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trouve point au Théâtre, dans les Académies, dans les Cercles, dans les Mufées, ni même dans les Temples. On me demande du nouveau. Eh! que peut-il y avoir aujourd'hui de plus nouveau que la nature & le bon fens ? je ne cefferai donc point de répéter, jufqu'à ce qu'on m'entende ; je ne cefferai d'inculquer les mêmes principes jufqu'à ce qu'on les mette en pratique ; & fi je parviens à ramener les efprits à la raifon & à la vérité, je m'eftimerai trop heureux de paffer à ce prix pour un Rabâcheur.

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Dans une République naiffante, on admet chaque jour de nouvelles loix, de nouveaux réglemens utiles au bien commun; mais quand une fois le Gou vernement eftétabli furune bafe folide, il est alors très-dangereux de vouloir en changer la forme; tout novateur eft un féditieux & un mauvais Citoyen. C'eft ainfi que la littérature Françoife, fixée par les bons Ecrivains du fiècle précédent, & portée peut-être au plus haut point de perfection que comporte l'humanité, à été cor

rompue & appauvrie par l'ambition de quelques Auteurs qui ont prétendu l'é purer & l'enrichir.

Je fais que le vrai génie a une manière qui lui eft propre, qu'il marche rarement dans les fentiers battus, que les fucceffeurs des Grands Hommes du fiècle de Louis XIV, n'ont pas dû s'impofer le joug d'une imitation fervile; mais en cherchant à décou-vrir de nouvelles fources de beauté & d'intérêt, ils ont dû refter fidèles aux mêmes principes & aux mêmes règles qui avoient guidé leurs prédéceffeurs; en s'ouvrant des routes inconnues, ils n'ont pas dû s'écarter de la nature les innovations qui fe font accréditées dans ce fiècle, font donc l'ouvrage du Charlatanisme, parce qu'elles font contraires aux vrais principes de la poëfie & de l'éloquence. C'est en vain que M. de Voltaire & quelques autres Ecrivains ont prétendu nous faire accroire que tous les fujets étoient épuifés, qu'on étoit réduit à imiter ou à s'égarer; on croit entendre parler le renard qui n'a point de queue;

Mais tournez-vous de grace, & l'on vous répondra.

M. de Voltaire nous donne fa propre foibleffe pour l'impuiffance de l'art; mais c'eft le génie qui lui a manqué, comme il eft aifé de s'en convaincre, par l'examen de fes tentatives littéraires.

La France n'avoit point de Poëme épique; Chapelain, Scuderi, Defmareft noms dévoués à l'opprobre, n'étoient pas faits pour rebuter même un Poëte médiocre. M. de Voltaire entre donc le premier dans la carrière de l'Epopée, & il ne peut fe plaindre que fes devânciers ayent faifi les beautés que ce genre comporte; il n'a pas la peine de chercher un fujet intéreffant, il le trouve tout tracé dans l'Abbé du Bos. Il a devant les yeux les thréfors d'Homere,de Virgile & du Taffe où il peut puiser abondamment; & il leur préfère l'indigence & la féchereffe de Lucain.

O le plaifant projet d'un Poëte ignorant, Qui de tant de héros va choifirChildebrand.

Ces vers s'appliquent merveilleufement bien à un homme qui pouvant prendre pour modèles les plus grands Poëtes de l'antiquité, fe traîne fur les traces d'un miférable Gazettier, juftement décrié même dans fa patrie. Si l'Auteur de la Henriade imite quelquefois Virgile, c'eft en copifte qui reste fort au-deffous de l'original: mais il a le plan & la marche de Lucain, il en a le ton, les portraits & les fentences; il eft, en un mot, comme Lucain, Orateur plutôt que Poëte, Oratoribus magis quam Poetis annumeran dus: (Quintil).Un Poëme fans fiction, fans caractères, fans dramatique, fans variété ; voilà ce qui s'appelle une nouveauté heureufe & qui annonce du talent. M. de Voltaire affure que le merveilleux du Taffe paroîtroit aujourd'hui ridicule. Cela peut être; mais s'il avoit quelque génie, il devoit inventer un genre de merveilleux convenable à fon fiècle : fi les efprits étoient trop éclairés pour goûter aucune espece de merveilleux, il devoit compofer un traité de Philofophie, & ne pas dénaturer la Poë

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fie épique, en la parant d'ornemens étrangers, qui ne conviennent qu'à l'éloquence, La Henriade que certains lecteurs admirent comme le chefd'œuvre de Voltaire, m'a toujours paru la preuve la plus certaine de fa foibleffe, à moins qu'on ne regarde comme un art peu commun, d'avoir pu parler froidement & fans intérêt de Henri IV, ce bon Roi, l'idole des François, fi aimable & fi touchant dans la Profe naïve de Perefixe,

Il faut marcher dans la carrière, & non pas s'y trainer avec des boquilles, dit fièrement M. de Voltaire (*). Qui ne croiroit, à l'entendre, que fa Henriade eft un chef d'oeuvre d'invention, que fon génie vigoureux a fu rajeunir la Poëlie épique par des ficrions nouvelles ? Qui pourroit le perfuader que cet homme, qui croit marcher fi leftement dans la carrière, eft Philofophe & Déclamateur plutôt que Poëte; Rhéteur plutôt que Peintre; que c'eft en un mot l'Auteur d'une Hiftoire rimée. Ce font les règles de

(*) Essai sur la Poëfie épique, chap. prem.

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