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délit pour que la juridiction criminelle puisse l'apprécier. C'est par ce motif que la jurisprudence a successivement reconnu que le refus d'un créancier de donner quittance d'une somme qu'il a reçue; que le fait de retenir les présens de noces après la rupture d'un projet de mariage, enfin que le détournement momentané d'une somme confiée à un mandataire, lorsque ce mandataire n'a pas été mis en demeure de la restituer, ne peuvent motiver l'action civile devant les tribunaux de répression, parce que ces faits ne constituent en eux-mêmes aucun délit [1].

De là on peut induire, comme un corollaire, que si le fait d'où dérive le dommage est différent de celui qui constitue le délit, l'action civile ne peut concourir avec l'action publique. Nous citerons un exemple remarquable de cette maxime. L'habitude d'usure que la loi a rangée parmi les délits, est un fait moral et complexe qui ne peut résulter que de l'ensemble de plusieurs faits particuliers. Or, ces faits particuliers, élémens du délit, n'en ont point euxmêmes le caractère lorsqu'ils sont considérés isolément. Les tribunaux correctionnels qui ne peuvent connaître des réparations civiles que lorsqu'ils y statuent accessoirement à un délit, sont donc sans attribution pour prononcer sur la réparation civile à laquelle un de ces faits particuliers peut donner lieu; et comme ce n'est cependant que par des faits particuliers qu'il peut y avoir eu dommage ou préjudice, il faut conclure que la partie lésée ne peut, dans tous les cas, porter son action que devant les tribunaux civils [2].

De ce principe, on serait encore amené par une déduction rigoureuse à établir que, lors que sur une poursuite criminelle le prévenu est déclaré non coupable, ou que le fait est dé

[1] Arr. cass., 7 therm. an 8; 17 juill. 1829, 30 janv. 1829, 29 août 1806; Sirey, 1829, 1, 211, 349. [2] Arr. cass., 3 fév. 1809. Dalloz, t. 28, p. 24. [*] [*] Celui qui prétend avoir été lésé par des faits particuliers d'usure, est recevable à se porter partie civile sur l'action dirigée par le ministère public, du chef d'habitude d'usure, surtout si ces mêmes faits suffisent sculs et par eux-mêmes pour constituer le délit d'habitude d'usure. Br. 17 fév. 1825, 18 nov. 1826; J. de Br., 25, 2, 351; 1827, 1, 401; J. du 19 s., 25, 3o, p. 251; Dalloz, t. 28, p. 15.

[3] Procès-verbaux du conseil d'Etat; Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

[**] Dans le cas même où un individu accusé d'homicide a été acquitté comme l'ayant commis

pouillé de toute sa criminalité, la juridiction criminelle ne doit plus s'ouvrir aux réclamations de la partie civile, car l'exercice de l'action civile devant cette juridiction est essentiellement subordonné à l'exercice de l'action publique; l'intérêt de l'ordre social est son objet principal, les intérêts privés ne sont pour elle qu'un objet accidentel et accessoire. Dès lors si la poursuite s'évanouit, l'action civile qui s'appuyait sur elle, devenue principale, doit retourner à ses juges naturels. Cette conséquence est tellement exacte que, dans la discussion du projet de Code d'instruction criminelle, elle fut l'objet d'une proposition de M. Berlier, qui fit observer que la demande en dommagesintérêts devait nécessairement, après l'acquittement prononcé, être la matière d'une instance nouvelle devant les tribunaux civils. Mais cet amendement fut repoussé d'après l'observation de MM. Cambacérès et Treilhard, « que les juges criminels ayant sous les yeux l'affaire toute entière, il était plus simple de la leur laisser juger en entier, que d'en renvoyer une partie devant un tribunal civil [3]. »

Le droit d'obtenir ces réparations ne se puise plus alors dans un délit, mais dans une faute, dans un quasi-délit commis par l'accusé. Il faut donc qu'on puisse, même après l'acquittement, lui imputer cette faute, pour qu'il ait à supporter la condamnation [**].jAinsi la défense de soi-même, autorisée par la loi positive comme par la loi naturelle, exclut tout crime et délit ; elle exclut également toute faute. Il ne peut donc en résulter une action en dommages-intérêts en faveur de celui qui l'a rendue nécessaire par son agression, à moins que les bornes de cette défense n'aient été excédées, et dans ce cas, ils seraient dus seulement pro ratione excessús [4].

involontairement par suite de son état de démence, il peut y avoir lieu à adjuger des dommages-intérêts à la partie lésée, par le fait, s'il est établi que l'homicide a eu lieu au moyen d'une arme à feu dont le port est prohibé, un pistolet de poche par exemple, et que son acquisition a eu licu à une époque où l'aliénation mentale n'existait pas; dans ce cas, il y a une faute qui donne ouverture à la responsabilité établie par l'art. 1382 du Code civil. Liége, 10 janv. 1835; J. de Belg., 1835, p. 362; Dalloz,t. 14, p. 300; Merlin, Rép., vo Quasi-delit, no 12.

[4] Jousse, tom. I, pag, 128; Merlin, Rép., vo Reparation civile; Carnot, sur l'art. 358 Cod. d'inst crim; arr. cass., 19 déc 1817.

Enfin, le droit d'accorder les réparations civiles, est, dans tous les cas, restreint à celles qui peuvent être dues à raison du fait de l'accusation. La Cour de cassation a posé elle-même cette barrière, en déclarant que « Ce droit qui constitue une attribution dérogatoire au droit commun, d'après lequel les tribunaux civils sont seuls compétens pour statuer sur les intérêts civils, ne peut être étendu à d'autres faits [1]. » Ainsi, aucune indemnité ne pourrait être allouée à la partie plaignante à raison d'un fait qui n'aurait pas été compris dans la plainte ou dans l'acte d'accusation, quelque fut le dommage qu'elle eût éprouvé de ce fait.

Nous n'avons point le dessein de pénétrer plus avant dans cette matière que la jurisprudence a trop souvent embarrassée par des solutions inconciliables: elle n'appartient point à cet ouvrage. Il nous, a suffi d'indiquer les élémens principaux de la peine accessoire des dommages-intérêts, quels caractères doit offrir le préjudice causé pour en motiver l'application, à quelles limites enfin le juge doit arrêter les prétentions souvent irréfléchies des parties lésées. Nous aurons fréquemment dans le cours de ce livre l'occasion d'appliquer ces règles.

§ IV. Des la condamnation aux frais.

Les art. 52 et 55 du Code pénal, en établissant la solidarité des frais entre les condamnés et le mode de leur recouvrement, ont supposé comme un principe préexistant, que les individus déclarés coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, doivent supporter les frais auxquels la poursuite a donné lieu : ce principe se trouvait, en effet, écrit dans les art. 162, 194 et 368 du Code d'instruction criminelle. Nous allons examiner les règles qui dominent et régissent cette condamnation.

Sous l'empire de l'ordonnance de 1670, les accusés n'étaient point condamnés aux frais (tit. 25, art 17). Lorsque la poursuite était dirigée d'office et à la requête du ministère public, les frais en étaient supportés soit par le roi, dans ses domaines, soit par les seigneurs dans leurs justices. Mais les amendes et les confiscations étaient destinées à couvrir ces déboursés. La preuve des faits justificatifs restait, d'ailleurs, dans tous les cas, à la

[1] Arr. cass., 4 nov, 1831. Sirey, 1832, 1, 272. [2] Jousse, t. II, pag. 303 et 838; Bacquet, Traité des Droits de justice, ch. 7, no 23; Rousscau de la Combe, pag. 226 et 243

charge de l'accusé quand il n'était pas insolvable.

Cette règle générale recevait une exception dans le cas où il y avait partie civile au procès; cette partie était tenue de supporter tous les frais, à l'exception de ceux de nourriture des détenus, et même d'en faire l'avance; quel que fût l'événement du procès, elle n'avait de recours que contre le condamné [2].

L'assemblée constituante maintînt le principe de l'ordonnance de 1670 : l'art. 1er de la loi du 27 septembre 1790 mit à la charge du trésor public, les frais des poursuites criminelles faites à la requête des procureurs du roi ou d'office, et ce principe, d'abord temporaire, puis confirmé par la loi du 20 nivôse an 5 et par l'arrêté du gouvernement du 6 messidor an 6, continua d'être en vigueur jusqu'à la promulgation de la loi du, 18 germinal an 7.

Cette dernière loi introduisit dans la législation une règle nouvelle, mais qu'elle a conservée; elle déclara que tout jugement, portant condamnation à une peine quelconque, prononcerait en même temps contre le condamné, au profit de l'Etat, le remboursement des frais de la procédure. M. de Dalmas [3] a rappelé, dans son traité des frais de justice, les vives contradictions que cette loi éprouva au conseil des Anciens: M. de Malleville, rapporteur de la commission, en proposa le rejet, Le désir de soulager le trésor d'une charge pesante fut le principal motif de son adoption; et ce motif amena la loi du 5 pluviôse an 13, qui reprit à l'ancien droit la disposition qui étendait aux parties civiles la responsabilité des frais.

Ces deux règles ont été consacrées par nos Codes : : aux termes des art. 162, 176, 194, 211 et 368 du Cod. d'inst. crim., tout jugement de condamnation doit assujétir le condamné au remboursement des frais, et la partie civile, lorsqu'elle succombe dans sa poursuite, doit supporter la même peine.

Avant d'arriver à l'interprétation que ces dispositions ont reçue des tribunaux, arrêtonsnous un moment à examiner la raison qui les dictées.

Le principe qui met les frais des poursuites à la charge des condamnés a été contesté par des esprits très judicieux. Ils regardent que la justice est une dette de l'Etat, et que c'est à l'Etat à en payer les frais; telle est la pen

[3] Des frais de justice en matière criminelle, Introd. XXII.

sée qui s'était manifestée dans la loi du 27 septembre 1790. Et puis, les coupables sont déjà frappés d'une peine que la loi a proportionnée à la gravité du délit, est-il juste de leur faire supporter une peine additionnelle, qui détruit l'harmonie de la première punition, et ́qui, variable à l'infini, suivant les divers besoins de la procédure, échappe à la fixation du juge, et tombe, accablante ou légère, sur des prévenus dont la culpabilité est la même? Enfin les frais d'une information judiciaire ne sont point, comme les dommages-intérêts, la conséquence immédiate et directe du fait de l'accusé; ils prennent leur source, non dans le délit, mais dans la poursuite, dans l'action exercée par la société pour la répression; l'accusé doit-il supporter la conséquence des formes plus ou moins onéreuses, plus ou moins prolongées de cette action?

Ces considérations, quelque spécieuses qu'elles soient, ne nous paraissent point suffisantes pour rejeter, en principe, une telle condamnation. En effet, commettre un délit, c'est contracter avec la société ; c'est s'imposer l'obligation de la réparation exigée par la loi, car toute transgression des lois entraîne l'obligation d'une réparation; c'est là la sanction, la condition même de l'ordre social: or, cette réparation ne consiste pas seulement dans une application publique et solennelle de la peine; elle ne serait pas complète si elle ne comprenait pas toutes les suites du délit. Ainsi, les dommages-intérêts sont la compensation du mal privé qu'il a causé; ainsi le remboursement des frais est la réparation du dommage produit par les poursuites. Or, ces poursuites ne sont point un fait étranger au prévenu et dont il ne doive pas répondre; car elles sont la conséquence sociale du fait qu'il a commis, l'exécution du contrat qu'il a passé avec la société : il doit donc en supporter les frais s'il succombe dans ces poursuites. On objecte que la justice est une dette de l'Etat ; mais ne fautil pas faire ici une distinction? l'Etat supporte toutes les dépenses qui tiennent à l'institution générale des tribunaux. Mais celles qui n'ont pour but que d'arriver à la vérification d'un fait, telles que les indemnités attribuées aux témoins ou aux experts, peuvent sans injustice peser sur son auteur; car elles se rattachent immédiatement à ce fait, elles y ont puisé leur source, elles n'ont existé que par suite de sa perpétration, elles constituent un véritable dommage civil que le coupable doit réparer. Et puis, il faut que ces frais tombent en définitive à la charge de l'accusé ou de la société ;

or, pourquoi en exonérer l'un qui est coupable de la faute qui les a nécessités, pour les faire peser sur tous les membres de la société, qui n'ont pris aucune part à cette faute?

Mais, de là même, il résulte que cette responsabilité doit être circonscrite dans d'étroites limites. Toutes les dépenses qui cessent d'être la conséquence immédiate et nécessaire du fait poursuivi, qui ne sont pas indispensables à la vérification de ce fait, ne pourraient avec justice être mises à la charge du condamné. Cette conséquence est trop évidente pour qu'on doive s'y arrêter. C'est ainsi que les frais frustratoires, tels que les assignations de témoins inutiles, les expertises dont la nécessité n'est pas rigoureusement démontrée, ne devraient pas être recouvrés sur l'accusé qui a succombé, parce que ces frais ne sont pas la conséquence nécessaire du fait qu'il a commis. C'est ainsi encore qu'il est trop rigoureux de lui faire supporter les frais d'une double procédure, lorsque la première n'a dû son annulation qu'à l'omission ou à la violation d'une forme, et que cette violation est le fait des juges et non de cet accusé.

Au reste, si la société se reconnaît le droit de demander une indemnité pour les frais des poursuites, à celui de ses membres qui a donné lieu à ces poursuites par son délit, elle doit reconnaître à l'accusé, dont l'innocence est proclamée, le droit non moins évident d'en exiger une lui-même. Et quelle dette plus légitime que celle d'une indemnité pour cet homme que la société a humilié sous une accusation fausse; qu'elle a fait asseoir sur le banc des criminels; qu'elle a flétri de ses soupçons; qu'elle a arraché à ses affaires, à sa profession, à sa famille, pour lui donner des fers; quelle réparation plus sacrée que celle d'une si terrible injustice! qui oserait dire que cette réputation polluée par le seul souffle de l'accusation, que ces inquiétudes, ces soucis dévorans qu'elle entraîne avec elle, ne réclament aucun dédommagement ? Nous ne prétendons point assurément que tout acquittement dût être suivi d'une indemnité; les juges, investis à cet égard d'un bienfaisant pouvoir, devraient en circonscrire l'exercice au cas où l'accusation aurait été injustement intentée, où elle aurait fait éprouver un préjudice quelconque à l'accusé, car cette poursuite serait alors le fait de la société et non de l'accusé, et il serait juste qu'elle supportât comme celui-ci, la responsabilité du dommage qu'elle aurait causé. Cependant le législateur, sans nier la sainteté de cette dette, n'aura longtemps encore qu'un regard d'indifférence pour

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les nombreux accusés qui viennent annuellement sur le banc des coupables, entendre, après de longs jours d'angoisses, un verdict d'acquittement; car cette réparation serait une charge, modique à la vérité, mais nouvelle, à ajouter à la charge déjà si lourde des frais de justice.

ment tenues des frais; et c'est pour maintenir une responsabilité aussi exorbitante qu'illégale, que la Cour de cassation dut déclarer que ce décret avait force de loi [1]. Mais en admettant cette force législative d'un simple décret, il faut admettre en même temps que la nouvelle promulgation du Code d'instruction criminelle a dû avoir à son tour pour effet nécessaire d'annihiler l'art. 157 du décret, comme étant contraire à ses dispositions. Toutefois, cette abrogation implicite a été contestée.

La condition des parties civiles a également été trouvée trop onéreuse par quelques publicistes; ils ont vu dans la condamnation aux frais qu'elle peut encourir, une entrave au droit de plainte que la loi ouvre à toutes les personnes lésées par un crime ou un délit. Ce pendant si la partie civile ne doit supporter le fardeau des frais de la procédure que lorsqu'elle a succombé dans la poursuite qu'elle avait exercée, nous ne trouvons dans cette responsabilité aucune injustice réelle. C'est la stricte application de cette règle du droit qui met les dépens à la charge de la partie qui perd son procès. Et peut-être, d'ailleurs, est-il salutaire d'imposer un frein à des poursuites légères, à des imputations inconsidérées, de faire supporter une sorte de peine à l'accusateur privé dont la plainte, quoique pure d'intention calomnieuse, est néanmoins dénuée de fondement. Mais il est évident que cette condamnation dépasserait les limites du juste, si la partie civile était reconnue fondée dans sa plainte; car de quoi la punirait-on? est-ce d'une poursuite légitime? est-ce du préjudice qu'elle a souffert? On doit remarquer, d'abord, que l'art. 157 Reportons-nous maintenant aux dispositions du décret n'est pas seulement contraire à l'art. de la loi.

Nous avons vu que les art. 162, 194 et 368 du Code d'instruction criminelle, ont établi comme droit commun que le prévenu, l'accusé et la partie civile qui succombent doivent être condamnés aux frais. Il faut en inférer, comme une conséquence naturelle, que les frais cessent d'être à la charge des prévenus, des accusés ou des parties civiles, lorsqu'ils n'ont pas succombé dans la poursuite qu'ils ont exercée ou dont ils ont été l'objet. Cependant cette conséquence n'est admise par la jurisprudence qu'avec de certaines restrictions, surtout à l'égard des parties civiles.

Le décret impérial du 18 juin 1811, portant réglement sur les frais de justice, avait méconnu les textes du Code, en disposant dans son article 157 que les parties civiles, soit qu'elles succombent ou non, seraient personnelle

On s'est fondé sur les deux paragraphes que la loi du 28 avril 1832 a ajoutés à l'art. 368. En effet, cet article ne contenait que cette seule règle: «l'accusé ou la partie civile qui succombera,sera condamné aux frais envers l'état et envers l'autre partie. » Et le législateur l'a fait suivre de cette double disposition : « Dans les affaires soumises au jury, la partie civile qui n'aura pas succombé ne sera jamais tenue des frais. Dans le cas où elle en aura consigné, en exécution du décret du 18 juin 1811, ils lui seront restitués. » Or, on a inféré de ces mots : dans les affaires soumises au jury que la loi a voulu laisser subsister la responsabilité des frais sur la partie civile qui ne succombe pas dans les affaires qui ne sont pas soumises au jury, et de ceux-ci: en exécution du décret du 18 juin 1811, que son intention a été de prêter force et vie aux dispositions de ce décret réputées illégales.

368; mais qu'il contrarie également les art. 162 et 194, relatifs aux matières correctionnelles et de police. L'illégalité qui frappait cette disposition vis-à-vis de l'art. 368, l'atteint aussi à l'égard des autres. Dans les matières correctionnelles et de police, pas plus que dans les matières criminelles, la partie civile ne peut être condamnée aux frais quand elle ne succombe pas; le même principe domine toutes les juridictions; le Code en fait la règle de toutes les procédures.

On se réfugie dans les termes du 2o§ de l'art. 368 qui dispense la partie civile de la responsabilité des frais, lorsque, dans les affaires soumises au jury, elle n'a pas succombé. Mais quel est l'effet de cette disposition? C'est uniquement de déduire du 1er § sa conséquence nécessaire, conséquence, d'ailleurs évidente, et qu'on eût pu même se dipenser d'exprimer. Peut-on voir

[1] Arr. cass., 13 mai 1813,27 mai 1819, 7 juill. 1829, 1, 398; 1830, 1, 119; Dalloz, t. 18, p. 303. 1820, 29 janv. 31 juill, et 12 nov. 1829, etc Sirey,

dans ces expressions quelques restrictions à l'égard des affaires correctionnelles ou de police? Cette restriction a t-elle été exprimée quelque part? la trouve-t-on dans les motifs de la loi, dans les discussions des chambres?

Le texte et les discussions sont également muets. Les deux nouveaux paragraphes de l'art. 368 ont été introduits par la commission de la chambres des pairs, dans le dessein hautement proclamé de réformer l'art. 157 du décret : « On a demandé, disait M. de Bastard, que dans tous les cas où une partie civile n'a pas succombé, elle ne pût jamais être passible des frais qu'elle aurait avancés ; car vous savez que toute partie civile est obligée d'avancer les frais, lorsque c'est à sa requête que l'on poursuit un individu qu'elle prétend avoir commis un crime à son préjudice. Si la partie civile gagne son procès, c'est-à-dire, si l'individu accusé de crime est condamné, cet individu, s'il est solvable, paie tous les frais. Mais il avait été établi par la jurisprudence que la partie civile était tenue de payer ces frais à l'État, si la partie condamnée n'était pas solvable C'est cet état de choses qu'on a proposé de changer: on a demandé que jamais la partie civile qui n'a pas succombé ne fût tenue des frais Il a fallu de plus régler quelque chose sur les frais avancés par la partie civile, et par une disposition spéciale il a été dit que les frais lui seraient restitués [1]. »

Ainsi le législateur part d'une règle générale; il veut l'appliquer à tous les cas; c'est une jurisprudence illégale qu'il abolit ; il rétablit le droit commun. Or, quel est ce droit commun? C'est la dispense des frais pour tous les cas où la partie n'a pas succombé. Pour soustraire les parties civiles en matière correctionnelle et de police, au bienfait de ce droit commun, il eût fallu une disposition formelle, une exception positive; et on ne la trouve nulle prrt.

Il faudrait admettre que l'art. 157 du décret continuerait à frapper d'impuissance les art. 162 et 194 du Code d'instruction criminelle, tandis qu'il est lui-même annulé par l'art. 368; abrogé pour les matières soumises au jury, il serait en vigueur encore pour les matières correctionnelles et de police. Mais le législateur n'a laissé nulles traces d'une telle distinction; nulle part il n'a réservé cette moitié d'un article abrogé. En supposant (ce que nous sommes loin d'admettre) que cet article ait joui d'une force légale avant la nouvelle promulgation du Code d'instruction criminelle, le législateur la lui a enlevée en

[1] Code pénal progressif, pag. 51.

promulguant l'art. 162 qui ne permet de condamner aux frais, en matière de police, que la partie qui succombe, en promulguant l'art. 194 qui répète la même règle dans les matières correctionnelles. Il avait donc déjà cessé d'exister en ces matières quand l'art. 368 a étendu cette abrogation aux matières criminelles.

Faut-il voir dans le 3e § de cet article une sanction donnée à toutes les dispositions du décret auxquelles ce même article ne déroge pas ? Ce § n'a eu qu'un seul but, c'est d'attribuer une force légale à l'art. 160 du dééret du 18 juin 1811, concernant les consignations préalables des frais. On sait en effet que cet article, de même que l'art. 157, avait empiété sur le pouvoir législatif, en mettant à l'exercice du droit de citer en justice, consacré par l'art. 182 du Code, la condition d'une consignation qui n'était pas dans la loi. Un grand nombre de tribunaux avaient refusé d'appliquer cette disposition; de là la nécessité de la légaliser en sanctionnant les consignations faites en exécution de cet article; et quoique cette sorte de sanction puisse ne pas être trouvée à sa place dans l'art. 368 qui ne s'occupe que des matières criminelles, puisque la consignation n'a jamais eu lieu dans ces matières, tel est cependant le seul sens, le but unique du paragraphe 3 de cet article.

Enfin, comment justifier une distinction entre les affaires correctionnelles et les affaires criminelles ? si la responsabilité de la partie civile est injuste dans celles-ci quand elle succombe comment deviendrait-elle juste dans les autres? Dans l'un comme l'autre cas, cette responsabilité est la peine d'une plainte légère, d'une action imprudente; or lorsqu'elle n'a à se reprocher aucune faute, lorsqu'elle a poursuivi à juste titre, lorsque celui qu'elle poursuivait a été condamné, comment, même en matière correctionnelle, lui faire supporter les frais de la poursuite? quel prétexte invoquer pour les mettre à sa charge? Doit-on la punir par sa ruine d'avoir rendu un service à la société en amenant la condamnation d'un coupable ? la société d'ailleurs n'y gagnerait point: « Il est hors de doute, a dit M. de Dalmas, que cette responsabilité trop étendue de la partie civile, devait détourner de prendre cette qualité, et qu'ainsi les auteurs du réglement avaient agi contre le but qu'ils se proposaient et qui était de diminuer les frais à la charge de l'État; car en écartant les parties par les conditions trop onéreuses qu'on leur imposait, il est évident qu'on rendrait plus considérable le nombre des procès d'office, c'est-à-dire ceux dont les frais sont dans tous les cas supportés par le trésor,

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