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discussion; je viens remplir un rigoureux devoir. Vous m'écouterez avec indulgence; vous n'en refuserez pas à un travail précipité. Vous m'écouterez avec attention, car il s'agit de l'examen d'une loi qui attaque dans ses fondemens la liberté publique.

» Quel est le but qu'énonce la loi proposée ? C'est de décerner des récompenses aux militaires et aux fonctionnaires publics qui auront rendu de grands services à la République. Quel est le moyen qu'elle emploie? C'est d'organiser une Légion-d'Honneur qui sera composée de six mille légionnaires à vie, et qui recevra dans son sein successivement, et à mesure des vacances, tous ceux qui ont mérité des distinctions militaires et civiles.

» Ce moyen est si visiblement étranger au but que la loi assigne, il est si palpable, qu'il n'est pas nécessaire de créer un corps privilégié pour récompenser les défenseurs d'une République, qu'il a bien fallu chercher à revêtir ce corps de fonctions tout à la fois imposantes et spé

ciales; en conséquence, on le dévoue par un serment d'honneur « au service de la Répu»» blique, à la conservation de son territoire, à » la défense de son gouvernement, de ses lois, » de ses propriétés, de repousser une entre» prise tendante à installer un gouvernement féodal, et les titres et qualités qui en étaient » l'attribut; à concourir enfin de tout son » pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité. »

» Je n'examine point encore si l'universalité des citoyens étant soumise aux mêmes devoirs, aux mêmes obligations que ce serment prescrit, il n'en résulte pas que les attributions de ce corps ne sauraient former un titre à son existence. Je découvre dans les motifs joints à la loi de nouveaux rapports qu'on essaie de luj rendre favorables: il est considéré comme une institution auxiliaire de toutes les lois républicaines. On veut que cette institution soit mo rale, en ce qu'elle replacera dans toutes les âmes le ressort de l'honneur; qu'elle soit

po

litique, en ce qu'elle sera un intermédiaire propre à concilier les actes du gouvernement avec les vœux de l'opinion; qu'elle soit militaire, en ce qu'elle ouvrira de brillantes perspectives à la jeunesse française. Il ne suffit pas, dit-on, d'organiser des pouvoirs politiques et civils; ils attendent la vie des institutions: les institutions sont au corps social ce que le mouvement est à la matière.

» Il est facile, sans doute, de présenter une institution sous des faces riantes, lorsqu'en supposant particulièrement ce qui est en question, on en fait découler tous les biens qui seraient enviés par les gouvernemens les plus libres. Cette méthode de raisonner des auteurs du projet de loi m'indique la marche que je dois suivre : c'est de remettre en question tout ce qu'ils ont supposé prouvé,

» Ainsi, je démontrerai que l'institution d'une Légion d'Honneur est diamétralement opposée à la lettre et à l'esprit de la Constitution: à la ettre, parce qu'elle n'autorise point la création

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d'un corps militaire, distinct des forces de terre et de mer par des fonctions et des prérogatives extraordinaires; à son esprit, parce que dans une Constitution représentative, la division des pouvoirs ne peut être altérée en au

cun sens.

>>> Si le corps intermédiaire qu'on propose participait de tous les pouvoirs, comme on le donne à entendre, il serait inconstitutionnel par sá confusion même; s'il avait des prérogatives particulières, sans pouvoir, il serait encore inconstitutionnel, parce qu'il romprait l'égalité des droits. Unétat.librene comporte qu'un ordre de citoyens et de magistrats. Si ce corps n'avait ni pouvoir ni prérogatives, il serait inutile. Or, ce qui est inutile ne doit pas être l'objet d'une loi.

» L'institution blesse littéralement la Constitution. Le prétexte dont le projet de loi se colore est donc l'article 87 de l'acte constitutionnel: sa seule lecture dément ce prétexte : « Il sera décerné des récompenses nationales » aux guerriers qui auront rendu des services

» éclatans en combattant pour la République. » Je vois là des récompenses individuelles accordées à nos braves. Mais pouvait-on penser qu'on abuserait de cet article, au point d'en induire qu'il autorise la formation d'un corps privilégié et perpétuel, concentrant parmi six mille individus huit millions de rente, et n'offrant au reste d'une armée immense que les chances incertaines et tardives des remplacemens? La Constitution n'a ni exprimé ni indiqué une semblable mesure, et en l'interprétant ainsi, on ne l'exécute pas, on la viole.

» Elle est encore mise ouvertement à l'écart sous un autre rapport. La Légion-d'Honneur a un grand Conseil d'administration: Ce Conseil aura donc quelque chose à administrer: or, administrer en vertu d'une loi, c'est tracer une fonction publique. Je le demande, comment un sénateur, à jamais ineligible à toute autre fonction publique, sera-t-il du Conseil d'administration, sans choquer expressément l'acte constitutionnel?

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