts. Elle a pour objet de

[1] Ancien article: « Quand il y aura lieu à restitution, le coupable sera condamné, en outre, envers la partie, à des indemnités dont la détermination est laissée à la justice de la Cour ou du tribunal, lorsque la loi ne les aura pas réglées, sans qu'elles puissent jamais être au-dessous du quart des restitutions, et sans que la Cour ou le tribunal puisse, du consentement même de la partie, en prononcer l'application à une cause quel

conque. »

Nouvelle rédaction: « Quand il y aura lieu à restitution, le coupable pourra être condamné, en outre, envers la partie lésée, si elle le requiert, à des indemnités dont la détermination est laissée

détruire cette fausse délicatesse qui, en faisant toujours renoncer à l'indemnité, en privait ceux auxquels l'état de leur fortune la rendait nécessaire [2]. »

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Ces observations révèlent complètement l'esprit du législateur de 1810; la rédaction de l'article 51 avait un double but d'avertir le juge que les restitutions n'étaient pas un obstacle aux dommages-intérêts, et d'abolir l'ancien usage d'appliquer aux pauvres ou aux hospices les indemnités allouées. Cette dernière règle ne pouvait offrir aucune difficulté dans l'application, et la jurisprudence s'est bornée à la sanctionner plusieurs fois [3].

Mais la fixation des dommages-intérêts n'était pas aussi facile : cette condamnation, quoique essentiellement civile, pèse souvent d'un poids plus accablant sur la tête du condamné que la peine elle-même. La loi, en attribuant à la juridiction criminelle le droit de régler les dommages-intérêts des parties, devait peut-être, comme elle l'a fait dans quelques cas exception-nels (art. 117, 234, Code pénal), tracer des limites à cette attribution. L'ancien art. 51, en déterminant le taux du minimum de ces indemnités, laissait apercevoir, quoique assez confusément, quel devait être leur maximum. Le législateur de 1832 a effacé cette dernière borne ; il en a laissé la détermination à la justice de la Cour ou du tribunal. Ainsi, le pouvoir des juges demeure en général illimité dans la distribution des réparations civiles; l'appréciation des dommages éprouvés et de la compensation qu'ils peuvent obtenir, leur appartient souverainement; c'est à eux de peser les considérations sociales, la condition et la fortune des parties, la gravité de la faute commise et du préjudice éprouvé la loi les érige en arbitres, et elle s'en rapporte à leurs lumières et à leur conscience [*].

à la justice de la Cour ou du tribunal, lorsque la loi ne les aura pas réglées, sans que la Cour ou le tribunal puisse, du consentement même de ladite partie, en prononcer l'application à une œuvre quelconque. »>

[2] Procès-verbaux du conseil d'État, séance du 25 juillet 1809; Locré, tom. 15, éd. Tarlier.

[3] Arr, cass., 7 déc. 1821;25 fév. 1830. (Sirey, 1830, 1, 237; Journal du droit crim., 1830, p. 175.)

[*] Le principe de l'art. 1382 du Code civil sur la réparation des dommages causés, n'empêche pas le juge d'en restreindre l'application, lorsque la partie lésée n'est pas à l'abri de tout reproche et qu'elle a elle-même provoqué par sa conduite le

Toutefois, il est, dans cette matière elle même, quelques principes qui dérivent de la nature même des choses, et que le juge, quelle qu'illimitée que soit sa puissance, ne pourrait méconnaître. Toute espèce de préjudice ne donne pas indistinctement lieu à des dommages-intérêts: ilfaut que ce préjudice soit la conséquence directe et immédiate du délit, qu'il soit actuel, enfin qu'il dérive du fait même de la prévention. Il est important de développer cette règle.

Le Code du 3 brumaire an 4 l'avait précisée avec justesse dans son art. 94, ainsi conçu: « Pour être admis à rendre plainte, il faut avoir à la fois un intérêt direct et un droit formé de constater le délit lorsqu'il existe, et d'en poursuivre la réparation contre le délinquant.» M. Legraverend adopte cette définition et la justifie « un intérêt direct, dit-il, parce que c'est là le caractère distinctif de la plainte, et qu'on ne peut se porter accusateur à raison d'un crime ou d'un délit, si l'on n'a à sa punition qu'un intérêt éloigné et indirect [*]; un droit formé, parce qu'il ne suffit pas que le délit ou le crime puisse un jour vous être nuisible pour que vous soyez admis à rendre plainte : il faut encore que le préjudice soit réel, actuel, et que dès ce moment vous en ressentiez les effets [1].» Ce principe, quoiqu'il n'ait point été posé par le Code d'instruction criminelle avec autant de précision que par celui des délits et des peines, se trouve toutefois implicitement consacré par ses art. 1 et 63, qui ne reconnaissent qu'à ceux qui ont été lésés, le droit d'en rendre plainte et et d'en demander la réparation.

Quelques exemples le feront mieux saisir. Un crime ayant été commis, des poursuites furent mal à propos dirigées contre une personne qui n'en était pas l'auteur; plus tard, le vrai coupable ayant été traduit devant les assises, le premier prévenu se porta partie civile, et forma une demande en dommages-intérêts; cette prétention était-elle fondée? nous n'hésitons pas à répondre négativement. Le dommage que le plaignant avait éprouvé ne provenait point directement du crime lui-même; il n'en était point le résultat. La perpétration de ce crime ne lui avait causé aucun préjudice. Ce préjudice était né des poursuites légèrement dirigées con

fait qu'il s'agit de réparer. Brux., 18 déc. 1834; J. de Belg., 1835, p. 33.

[*] Le père a qualité pour se constituer partie civile dans une poursuite intentée pour calomnies dirigées contre sa fille. Liége, cass. 24 mai 1823; Rec. de Liége, t. 9, p. 308.

tre lui; c'est le fait de ces poursuites, le fait du ministère public qui avait troublé son existence; or, ce fait n'était-il pas indépendant de la volonté de l'accusé? pouvait-il en être responsable? Le plaignant rentrait dans la classe de tous les prévenus qui sont trouvés innocens, et auxquels il serait juste, peut-être, d'accorder une indemnité; mais cette indemnité ne peut être mise à la charge des condamnés qui ne doivent supporter que les conséquences directes de leur crime. Nous ne pouvons donc partager la doctrine de la Cour de cassation qui, dans cette espèce, a reconnu au plaignant le droit de se constituer partie civile [2].

Toutefois, il est évident que ce serait mal saisir la règle que nous avons posée que d'exiger que l'intérêt qui fait la base de l'action civile fut toujours matériel et appréciable. Un homme peut être blessé dans ses affection: comme dans sa fortune, dans sa réputation comme dans ses propriétés. Son action est légitime dès que le préjudice qu'il a souffert est incontestable; et si les dommages-intérêts qu'il réclame ne peuvent être le prix d'un mal, quelquefois inappréciable, ils deviennent au moins une sorte de compensation de ses souffrances, et une peine infligée au coupable.

On conçoit que cette action ne doit point alors être admise avec trop de facilité; car le concours d'une partie civile aux débats aggrave la position de l'accusé qui se trouve en face de deux adversaires, et qui doit lutter non seulement contre l'impartiale sévérité du ministère public, mais contre les attaques avides et passionnées d'un accusateur privé. C'est cette grave considération qui doit écarter des débats toute partie qui n'allègue pas un dommage incontestable, résultat immédiat du crime. Nous devons ajouter que l'application de ce principe est complètement abandonnée à la sagesse et aux lumières des Cours d'assises et des tribunaux correctionnels. La Cour de cassation persiste à juger, en effet, qu'il appartient souverainement à ces juridictions d'apprécier si une partie civile a intérêt ou non à intervenir, et que le défaut de cet intérêt ne vicie pas la procédure criminelle à laquelle elle a concouru [3]. Le préjudice doit prendre sa source dans un

[1] Legisl. crim., tom. 1er, passim.

[2] Arr. cass., 17 juil. 1832. (Journal du droit crim., art. 910.

[3] Arr. cass., 4 mars 1830 et 19 juil. 1832. (Sirey, 1832, 1, 496.)

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